Le lapin

dans la Montagne Noire

d'aprés Albin Bousquet in "La Faune de la Montagne Noire 1850-1950"

 

Dans la partie haute de la Montagne Noire, l'humidité, le froid et la grande forêt ont été des obstacles à la colonisation du lapin. Pourtant son extension sur le massif était assez récente. Au siècle dernier, sur le versant sud,

  LAPIN1 Au dire des anciens, les lapins étaient peu nombreux au dessus de la cote 450 m d'altitude. Cinquante ans plus tard, avant sa disparition provoquée par la myxomatose, la limite de son expansion se situe approximativement à la cote 650. Cette faible différence ne doit pas cacher une réalité. La pente du versant sud étant faible, l'étendue « gagnée » par le lapin concernait plusieurs milliers d'hectares. La limite de son expansion formait une ligne brisée, à partir du ruisseau de l'Alzau, à la hauteur du bassin de Saint-Denis (Albert Escande né à Saint-Denis en 1905.) , elle obliquait vers l'ouest, toujours proche de la cote 650 (parfois en dessous, rarement en dessus).

Elle était coupée par la vallée du Sor (versant gauche) et la forêt de Crabes Mortes (versant droit), contournait le plateau de Sorèze par l'est, se rapprochait de la crête du versant nord, plus pentu et boisé, des communes de Saint-Amancet, Verdalle, Massaguel, Les Escoussens, Labruguière.

 

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On peut se poser une question : le lapin avait-il occupé toute la Montagne Noire ? Certainement non avant le treizième siècle ; sûrement pas après, puisque la forêt (que le lapin déteste) s'est maintenue sur de grandes surfaces, jusqu'à nous. Cette dernière expansion tardive, vers le haut, résulta des progrès de l'agriculture, de l'exode rural et d'une période de sécheresse au moment du ralentissement de la chasse, consécutif à la dernière guerre. Les progrès en agriculture se manifestèrent par l'utilisation de la chaux sur les terres acides. Elle eut pour effet de diminuer le PH du sol (PH, abréviation de potentiel hydrogène.)

 

 

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Dès le début du siècle et même avant, des champs entiers bénéficièrent du chaulage. Cette amélioration du sol permit d'étendre la culture de plantes fourragères de bonne qualité, telles que la luzerne et le trèfle. Elle favorisa la culture des plantes sarclées, ainsi que de nouvelles variétés de blé et d'avoine. Seule la variété de trèfle incarnat dite «farouch » (très prisée par les lapins), trop sensible au gel, ne fut guère étendue.

 Jusque là les plantes des champs étaient de moins bonne qualité, leur mauvais goût pouvait être une barrière ! Comme le trèfle couché « trifolium campestre »,évité par beaucoup dl'animaux,pour son amertume.

La plus grande innovation en matière d'herbages, fut l'extension de la luzerne, dans les zones granitiques, et la longévité dont bénéficia la plante par l'apport de chaux. La durée de la luzernière fut triplée. Ce fut le début de la prairie artificielle dans la montagne ; elle alimentait les lapins en toute saison.

Les fabricants de chaux de Dourgne, Sorèze, Issel, Cennes Monestier et Arfons trouvèrent là un débouché important. Toutes les propriétés ne bénéficièrent pas du chaulage, les travaux réclamaient une main d'œuvre importante ; la formule du bail ne se prêtait pas toujours à cet investissement à long terme. Dans la montagne, une terre abandonnée était rarement reprise, surtout si elle était située dans des écarts, sur une pente, dans un endroit rocheux. L'abandon était tout à l'avantage du lapin.

 

Pendant la période de l'entre-deux-guerres, les syndicats et associations de chasse commencèrent à se généraliser dans les villages, ce qui avait pour effet de faire naître des rivalités... Le syndicat était constitué soit par les villageois, soit par les propriétaires. Dans un cas comme dans l'autre, les différends, le plus souvent étrangers au sujet, aboutissaient au refus de « donner la chasse ». Le propriétaire laissait chasser sur son territoire, cas le plus fréquent, ou bien il optait, moyennant redevance, pour une affiliation à la Fédération départementale des chasseurs, ce qui permettait de réserver le droit de chasser, de créer des réserves pour les espèces en difficulté. Dans ce dernier cas, le résultat était une fine fleur faite au lapin.

