Société d’ Histoire de Revel Saint-Ferréol LES CAHIERS DE L’ HISTOIRE N°12 - 2007 - pages 46/50 |
SUR LES EPEES QUI TIMBRENT LE BLASON DE CAHUZAC par Pierre Bouyssou
|
Cahuzac, petit village du Tarn, à proximité de Soréze et de Revel, cache un secret d’importance que révèle le blason du lieu
Son seigneur fut un des adversaires des célèbres mousquetaires, dont d’ Artagnan, immortalisés par Alexandre Dumas.
Pierre Bouyssou ressuscite le cadre dans lequel des joutes à l’épée retentissent dans la cour de Louis XIII avec le seigneur du lieu.
Il s’agit naturellement, du Cahuzac du canton de Dourgne, anciennement « communauté de Cahuzac, sénéchaussée du Languedoc, diocèse de Lavaur », orthographié en occitan moderne : Caüsac.
Le nom est manifestement inspiré de l’onomatopée « cahus », suivie du suffixe « ac ».
Selon l’Armorial général de France, dressé par Charles d’ Hozier à la fin du XVII ème siècle, le blason est d’azur à un pal flamboyant d’argent (Dictionnaire des communes du Tarn).
La municipalité de Cahuzac a tenu récemment à rendre parlantes ses armoiries et s’est adressée à notre grand héraldiste, Bernard Velay.
Elle lui a demandé de faire figurer en timbre deux épées croisées passées en sautoir sur une tour crénelée, en souvenir d’un duel dont nul ne pouvait rappeler les circonstances et qui pouvait appartenir à la légende…
Mais celle-ci est bien fondée en histoire et en littérature.
Rappelons que la seigneurie de Cahuzac, qui dépendait en fief de l’Abbaye de Soréze, appartenait depuis au moins le XIIIème siècle à la puissante famille de Roquefort. Le dernier possesseur du fief, Guillaume de Roquefort, a cédé ses droits en 1505 à « noble » Jean de Franc, écuyer de Montolieu.
Page de titre du livre de Courtils de Sandra
L’appartenance de cette famille à la noblesse a posé problème. Toutefois après dix sept ans de procédures (1668 – 1685), Jean de Franc, seigneur de Cahuzac, Montgey, Roquecourbe, baron de Saint Félix, a été reconnu noble par d’ Hozier. Mais celui-ci affirmera ensuite dans une note non publiée (B.N.) que le « syndic » des États du Languedoc contestait avec raison la noblesse originaire de cette famille : « elle vient d’un marchand du lieu de Montolieu, lequel, ayant amassé du bien, donna à son fils le moyen d’acheter la seigneurie de Cahuzac, et, de là, de se dire noble. Cependant cette noblesse est usurpée car il n’y a ni charge, ni office, ni privilège attributif, qui l’ait donné à cette famille et mon certi … » (note inachevée)
Quoiqu’il en soit, les seigneurs de Cahuzac, acquéreurs au siècle suivant de la seigneurie de Montgey, se comporteront comme noble et seront qualifiés tels dans tous les actes. Ils porteront même, toujours sans lettres patentes, le titre de baron dans les commissions royales : la première, en 1639, donne au baron de Cahuzac la charge d’une compagnie de chevau-légers dans le régiment de Royal Roussillon. Il s’agit alors de Charles II de Cahuzac.
La même mention du titre de baron figure encore au profit de son fils, baron de Cahuzac, trente ans plus tard, dans une même commission de chevau-légers dans le même régiment. Ce titre n’apparaît dans aucun document civil. Soulignons ici que cette succession d’affectations militaires avait commencé dès la première moitié du XVIème siècle et durera encore jusqu’à la fin du XVIIIème siècle. Mais ce n’est sans doute pas ce passé militaire qui a justifié les épées croisées ; ce sont les aventures de Charles II déjà nommé.
Celui ci avant de devenir en 1638 capitaine de sa compagnie, avait déjà servi dans ce régiment dès 1622, à l’âge de 18 ans environ. C’est entre ces deux dates qu’il appartient au corps des gardes du Cardinal de Richelieu. On peut situer aux alentours des années 1630 l’épisode fameux du duel qui va opposer Cahuzac et les gardes du Cardinal aux mousquetaires et dont la mémoire est ainsi judicieusement perpétuée à Cahuzac.
Il était notoire qu’il existait une telle jalousie entre la Compagnie des Mousquetaires du Roi et celle des Gardes du Cardinal qu’ils en venaient aux mains tous les jours.
Nous trouvons le récit de ces affrontements constants dans les mémoires de d’ Artagnan, publiées après sa mort en 1700, à Amsterdam. Et voilà ce qu’il nous apprend du duel.
A peine arrivé à Paris, d’Artagnan est entraîné par Porthos, voisin de campagne de son père, comte de Batz de Montesquiou, et avec deux de ses frères, Aramis et Athos, mousquetaires comme lui, dans un duel avec cinq gardes du Cardinal, commandés par un certain Jussac, fine lame réputée, parmi lesquels se trouvent Cahuzac, autre fine lame. Les gardes succombent devant la fougue des mousquetaires et les prodiges du jeune d’ Artagnan. Celui ci écrit avec simplicité que le Cardinal allait en être bien mortifié, lui qui estimait Biscarat, autre garde, et Cahuzac « comme des prodiges de valeur et les regardait, pour ainsi dire, comme son bras droit » (Mémoires de d’ Artagnan, pp. 17 à 21, éditions Jean de Bonnot, 1966).
