Société d’ Histoire de Revel Saint-Ferréol LES CAHIERS DE L’ HISTOIRE |
LE COMBAT DE MONTGEY
par Pierre et Sophie BOUYSSOU Edité dans la Revue du Tarn – été 1977 – pages 177-196
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Le combat de Montgey s'est déroulé à Montgey en avril 1211. Il permit aux Languedociens de remporter leur première victoire en rose campagne sur les Croisés : tandis que Simon de Montfort piétine devant Lavaur assiégé depuis la fin mars des renforts très nombreux sont massacrés par des troupes aux ordres du Comte de Foix.
Simon de Montfort prévenu, quitte le siège de Lavaur, poursuit vainement le Comte de Foix, enterre ses morts, prend Lavaur, détruit Montgey.
A côté du petit cimetière d'Auvezines, un cénotaphe perpétue la mémoire des Croisés tombés alentour.
Voilà l'événement brut sommairement relaté. Mais ce fait historique indiscutable pose plusieurs questions auxquelles il a été diversement répondu par les bons auteurs selon les époques : où s'est-il déroulé ? A-t-il été ou non été voulu par le Comte de Toulouse ? S'est-il déroulé pendant ou après le siège de Lavaur ? S'agit-il d'un vrai combat ? Ou bien les Croisés désarmés sont-ils tombés dons une embuscade ?
A ces questions, la critique des textes, les découvertes archéologiques locales permettent de répondre en approchant du vraisemblable.
LES SOURCES
La moralité des faits ne laisse point de doute : tous les textes qui relatent la Croisade font allusion à la bataille.
Guillaume de Tudèle lui consacre les laisses 69 et 70 de la chanson, au total 41 vers (tome I p. 168 à 173 in « la chanson de la Croisade albigeoise », traduite par Eugène Martin-Chabot) et aux conséquences du massacre 16 vers de la laisse 145 (tome II, p. 50-51).
Le manuscrit de la chanson (manuscrits français n° 25425 de la Bibliothèque Nationale) contient même un dessin Illustrant le combat sous le titre : « Le camp de Mont Joy ».
Une reproduction fidèle en figurait déjà dans l’ « Histoire Générale du Languedoc », (édition du Mège, tome V, 1882, p. 120). La chanson de Guillaume de Tudèle ne comporte que 10 dessins dont 6 Illustrent des batailles :
- la prise de Béziers (22 juillet 1209);
- le siège de Carcassonne (juillet-août 1209),
- le combat de Montgey (avril 1211),
- la bataille de Saint-Martin-La-Lande (été 1211),
- la reddition de Moissac (8 septembre 1212),
- l'attaque de Beaucaire (juillet-août 1216).
Le chroniqueur du Xllle siècle situe ainsi le combat de Montgey parmi les épisodes majeurs de la Croisade.
Pierre des Vaux-de-Cernay lui donne à peu près la même place : Il relate le combat et ses suites dans les paragraphes 218,219, 232 (« Historia Albigensis », pages 81, 90 et 96 dans la traduction de Guérin et Maisonneuve, 1951, chez J. Vrin).Guillaume de Puylaurens (qui a composé entre 1250 et 1272) ne néglige pas totalement le combat mais ne lui consacre que 4 lignes : Avant la fin du siècle, le Comte de Foix était tombé sur de nouveaux pèlerins qui arrivaient sans défiance à l'armée et en avait égorgé une grande quantité dans le bois s (traduction de Guizot).
« La guerre contre les albigeois », par un anonyme (selon Dom Vaissette. Il écrivait entre 1250 et 1350. selon P. Belperron ou XV• siècle et selon Michel Roquebert au XIV• siècle) traite au contraire le Combat de manière beaucoup plus large : le récit occupe 70 lignes dans la version transcrite par Dom Vaissette, tandis que les conséquences immédiates du massacre sont fréquemment évoquées dans les pages suivantes à propos de la prise de Lavaur (Histoire Générale du Languedoc, édition Privat, tome 8).
Le combat est encore évoqué brièvement par les chroniques de Robert d'Auxerre et d'Aubry de Trois-Fontaine (publiées dans Monumenta Gerrnanice historica, scriptores, tome XXVI, p. 278 pour le premier, tome XXXIII, p. 892 pour le second). Enfin, Du Mège cite en dix lignes un récit de la bataille, extrait de la chronique Intitulée : « Proeciara Francorum Facinora » dont nous Ignorons et le rédacteur et Ici date de la rédaction (Du Mège -- op.cit. addition et notes du livre XXI p. 40, t V)
Quelle est l'inspiration de ces textes ? la chronique latine que nous venons de citer, Aubry, Robert d'Auxerre, Guillaume de Puylaurens. Pierre des Vaux-de-Cernay sont résolument « français ,. C'est la perfidie du Comte de Foix, aidé par les brigands du pays, qui entraîne le massacre de bons chrétiens, d'innocents pèlerins, etc...
Par contre, l'Anonyme est franchement favorable aux languedociens : le Comte de Foix est qualifié d' homme vaillant et entreprenant ». Enfin, si Guillaume de Tudèle trouve que le Comte de Foix a « un cœur de lion P, 11 regrette que l'on ait » pendu comme des voleurs les vilains qui tuèrent les Croisés et les dépouillèrent ».
LE LIEU DU COMBAT
Si l'existence du combat de Montgey ne peut ainsi être mise en doute, écrire au siècle dernier qu'il s'était déroulé à Montgey pouvait encore paraître aventureux.