Ce passage de l'histoire est très important. La banalisation du lapin augmentait au fur et à mesure que l'organisation de la chasse s'affirmait. La plupart des gestionnaires de la chasse du midi de la France bannirent le lapin ; il empêchait la gestion de l'espace. Cette opération répandue partout se généralisa dès le début du siècle dernier à la faveur du droit (sauvegardé) de la propriété.

 

La multiplication du lapin avait pour effet de développer les moyens de capture autorisés ou pas : pièges, collets, furets... En 1943, des centaines de furets changeaient de main sur les marchés de Castelnaudary et de Carcassonne ; l'usage du filet fut peu répandu : son utilisation, mal commode, en limita le nombre ; les pièges et les collets se multiplièrent, certains forgerons habiles réalisèrent des pièges pendant la dernière guerre. Après la capitulation de 1940, les armes à feu furent confisquées.Dans les familles, il y avait souvent plusieurs fusils, alors qu'un seul homme était détenteur du permis de chasser. Parfois même, personne ne chassait dans une famille.

Ce qui permit à bon nombre de fusils d'échapper à la réquisition :

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le plus vieux était rendu, le ou les autres allèrent rejoindre une cache. Ces fusils cachés causèrent des insomnies, lorsque les patrouilles allemandes occupèrent les villages.

 

Même si nous sommes hors sujet, il faut citer un cas qui aurait pu avoir des conséquences tragiques : François Rey, de Saissac, était prisonnier en Allemagne. Son fusil était caché sous les tuiles d'un tout petit appentis dans lequel était logé son chien de chasse. Au cours de l'occupation, un petit groupe d'Allemands venait, le matin, faire de l'exercice physique sur le terre-plein de la cascade situé dans le bas du village ; ils déposaient leurs effets et leurs armes sur le toit de l'appentis ; pendant qu'une sentinelle casquée, arme à l'épaule, veillait sur le pont qui enjambait le ruisseau... (Maria Rey, épouse de François Rey, forgeron.)

Après la guerre, bon nombre de fusils sortis des caches furent inutilisables, l'humidité ayant eu pour effet de « piquer » les canons. À cela s'ajouta un manque de munitions pendant plusieurs années. Conjointement à cette suspension de la chasse, les conditions atmosphériques furent tout à l'avantage du lapin.

 

A partir de 1942, une série de printemps secs se succédèrent jusqu'en 1947 (Relevé des observations météorologiques ; Archives du Canal du Midi). Cette sécheresse s'exerça dans la partie sud/sud-ouest de la France. La Montagne Noire fut davantage éprouvée que les plaines environnantes, par les longues périodes de vent d'Autan. Des centaines d'hectares de prairies naturelles ne furent même pas fauchées. L'absence de pluie était aggravée par une levée rapide de la rosée sur les sols légers, dont l'effet thermique est réduit. Les périodes de vent, au printemps, mûrissaient les herbages avant l'heure. Elles procuraient, partout, dans les champs et dans la lande, une nourriture saine aux mères et aux lapereaux.

Ces conditions climatiques favorables et répétées, favorisaient l'extension du lapin sur le territoire des communes de Fontiers Cabardès, Saint-Denis, Saissac, Villemagne, Les Brunels et sur la partie du territoire communal situé dans la montagne, des communes situées sur le versant nord-ouest : Sorèze, Saint-Amancet, Dourgne, Massaguel, Verdalle.

 

• Une alliée du lapin : la couverture végétale

 

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En dehors des bois et cultures, la couverture végétale du massif était assurée en grande partie par la lande. Les végétaux qui la composaient variaient selon la nature du sol ; malgré la complexité de la répartition de ce dernier, on peut retenir trois zones distinctes de bas en haut, et du sud à l'ouest :jusqu'à trois cents mètres d'altitude environ, le sol est plutôt silico-calcaire ; entre trois et six cents mètres, il est granitique ; au-dessus, il est granitique et schisteux.Comme ce classement souffre de nombreuses exceptions qui seraient longues à traiter, nous retiendrons le terme « végétaux » pour exprimer l'ordre général de ces trois zones : Ce sont celles de la bruyère et le yeuse, de la fougère et de l'ajonc, et enfin celle du hêtre.

