Société d’ Histoire de Revel Saint-Ferréol                                        LES CAHIERS DE L’ HISTOIRE N18 page 101

 

 

 

LES REFUGIES A REVEL

Par René Drevot(1)

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La première moitié du XXème siècle a connu deux guerres mondiales très meurtrières, notamment dans les populations civiles pour la seconde, des chutes de monarchies et d’empires, la révolution russe de 1917,  et l’arrivée au pouvoir de régimes totalitaires en Europe.

Fernand Braudel écrivait en 1950 «  Notre époque n’est que trop riche en catastrophes, en révolutions, en coups de théâtre, en surprises » Ces évènements ont entraîné d’importants exodes de populations fuyant les régimes dictatoriaux. Dans ce contexte Revel et notre région, fidèles au respect du droit d’asile propre à la France, ont vu l’arrivée de trois vagues successives de réfugiés à partir du début des années trente.

 Réfugiés sarrois, francophiles ou hostiles au régime nazi, à partir de 1935, lorsque la Sarre fut  rattachée à l’Allemagne après le « oui » massif des habitants au référendum proposant ce rattachement.

Vinrent ensuite, fuyant la guerre civile et le régime franquiste, les réfugiés espagnols en 1939, voire dès 1936,  et bien après car la démocratie ne fut réellement rétablie  en Espagne qu’après la mort de Franco en 1975.

Enfin, la débâcle de 1940 et l’invasion de notre territoire par l’armée allemande entraîna l’exode massif non seulement de français du Nord et de l’Est mais aussi de nombre de réfugiés provenant du centre et du nord de l’Europe

Si les réfugiés sarrois et les victimes de l’exode à partir de 1940 repartirent pour la plupart dans leurs régions, leurs pays d’origine ou émigrèrent sous d’autres cieux, les réfugiés espagnols pour un certain nombre d’entre eux, compte tenu de la  persistance du régime franquiste, s’établirent et s’intégrèrent dans notre région par affinité pour une région proche de leur pays ou parce qu’ils y avaient des attaches familiales ou amicales.

Les quelques pages qui vont suivre ont pour but d’évoquer, succinctement, l’accueil, la gestion de l’hébergement et des aides de toutes natures que Revel réserva à ces réfugiés dans le cadre de l’organisation, et des moyens mis en œuvre à l’échelon communal, régional et national. Il convient de dire aussi que le bénévolat d’un certain  nombre d’habitants a contribué  à « humaniser » l’asile de ces réfugiés malgré les difficultés  et aussi les oppositions rencontrées.

 

 

1. Les réfugiés Sarrois

La Sarre, occupant une position stratégique entre la France et l’Allemagne, connut à l’époque moderne et contemporaine une histoire agitée.
En partie fragmentée au XVIIème siècle sous Louis XIV,  qui construisit Sarrelouis, elle devint département français   ( Sarre et Mont-Tonnerre) sous la Révolution. En 1815 elle retourna dans le giron germanique. A la fin de la première guerre mondiale elle était peuplée de 700.000 habitants sur un territoire de 20000 km². Son important bassin minier suscitait la convoitise de la France dont les houillères avaient été partiellement détruites au cours de la guerre.

 

 

 

  Le traité de Versailles entre la France et l’Allemagne, signé le 28 juin 1919 promulgué le 10 janvier 1920, accorda à la France, à titre de dédommagement de ses houillères, la propriété des mines de charbon de la Sarre, transformée en « territoire à plébiscite »  et gouvernée par une commission sous tutelle de la Société des Nations  ( S.D.N.) pour une durée de 15 ans. A l’issue de cette période, le plébiscite soumis à la population sarroise le 13 janvier 1935  fut favorable à 90.8% au rattachement de ce territoire à l’Allemagne.

Ce retour en « Germanie » ne fut toutefois pas définitif. Au début de la seconde guerre mondiale elle connut une courte occupation des troupes françaises.

 

Après le conflit et la défaite allemande, la Sarre  fit partie de la zone d’occupation française  et devint de droit en 1947 un état souverain  sous protectorat français et amené à se rapprocher de la France.

 

Carte de la Sarre

 

Les divergences franco-allemandes, quant à l’avenir de la Sarre, notamment dans les discussions sur la création des premières instances européennes, aboutirent en 1954 à un accord dotant la Sarre d’un statut européen. Les Sarrois rejetèrent toutefois ce nouveau statut, par 67.7% de voix contre, lors d’un référendum.


Enfin le rattachement définitif de la Sarre à l’Allemagne intervint le 1er janvier 1957 suite à un accord franco-allemand signé en octobre 1956.
Mais abandonnons ces digressions, concernant les péripéties de l’histoire sarroise, pour revenir aux évènements immédiatement postérieurs à janvier 1935.

 

Le retour de la Sarre dans le giron allemand entraîna l’exil d’environ 4000 Sarrois francophiles et militants, opposés au régime hitlérien, redoutant les représailles nazies ou expulsés par les autorités allemandes.