En effet, depuis le XVlle siècle, un doute était possible. Catel, dans ses « Mémoires de l'Histoire du Languedoc » (livre II, p. 353 et table des matières P. Ccccc 3) ignore superbement Montgey et traduisant différemment les deux versions latines du nom (Mons Jovis et Mons Gaudii) attribue l'épisode à deux sites distincts
« MONT-JOYRE est un château et bourg, à trois lieues de
« Toulouse, duquel fait mention la chronique par nous cy-dessus
« alléguée (Guillaume de Puylaurens), qu'il nomme Mons Louis,
« auquel lieu le Comte de Foix et Roger Bernard son fils, firent
« mourir plusieurs Pèlerins Croisés, qui venaient secourir Simon
« de Montfort... ».
« MONTGAVSI Pierre Moine de Valsernay fait mention du
« château, de Montgavsi au chapitre 50 de son Histoire en ces
« mots :
« Castrù quod dicitur Mons Gaudii, prope podium lauretii ».
« Le mesme historien raconte comme le dit Chasteau fut prins
« par le Côte de Montfort ».
Cette attribution surprend d'autant plus que Catel cite la mention topographique très précise de Pierre des Vaux-de-Cernay (Prote Podium Laurentii »). Dans son « Histoire des Albigeois (1691), le Père Benoît, qui s'est surtout inspiré de Pierre des Vaux-de-Cernay, et qui écrit à Paris, se borne à traduire Monsgaudii en Montgaudi sans se préoccuper de la localisation géographique : « II ne se passa rien de mémorable à Montgaudi, sinon que Simon de Montfort le fit razer pour aller devant Casser (les Casses) qui était au Comte de Toulouse... ».
Au siècle suivant, Dom Vaissette reprend une des deux terminologies de Catel « Mont-foire », et précise sa situation : à deux lieues et demi de Toulouse, entre le Tarn et la Garonne », soit Montjoire au nord-est de Toulouse. Du Mège, (op. cit. tome V, note 40, addition au livre XXI) rétablit la vérité historique sans doute parce qu'à l'époque où il écrit, Fauriel a retrouvé le manuscrit de la chanson de la Croisade, portant les mentions « Mont Joi » ou « Mons Joy » ; il donne en outre d'intéressantes précisions archéologiques sur le site.
Dans la troisième édition de l' « Histoire Générale du Languedoc », par Edouard Privot, A. Molinier ajoute en note (tome VI, p. 355) au texte de Dom Vaissette, mais sans référence à Du Mège qu'il a pourtant dû lire:
« Ce lieu, en latin Monsjovis, dans le poème Monjois, est
« probablement Montgey (Tarn). La forme convient mieux aussi bien
« que la situation géographique. En effet, le Comte de Foix le
« soir de sa victoire, revient coucher à Montgiscard. Montjoire
« alias Montjoie) proposé par Dom Vaissette et donné par la
« chronique en prose, est beaucoup plus près de Toulouse que
« de Montgiscard, et ce dernier lieu est entre la limite du Tarn
« et Toulouse ».
Mais les spécialistes trouvent toujours matière à gloses divergentes : pour Du Mège, Montgey vient incontestablement de Mons Gaudii, tandis que Moiinier choisit l'origine Jupiterienne avec Mons Jovis !
Pour les érudits locaux le choix de Montgey ne posait pas de question.
Dès 1822, J. Clos dans la « Notice historique sur Soréze et ses environs » relève vivement l'erreur de Dom Vaissette en s'appuyant sur les précisions de Pierre des Vaux-de-Cernay : « Comment Dom Vaissette n'a-t-il pas vu que son opinion rendait les circonstances de cet événement bizarres et inexplicables ? » Même opinion pour le Comte de Toulouse-Lautrec dans de nombreux articles de « L'Agout »et de « La Revue historique de l'Albigeois », L. de Combelles La bourellie (cc Légendes Albigeoises » 1866), Alfred Caraven Cachin(c( Sépultures Gauloises, Romaines et Franques » 1812).
« Il est évident que Monsgaudi n'est autre que Montgey, car c'était la seule route que pouvait suivre les pèlerins venant de Carcassonne pour se rendre à Lavaur ! ».
Depuis Catel, tous les auteurs avaient en effet curieusement négligé la précision capitale de Pierre des Vaux-de-Cernay « Prope Podium Laurenti » (proche de Puylaurens) pour leurs localisations fantaisistes, que rendait, de surcroît, invraisemblable l'analyse des événements contemporains. Ce brusque détour de Simon de Montfort jusqu'aux abords de Toulouse (Montjoire) ne s'expliquerait pas, commente Michel Roquebert. « On sait, en effet, qu'aussitôt après le siège de Lavaur, Montfort prit successivement, en l'espace de quelques jours, Montgey, Puylaurens, les Cassès et Montferrand, puis alla s'enfermer dans : Castelnaudary. On peut ajouter qu'une troupe de cinq mille Allemands n'avait rien à faire à cette époque du côté de Toulouse. Les renforts de la Croisade arrivaient systématiquement par le seul itinéraire sûr : la vallée du Rhône, le Bas-Languedoc et Carcassonne, quartier général de Montfort ».
L'archéologie confirme cette analyse ; J. Clos, Du Mège (cf. la note 40 précitée) relatent à l'appui de leur critique de Catel et de Dom Vaissette, les découvertes d'ossements et d'armes autour de Montgey, faits confirmés par d'autres sources, au cours du XIX° siècle La tradition orale recueillie alors affirmait que la chapelle servant au culte à Auvezines avait été bâtie sur les lieux de sépultures des Croisés avec les matériaux provenant d'une autre chapelle située au milieu du champ de bataille et dénommée Saint-Cry (altération de Saint-Cyr). Le hameau alentour conservait une dénomination évocatrice : « En sanc » comme' le champ voisin : « El camp dal sanc ».