 

 

 

La bruyère et le yeuse

 

Dans la partie basse, à la bordure de la plaine de l'Aude, la lande était dominée par la bruyère,(Erica Arborea, L. éricacées — plus rarement Erica Scoparia)  végétal fortement combustible qui rendait dangereux l'usage du feu, destiné à l'entretien des parcours à moutons.

 

La bruyère se développait, pendant une décennie ou deux, parfois plus. Au cours de cette période, jusqu'en 1940, elle était exploitée pour la chauffe des fours de boulangers et de potiers, mais les parties découvertes étaient insignifiantes, jusqu'au jour où... le feu éclatait quelque part ! Alimenté par une végétation très abondante, toute intervention s'avérait impossible. Le feu s'arrêtait à la limite des champs, des vignes ou des routes. À raison de trois ou quatre incendies par siècle, le chêne yeuse et le pin n'avaient pu coloniser l'espace. L'abondance de la végétation réduisait l'action de la chasse des hommes.

Après le passage du feu, la végétation se reconstituait à l'état de fourré et le lapin devenait indélogeable : C'est dans la zone basse du versant sud du massif que la densité du lapin fut la plus forte.

 

Dans cette végétation fournie, le sol se prêtait peu à la céréale, mais la vigne y fut cultivée dès le Moyen Âge. Elle y restera jusque dans les années 1950, sous une forme dispersée à travers la lande. C'étaient des restes d'héritages anciens, cultivés par les villageois et les métayers, préoccupés de satisfaire à la consommation familiale du vin. Parfois les vignes étaient regroupées sur des anciens « aleux », qui avaient pris le nom de fief ou «flou », commune de Saissac (Voir cadastre de la commune de Saissac).

 

Ces vignes favorisaient la multiplication du lapin ; habituellement, elles étaient peu fréquentées par le propriétaire, qui avait d'autres occupations. La fumure organique qu'elles recevaient avait pour effet de faire croître les meilleures herbes pour les lapins comme le seneçon commun (Senecio vulgaris), le pissenlit (Traroseacum officinale ),  le laiteron de champs (Sonchis arvensis), la ravanelle (Raphanus raphanistrum..), etc...

Le désherbage chimique n'était pas connu. Ces parcelles de vignes, situées dans la lande, étaient habituellement plantées dans leur totalité ; et la « birado » (entendre : retournement de l'attelage au cours des travaux), se pratiquait sur le terrain d'autrui recouvert par la bruyère. Ces « birados » situées aux extrémités des rangées n'étaient pas entretenues. Elles permettaient une approche prudente du nid, aux lapines qui avaient niché dans la vigne ; la nuit venue, elles allaient allaiter les petits.

Après cette action toute maternelle, si le calme régnait, la lapine reprenait des forces sur les riches plantes de la vigne, y compris sur les pousses des jeunes plants de l'année...

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Aux dires de certaines personnes, le sevrage des lapereaux intervenait plus tôt chez les nichées nées dans une vigne (Léopold Jalbaud.). En fait, la vigne et le lapin jouissaient dans cette zone basse d'un avantage commun aux deux : celui du climat sec et chaud.

 

En1928, la famille Lagoutte exploite la ferme de Bataillé située au sud de la commune de Saissac. Le propriétaire, M. Lamourelle, a passé contrat avec la Fédération de chasse du département de l'Aude ; le droit de chasser est réservé. Le fils, Aimé, est seul à chasser. De septembre à Noël 1936, il tue 308 lapins. Ce cas démontre l'inconvénient - ou l'avantage - de la réserve, déjà cité. Dix-sept ans après, en 1945, Aimé habite le village de Saissac où il est artisan maçon ; il chasse le lapin en compagnie de François Rey, le forgeron. Ils ont cinq chiens, quatre bassets et un beagle ; ils chassent le dimanche matin seulement.

