Les Carabes de la Montagne Noire

(Col., Carabœidæ)

Par J.OLIER

 

 

C'est une chaîne de montagnes de cinquante kilomètres de longueur (du col de la Fenille au bassin de Saint-Ferréol) sur dix de largeur, d'une altitude moyenne de huit à neuf cents mètres, formant l'extrémité méridionale des Cévennes et séparant le bassin océanique du bassin méditerranéen : géologiquement, une croupe de gneiss dominant au sud la grasse plaine de Carcassonne. De ce côté, la Montagne est « blanche », par son sol micacé, pailleté d'argent, par ses pentes adoucies, brûlées par un soleil africain, desséchées, à végétation maigre, chétive et épineuse. Mais la cime atteinte, contraste saisissant : les pentes septentrionales sont plus abruptes, d'un vert vif, plus arrosées, parées d'épaisses forêts jetant un voile d'obscurité. C'est effectivement la Montagne «noire ». Le géographe n'a retenu que le versant nord. C'est ce même versant couvert d'abord de hêtraies touffues, puis, plus bas, de châtaigneraies ou de prairies d'un vert velouté qui intéresse l'entomologiste.

On se plaît à raconter qu'après la guerre de 1870-1871, FAIRMAIRE alla passer quelque temps chez les Dominicains à Sorèze, au pied de la Montagne Noire, l'explora, y captura de nombreux Carabiques et Carabes et dénonça la richesse entomologique de la chaîne. A cet appel autorisé, répondirent de nombreux amateurs d'insectes.

A la fin du XVIIIe siècle, neuf Carabes étaient connus comme appartenant à la faune de la Montagne Noire : violaceus L. (très commun) ; problematicus Herbst (très commun) ; hispanus F. (assez commun) ; festivus Dej. (très commun) ; convexus F. (assez rare) ; auratus L. (commun) ; cancellatus Illig (Commun) ; monilis F. (rare et localisé), et nemoralis Müll. (très commun).

Dès les premières années du xxe, siècle, un certain nombre de formes nouvelles sont découvertes par LE MOULT et autres entomologistes, la plupart décrites et dénommées par DE LAPOUGE, BARTHE, LE MOULT et autres (Les Carabes de la Montagne Noire, «Miscellanea Entomologica,» XVIII, nos 9 à 12). Deux vallées de la Montagne ont donné des résultats exceptionnels : celle de l'Arnette à l'est et surtout celle du Sor à l'ouest.

L'Arnette, qui naît dans la Montagne Noire au sud de Mazamet, a creusé une profonde et étroite coupure, sorte de couloir étroit et étranglé. A l'est de cette vallée, dans les vallons qui, de Saint-Amans-Soult et d'Albine, montent vers les pics de Nore et Peyremaux, Nicon (de Saint-Genis-Laval) et GAVOY (de Carcassonne) découvrirent l'intricatus L. H. GALIBERT, de Castres, fin chasseur, n'hésita pas à contester énergiquement ces captures, mais finalement dut s'incliner, car il prit lui-même six intricatus. La présence de ce Carabe fut signalée par V. MAYET aux Verreries de Moussan, à l'extrémité est de la Montagne Noire. Mais l'insecte n'a jamais franchi vers l'ouest le val de l'Arnette.

Comme elle, le Sor naît au cœur de la Montagne Noire, à l'extrémité ouest de la chaîne, près d'Arfons. Il coule en torrent dans une gorge creuse et étroite, fraîche, exceptionnellement humide, dont le sous-bois est envahi par le noisetier. Il passe au moulin de la Gravette, puis à l'est du village des Cammazes, à l'ouest de celui de Durfort et de la ville de Sorèze. C'est cette haute vallée du Sor, à partir des Cammazes, qui est exceptionnellement riche en Carabes.

