Société d’ Histoire de Revel Saint-Ferréol                                       LES CAHIERS DE L’ HISTOIRE

 

 

AndrE Malraux,

chez nous A Revel-Saint-FerrEol durant l’occupation allemande

 

dossier transmis par Jacques BATIGNE

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     Pourquoi et comment cette haute personnalité de la Vème République (éminent écrivain, Compagnon de la Libération, ancien Ministre...) a séjourné chez nous, séjour très bref, certes, dans des conditions très particulières... ?

 

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C’était il y a 60 ans... En 1944 ! Cet été 2004, un peu partout en France et dans notre région, ont eu lieu des manifestations commémorant la libération de notre pays de l’occupation allemande.
             Ces événements qui ont marqué notre histoire contemporaine, sont étroitement liés à une courte partie de la vie d’André Malraux (1901-1976). Celui-ci, prisonnier des troupes allemandes, n’est venu à Revel Saint-Ferréol "très encadré", que pour y être interrogé et y rencontrer le général de la Wehrmacht, chef d’Etat Major, qui commandait la 11ème Panzer Division.


              Après la journée du 13 septembre 2002, où la Société d’Histoire de Revel avait organisé une soirée historique qui a remporté un succès évident, j’ai poursuivi mes recherches sur cette dernière présence allemande dans notre région.

 

Les thèmes traités étant : "L’été 1944 en revélois", troupes d’occupation - 11ème Panzer Division - par Daniel Décot et "Le Train blindé allemand", par Jacques Batigne.
Trouvant les sujets débattus incomplets, j’ai continué ces recherches dans tout notre grand Sud-Ouest, et en y ajoutant la "petite histoire" d’André Malraux, chez nous.

Sans prétention aucune, loin de moi l’idée d’écrire sur cette personnalité ambiguë, beaucoup d’autres, et lui-même, l’on fait... !

 

 

 

 L’occupation allemande dans notre rEgion durant l’EtE 1944
                       (petit rappel historique et gEographique)

 

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        Les groupes de combat Wilde après avoir combattu les maquis de la Corrèze, du Lot, de l’Aveyron, vont venir dans le Tarn. Ils seront à Gramat les 22-23 juillet, à Figeac le 24, à Rodez le 25, à Villefranche de Rouergue le 26, à Albi le 27 juillet 44, ainsi que dans la Montagne Noire. Là se trouve un maquis très important (environ 900 hommes) : le Corps Franc de la Montagne Noire. Les combats les plus durs auront lieu à partir du 20 juillet, où en plus des blindés légers, les allemands vont utiliser l’aviation, la Luftwaffe basée à Francazal.
        Puis avec le repli des troupes allemandes, des violents combats eurent lieu dans l’Hérault, à partir de Saint-Pons, à la mi-août. Le débarquement allié aura lieu en Provence le 15 août. A ce moment là Hitler donne l’ordre à toutes ses troupes de regagner l’Allemagne, par la vallée du Rhône. Ces ordres d’évacuation ont été donnés chez nous, par le Général Blaskowich, Chef d’Etat-Major de la 19ème armée, groupe d’armée G, dont le quartier général était à Toulouse (château de Rouffiac).


       Des trains blindés allemands ont circulé sur nos voies régionales des chemins de fer, pour assurer la protection de ces nombreux et importants transports ferroviaires de matériels de guerre. De véritables forteresses roulantes disait à l’époque le sous-chef de gare de Carcassonne en 1943-44 (Joseph Ramel). C’était le "Panzerzug-25", train blindé, qui circulait dans notre Midi. Le magazine : "La vie du rail" les avait baptisé : "Les dinosaures de la guerre".
Notre région autour de Toulouse, d’Albi et Carcassonne ne sera définitivement libérée de l’occupation allemande par les F.F.I. - F.F.L. - A.S., les Corps Francs et tous les maquis locaux (ils étaient nombreux), qu’entre les 20 et 24 août 1944.


        Rappelons que la zone Sud de la France, dite "libre" (conséquence de la défaite française de 1940, et de la mise en place par l’Etat français de deux zones), sera occupée à partir du mois de novembre 1942. La ville de Revel et ses environs a été confrontée à une première
occupation des troupes allemandes durant l’hiver 1942-43.