Un dimanche de septembre, Prosper Oustric, boulanger à Saissac, vendange sa vigne au lieu-dit « Rascagnac » ; il a fait conduire deux attelages pour transporter la récolte. Aimé et François chassent depuis le lever du jour ; ils ont tué une soixantaine de lapins qu'ils mettent dans des sacs et les confient à Prosper pour les porter jusqu'au village. Il fait beau et très chaud même, les attelages vont lentement ; le soir, le contenu des sacs est avarié (Aimé Lagoutte, né en 1919  à Saissac)...

 

Les dégâts dans la zone de la bruyère

 

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Le lapin pouvait être considéré comme nuisible, ce qui permettait aux maires des communes, qui avaient pouvoir en la matière, d'autoriser la pose de pièges, en dehors de la période de chasse. Les demandes de piégeages ont fait légion. Sous prétexte de protéger son bien, la demande d'autorisation était une façon de se mettre en règle pour prendre des lapins pendant la période de fermeture ; quant à la protection du bien, c'était une autre affaire !

Dans cette zone, les avis sur la nuisance des lapins étaient partagés. L'importance des dégâts reposait sur de nombreux critères ; il était beaucoup plus aisé de protéger quelques jeunes plants dans la vigne familiale, que la céréale dans un champ. Les circonstances, la situation, « le temps de guerre », modifient les avis.

 

A la ferme, « Le Deves », commune de Saissac, le propriétaire, Monsieur Maillé, fut obligé, en 1919, d'entourer les champs de grillage pour sauver les récoltes (Albert Escande, né en 1905 à Saissac ) : pour M. Maillé, le lapin était un vrai fléau qui conduisait à la ruine.

Propriétaires, exploitants et métayers étaient soumis à cette dîme particulière qu'était la dent du lapin. Pour se soustraire en partie, ils étaient tenus de laisser grandes ouvertes les portes de la propriété afin de bénéficier du prélèvement par la chasse.

 

• La fougère et l'ajonc de la zone granitique

 

C'était la zone intermédiaire, entre la zone basse et la zone haute. La lande composée de fougères, d'ajoncs et de genêts recouvrait une bonne partie de la zone granitique. Elle faisait partie de la structure agro-pastorale à partir du Lauragais jusqu'au Cabardès, à l'est. Cette lande n'avait rien de commun avec la garrigue méditerranéenne ; c'était la lande de type océanique dominée par l'ajonc.

 

Vers 1880, le territoire de la commune de Saissac (5700 V hectares) comprenait 1800 hectares de landes ; celui de Labécède Lauragais (3200 hectares) en comptait 1200 (Économie rurale de la Montagne Noire, Félicien Pariset, 1867, p. 167 ). Les plateaux situés entre les vallées étaient cultivés dans leur totalité ; ces espaces découverts étaient plus favorables aux lièvres, ennemis héréditaires du lapin. Cette organisation du paysage conditionnait l'habitat même du lapin ; sa répartition était différente de celle de la zone de bruyère.

L'usage répété du feu sur la lande au sol granitique faisait que les végétaux restaient bas. Au cours de l'été, les troupeaux de moutons façonnaient une multitude de sentiers qui facilitaient considérablement la chasse des prédateurs du lapin. Autant la sauvagine que l'homme tiraient partie de cet avantage aux dépens du lapin.

La sauvagine, renards, putois, belettes, étaient bien implantés dans de vastes terriers, creusés sous les blocs de granit qui affleurent sur toute la zone d'ouest en est, entre 300 et 650 mètres d'altitude ; il n'y avait pas un rocher qui ne soit habité, en-dessous, par quelque bête.

Une bonne implantation de la sauvagine, une végétation basse, maintenue par le passage fréquent du feu sur la lande, étaient autant de barrières à la prolifération du lapin. Certains grands terriers, occupés par la sauvagine, pouvaient atteindre plus de deux mille mètres carrés de superficie. Particulièrement dans cette zone, les prédateurs du lapin étaient nombreux : buses, faucons, chouettes ou chats-huants. À l'occasion, les pies, les corbeaux, consommaient du lapereau. Plus rarement, un gros serpent avalait un « fournisou », nom donné au tout petit lapereau habitant encore le nid.