Lorsque la chapelle fut agrandie, en 1817 (inscription lapidaire du porche), et en 1866, quand on creusa les fondations, on découvrit effectivement d'innombrables ossements et de « curieuses pièces de monnaie ». Le long de la route d'Auvezines à Puylaurens, (toujours nommée « et cami dal sanc ») apparaissaient « de véritables entassements de fémurs, tibias et autres ossements humains... D'autres tranchées furent découvertes où les squelettes étaient encore plus amoncelés. Plusieurs étaient intacts et quelques-uns mesuraient environ 2,10 m... ».
Les ossements ainsi retrouvés finissaient par déborder sur la voie publique, « au point que les passants en étaient profondément impressionnés ». Aussi, l'abbé Crozes, Curé d'Auvezines sous le second Empire,
ouvrit-il une souscription et fit-il construire un mur « sur une longueur de 400 mètres pour les protéger ». On éleva même un calvaire et une plaque fut gravée : « Ici reposent six mille Croisés surpris en embuscade en avril 1211 ». (Abbé Bonnet, « Le Culte de Marie dans le Diocèse d'Alby »).
L'analyse des textes et des épisodes de la guerre en mars, avril, mai 1211, les traditions locales, les découvertes archéologiques fortuites confirment ainsi que le combat d'avril 1211 s'est bien déroulé à Montgey. Mieux encore, avec cet étrange cénotaphe dans le goût du XIX° siècle, nous voyons se dresser au pied de Montgey, le seul monument aux morts qui témoigne de la Croisade !
C'est la preuve indubitable, plus de sept siècles après, d'une rude bataille...
LA SITUATION DE LA CROISADE EN LAURAGAIS A LA VEILLE DU COMBAT.
A la fin de 1210, Simon de Montfort tient garnison à Carcassonne. Il a subi des échecs répétés dans ses tentatives pour faire sauter le verrou des châteaux de Lastours que Pierre Roger de Cabaret tient bien en main. Mais celui-ci, invaincu depuis deux ans, s'effraie des renforts importants que reçoit Montfort avec l'arrivée de Pierre d'Auxerre, Robert de Courtenay (qui avait déjà pris part à l'expédition de 1209) Guillaume de Nemours, le futur évêque de Meaux, alors archidiacre de Paris... Pierre-Roger de Cabaret envoie alors son prisonnier Bouchard de Marly, qu'il détient dans un cul de basse fosse depuis dix-huit mois, négocier sa reddition. Celle-ci est acceptée et Montfort prend possession du château vraisemblablement à la mi-mars 1211 (Bouchard apparaît comme témoin dans un acte daté à Carcassonne du 12 mars 1211 Dom Vaissette - Histoire du Languedoc, tome VIII, col. 604).
« Dès que le château de Cabaret se fut rendu, le Comte de Montfort et les croisés se mirent en marche. Ils se dirigèrent vers Lavaur, là-bas en Toulousain », nous dit la « Chanson de la Croisade ».
Il n'y a pas eu encore d'acte de guerre délibéré de Montfort contre le Comte de Toulouse qui sent poindre l'orage, mais hésite toujours sur la conduite à tenir. Aussi laisse-t-il Montfort mettre le siège devant Lavaur, dont il est pourtant le suzerain depuis le début du siècle.
Lavaur, centre actif de l'hérésie depuis plusieurs décades, mais plus encore depuis que les hostilités ont amené dans ses murs, sous la protection de la châtelaine, dame Guiraude, de nombreux fugitifs, parfaits ou chevaliers faidits aux ordres d'Aimery de Montréal. Nous sommes alors dans les premiers jours d'avril 1211 (l'accord de Montfort et du Comte de Comminges du 3 avril 1211 est daté du siège de Lavaur - Hist. du Languedoc, tome VIII, col. 608).
Nous ignorons la date exacte du début du siège. Mais nous savons que le 12 mars (acte précité de donation du château de Pézénas à Raynaud de Salvagnac, banquier de la Croisade) Simon de Montfort était encore à Carcassonne. Il dut partir peu après pour Lastours puis Lavaur qui fut prise le 3 mai, jour de « la Santa Croz de mai » (Chanson de la Croisade et Pierre des-Vaux-de-Cernay).
C'est entre ces deux dates du 12 mars et du 3 mai, qu'eut lieu le combat de Montgey.
Faut-il, s'appuyant sur le début de la laisse 69 de la « Chanson de la Croisade » (« Cant Lavaur fon conquesa, en aquela sazon... ». A l'époque où Lavaur fut conquis... »), situer l'épisode à la fin du siège ?
L'analyse de la laisse 71 montre bien au contraire que le siège de Lavaur est repris après le combat et la vaine poursuite du Comte de Foix. Guillaume de Puylaurens situe brièvement le combat « avant la fin du siège» et l'Anonyme « pendant que le siège était devant Lavaur ». Enfin Pierre des Vaux-de-Cernay donne une précision intéressante pour la date du combat qui se serait déroulé « pendant ladite conférence tenue près de Lavaur pour établir la paix entre le Comte de Toulouse et la Sainte-Eglise... ». Nous savons qu'assistèrent à cette conférence, outre le Comte de Toulouse, Simon de Montfort et le légat, Robert de Courtenay et le Comte d'Auxerre, (petit-fils comme Raymond VI de Louis VI le Gros) qui avaient rejoint Montfort devant Lavaur, permis avec leurs renforts l'investissement complet de la ville, puis poursuivi avec lui le Comte de Foix. Or, ceux-ci n'étaient pas encore à Lavaur le 3 avril (ils n'ont pas signé les accords entre le Comte de Comminges et Simon de Montfort).