 

Notre région accueillit un certain nombre de ces exilés et Revel en dénombra 132 en février 1935 après que des courriers préfectoraux datés du 16 et 21 février en eurent annoncé 110 puis 140.

 

Bien évidemment ces émigrés,  ayant du quitter rapidement la Sarre,  se trouvaient quasiment sans ressource et le pays d’accueil devait leur  assurer logement, subsistance, assistance médicale, les aider dans leur recherche d’emploi ou de territoire d’accueil définitif, voire faciliter la scolarisation des enfants.

 

1.1  L’hébergement

 

L’hébergement fut assuré par des hôteliers( hôtel du Lac, hôtel Bellevue, hôtel de la Plage, hôtel du Midi, hôtel Terminus) et des habitants, sans qu’il soit possible de donner plus de précision sur ces «centres d’hébergement » faute de documents relatifs à ce sujet.

 

 

« Note » de l’hôtel Bellevue à Saint-Ferréol - Par courrier en date du 18 juillet le Préfet demande aux maires de répercuter une baisse de 10% sur les notes à compter du 20 juillet.

 

Son coût et les moyens logistiques nécessaires étaient assurés par l’état et les collectivités locales. Il fallut, notamment, fournir aux logeurs  une centaine de lits supplémentaires.

 

 

Par courrier en date du 18 juillet le Préfet demande aux maires de répercuter une baisse de 10% sur les notes à compter du 20 juillet

 

Régulièrement les centres d’hébergement faisaient parvenir à la commune leurs notes  avec le nombre d’adultes et d’enfants concernés.                            
Cette prise en charge financière et matérielle dura jusqu’en septembre 1935. Toutefois pour en réduire partiellement le coût, l’état imposa une réduction de 10% des crédits qui y étaient affectés et, par courrier en date du 18 juillet du Préfet aux Maires, demanda aux hôteliers et logeurs de répercuter cette baisse sur leurs notes à compter du 20 juillet.

 

De même un courrier du 19 juillet précisait au maire que seules les dépenses afférentes au logement et à la nourriture seraient prises en compte en dehors de toute autre fourniture.  Solidarité n’excluant pas maîtrise des coûts.

 

Afin de faire régulièrement le point sur le nombre de réfugiés présents sur le territoire le maire devait fournir
au préfet le 5 de chaque mois, dès avril 1935, un état comportant :

- le nombre de réfugiés dans chacun des centres

- le nombre de ceux qui, le mois précédent, avaient été rapatriés

- le nombre de ceux, devenus autonomes, qui pouvaient subvenir à leurs besoins tant d’hébergement que de subsistance

- enfin le nombre de lits devenus disponibles.

- Par ailleurs, pour en assurer la surveillance, tout déplacement hors de la ville devait être soumis à accord préfectoral en indiquant le motif du voyage et la désignation des personnes ou organisme visités.

 

1.2 L’assistance médicale

 

Les Sarrois bénéficiaient de l’application de la loi du 15 juillet 1893 stipulant que « les étrangers malades privés de ressources seront assimilés aux français et recevront gratuitement de la commune, du département ou de l’état l’assistance médicale ».

 

Toutefois ces émigrés n’étant pas sous couvert d’un traité d’assistance entre la France et leur nation d’origine, comme le spécifie la loi, l’admission à la gratuité des soins médicaux et pharmaceutiques était prononcée par le maire de la ville d’accueil, Revel en l’occurrence. Dès lors les malades obtenaient, du service de l’assistance médicale gratuit dépendant de la préfecture, une feuille de soins à domicile, portant la mention « Immigration sarroise » avec le nom du médecin choisi.

Régulièrement les médecins, assurant ces soins, faisaient parvenir leurs relevés d’honoraires à la préfecture.

 

 


« Les feuilles de maladie »
(documents des Archives communales de Revel)

 

1.3  La scolarisation

Revel, qui fut peut-être la seule commune dans ce cas, put l’assurer en langue allemande pour les 28 enfants en âge scolaire grâce à la présence d’un instituteur de l’école domaniale de Sarrelouis.

Un courrier en date du 16 février 1935 du maire de Revel adressait au Préfet une demande de fourniture de 220 livres (avec liste jointe) à transmettre au chef de service de l’enseignement des mines de la Sarre à Sarrebruck.

Ces ouvrages parvinrent à Revel le 9 mars 1935 !
Ainsi l’enseignant put bénéficier de supports pédagogiques qui lui permirent d’assurer la continuité de la scolarité de ces enfants.
              

 

 

 

 

La prise en charge de ces réfugiés par l’état et les collectivités, bien qu’elle fût humainement justifiée, ne pouvait perdurer eu égard aux contraintes et  aux coûts liés à l’hébergement et aux aides accordées.

Il fallait dans un délai « raisonnable » envisager la fermeture des centres d’hébergement et la fin des aides. Partant, il était  nécessaire  d’aider ces réfugiés à retrouver une autonomie par un emploi, fut-il temporaire, pour leur permettre soit de trouver un lieu de résidence en France ou dans un autre pays, soit de retourner en Sarre dans le cas où cela serait possible sur le plan sécuritaire.  L’état, les départements et les communes oeuvrèrent dans ce sens.