 

• Les aménagements en faveur du lapin

 

Plus la densité du lapin était grande, plus nombreux étaient les opposants au rongeur. Inversement, les sympathisants en faveur du lapin devenaient plus nombreux au fur et à mesure que cette densité baissait et que l'on s'approchait de la limite de l'expansion. Et paradoxalement, lorsque le lapin boudait un endroit, on faisait le nécessaire pour développer sa présence !

 

Au cours du XIX° siècle et même avant, des garennes sont construites avec la pierre venant des champs, dans de nombreuses fermes de la Montagne Noire.

En 1870, des montagnards refusent de servir le Second Empire et sont portés déserteurs par les autorités. Ces hommes errent dans la campagne ; bien sûr, la population leur est favorable... La nuit venue, les habitants leur apportent de la nourriture. Le jour, ils occupent leur temps à la construction de garennes dans les endroits reculés, à l'abri du regard des gendarmes... en cas de danger !

Des mots de passe, connus de la population paysanne, permettent d'avertir ces insoumis. Dans la campagne, à Labécède Lauragais, Saissac ou Saint-Denis, lorsqu'une personne apercevait les gendarmes, elle mettait ses mains en porte-voix et criait : « Las agraillos soun al prat ! » (entendre : « les corneilles sont dans le pré ») ce qui voulait dire « les gendarmes sont en vue ». (Jean Bousquet, mon grand-père paternel, né à Saint-Denis en 1865.)

 

En 1895, le propriétaire de la ferme « Les Cabannelles », commune de Saissac, fit construire une grande garenne comportant plusieurs étages, avec la pierre d'une ferme démolie, située à l'orée de la forêt communale de Saissac, dans la vallée de la Bernassonne. L'importance de l'ouvrage laisse penser que sa réalisation put réclamer trois mois de travail à un homme. Sa construction avait été parfaitement soignée. Cette garenne est constituée, au centre, d'une sorte de cheminée dont la base, de forme ovale au niveau du sol, mesurait environ 2,2 m. de surface, sa profondeur était de 1,80 m., sa bouche avait environ 1,2 m. de surface ; elle était ronde, arasée au niveau supérieur de l'ouvrage. Cette sorte de cheminée avait un double usage : à l'aide d'une petite échelle, elle permettait de poser un filet (bourse) à la sortie de chaque couloir qui aboutissait dans la cheminée ; mais sa forme de cône renversé permettait de retenir prisonniers certains gros prédateurs : chiens, loups, renards...

Cette garenne ne fut jamais habitée ; la forêt envahit très vite les abords de l'ouvrage. L'humidité et le froid rendirent l'endroit inconfortable pour les lapins (Marcel Guiraud, né en 1909 à Saissac). Certaines garennes étaient réputées dangereuses pour le furet. Une oubliette était supposée exister à l'intérieur de l'ouvrage, capable de retenir prisonnier le furet. Seul le propriétaire de la garenne était sensé connaître le secret de la « peiro » (la pierre). Cette pierre, il fallait savoir laquelle, donnait accès au conduit de l'oubliette ; une fois déplacée, il était facile d'isoler ce conduit ; comme le secret n'était connu de personne, car l'ouvrage changeait de propriétaire, le doute s'installait et la notion de danger pour le furet persistait pendant plusieurs générations.

Aux milliers de garennes construites avec la pierre des champs, venaient s'ajouter les drains construits, eux aussi, en pierre, pour assainir les champs. Les lapins habitaient ces drains avec assiduité. Mais ils creusaient des galeries, à partir de l'intérieur du drain, et obturaient son conduit.

 

Vers 1930, le territoire de la commune de Saissac comportait environ une vingtaine de kilomètres de drains. Il faut citer l'un des derniers réalisé, et, sans aucun doute, le plus perfectionné : en 1942, pendant la guerre, Auguste Albert est métayer à la ferme « L'Albéjot », commune de Saissac. Un jour, deux réfugiés espagnols se présentent. Vicente et Franco qui fuient la misère, trouvent à L'Albéjot asile et surtout nourriture, c'est l'hiver. Pendant leur séjour, ils vont construire un drain en pierres pour assainir la mouillère du champ dit « de la Rouge ». Ce drain, long d'une soixantaine de mètres, sera composé, à la base, d'un radier en pierres plates bien ajustées afin que les lapins ne puissent creuser et obturer le drain (Édouard Albert, né en 1924 à la ferme de L'Albéjot, commune de Saissac).