C'est donc postérieurement au 3 avril que se situent l'entrevue et le combat. Se sont-ils déroulés simultanément, comme le pense Michel Roquebert (« l'Epopée Cathare » p. 389). Nous ne partageons pas son sentiment: la présence de Raymond VI n'est signalée à ce moment-là par aucun chroniqueur à Lavaur ; l'analyse des circonstances qui ont précédé la bataille montre au contraire qu'il se trouvait à Toulouse et qu'il fit ainsi situer le combat peu de jours ou immédiatement après le départ de Raymond VI de Lavaur et son retour à Toulouse.
D'autre part, les chroniqueurs insistent sur le fait que l'indignation du massacre galvanise les assaillants de Lavaur et que la chute de la ville s'en trouve hâtée.
Un autre élément d'approche de la date du combat nous est , fourni par la présence du Comte de Foix dans l'action. En effet, â il avait signé une trêve avec Montfort sur l'intervention de Pierre Il I d'Aragon en mai ou juin 1210 qui avait effet jusqu'à Pâques 1211 et qui fut respectée. C’est donc après Pâques 1211 (le 3 avril que se situe le combat.
Le rappel de l'ultime tentative d'accord entre Raymond VI et Montfort, et de son échec, n'est pas inutile. Pierre des Vaux-de-Cernay écrit que Raymond VI quitta Montfort « avec rancœur et indignation ». Il n'avait en effet obtenu aucune garantie pour l’avenir. Inquiet de l'importante concentration de troupes devant Lavaur, à proximité immédiate de Toulouse (Michel Roquebert écrit à ce sujet que l'armée croisée constituait alors une « formidable cohorte, la plus importante réunie depuis l'été 1209 »), Raymond VI ne pouvait que chercher désormais à éviter que Montfort ne se renforce encore. L'annonce de l'arrivée prochaine d'un contingent allemand considérable qui allait rejoindre les Croisés devant Lavaur ne pouvait le laisser indifférent. Le combat de Montgey ne fut pas un hasard.
MONTGEY, DERNIERS ETAPE...
Les Allemands et les Frisons viennent de Carcassonne et se dirigent vers Lavaur. Seul Aubry de Trois-Fontaines donne le nom de leur chef : Nicolas de Bazoches, sans doute tué à Montgey, car on n'en retrouve aucune trace ensuite.
Ont-ils suivi la route de la plaine avec étape à Castelnaudary, ou celle de la montagne, par Montolieu, avec étape à Saissac, comme le suggère du Mège (additions et notes du livre XXI) ? Toujours est-il que Montgey, sur la vieille voie romaine, est la dernière étape possible à un jour de marche de Lavaur, distant de 25 km environ.
Plus au Nord, Puylaurens est une importante place que Montfort n'a pas encore conquise.
Alors campement, vaste campement, non pas à Montgey même, trop escarpé, mais en dessous de Montgey, sur l'emplacement du hameau d'Auvezines, au bout de la grande plaine de Revel, avant d'aborder les coteaux boisés (et que l'on pouvait deviner hostiles a quelques heures du champ de bataille), au pied du château debout au sommet de la colline.
Devant un tel déploiement de forces, on devine aisément l'attente, l'inquiétude, l'observation passionnée des défenseurs du château, à qui rien ne pouvait échapper, de la Montagne Noire à Puylaurens ou à Saint-Félix. Il faut prévenir le Comte de Toulouse. Jourdain, seigneur de Montgey, lui envoie à franc étrier ce messager, dont parle l'Anonyme. Il décrit à Toulouse la plaine couverte de tentes, le campement immense.
C'était un très gros contingent. Les évaluations des chroniques sont souvent fantaisistes, mais rarement existe-t-il à propos des épisodes de la Croisade autant de précisions concordantes permet tant de conclure qu'il s'agissait d'une troupe exceptionnellement importante : cinq mille hommes pour Guillaume de Tudèle, six mille pour l'Anonyme qui parle aussi d'une « grande armée », « multitude » pour Pierre des Vaux-de-Cernay. En tous cas, beaucoup de Croisés... !
Et pas de doute non plus sur leur nationalité : si Guillaume de Puylaurens, Pierre des Vaux-de-Cernay, Aubry de Trois Fontaines ne donnent aucune précision à cet égard, Guillaume de Tudèle et l'Anonyme n'en manquent point : « ...des Allemands, à force d'éperons », « ils se défendirent bien les Allemands et les Frizons », une grande armée d'Allemands », etc... Leur présence n'a rien de surprenant : l'armée de la Croisade est internationale et Montfort avait déjà été grandement aidé au siège de Termes par des contingents Allemands et Belges. Dom Vaissette et ses successeurs, Pierre Belperron, Michel Roquebert ne contestent pas la nationalité de ces Croisés qui vont rencontrer la guerre un jour ou deux plus tôt qu'ils ne le pensaient : le Comte de Foix les attendait au départ de Montgey.
FOIX OU TOULOUSE ?
Pourquoi le Comte de Foix ? Michel Roquebert y voit la brutale manifestation de son désir d'entrer dans la lutte armée et pense que Raymond VI ne fut pour rien dans l'embuscade. Voire...
Raymond Roger est alors près du Comte de Toulouse, nous dit l'Anonyme (son récit apporte ici d'utiles informations qui permettent de supposer qu'il a disposé d'autres sources toulousaines que Guillaume de Tudèle ou que Pierre des Vaux-de-Cernay qui ne connaît les détails de l'action que dans le camp des Croisés).