 

1.4  Placement dans un pays étranger

 

La possibilité de s’expatrier dans un autre pays, pour ceux qui le souhaitaient, leur était offerte par l’entremise de l’office NANSEN, organisme créé par l’explorateur norvégien Nansen, prix Nobel de la paix en 1938, qui fut Haut-Commissaire pour les réfugiés au sein de la Société des Nations.

Cet organisme rédigea en 1933 une convention des réfugiés qui rassembla 14 états signataires favorables à l’accueil des ces émigrés. Ainsi le ministère de l’intérieur français sollicita l’office Nansen pour assurer le placement dans divers pays étrangers des sarrois qui le souhaitaient. 

Par un courrier en date 8 avril 1935 le préfet de Haute Garonne demandait au maire de Revel de lui fournir deux listes de volontaires sarrois, une pour des ressortissants non israélites, sous réserve de pouvoir justifier de 3 ans de présence en Sarre et une autre regroupant les israélites pour qui il n’était pas nécessaire d’avoir qualité d’habitants sarrois.
Si plusieurs milliers de ces réfugiés ont pu s’expatrier, notamment au Pérou et au Brésil, par l’action de l’office Nansen, il n’a pas été possible de connaître le nombre relatif à Revel.  

En avril, quelques sarrois  communistes manifestèrent le désir de partir en URSS étant entendu qu’ils renonceraient, de facto, à leur statut de réfugiés sarrois. A la même époque il y eut d’autres demandes de retour en Sarre sans que leur nombre put être connu. Bref les départs commençaient à s’organiser.

 

1.5  Recherches d’emplois et perspectives de fermeture des centres d’hébergement

 

Trouver une solution, si possible pérenne, pour chacun de ces exilés et ainsi s’affranchir de la charge de ces centres d’hébergement, constituait un objectif à relatif court terme pour les autorités françaises. La priorité étant, en dehors de départs vers des pays étrangers, de trouver un emploi leur assurant l’autonomie pour se loger dans la commune de leur choix et dès lors de fermer ces centres.

Dès la fin du printemps des offres d’emploi à proposer aux émigrés arrivèrent en mairie via la préfecture avec demande en retour, au Maire, de listes de volontaires pour les occuper.

Dans cette perspective de reclassement à court terme la fermeture des centres d’hébergement fut envisagée. Un courrier du Préfet, en date du 27 juillet, annonçait cette fermeture pour le 1er septembre 1935.

Les propositions qui parvenaient en mairie concernaient des emplois de :

  1. ouvriers carriers (6)
  2. mineurs ou terrassiers ( 40)
  3. femmes de ménage
  4. maçons
  5. forgerons
  6. ouvriers pour vendanges dans les Pyrénées Orientales 
  7. électriciens en Ariège
  8. couturières dans le Haut Rhin
  9. emplois divers dans les départements du Rhône, de l’Ain, de la Côte D’Or, du Jura, de la Nièvre.

 

De nombreux départements étaient concernés par ces offres.

 

L’état souhaitait rapidement solutionner ce problème d’emploi tout en s’adaptant, le mieux possible, aux convenances et aux aptitudes de chacun. Dans ce but, un courrier du préfet en date 10 août 1935, invitait le maire à demander aux réfugiés d’exprimer leurs souhaits, quant aux départements de leur choix, et leurs domaines de compétences.


Malheureusement ces offres ne permirent pas de reclasser tous les Sarrois  restant encore à Revel et devant le nombre de sans emploi le ministère de l’intérieur décida de reporter la fermeture des centres au 20 septembre 1935.

 

Le courrier préfectoral, daté du 29 août, annonçant ce report précisait que les réfugiés dépourvus d’emploi devaient poursuivre leurs propres recherches en complément de l’effort de l’administration pour leur faire parvenir des offres. Par ailleurs ce même courrier précisait qu’à compter du 20 septembre les frais d’hébergement seraient à leur charge.


Le 12 septembre un nouveau courrier confirmait l’arrêt des cantonnements pour le 20 septembre avec résiliation des contrats  d’hébergement avec les logeurs. Toutefois, dans le cas où, après cette date, ils demeureraient sans emploi, ils resteraient quelques jours (le nombre n’étant pas précisé !) à la charge de l’état et auraient droit à l’allocation chômage avec plafond à 19f/jour pour une même famille, étant entendu que logement et nourriture seraient à leur charge.

 

N’ayant pas trouvé de document confirmant ou infirmant la fermeture des centres d’hébergement à la date du 20 septembre on peut supposer qu’elle eut lieu en temps voulu et  dans les conditions dictées par l’administration. Enfin, il est probable et pour le moins souhaitable, que chacun de ces émigrés ait pu  trouver  un village, une ville, un pays où il aura pu bâtir un nouvel avenir.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

2. Les Réfugiés Espagnols

 

 La montée du fascisme et des régimes totalitaires en Europe apparaît au cours des années 1920 et surtout 1930.