Les Romains avaient utilisé ce type de drain, pendant l'occupation de l'Espagne, pour lutter contre les dégâts que provoquaient les lapins à ces ouvrages. Pour les mêmes causes, une quinzaine de siècles après, Vicente et Franco ajustèrent les pierres du drain dans le « Champ de la Rouge » de L'Albéjot.

 

• Gestion et régulation maîtrisée du lapin

 

Des propriétaires, des métayers maîtrisaient la prolifération du lapin. Fallait-il pour cela qu'ils restent longtemps sur la propriété. Dans la Montagne Noire, les baux étaient en général d'assez longue durée. Fallait-il aussi qu'ils soient attentifs à cette gestion qui nécessitait certains menus travaux et petites interventions tout au long de l'année.

Deux cas parmi des milliers semblables sont développés ici : le premier dans la montagne, l'autre dans la plaine.

 

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En 1909, Joseph Albert prend en métayage la ferme déjà  citée de L'Albéjot ; cette famille la quittera en 1960. La ferme est adossée à la grande forêt Abadier et Ramondens ;

elle comporte deux garennes anciennes et quelques terriers en talus. Peu à peu, la qualité des céréales et des fourrages est améliorée par le chaulage ; le blé et le trèfle sont cultivés. Après chaque labour, la pierre soulevée est récupérée pour réaliser de petites garennes autour des quelques gros rochers de granit, dispersés ça et là dans les champs.

Dans le petit roncier qui s'établit autour de chaque rocher, des petits houx naissent là, spontanément ; ils sont protégés. Plusieurs années après, ces houx sont devenus des touffes importantes de deux mètres et plus de hauteur.

La touffe, en forme de fer à cheval, abrite le rocher et la garenne du vent du nord et des averses.

Ces dispositions sont fort appréciées des lapins ; le logement est sain, il est abrité, toutes les issues débouchent sur le champ et même, peut-on ajouter, à la table. Ces garennes sont petites, les lapins ne peuvent guère allonger les conduits. Les travaux des champs limitent leur expansion. Le nombre d'habitants reste limité.

A la saison, ces garennes - une dizaine en tout - sont furetées par roulement ; en moyenne deux lapins sont capturés un dimanche sur deux, par garenne. La sauvagine est piégée de septembre à avril ; au printemps, le plus grand prédateur est surveillé ; il habite dans la maison... c'est le chat ! Il y en a quatre ou cinq à la ferme, mais on connaît celui ou ceux qui pratiquent la promenade champêtre : dès que l'un d'entre eux rapporte un jeune lapereau à la maison, il est aussitôt entravé à l'aide d'une vieille semelle de sandale suspendue au cou ; celle-ci a pour fonction de le gêner dans son comportement de prédateur. La semelle est retirée à la fin du printemps... enfin !... en principe ! La sanction peut être rétablie, sans tenir compte de la saison, si des lapereaux sont menacés.

 

Dans la décennie 1940, la famille Albert prélève sur la propriété en moyenne trois cents lapins par an. Un tiers est vendu, un tiers donné, un tiers consommé. L'ensemble des dégâts sur les céréales et sur le fourrage représente pour une année la valeur de 1000 Kilos de blé, à 43 francs le kilo cours moyen du blé en 1947 (Édouard Albert, fils d'Auguste Albert, métayer à L'Albéjot). La situation inflationniste de cette époque ne permet pas de confirmer si l'équilibre s'établissait entre les dégâts et les recettes. Mis à part le cas de Barrau, la commercialisation du lapin sauvage était peu répandue au dessus de quatre cents mètres. Le lapin faisait partie des denrées données ou échangées, au même titre que le pot de miel, les poignées de châtaignes, le bouquet de cresson de fontaine, les pommes du pommier de la haie.