 

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Le général Von Wietersheim  

Train blindé allemand
crédit photo : Doc. L.Semenou

 

 

AndrE Malraux dans la rEsistance


                  L’essentiel de mon propos est tiré de l’ouvrage : "André Malraux, une vie" d’Olivier Todd (Editions Gallimard - 2001), mais aussi de bien d’autres livres et documents, archives et témoignages recueillis dans les Musées de la résistance de Cahors et Toulouse.
        André Malraux entre dans la résistance très tard, mars - avril 1944, après l’arrestation de ses deux demi-frères, Roland et Claude. Eux, ont participé activement à des actions de résistance et dirigé des réseaux, le premier en Corrèze et le second en Seine-Inférieure et Calvados. Dénoncés tous deux, incarcérés et torturés, puis déportés, ils ne reviendront pas de cette déportation. André avait eu un contact en fin d’année 1943, avec Serge Ravanel, alors Chef pour la zone Sud des Mouvements Unis de Résistance (M.U.R.). Les entretiens de Ravanel et Malraux se heurteront à des "dérobades"... selon le premier de ceux-ci. André Malraux est à Saint-Chamand en Corrèze, en ce mois de mars 1944, il s’attribuera le nom de guerre et le grade de "Colonel Berger", dans ses nouvelles fonctions de résistant. Il dit avoir été investi par le Général de Gaulle et avoir un mandat du Conseil National de la Résistance. Ce qui est faux !... De ce fait, il se dit Inspecteur des maquis des trois départements de Corrèze, Dordogne et Lot. Grâce à ses frères il est cependant connu du S.O.E. à Londres (Spécial Opération Exécutive) et rencontre Jacques Poirier ("Capitaine Jack") officier des S.O.E., parachuté en Dordogne. Elle a lieu chez lui à Saint-Chamand. Dans son "territoire"... il organise des réunions avec des responsables régionaux de la résistance, dont une importante au château d’Urval, ne semblant pas être conscient du danger qu’il fait courir et qu’il court lui-même, à suivre ?...


        Il écoute des messages à la radio de la B.B.C. et du Général de Gaulle, il s’attribue des parachutages, il invente un Etat-Major inter-allié des F.F.I. (Forces Françaises de l’Intérieur), dont il se veut le dirigeant bien évidemment !... Celui-ci n’étant recensé dans aucun organigramme de la Résistance, Malraux se présentant en uniforme, n’a aucune troupe rattachée à lui, il ne participe à aucune action de combat !... Maurice Bourges -Maunoury, délégué militaire de la zone Sud, précisera le 16 juillet 44 : "Ce Colonel Berger n’a pas d’ordres à imposer aux dirigeants régionaux de la résistance...". Il n’est pas du tout apprécié des réseaux de maquis A.S. (Armée Secrète) et surtout des F.T.P. (Francs Tireurs Partisans), par contre, il réussira à s’attirer la sympathie des groupes Veny (du Colonel Jean Vincent, Chef National). Ceci nous amène à nous rapprocher des départements voisins puisque des réseaux de maquis Veny existaient dans le Lot, l’Aveyron et le Tarn. Et de retrouver André Malraux organisant ses dernières réunions "d’homme libre" puisqu’il prépare une rencontre le 21 juillet à Canitrot (entre Carmaux et Monestiès) avec les responsables tarnais des maquis Veny. Le lendemain matin, le samedi 22, il est à Villelongue dans l’Aveyron (près de Rodez, entre Naucelles et Sauveterre de Rouergue) pour les mêmes raisons. Dans l’après-midi, ils envisagent un retour sur Gramat dans le Lot, et c’est là que se produisit le drame... Malraux est loin de se douter qu’il va vivre ses derniers instants "d’homme libre"... pour quelques semaines... ?


"... La voiture, une traction avant (Citroën) roule sur la route de Reilhac (C.D. 14), tombe sur un barrage fait de branchages en travers de la route, à l’entrée de la ville. Ce sont des allemands. Ils ouvrent le feu sur la voiture qui fait un tête à queue et se renverse dans le fossé. Il est 17h30. A l’intérieur du véhicule se trouvent cinq personnes : devant, le chauffeur, Marius Loubières, qui sera tué sur le coup, à côté de lui, le garde du corps; Emilio Lopez, qui réussit à s’enfuir avec Henri Collignon (Commandant des groupes Veny, du Lot), en entraînant avec eux George Hiller (Officier Britanique du S.O.E.) gravement blessé. Le Colonel Berger-Malraux, touché aux jambes, est tombé dans le fossé, il n’est que légèrement blessé, mais il est fait prisonnier"...

 

 