 

En Italie Mussolini crée le Parti National Fasciste en 1921 et devient Président du Conseil du Royaume en 1922. Il constitue son gouvernement le 30 octobre de cette même année.  Ce pouvoir devient dictatorial dès 1924 par l’application d’une série de lois fascistes faisant ainsi de l’Italie un régime à parti unique. Il établit avec le régime nazi d’Hitler, après s’en être rapproché dès 1935, le Pacte d’Acier en 1939.

 

En Allemagne, Hitler à la tête du Parti National Socialiste en 1921, tente en 1923 une prise de pouvoir qui échoue. Arrêté, il est condamné à 5 ans de prison après un procès où ses arguments de «  patriote indigné » lui valent la sympathie des nationalistes allemands. 
Il est libéré en 1924 après 9 mois de détention au cours desquels il rédige «  Mein Kampf » qui paraît en 1925. Son parti voit alors croître sa popularité à la faveur de la situation politique et économique perturbée, notamment par la crise de 1929.

 

Dans ce contexte, propice à un changement, il est nommé par le Président Hindenburg, Chancelier du Reich le 30 octobre 1933. Il devient Président du Reich en 1934 et dès lors instaure le régime fasciste conforme aux idées développées dans « Mein Kampf ».

 

L’Espagne, après le départ en exil d’Alphonse XIII, instaure en 1931 la II éme République. L’instabilité du régime parlementaire, qui en fut la caractéristique, génère une longue suite de conflits politiques qui déboucheront sur la guerre civile :

- coup d’état manqué en 1932
- révolte des mineurs des Asturies en octobre 1934 qui sera réprimée par la légion étrangère commandée par Franco
- mouvements basque et catalan réclamant l’indépendance au sein d’une république fédérale…  

 

Les élections du 16 février 1936 voient la victoire du Front Populaire  et l’arrivée d’un gouvernement formé en totalité de républicains. Un déchaînement de violences oppose le parti fasciste  (Phalange), aux anarchistes et socialistes.
Les 17 et 18 juillet 1936 le soulèvement des militaires et des fascistes et leur triomphe au Maroc, à Burgos, à Séville voit le début de la guerre civile.

 

2.1  La Guerre et les premiers exils

 

Le gouvernement et l’armée républicaine, surtout constituée par les milices ouvrières du front populaire, affrontent les fascistes dans de durs combats comme ceux du 19 juillet 1936.

 

Les forces franquistes gagnent du terrain et en octobre la zone Nord est perdue pour les républicains. Les offensives franquistes sont appuyées par des bombardements «de terreur» de la légion Condor, notamment à Guernica le 26 avril 1937.

 

Dès cette année-là, lors de la percée franquiste en Castille, la France voit arriver les premiers réfugiés bien que les frontières ne soient pas ouvertes avec l’Espagne encore républicaine. Par ailleurs les pays européens, suite à une proposition de la France, signe un pacte de non-intervention en Espagne en vue d’éviter un conflit avec les  puissances totalitaires et en premier lieu l’Allemagne.

 

Dans ce contexte, l’accueil de ces premiers exilés ne fut pas à la hauteur de leurs espérances. Une circulaire du ministre de l’intérieur en septembre 1937 indique : « qu’il n’est pas possible d’entretenir, sur les deniers publics, les hommes valides en état de travailler. Cette aide étant réservée aux vieillards, aux femmes et aux enfants. D’autre part, il ne saurait être question d’autoriser ces réfugiés à travailler en France compte tenu de l’inconvénient de soumettre la main d’œuvre nationale à une concurrence inadmissible et de stabiliser une situation qui doit rester temporaire. Dans ces conditions et pour remédier au danger que présenterait la présence sur notre sol d’hommes jeunes sans ressource et sans travail il est décidé de les mettre en demeure de quitter notre territoire ».

 

Cependant nombre de ces réfugiés décidèrent de rester sur cette terre d’asile.  Le 15 mars 1938 la France ouvre ses frontières aux réfugiés républicains. Cette même année Franco devient chef de l’Etat, généralissime et chef du parti unique.

 

2.2  La fin de la Guerre et l’afflux de réfugiés

 

La chute  du front de Catalogne et de Barcelone le 26 janvier 1939 marque la fin de la guerre d’Espagne.

 

La débâcle  de l’armée républicaine entraîne la ruée de  500.000 réfugiés (300.000 militaires et 200.000 civils) qui  passent la frontière française entre janvier et  février 1939. Toutefois par crainte d’une entrée en force, notamment des militaires, plus de 30.000 gendarmes, policiers et militaires interdisent le passage des cols pyrénéens entre Cerbère et Bourg-Madame.

 

 

 

 

Mais devant cette misère humaine la frontière des Pyrénées Orientales est ouverte le 28 janvier.