Il n'y est pas seul ; il y a près de Raymond VI « un grand corps de seigneurs et de gens », comme si celui-ci, retour de Lavaur avec les sentiments que nous avons essayé de décrire, redoutant le prochain siège de Toulouse, se voyant acculé à la guerre, voulait s'entourer de ses vassaux, d'abord pour un conseil, demain pour l'aider.
Certes, le messager de Montgey (« qualcun que avis vistès et spiats losdits alamans »), venu apporter à Toulouse la nouvelle catastrophique de cette nouvelle vague de Croisés, va-t-il informer d'abord le Comte de Foix qui « incontinent et sans autre demeure fit aller ses gens ».
Sans doute aussi, la trêve proclamée entre lui et Simon de Montfort venait-elle d'expirer peu de jours avant, pour Pâques. Mais peut-on supposer sérieusement qu'il ait ainsi quitté Toulouse sans prévenir Raymond VI ? II est sûr que ce grand seigneur « vaillant et entreprenant » (selon l'Anonyme), que Michel Roquebert décrit superbement comme un « inlassable combattant » et une « sorte de fauve montagnard aux passions excessives », montra à Raymond VI toujours hésitant le parti qu'il fallait tirer immédiatement de ce bivouac inespéré, au pied d'une forteresse amie, avant la jonction des Allemands avec Montfort.
Retenons que le Comte de Foix est à Toulouse avec le Comte de Toulouse, qu'il part de Toulouse et qu'il y reviendra après la bataille. Comment soutenir qu'il ait agit à l'insu de Raymond VI !
Mieux encore, le Comte de Foix part avec son fils, Roger Bernard, mais aussi avec des gens du Comte de Toulouse. On pourrait suspecter Pierre des Vaux-de-Cernay, toujours désireux d'accabler Raymond VI et de souligner sa duplicité, mais Guillaume de Tudèle le confirme : « Dans sa troupe étaient des gens du Comte Raymond ». A leur tête, un autre fameux guerrier, Guiraud de Pépieux, seigneur du Minervois, autrefois vassal des Trencavel, un temps rallié à Montfort, faidit, d'une cruauté illustrée par l'épisode de Minerve : il renvoie à Montfort deux prisonniers nus, en plein hiver, après leur avoir fait couper les oreilles, le nez, une lèvre... ; avec lui, Arnaud de Villemur, seigneur de Saverdun, qui deviendra sénéchal de Toulouse en 1219, également lié avec Foix et Toulouse (cf. Guillaume de Tudèle, laisse 145).
Nul doute donc : si Raymond donne ses hommes, c'est qu'il est d'accord sur l'objectif.
L'objectif : une embuscade à Montgey.
L'EMBUSCADE
Le lieu est bien choisi. Le château appartient à Jourdain de Roquefort étroitement lié à l'hérésie, quoique neveu de l'évêque de Carcassonne. Son père, Guillaume, déjà complice du Comte de Foix a massacré quelques moines et leur abbé l'année précédente aux portes de Carcassonne (leurs chevaux sont retrouvés, comme par hasard, dans l'entourage du Comte de Foix...). Son château émergeant des bois (qui subsistent encore partiellement au nord et à l'ouest), domine le campement dans la plaine, sans doute entre l'actuel cimetière de Montgey et le village d'Auvezines.
Dans la nuit, il rejoint le Comte de Foix et choisit avec lui le terrain du combat.
La voie romaine, après avoir escaladé la colline, passait au midi du château et ensuite sur la crête. On pouvait supposer que les Croises n'emprunteraient pas cette route qui les obligeait à longer une forteresse imposante (dont ils n'étaient pas sûrs) après une montée difficile. La voie actuelle grimpe plus mollement et s'enfonce entre les collines hors de portée du château : Du Mège, Belperron y voient le lieu de l'embuscade. Seul Pierre des Vaux-de-Cernay ne donne aucune précision topographique. Tous les autres chroniqueurs insistent sur la même donnée : pour l'Anonyme « ils vinrent donc s'embusquer dans la forêt que les Allemands devaient traverser pour aller à Lavaur » ; pour Guillaume de Tudèle, « le combat s'est déroulé à proximité « d'un petit bois » (« dejosta un boisson »), et pour Guillaume de Puylaurens, le Comte de Foix avait égorgé une grande quantité de pèlerins « dans le bois ».
Admettons sans effort que les collines et vallées que les Croisés devaient aborder pour leur dernière étape fussent beaucoup plus boisées qu'elles ne le sont aujourd'hui. L'embuscade était facile à tendre pour le Comte de Foix, bien renseigné, arrivé à Toulouse à couvert, de nuit, à pied d'œuvre au soleil levant, au moment où les Croisés lèvent le camp.
La composition des forces engagées contre les Croisés mérite un instant d'attention : le Comte de Foix, ses troupes, des gens du Comte de Toulouse, avec des « écuyers et des valets » (Guillaume de Tudèle), d' « innombrables routiers », (Pierre Des Vaux-de-Cernay). Mais le fait notable est que se joignent à eux. « les gens du pays » : Guillaume de Tudèle parle des « paysans de la contrée » et l'Anonyme écrit : « les gens du pays quand ils surent ce que c'était, marchèrent avec le Comte de Foix, pour aller défaire les Allemands »: Il ne s'agit donc pas comme d'habitude d'un pillage. réalise après coup, mais d'une participation volontaire à la bataille elle témoigne d'un réel patriotisme languedocien, d'une réaction exaspérée contre des envahisseurs. II est certain que l'effet de surprise est recherché. Tous les textes concordent : « ils vinrent s'embusquer » « Ils se mirent au guet » (Pierre des Vaux-de-Cernay), « de nouveaux pèlerins qui arrivaient sans défiance » (Guillaume de Puylaurens ...