Alexandre Dumas, qui s’est inspiré, il le reconnaît dans sa préface des « Trois Mousquetaires », des mémoires de d’ Artagnan, va conférer à ce duel une dimension épique. Il sera l’acte fondateur des relations de d’Artagnan avec les trois mousquetaires.
Mais Dumas ne prend pas les « Mémoires » au pied de la lettre. D’ Artagnan, à peine arrivé de Tarbes, réussit à provoquer en duel successivement les trois mousquetaires. Rendez vous est pris sur le Pré aux Clercs, rive gauche de la Seine. Au moment où les quatre protagonistes s’interrogent avec courtoisie sur les modalités du duel, les trois mousquetaires répugnant à se battre contre « un enfant », l’arrivée inopinée des cinq gardes du Cardinal les met tous d’accord. Jussac les somme vainement de se rendre.
« Et les neuf combattants », écrit Dumas, « se précipitèrent les uns sur les autres avec une furie qui n’excluait pas une certaine méthode »
C’est Athos qui choisit comme adversaire, toujours selon Dumas, « un certain Cahuzac, favori du Cardinal », qui l ‘avait blessé deux jours auparavant, dans un autre duel et qui arrive à le blesser encore.
D’Artagnan qui a expédié (sans le tuer) Jussac, se précipite au secours d’ Athos. Retrouvons la plume de Dumas : « D’Artagnan fit un bond terrible et tomba sur le flanc de Cahuzac en criant : à moi, monsieur le garde, je vous tue » …
D’Artagnan ne le tue pas mais fait voler son épée à vingt pas.
Cependant, Cahuzac arrive à s’emparer de la rapière d’un garde tué par Aramis pour continuer le combat.
Athos, ayant repris des forces pendant cet assaut, veut recommencer le combat.
Suivons encore le récit de Dumas plein d’une saveur allègre et d’un humour au second degré : « D’Artagnan compris que ce serait désobliger Athos que de ne pas le laisser faire. En effet, quelques secondes après, Cahuzac tomba la gorge traversée d’un coup d’épée ».
Un seul des gardes, Biscarat, reste debout et accepte de se rendre après avoir brisé son épée. Les mousquetaires, respectant sa bravoure, le saluent. D’Artagnan, chevaleresque, l’aide à porter sous le porche du couvent des Carmes qui domine le Pré aux Clercs, Jussac, Cahuzac, et un autre garde qui n’était que blessé.
Les trois mousquetaires, devenus quatre, regagnent l’hôtel de M. de Tréville, leur commandant de compagnie, en chantant, criant de joie, en brandissant leurs quatre épées ainsi conquises. Le duel anime, pendant plusieurs pages, l’ire du Cardinal et la joie secrète de Louis XIII (« Les trois mousquetaires », édition Calmann Lévy, 1894, pp. 68 à 79).
Il était donc conforme à la double vérité historique et romanesque de faire figurer deux épées croisées en timbre du blason de Cahuzac dont le nom est ainsi rentré dans l’histoire, sans que s’en doutent les habitants …
Mais après tout, pourquoi pas quatre épées ? Les deux « cahus » qui veillent en support du blason auraient pu en garder tout autant !
Pierre Bouyssou
LE BLASON DE CAHUZAC
I – Description héraldique du blason de Cahuzac-Caüsac :
« D’azur à un pal flamboyant d’argent » Communes du Tarn : « Dictionnaire de géographie administrative, paroisses, étymologie, blasons, bibliographie. » (L.O.M.P. 760, n° 161 C.P. 2244) et armoiries données d’office par Ch. d’ Hoziers en 1696.
II – Description des armoiries :
Le blason est soutenu par deux cahus, au naturel, à la demande du maire de la commune et de ses habitants. Le dictionnaire des communes du Tarn précise en effet que Cahuzac pourrait être une formation latine ou romane sur cahus : « chat huant ». Le blason est sommé d’une grosse tour, évocation de l’ancien château de Cahuzac. Deux épées croisées ou passées en sautoir sont brochantes sur la tour du château, elles rappellent le mémorable combat, si bien décrit, dans l’article, par Maître Pierre Bouyssou. Le blason situé à la rencontre des épées est celui du célèbre mousquetaire. Au dessus des créneaux de la tour du blason c’est normalement « l’emplacement » du cri de guerre (pour la ville de Castres, le cri de guerre, placé au dessus du blason est : « DEBOUT»). Ici c’est, c’est un huhulement de chouette qui annonce et proclame : « Cahuzac ». Au bas du blason, la devise en occitan « Cahus me veilha » (« la chouette me protège » *), choisie par René Batigne, occitaniste distingué de Saint Julia de Gras Capou, membre de la Société d’ Histoire de Revel Saint Ferréol. Le listel, ou banderole support de la devise, rappelle par sa configuration les fabriques de tissus anciennement établies à Cahuzac, à la limite de notre Lauragais.
Bernard Velay
*La chouette était l’attribut d’ Athéna (grande divinité grecque, assimilée plus tard à la Minerve des romains) et par la suite le symbole de la cité d’Athènes dont les monnaies arboraient une chouette stylisée sur une face. Oiseau nocturne, elle symbolise la réflexion, la connaissance, la sagesse, l’expérience qui dominent les ténèbres. Attribut des devins, elle personnifie leur don de clairvoyance, mais à travers les signes qu’ils interprètent. Animal totem, elle veille et protège le charmant village de Cahuzac.
|