 

Le 9 mars  1939 le gouvernement français estimait  le nombre de réfugiés  à 440.000. Ce qu’il reste de l’armée républicaine est interné en France le 5 février après avoir passé la frontière. C’est le début de l’Espagne Franquiste. En mars l’Angleterre et la France reconnaissent le gouvernement de Franco.

 

Face à ce drame humanitaire la France doit improviser. Il faut accueillir, dans un délai court, hommes, femmes enfants, vieillards, mutilés de guerre et militaires, qu’il convient de désarmer, et les éloigner le plus possible de la frontière. Des camps d’internement, à qui le décret-loi du 12 novembre 1938 en vue de « création de centres spéciaux pour étrangers indésirables »  donna naissance, furent ouverts à Saint-Cyprien, Argelès, Barcares, Septfonds, Agurs, Agde, Rivesaltes. La vocation originelle de  certains de ces camps d’une part et leur création improvisée d’autre part leur conféraient un aspect plus concentrationnaire que propice à l’hébergement de populations en fuite, dans le plus grand dénuement.

 

 

Le Camp d’Argelés dans l’Aude en 1938

 

Les conditions de vie sont déplorables, sans installations sanitaires bien souvent, dans certains camps, comme Argelès, les réfugiés n’avaient pour seule couchette que le sable des plages. La nourriture est  insuffisante et souvent inexistante. On enregistre de février à juillet 1939 15.000 décès, la plupart de dysenterie.

 

La densité de population réfugiée est très élevée.
On compte, dans les camps du Roussillon, en mars 1939, 264.000 espagnols pour une population départementale de 240.000 personnes.
A ces conditions particulièrement dures s’ajoute crainte et hostilité d’une partie des habitants face à ces arrivées massives d’émigrés politiques «rouges»  que certains voient comme des perturbateurs potentiels et, qui plus est, vont être à la charge du contribuable et entrer sur le marché du travail au détriment des français.
Dans ces conditions 20.000 choisissent de quitter la France dont plus de 15.000 en Amérique du sud et d’autres sont renvoyés en Espagne où nombre d’entre eux sont incarcérés et exécutés.

 

Après la création en avril 1939 des Compagnies de Travailleurs Etrangers (CTE) beaucoup d’hommes  y sont enrôlés et envoyés vers les départements demandeurs de main-d’œuvre. Certains participeront, après l’entrée en guerre de la France, à la défense du Pays en s’engageant dans les bataillons étrangers de l’armée, puis en entrant dans la résistance, les maquis et les forces françaises libres. 
Ces CTE seront convertis, en septembre 1940, sous le gouvernement de Vichy en Groupement de Travailleurs Etrangers (GTE)
Des civils sont peu à peu admis à trouver asile dans les communes du Sud-ouest qui a été, compte tenu de sa proximité avec l’Espagne et la présence d’espagnols déjà installés, la région qui a accueilli le plus de réfugiés .


2.3  L’arrivée à Revel (2)

 

Février 1939 voit l’arrivée d’un important contingent de réfugiés. La Dépêche du 8 février fait mention d’un convoi d’environ  300 personnes (192 adultes et 102 enfants) en gare de Revel. Il est constitué en majorité de femmes, d’enfants et de personnes âgées  car les hommes sont encore, pour un bon nombre d’entre eux,  dans les camps d’internements.

 

Face à l’urgence, l’hébergement se fait  dans une salle de la Mairie transformée en dortoir. Rapidement sont réquisitionnés : l’Hôtel moderne (proche de la gare), le Collège, l’Hôpital Roquefort, la Renaissance à Saint- Ferréol.

 

Dans les jours qui suivent de nombreux élans de solidarité se manifestent dans la population par des dons, la mobilisation de la croix rouge, des actions du comité de soutien, créé très rapidement  sur l’initiative des enseignants. Des revélois se portent volontaires pour  héberger et subvenir au besoin de certaines familles, mais la Mairie s’y oppose par crainte de favoritisme.

 

Au motif de regroupement familial les autorisations de sortie des camps, pour les hommes, pouvaient être accordées sous réserve de plusieurs conditions : papiers en règle, ressources suffisantes pour ne pas être à la charge de l’état, avoir des vêtements civils, attester d’une résidence…
Bien souvent le choix de Revel, par les réfugiés, résultait du fait qu’un travail avait été proposé dans la cité ou un village proche, ainsi un réfugié fut embauché comme ouvrier boulanger en décembre 1939 dans une boulangerie rue de Dreuilhe.

 

 

Un contrat de travail pour un réfugié espagnol daté du 27 décembre 1939

 

Quelquefois la présence d’amis ou de famille déjà établis pouvait aussi être la raison de ce choix. Ces hébergements improvisés face à ce déferlement se révélèrent insuffisants. Le secours de la population, malgré son élan et sa bonne volonté, ne palliait pas cette insuffisance. Les difficultés pour se loger, se nourrir, trouver un travail étaient importantes. A cela s’ajoutait la contrainte légale d’obtenir auprès de la mairie un titre de séjour ( récépissé de carte d’identité, laissez-passer..) avec obligation d’un renouvellement dans un délai de trois mois à un an selon les cas.