 

Le splendens Oliv. y fut découvert par le MOULT ; soumis à DE LAP0UGE ce carabologue en fit la s.-sp. ammonius. Chose aussi étrange qu'inexplicable, l'insecte est cantonné dans une petite partie de la vallée. La limite de l'habitat du splendens est la suivante : à l'ouest, le Chayla en amont de Durfort, les Prades à côté du bassin de Saint-Ferréol, Peyrebazal et le bois de l'Aiguille ; au sud, bois de l'Arquier et de Picou ; à l'est et au nord, bois des Crabes Mortes (et non des Crabes Hautes). L'insecte n'a pas été trouvé au delà du confluent du Sor et du ruisseau des Sourrettes et ne pénètre pas à l'est dans les forêts de Sagnebaude et de Sarméjé. On le rencontre surtout le long d'un petit chemin allant des Cammazes à Arfons. Deuxième singularité : le splendens se rencontre dans le Tarn, à soixante kilomètres au nord en forêt de Grésigne, bien plus chaude, installée sur des marnes compactes avec un sous-bois constitué par toutes sortes d'arbres et d'arbrisseaux. Ces deux stations sont géologiquement et botaniquement dissemblables. Récemment, Puisségur (de Rodez) (« Miscel­lanea Entomologica», XL, 1939, pages 53-54) a observé la présence de ce Carabe en Aveyron dans les bois humides de la vallée de l'Aveyron et de ses affluents entre Najac et Rodez.

 

L'hispanus F. est largement représenté dans le Tarn. Il habite non seulement la Montagne Noire et la région montagneuse, mais même les coteaux, descend dans les vallées inférieures à deux cents mètres d'altitude, soit à quatre kilomètres de Castres et à cinq d'Albi. Il n'est nullement inféodé aux régions du hêtre et du châtaignier, se plaît aussi bien dans les terrains schisteux et granitiques que dans les marnes rouges (forêt de Grésigne). Il ne craint pas les terrains secs et les talus exposés au midi.

L'hispanus de la Montagne Noire, soumis par LE MOULT à DE LAPOUGE, fut décrit sous le nom de s.-sp. latissimus. L'Auzati Le Moult est une aberration très peu commune de cette sous-espèce et non de l'espèce typique. L'ab. castaneus, Lapouge, tout aussi rare, existe dans la race latissimus, puisque GALIBERT en a pris un exemplaire à Lacaune (Tarn). Les indications données sur ces formes par JEANNE L (Carabiques, tome I, 1941, page 151) ne sont pas exactes (le MOULT, « Miscellanea Entomologica », XLI, 1944, pages 80-81).

 

Le festivus Dej. est, en général, plus montagnard que l'espèce précédente. Il vit dans toute la chaîne et y est souvent en nombre ; moins abondant dans les monts de Lacaune. Il a été, vers 1905, découvert par CARPENTIER dans la forêt de Sérénac (à vingt-cinq kilomètres à l'est d'Albi) à quatre cents mètres d'altitude, et descend jusqu'à trois cent cinquante mètres vers le ruisseau du Lézert, affluent de la rive droite du Tarn à la hauteur de Saint-Grégoire.

 

Le festivus du Tarn (forêt de Sérénac et monts de Lacaune) est typique. Les individus de la Montagne Noire offrent des variations nombreuses de taille, de sculpture et surtout de coloris (vert, vert doré, feu, pourpre, violet, violet-noir) avec passages entre toutes ces différences étudiées et dénommées par le regretté BARTHE, LE MOULT et autres (Tableaux analytiques illustrés des Coléoptères de, la faune franco-rhénane, 1920, page 72). Les plus connus sont les fameux Moulti Lapouge, puis faustulus et pumicatus, tous prove­nant du haut Sor. SARTHE (Tableaux analytiques, pages 73-74) indique à tort Dufort comme localité d'origine. Toutes ces captures ont été faites au sud et au sud-est de ce village. BARTHE les considéra comme des variétés aberrantes. Les très beaux travaux de P. RAYNAUD ont pleinement élucidé leur origine. Ce sont des croisements entre festives et splendens. LE MOULT, tout récemment, a justement mis en lumière les interprétations arriérées de JEANNEL («Miscellanea Entomologica », XLI, 1944, pages 84-85). Ainsi s'explique que ces formes, d'ailleurs rares, ne se retrouvent que dans le Sor où coexistent les deux Carabes et sont étrangères à la faune de la Grésigne et de la Montagne Noire à l'est d'Arfons. Dans les vallées aveyronnaises coexistent splendens et festives ou peut-être, Quittardi. Il serait intéressant d'y rechercher Le Moulti. M. Puisségur, bon spécialiste, ne l'y a pas encore rencontré (« Miscellanea Entomologica », XL, 1939, pages 53-54).