Selon l'Anonyme, dont le récit est toujours plus riche en détails précis, au point du jour, les Allemands se mettent en marche et aussitôt le Comte de Foix, ses hommes, les gens de Montgey surgissent de tous les côtés ; la bataille s'engage férocement et des collines et des bois déferle dans la plaine.
COMBAT DE SOLDATS OU MASSACRE DE PELERiNS ?
Bataille rangée ou massacre des innocents ? Pour Pierre des Vaux-de-Cernay, il s'agit bien d'un massacre de Croisés désarmés « ils profitèrent de ce que les nôtres étaient sans armes et ne soupçonnaient pas une telle trahison pour se jeter sur eux et les massacrer en grand nombre ». Version confirmée par Guillaume de Puylaurens qui évoque les « pèlerins... égorgés en grand nombre » et infirmée par Guillaume de Tudèle : « quand ils furent à Montgey, ils s'armèrent et marchèrent en colonne... » et par l'Anonyme : « ils s'allèrent loger è Mont-Joyre ou à l'entour les uns près des autres, car ils marchaient serrés étant en pays ennemi... »
Belperron, très « français » dans ses explications, tente de défendre Pierre des Vaux-de-Cernay qui a été tourné en ridicule pour avoir affirmé que les Croisés s'en allaient sans armes en pays peu sûr, au siège de la ville voisine ! « En fait », écrit-il, « les pèlerins n'étaient pas armés et les Croisés ne l'étaient pas non plus, dans ce sens qu'ils n'avaient pas revêtu leurs armes. En pays ami, ou réputé tel, les chevaliers chevauchaient en robe et devaient « s'armer » avant le combat... Seul le fait que ces Croisés aient été contraints de se battre poitrine découverte explique, avec la surprise, le massacre qui en fut fait ». Pour Michel Roquebert, il ne s'agissait pas « d'une armée structurée mais d'une foule disparate qui cheminait pour aller se joindre aux assiégeants de Lavaur... Il s'agit donc bien de renforts militaires. Mais ils n'étaient pas en formation de combat.
Ce qui ne veut pas dire pour autant qu'ils n'étaient pas armés ». La région de Montgey était plus que tout autre « infestée d'ennemis de la Croisade », la « frontière des pays contrôlés par Montfort passant précisément par Saissac et Montgey, de telle sorte que les Croisés ne pouvaient pas s'estimer en « pays ami » en arrivant à Montgey et en le quittant pour Lavaur. Michel Roquebert conclut que la victoire du Comte de Foix est bel et bien une victoire militaire.
Lisons encore Guillaume de Tudèle : « Ils se défendirent bien longtemps près d'un petit bois, mais ils finirent, sachez-le en vérité, par se laisser vaincre tous misérablement. La plupart moururent là, sans confession, les paysans de la contrée et les truands les ayant tués à-coup de pierres, de pieux ou de bâtons ».
Pour Pierre des Vaux-de-Cernay : « Ils les massacrèrent en grand nombre ». Il ajoute une anecdote illustrant la cruauté et « le caractère impie » de Roger Bernard, fils du Comte de Foix, « héritier de la perversité paternelle » qui poursuit un prêtre jusque dans une église (1) proche du champ de bataille : « Le cruel Roger Bernard sans égard pour le caractère sacré ni du lieu, ni de la personne, leva la hache bien aiguisée qu'il tenait à la main, frappa au milieu « de la tonsure et frappa de mort dans l'église ce serviteur de l'Eglise ».
LA DEFAITE ET LA VENGEANCE
La bataille générale tourne peu à peu à la confusion des Allemands. L'ampleur de la défaite, puis de la tuerie s'explique par cette participation générale des paysans des environs qui n'est jamais à ce point soulignée dans les chroniques et qui justifie la volonté farouche de Montfort de détruire ensuite Montgey.
Selon Guillaume de Tudèle, « tous sans exception y gagnèrent un gros butin ». Môme note chez l'Anonyme : « Le Comte de Foix et les gens du pays y gagnèrent de grandes richesses ». Pour Pierre des Vaux-de-Cernay le butin est important, mais le partage se fait à Toulouse.
Aucun doute n'est permis : le succès complet couronne l'entreprise du Comte de Foix : gros butin, massacre des Croisés. « En grand nombre » nous dit Pierre des Vaux-de-Cernay. Pour Guillaume de Tudèle et l'Anonyme, il n'y a qu'un rescapé : « un damoiseau échappa à la tuerie et s'en vint conter l'affaire à l'armée ».
« En l'apprenant, les Français pensèrent enrager tout vifs : au nombre de plus de quatorze mille, ils montèrent à cheval. Tout le long du jour, ils ne cessèrent de chevaucher » (Guillaume de Tudèle).
Le Comte de Foix ne les a pas attendus. Pensant bien que Simon de Montfort va venir secourir ou venger les Croisés, il ne s'attarde pas à Montgey et se replie à Montgiscard (30 km de Montgey) choisissant ainsi un itinéraire en direction de ses terres, mais tout proche de Toulouse (12 km). Quitter Montgey en tirant droit sur Toulouse l'aurait exposé à une attaque de flanc de Montfort.
Cette tactique lui permet de regagner Toulouse sans encombre, tandis que Simon de Montfort, avec les Comtes d'Auxerre et de Courtenay, le cherche dans les collines du Lauragais, entre Montgey, Caraman et Lanta, où. après vaine poursuite, il passe la nuit à vingt kilomètres à peine de Toulouse. Guillaume de Tudèle et l'Anonyme . insistent sur le désespoir de Montfort et de ses barons « dolents et courroucés ».