 

La municipalité  fournissait des vêtements, des chaussures et quelquefois un logement dans des bâtiments appartenant à la Mairie. Les malades qui pouvaient être contagieux étaient regroupés, pour être soignés, à la gare et au collège, qui fit également office d’Hôpital militaire. Une liste établie par la mairie de Revel le 22 mai 1939 mentionne la présence de 243 personnes  (165 adultes et 78 enfants) soit 80% du nombre des réfugiés arrivés début février.

 

La volonté d’insertion, favorisée par l’accueil bienveillant et l’aide d’une bonne partie des habitants, était manifeste chez de nombreux réfugiés et aboutit à une intégration réussie pour ceux qui restèrent dans la ville ou la région. Toutefois ce serait faire preuve     d’angélisme de croire qu’il n’y avait pas d’hostilité de la part de certains habitants. Elle était motivée par une réaction d’égoïsme et aussi la crainte de ces républicains « rouges » que la propagande franquiste avait contribué à créer.

 

 

Liste de réfugiés espagnols

Le nombre de réfugiés va diminuer sous l’effet de l’incitation du gouvernement à retourner en Espagne, du départ de quelques-uns qui ont pu trouver travail et logement dans d’autres villes, d’émigration vers des pays étrangers et aussi de la demande du gouvernement de Franco à rejoindre le pays.

 

Dès février 1939 la Dépêche du Midi publie un appel de l’ambassade d’Espagne aux réfugiés en France  qui incite tous ceux « qui n’ont aucun crime à se reprocher  à regagner leur patrie pour aider à son relèvement. » 

 

Cette immigration, qui s’est poursuivie après 1939 et  jusqu’en 1957, génératrice d’un important bouleversement, a aussi apporté une main-d’œuvre sinon toujours qualifiée du moins  motivée qui s’est révélée utile dans l’industrie de la guerre et les grands travaux.

 

Dès septembre 1939 et l’entrée en guerre de la France apparaît un problème de main-d’œuvre qui incite le gouvernement à  « prévoir l’utilisation des réfugiés espagnols hébergés dans les camps ».

 

Ainsi  de 1941 à 1957 Revel a effectué un recensement, par année,  des professions des émigrés espagnols qui arrivaient.
De nombreux exilés sont restés dans le Sud-Ouest et notamment à Revel et les villages environnants où ils se sont établis et intégrés. Certes la fuite de la terre natale, les conditions de l’exode, la dureté de l’internement dans les camps, où certains périrent, les difficultés pour s’établir ajoutées à la  xénophobie de certains, restent en mémoire mais s’estompent devant, l’accueil, les aides, la compassion et la qualité de vie  qu’ils ont trouvés sur cette terre  d’asile où ils ont choisi de rester pour y bâtir un nouvel avenir et contribuer aussi à l’essor économique de la région.

 

3.  Les réfugiés de la guerre
1939 – 1945

 

C’est au cours des années 1930 que les prémices d’une guerre mondiale apparaissent de plus en plus flagrants par les intentions expansionnistes des régimes totalitaires en place en Europe
L’Italie fasciste, depuis 1924, envahit l’Ethiopie en 1925 puis l’Albanie en avril 1939.

 

Mais c’est surtout en Allemagne qu’Hitler met en œuvre ses ambitions d’extension pour imposer le régime fasciste et construire  un « grand Reich » aryen sous dépendance allemande.

 

Il veut étendre cette « colonisation » vers les pays de l’Europe de l’Est  conformément à ce qu’il a écrit en 1924, dans « Mein Kampf » :

  « Ce n’est pas dans une orientation tantôt à l’ouest tantôt à l’est que se trouve l’avenir de notre politique extérieure, mais bien dans une politique de l’est, dans le sens de l’acquisition de la terre nécessaire à notre peuple allemand. Nous portons nos regards vers les pays de l’est. Si nous parlons de nouvelles terres,  nous ne saurions penser d’abord qu’à la Russie et aux pays limitrophes qui en dépendent. L’état gigantesque de l’Est est mûr pour l’effondrement. »

 

Il peut sembler paradoxal, qu’avec de telles ambitions vis à vis de l’URSS il ait conclu en 1939 le pacte Germano-Soviétique, mais son entrée en Russie en 1941 prouve bien la poursuite de sa logique et la non-fiabilité de ses accords.
Ses intentions belliqueuses étaient aussi à l’encontre de la France considérée comme un ennemi héréditaire et contre qui il nourrissait une volonté de revanche de la guerre de 1914/18.

Cette volonté d’expansion se traduit par :
- en 1936 occupation de la Rhénanie démilitarisée depuis 1919
- le 11 mars 1938 Invasion de l’Autriche par l’armée allemande et programmation de l’annexion du pays par le Reich « l’Anchluss » plébiscitée le 10 avril par 99% des autrichiens
- en septembre 1938, à  la conférence de Munich avec l’Italie, l’Angleterre et la France, Hitler obtient le rattachement d’une partie de la Tchécoslovaquie : « les Sudètes ».
Chamberlain et Daladier ont cédé pensant éviter le conflit armé, ce qui fera dire à Churchill « Vous avez eu à choisir entre la guerre et le déshonneur ; vous avez choisi le déshonneur, vous aurez la guerre.»