 

Il semblait que tout avait été dit sur les Carabes de la Montagne Noire lorsque, en 1933, Puisségur annonça (« Miscellanea Entomologica », 1933, page 37) avoir capturé dans un terrain marécageux dans le voisinage du bassin de Lampy et du Sor moyen, un exemplaire de granulatus L. Grande émotion chez les coléoptéristes tarnais, qui crurent unanimement à une erreur de détermination ou de lieu de capture. Dix années après, P. RAYNAUD se rendait au moulin de la Gravette et capturait cinq granulatus. PUISSÉGUR ne s'était donc pas mépris. En réalité certains Carabes ont un habitat très limité et forment de très petites colonies qui peuvent longtemps échapper même à des recherches minutieuses. Vers 1890, SICARD signala la capture aux environs d'Albi de monilis L. et cancellatus Illig. (GAVOY, Contribution à la faune entomologique du Tarn, 1907, page 5, « Bulletin de la Société des Études Scientifiques de l'Aude », 18e année, tome XVIII, 1907). Le premier de ces Carabes n'a pas encore été repris. RAYNAUD et moi-même avons capturé quelques exemplaires du second.

Il allait, plus récemment encore, être une fois de plus question du moulin de la Gravette. Une espèce nouvelle, non pour la Montagne Noire, non pour le Tarn, non pour la France, mais pour la faune paléarctique, vient d'être décrite par JEANNEL (« Carabiques », tome I, 1941, pages 151-152), le Chrysocarabus Bugareti: deux individus, une y trouvée par M. P. R. BUGARET au moulin de la Gravette, un d dans la collection R. OBERTHUR et provenant de Rennes­les-Bains (Aude). LE MOULT (s Miscellanea Entomologica », XLI, 1944, pages 80-81), avec une argumentation décisive, a nié que le Bugareti soit une espèce de Chrysotribax. Il y voit un hybride d'hispanus X et de splendens y, tout comme Olieri Raynaud est l'hybride de splendens X et d'hispanus y (« Miscellanea Entomologica », XL, 1944, pages 88-89).

Nous avons ainsi exposé en toute objectivité l'histoire des Carabes de la Montagne Noire, entendant expressément nous abstenir de tout jugement sur la valeur des créations de LAPOUGE ainsi que des doctrines variétistes actuellement en honneur. Il nous a paru toutefois impossible de ne pas indiquer certaines erreurs de JEANNEL, sans doute déjà relevées par les coléoptéristes exercés, mais qui pouvaient échapper aux jeunes.

Nous adressant à eux, nous leur conseillons de visiter la haute vallée du Sor. Ils trouveront certainement aux Cammazes d'anciens chasseurs qui les conseilleront utilement, et peut-être même des nouveautés. Qu'ils n'oublient point que, depuis le commencement du siècle, la région a fourni au moins quatre vingt-dix mille Carabes ! Qu'ils soient modérés dans leurs prélèvements et veuillent bien ménager une station qui ne cesse de s'appauvrir.

 

MISCELLANEA ENTOMOLOGICÀ. Vol. XLII, Septembre 1945.
  (Pages 16-17-18-19)
SOURCE : asnat.mp.free.fr/pdf/CarabesMontagne Noire /J.Olier

En Europe, plusieurs sous-espèces sont distinguées par les spécialistes :

Carabus_granulatus

 

carabus-granulatus

 

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