Montfort ne peut pas disperser ses efforts et trop s'éloigner de Lavaur : il abandonne la poursuite.
Il revient cependant sur le champ de bataille, à Montgey, pour s'occuper des blessés et des morts.
(1) Il ne s'agit ni de l'église d'Auvezines, ni de celle de Montgey, mais
vraisemblablement de la chapelle de Salnt-Cry dont il subsiste une absidiole dans le cimetière de Montgey. Les archives paroissiales nous apprennent que l'on se rendait encore en procession sur son emplacement au début du XIXe siècle. Nous savons qu'elle a été démolie (sans doute sur les ordres de Montfort qui voulait punir ce sacrilège) pour qu'une autre chapelle soit rebâtie sur l'emplacement de la sépulture des Croisés, avec ses matériaux.
Guillaume de Tudèle ne dit rien de cet épisode. Pierre des Vaux-de-Cernay le
situe à tort, après la prise deLavaur. Il faut suivre ici la version de
l'Anonyme dont le récit est nourri et conforme à la vraisemblance.
Si la bataille avait été importante, comment penser que Montfort en ait négligé le
théâtre ? Il y revient donc, tandis que le gros des troupes qui l'ont accompagné
dans la poursuite rejoint directement Lavaur, depuis Lanta. Leur récit met « en
grand émoi » ceux qui sont restés devant la ville (l'Anonyme).
Au moment où du haut des collines de Montgey, Simon de Montfort et ses hommes découvrent le champ de bataille, Pierre des Vaux-de-Cernay relate un « miracle qu'il tient de Foulques, l'évêque de Toulouse, qui en fut le témoin oculaire » :
une colonne de feu descend sur le corps des victimes qui ont « les bras étendus comme les branches d'une croix », « spectacle merveilleux », ajoute-t-il. Plus simplement, l'Anonyme écrit : « c'était une grande pitié de voir un tel massacre de gens ».
Imaginons ces grandes fresques désespérées d'après bataille
la plaine jonchée de morts, de blessés, les oiseaux de proie tournoyant, le château, le village, le pays tout entier vidés de leurs habitants, réfugiés, comme Jourdain, à Toulouse ou dans les bois des environs pour surveiller la suite des événements.
Aussi Simon de Montfort « ne trouve personne à qui parler ». Il fait charger les blessés sur « force charrettes » et les fait porter à Lavaur Puis il fait enterrer les morts « afin que les bêtes ne les mangeassent point » (l'Anonyme). (2)
Puis « le Comte de Montfort s'en retourna au siège avec ses gens, si marri et courroucé qu'il ne pouvait l'être davantage ». Aussitôt, pour venger les « innocentes » victimes, il fait hâter les préparatifs de l'assaut. Lavaur tombe et un autre massacre répond à celui de Montgey. L'Anonyme insiste à diverses reprises sur la volonté de vengeance de Montfort, comme s'il fallait une justification à l'auteur du massacre de Béziers ! « Quand ils furent dedans et eurent pris, la ville, ils firent une telle tuerie, un tel carnage, tant d'hommes et
de femmes et de petits enfants, qu'ils ne laissèrent rien à mettre à mort, tant ils étaient courroucés de ce qui s'était fait à Mont-Joyre ». Et plus loin : « Quand tout ceci fut fait, et que tous ceux qui étaient dans Lavaur furent tués ou morts, sans qu'il en restât un seul en vie
pour échantillon, ce qui fut un plus grand massacre que celui de Mont-Joyre... » C'était le 3 mai, jour de la Sainte Croix.
(2) Nous avons vu plus haut quo les découvertes fortuites du XIXe siècle avaient permis de localiser ces sépultures, d'une exceptionnelle ampleur, autour de l'église actuelle d'Auvezines et de les regrouper à proximité, en bordure du chemin de Puylaurens. toujours appelé « el cami dal sanc ».
LES LENDEMAINS DU COMBAT
Mais la fureur des Croisés n'est pas éteinte par la prise de Lavaur. Montfort repart vers le Sud, dans la seconde quinzaine de mai et, avant d'aller mettre le siège devant les Cassés (quinze km plus au Sud), s'arrête à Montgey, toujours déserté par ses habitants et le détruit « de fond en comble » (Pierre des Vaux-de-Cernay) ; Guillaume de Tudèle, qui le dit aussi, insiste sur le fait qu'il fallait punir la participation des gens du pays au massacre et au sac de convoi « c'est pour cela que Montgey fut détruit ».
De récents terrassements au Nord du château ont révélé des vestiges d'anciennes constructions, briques ou tuiles calcinées, fragments de poteries du haut Moyen-âge, des couches de terre noircie sur une épaisseur de quinze à vingt centimètres : modestes restes des pauvres constructions qui se pressaient autour du château et qui ne furent jamais rebâties. Les dernières familles originaires de Montgey et vivant aux alentours conservent très vif le souvenir de la destruction « ici, il y avait autrefois une ville importante détruite par les Croisés ». Seules quelques habitations furent reconstruites au midi, à l'abri des remparts du village, au pied du château.
Qu'advint-il du château ? Sans doute Montfort pressé par les nécessités de la campagne se contenta-t-il de le brûler : les travaux de restauration entrepris depuis 1971 ont fait apparaître dans les soubassements de nombreuses pierres et de très vieux pans de murs complètement calcinés. A l'ouest, les remparts du XII" siècle, d'une épaisseur fréquemment supérieure à trois mètres et d'une belle facture, paraissent bien avoir résisté à Montfort, malgré une grande brèche anciennement colmatée, ouverte au droit de l'ancienne porte-du château et que le grattage des crépis vient de révéler.