Le 10 novembre 1938 « La nuit de cristal » Pogrom contre les juifs du IIIème Reich.
Synagogues et lieux de culte détruits, assassinats, 30000 déportations dans des camps de concentrations, soit 2000 à 2500 morts au total.
Le 15 mars 1939 invasion de la Tchécoslovaquie contrairement à la promesse faite  lors de la conférence de Munich.
Le 23 août 1939 pacte Germano-Soviétique.
Enfin le 1er septembre 1939 l’armée allemande entre en Pologne entraînant  le 3 septembre la déclaration de guerre à l’Allemagne, de la  France et la Grande Bretagne.

C’est le début de la deuxième guerre mondiale qui verra surtout à partir de 1940 des exodes massifs.


3.1 Les Réfugiés (3)

 a/  Les Belges

 

Dès fin août 1939, la France  anticipant le conflit avec l’Allemagne fait évacuer des civils alsaciens proche du Rhin. Après la déclaration de guerre c’est environ 500.000 Alsaciens et Mosellans qui sont aussi évacués  des zones frontières comprises entre la ligne Maginot et l’Allemagne. Le 10 mai 1940, après cette période incertaine qu’on a qualifiée de «drôle de guerre» l’Allemagne envahit la Belgique, le Luxembourg, pourtant neutre, la France et les Pays-Bas. C’est le début de la rapide invasion de notre territoire  par l’armée du Reich et des exodes massifs. Le 12 mai Rommel atteint la Meuse, le 14 mai la Hollande est sous autorité allemande, le 15 mai c’est la Belgique qui est sous le joug allemand et qui capitule le 27 mai n’offrant pas la même résistance que la « Belgique héroïque » de la guerre de 1914/18.

Le 10 juin l’Italie déclare la guerre et attaque la France, mais son offensive est contenue au grand dam d’Hitler. Enfin le 14 juin les troupes allemandes entrent dans Paris entraînant le 22 juin la signature à Rethondes de  l’Armistice entre la France et l’Allemagne. Entre temps De Gaulle lance de Londres son appel à la résistance le 18 juin.

La Ligne Maginot et les Forts de Liège

 

Les premiers  réfugiés à entrer en France et descendre vers le sud de notre pays sont des belges, des luxembourgeois, des  hollandais et des  ressortissants d’Europe de l’Est  et d’Allemagne (en grande partie des israélites du Reich) qui s’étaient déjà exilés en Belgique et aux Pays-Bas fuyant le régime nazi présent dans leur pays.

 

L’exode des belges intervint, à partir du 10 mai, dès le début de l’entrée des allemands. Ce départ rapide et massif  peut trouver sa justification dans les motivations suivantes :

-  la crainte du retour des exactions commises en 1914 notamment dans la région de Verviers proche de Liège où les  villages  de Saint Hadelin, de Soiron, de Sourmagne et de Batice  subirent la perte de 221 civils, assassinés, fusillés, massacrés et dont plusieurs dizaines de maisons furent détruites
- se mettre à l’abri derrière la ligne des forts et la Meuse. Les habitants de cette région se trouvaient « coincés » entre la frontière allemande et les forts de ceinture  de Liège.  

 

Cependant rapidement ces populations en fuite furent  rattrapées par les troupes allemandes et l’aviation qui les  bombardaient  et mitraillaient les convois et les trains.

Bon nombre firent demi-tour après avoir été pris dans des zones de combat. Pour les autres l’exode vers le sud de la France se poursuivit dans les pires difficultés  avec des routes entravées par les troupes montant au front ou  celles fuyant devant l’ennemi et toujours sous les mitraillages allemands.

Face à ce long et dangereux périple qui a conduit ces réfugiés vers une terre d’asile on peut, à tort ou à raison, se poser la question du bien-fondé de ce départ vers des lieux inconnus sans assurance d’un accueil bienveillant,  de conditions d’hébergements viables et de sécurité garantie. Le risque de demeurer en Belgique était-il plus grand que celui pris en quittant ce pays ? Le retour dans leur pays d’un certain nombre d’entre eux, au cours de l’année 1940, constitue un élément de réponse qu’il est facile d’évoquer après.

 

 

 

 Début de la liste des réfugiés polonais    

                      

Le premier convoi de réfugiés arrive à Toulouse le 15 mai. Dans son édition du 16 mai la Dépêche  écrit : 

« A 18 heures, le premier train est arrivé en gare avec environ 1500 personnes, en majorité femmes et enfants. A minuit un second train en a déposé un millier et les convois doivent se succéder d’heure en heure jusqu’au matin, chargés de familles, toutes originaires de Belgique. Après avoir reçu le réconfort matériel qu’exige leur état à la suite d’un aussi long et terrible voyage, les réfugiés seront dirigés sur Saint-Gaudens, Luchon, Villemur, Villefranche et Revel .» (4)

 

Le 17 mai le premier convoi arrive à Revel et les premières dispositions pour assurer leur hébergement sont prises. Occupation des immeubles vacants déjà recensés, réquisitions d’immeubles appartenant à des familles d’estivants à Saint-Ferréol.