 

Le deuxième cas d'exploitation des garennes concerne la plaine du Lauragais. En 1939, le lapin est partout dans la plaine ; céréales et fourrage composent la couverture végétale de la plaine pendant six mois ; beaucoup de lapins vivent le jour, dehors, dans les champs. Le reste de l'année, les seuls abris sont les haies et les garennes.

Guillaume et Arthur Gay sont propriétaires à la ferme « La Teule », à Vauré, commune de Revel. La ferme est donnée en métayage : bâtiments, terres et prés sont l'objet d'un contrat, sauf une dizaine de garennes, dont la gestion repose sur une sorte de convention amiable et verbale entre les deux parties. La saison venue, et toujours le vendredi, afin de vendre les lapins le lendemain au marché de Revel, la capture s'organise !... Un grillage, utilisé à cet effet, est posé autour de la garenne. Les broussailles qui la protègent sont jetées à l'extérieur de l'enceinte. Les autres matériaux, terre et paille, sont déposés ainsi que les pierres de couverture. Le découvrement se fait de façon à faire se regrouper les lapins dans un seul endroit. Au cours de la capture, les lapines allaitantes ou pleines, ainsi que les lapereaux, sont relâchés à l'extérieur du grillage. La capture terminée, les conduits de la garenne sont soigneusement nettoyés, puis la reconstruction est effectuée : pierres plates, paille de l'année, terre et, enfin, des végétaux « récents » recouvrent l'ensemble, y compris les sorties de la garenne, afin d'empêcher les chats de pouvoir s'y poster.

La démolition, la capture et la reconstruction de la garenne prenaient la journée. Le nombre de lapins était partagé entre le propriétaire et le métayer, le repas de midi était pris en commun à la ferme. Au printemps, ce dernier entravait les chats, avec une vieille semelle ou bien un morceau de bois percé appelé « talos ».

 

Les frères gay entretenaient les garennes. Tout les ans, huit d’entre elles étaient vidées ; deux ne l'étaient pas : elles assuraient le peuplement. Environ cent cinquante à deux cents lapins étaient capturés dans la saison. La part de Guillaume couvrait une partie de l'impôt foncier de La Teule (Henri Gay, né en 1929 à Vauré, près de Revel). Dans la plaine, les dégâts étaient très variables, selon que l'exploitation était plus ou moins orientée vers l'élevage ou la culture de céréales. Nombreux étaient ceux qui vendaient des lapins sauvages, avant, pendant et après la dernière guerre. Dans la zone basse où le lapin pullulait, quelques familles vivaient de ce seul revenu.

 

Pendant la guerre, les lapins étaient vendus non dépouillés. Les marchés étaient irrégulièrement approvisionnés. À Carcassonne, il se vendait plus de mille lapins en une matinée, parfois en une heure ou deux. Le marché était la voie légale du commerce ; il s'organisa à Saint-Martin le Viel et Cennes Monestier ; les lapins capturés la veille ou dans la nuit étaient rassemblés dans les fermes qui produisaient du lait. Le ramassage quotidien du lait était assuré depuis Carcassonne, par un dénommé Berland. Ce dernier achetait tous les lapins. (Jean Douce, né en 1927 à Saint-Martin le Viel).

 

Après la guerre, le marché du lapin sauvage devint plus régulier ; la demande resta soutenue plusieurs années ; mais, peu à peu, l'exigence des ménagères eut des répercussions sur le mode de capture des lapins. Les lapins se vendirent de plus en plus dépouillés ; ceux qui n'étaient pas endommagés se vendaient mieux : c'étaient ceux pris au piège ou à l'aide du furet. Ceux qui étaient tués au fusil trouvaient preneur à la fin du marché : ils alimentaient les hospices et les restaurants.

 

Le négoce des furets, fort développé pendant la guerre, resta soutenu jusqu'à la destruction du lapin. Le furetage se faisait sans bruit, les lapins étaient capturés proprement. Plus délicat était l'entretien du furet : il était logé dans une caisse convenablement fermée et disposée dans l'étable à cause de l'odeur particulière que dégage l'animal et parce que aussi il consomme du lait. Il arrivait que le furet s'échappe la nuit, il provoquait alors de vrais carnages dans les volières et les clapiers. FURET01

 

ACCEUIL