Cette destruction de Montgey, qui mouvait directement de Toulouse, fut, pour Pierre Belperron, le premier acte d'hostilité de Simon de Montfort contre Raymond VI. A compter de là, des Cassés du Sud, puis de nouveau au Nord-Ouest, par Puylaurens et Gaillac, Simon va refermer rapidement sur Toulouse une tenaille Implacable. La mécanique de la guerre avec Raymond VI, déjà en marche, mais très lentement, depuis deux ans, s'accélère ainsi brutalement. Il est inutile d'épiloguer pour déterminer si Raymond VI, comme nous le pensons prit l'initiative, en autorisant l'embuscade, ou Simon de Montfort en détruisant Montgey après Lavaur. Si les renforts allemands avaient rejoint Lavaur, Simon eût pris la ville plus rapidement encore et, fort d'une telle troupe, aurait aussitôt marché sur Toulouse.
La bataille de Montgey a retardé de quelques semaines l'échéance : Simon attendra de nouveaux renforts allemands, conduits cette fois par le Comte de Bar, pour mettre à la mi-juin le siège devant la ville de Raymond VI. Cette fois il n'y aura pas un nouveau combat de Montgey pour préserver Toulouse. L'histoire ne se répète pas..,
Mais l'épisode n'est pas oublié. Au concile de Latran qui s'est ouvert le 11 novembre 1215, l'évêque Foulques s'élève avec véhémence contre la prétention du Comte de Foix de recouvrer ses terres en lui jetant à la face le rappel de la tuerie : « Et lui, de tes pèlerins, qui servaient Dieu en poursuivant les hérétiques, les routiers et les « faidits », il en a tant tué, mutilé, estropié et éventré que le terrain de Montgey en est resté couvert tellement que la France en pleure encore et que tu en es resté déshonoré ». « Tels sont les cris de douleur de ces aveugles, de ces estropiés et de ces mutilés, dont aucun ne peut plus marcher sans être soutenu par un guide, qui résonnent là dehors à la porte, que celui qui a massacré, estropié, amputé ces hommes ne doit plus jamais posséder de terre voilà ce qu'il mérite ! ».
La riposte des Toulousains claque aussitôt ; c'est une protestation passionnée. Voici affrontées brutalement les thèses opposées d'un côté des « pèlerins » que poursuivent bandits, hérétiques, faidits ; de l'autre seigneurs et gens de la terre, forts de leur bon droit à défendre leur pays. La vérité change de camp avec les orateurs !
Le Toulousain Arnaud de Villemur se dresse le premier pour répondre à Foulques, avant que Raymond Roger de Foix ne se justifie à son tour.
« Messire Arnaud de Villemur s'est levé ; il se fit regarder et écouter attentivement, car il parle bien, sans se laisser intimider
« Seigneurs, si j'avais su que ce grief serait mis en avant et qu'on en ferait tant de bruit dans la cour de Rome, il y en aurait encore plus, en vérité, sans yeux et sans nez ! » - « Par Dieu » ! se dirent-ils l'un à l'autre, « celui-!à est fou et audacieux ! ».
« Sire », reprit le Comte, « mon bon droit, ma loyale droiture et ma bonne volonté me justifient ; si l'on me juge selon l'équité, je suis sauf et absous. Car jamais je n'ai eu d'amitié avec des hérétiques, des croyants ou des parfaits. Au contraire, je me suis rendu, donné et offert à Boulbonne, où j'ai été bien accueilli, où tous mes ancêtres ont été donats ou enterrés... »
« Et je vous jure, par le Seigneur qui fut mis en croix que jamais aucun bon pèlerin ni « romieux » engagé dans un saint voyage institué par Dieu, ne fut maltraité ni dépouillé, ni mis à mort par moi, ni attaqué sur sa route par des gens à moi. Mais, quant à ces brigands, ces traitres et ces parjures, qui, porteurs de la croix, sont venus me ruiner, aucun ne fut pris par moi ou par les miens qu'il ne perdit les yeux ou les pieds, les poings ou les doigts. Et je me réjouis de ceux que j'ai tués et massacrés, comme j'ai regret de ceux qui ont pu échapper et s'enfuir. »
Sept siècles après, la terre de Montgey n'a pas non plus oublié. Ailleurs, à Béziers, à Saint Martin-la-Lande, à Muret, théâtre des grands affrontements, il ne reste plus de témoignage Immédiat de la Croisade. Ici, les traces de la bataille restent physiquement sensibles, au delà même du cimetière d'Auvezines. Comme dans l'enluminure du manuscrit de la chanson les tours austères surveillent la plaine ; les sillons profonds s'ouvrent encore sur des débris d'armes rouillées ou les ossements de Croisés. Les Champs, les chemins parient encore du sang versé. Le vieux village, une seconde fois déserté, avec ses maisons ruinées qui n'en finissent pas d'égrener les pierres grises de leurs murs sur les pentes de la colline, manifeste dans son abandon la permanence des malédictions de l'évêque Foulques ou de Pierre des Vaux-de-Cernay, paraphrasant le psaume CXV : « O cruelle trahison, ô rage des impies, ô bienheureuse assemblée des victimes, ô mort des saints précieuse aux yeux du Seigneur... »
Seul, le château, relevé par Jourdain, maintenu par ses successeurs, témoigne de la volonté languedocienne. Il ne veille plus que sur des horizons tranquilles, mais l'initié, du haut des tours, voit venir à lui ces « grands pans de siècles en voyage » qu'évoquait superbement Saint John Perse...
Pierre et Sophie BOUYSSOU
RETOUR VILLAGE DE MONTGEY " HERESIE ET INQUISITION"