AndrE Malraux prisonnier


            Amené dans la maison du garage Raymond Lacan, après un premier interrogatoire, où il déclinera sa véritable identité, sa qualité d’écrivain, son grade et ses fonctions de "Chef du maquis" (?). Il est ensuite amené à l’hôtel de Bordeaux, autre interrogatoire, et passe la nuit dans la cave. Dans son livre : "Les antimémoires" (Gallimard 1976), il dit avoir été confronté à un simulacre d’exécution ? Pourquoi les allemands ne l’ont-ils pas exécuté ? L’Officier qui l’a interrogé, ne prendra aucune initiative sans en référer à ses supérieurs... C’était une "grosse prise"... Les résistants se posent la question : "Pourquoi les allemands et surtout ce groupe de combat de la si redoutable 11ème Panzer Division épargnent-ils Malraux, alors qu’ils venaient d’essayer de le tuer" ? Très probablement parce que Drieu La Rochelle Pierre (écrivain français influencé par le nazisme, il fut directeur sous l’occupation allemande de la Nouvelle Revue Française et se suicida en 1945), avait expressément demandé à Otto Abetz, l’Ambassadeur allemand à Paris : "qu’il n’arrive jamais rien à Malraux et qu’en guise de protection, l’écrivain portait toujours sur lui un mot de l’attaché Culturel Karl Epting" (version fournie par Drieu lui-même - G. Heller - 1981). Ce qui fit dire à René Coustelier, chef des maquis F.T.P.F. : "Malraux avait des accointances avec les boches" ("Le Point" n°1497 du 25-05-2001).
          Le lendemain, départ avec la colonne allemande. Malraux passe la journée du 23 juillet à Figeac chez les religieuses de l’Institution Jeannne d’Arc. Olivier Todd dit ceci : "... Claude Travi a rencontré la religieuse sœur Margueritte du Saint-Sacrement, dans le civil Marie Viguié. Elle lui a montré son exemplaire des "Antimémoires" avec une belle dédicace d’André Malraux". Puis, le 24, "on l’enfourne" dans une ambulance (ce sont ses propres termes), et il se retrouve à Villefranche de Rouergue, où il est soigné par le docteur Dufour.
         Toujours selon lui, il aurait couché pour cette nuit du 24 à Albi, sur le canapé d’une grande salle, sans doute celle de la Mairie (?) (également, sources de Guy Penaud, Directeur départemental de la Sécurité Publique du Lot).
Ce serait donc le mardi 25 juillet 1944 qu’André Malraux se retrouverait à Revel ?
         Voici ce qu’il écrit dans ses "Antimémoires" : "... A Revel, au rez-de-chaussée d’une villa abandonnée, je disposais d’un minuscule jardin. Appuyé sur une canne, je pus marcher un peu. Au repas du soir (je recevais la nourriture des soldats : les officiers aussi d’ailleurs), il y eut sur le côté de l’assiette une cigarette et une allumette". Nous possédons le témoignage d’une personnalité revéloise qui nous dit que Malraux avait été mis au secret dans une maison de la Grande Allée à l’époque, aujourd’hui, allée Charles de Gaulle. Là se trouvait la Kommandatur allemande. Etait-ce à l’arrière de cette belle demeure bourgeoise, la villa abandonnée ?

 

Malraux écrit : "Le lendemain, un officier et deux soldats vinrent me chercher. Je pris place à l’arrière de la voiture, à côté de l’officier. A la sortie du bourg, il me banda les yeux. Je ne me sentais pas menacé et j’éprouvais la présence de ce bandeau comme une protection. Quand l’officier le retira, nous entrions dans le parc d’un château assez laid. Devant le perron, une quinzaine de voitures d’officiers : c’était le conseil de guerre. Le simulacre d’exécution n’avait pas été convaincant, ce troupeau d’autos, l’était. Ce château idiot (le dernier ?) prenait l’intensité de ce que touche le destin"...


       Même témoignage, qui dit avoir aperçu par la fenêtre de la salle à manger, André Malraux dans ce château, à Saint-Ferréol. Cela nous semble tout à fait possible puisqu’en ce lieu précis, il y avait le Général Wend von Wieterscheim, Chef d’Etat-Major de la 11ème Panzer Division.
Autre témoignage d’un ami revélois qui aurait aperçu à Revel, Malraux juché sur une auto-blindée, venant de Saint-Ferréol et s’arrêtant avenue de Castelnaudary, encadré par deux Feld-gendarmes ? Ceci pourrait être possible également car il y avait là le "P.C." de la milice à Revel, où il aurait pu être interrogé.


       Malraux écrit encore : "... devant la fenêtre, un petit lac pour canotiers, avec des cabines abandonnées. L’officier qui m’accompagnait venait d’entrer et me fit signe de le suivre. Je retrouvai ma plate-bande d’œillets de Revel, ma cigarette, mon allumette. Le lendemain, une auto-blindée vint me chercher. A côté de moi, sur le siège arrière, un soldat à mitraillette. Nous n’allions plus vers le Sud, mais vers l’Ouest. Après quelques heures, nous entrâmes dans Toulouse".


       C’était très certainement le jeudi 27 juillet, André Malraux aurait donc passé trois petites journées et deux nuits chez nous, prisonnier des allemands.

A Toulouse, il subira d’autres interrogatoires aux "sièges" de la Gestapo (rue d’Austerlitz et rue Maignan) sans jamais avoir subi de sévices corporels, la torture ? Il sera emprisonné à Saint-Michel le 2 août et libéré avec les autres détenus le samedi 19 août 1944, à la libération de Toulouse.

 

Jacques Batigne

 

 

Source, livres : Derweg der 11ème Panzer Division - Beschrieben von : Anton J. Donnhauser -

"Le Corps Franc de la Montagne Noire" - Mémoire - Combattants volontaires du C.F.M.N. -

Plus : Archives : un plan allemand

 

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