 

Les logements vides offrent souvent des espaces insuffisants pour y loger tous ceux qui s’y présentent.
S’y ajoutent la vétusté de certains locaux et le manque de sanitaires. Il faut  improviser.
Les arrivées quotidiennes de convois amplifient le problème. Toutefois la solidarité de la population, des organismes d’aide, les moyens mis en œuvre par la municipalité et le conseil général permettent, après quelques jours, d’assurer à ces familles en détresse un hébergement dans les habitations qui leur sont attribués et aussi chez l’habitant.

 

Vers la fin mai une note de la mairie de Revel indique la présence de 1186 réfugiés venant de Belgique dont une majorité de Polonais ( 798) et d’apatrides ( 137) réfugiés en Belgique avant la guerre ou expulsés par le régime nazi.

Début de la liste des réfugiés apatrides

 

 

Ces familles sont réparties non seulement à Revel mais aussi dans les communes environnantes
Un document manuscrit malheureusement non daté indique la présence de belges, luxembourgeois et hollandais

 

La solidarité et la qualité de l’accueil, envers ces exilés, manifestés par la municipalité et la population fut telle que des remerciements furent exprimés par nombre d’entre eux. La Dépêche publia une lettre dans ce sens adressée au maire de Revel en mai 1940.

 

Le membre d’une famille belge de la région de Liège,  réfugiée à Montégut de début mai à septembre 1940, que j’ai pu rencontrer récemment, et qui m’a fourni des informations utiles pour élaborer ce texte, (ce dont je le remercie) écrit, avec  la photo ci-dessous,  prise à l’été 1940, sur laquelle on peut voir sa mère, des membres de  sa famille, des habitants du village  et des militaires démobilisés « C’est un rare et combien émouvant souvenir de la solidarité témoignée par la population à l’égard des exilés »

 

L’entrée en vigueur de l’armistice le 25 juin 1940 donne aux belges l’espoir d’un retour possible dans leur pays. Mais la perspective d’un retour massif est vite abandonnée car les consignes officielles préconisent  la patience.

 

Dès le 27 juin la dépêche publie un communiqué invitant les réfugiés belges et aussi français à rester dans leurs communes d’accueil et d’attendre les instructions du gouvernement. Quoi qu’il en soit en septembre et octobre une grande partie des belges repartent vers leurs foyers. Un certain nombre, surtout les juifs du Reich et les expulsés d’Autriche exilés alors en Belgique, restent sur place.

 

Les autorités françaises délivrent à tous ceux qui retournent dans leur pays un certificat individuel de rapatriement portant la signature du maire de la commune  d’accueil et le cachet de la croix rouge pour les personnes nécessitant une aide en cours de trajet, notamment les enfants.

 

 

Réfugiée à Montégut de Lauragais de début mai à septembre 1940, une famille belge pose avec des habitants du village.

 

 

 

 

b/ Les réfugiés du Nord et de l’Est de la France

 

Les Belges ne sont pas les seuls à fuir l’invasion allemande.

 

Courant mai  6 à 7 millions d’habitants du nord et de l’est de la France refluent vers le sud  pour un éventuel et aléatoire abri. Les conditions de cet exode sont toujours aussi dramatiques avec des routes et chemins encombrés et surtout sous le feu des avions allemands qui continuent de mitrailler ces colonnes de réfugiés.

 

Ce nouvel afflux s’ajoutant à la présence des Belges et des Espagnols, eux aussi sur notre territoire depuis 1939, rendent l’accueil et l’hébergement de plus en plus difficiles.

 

Fin mai la Croix Rouge indique que « plus de 2 millions de Français, 2 millions de Belges, 700000 Luxembourgeois, et 50000  Hollandais se trouvent en France, dans un état de dénuement accablant .»    

 

 

Peu avant  l’entrée des troupes allemandes dans Paris  «ville ouverte» le 14 juin 1940, c’est une nouvelle vague de départs d’environ 2 millions de personnes désertant la région parisienne. Les derniers trains quittent Paris les 13 et 14 juin alors que les troupes hitlériennes investissent la capitale.

 

Avec les arrivées massives à Revel en mai et juin  la mairie ouvre,  en juillet 1940, un registre, qui est en fait un simple cahier, des entrées. Ne sont notés que les adultes et les jeunes de plus de 16 ans.

 

On n’y trouve que 34 personnes recensées avec les lieux d’hébergement dans la cité et son environnement proche. Le recensement des enfants est réalisé sur un document distinct.

 

 

 

 

L’annexion de l’Alsace et de la Lorraine par les Allemands entraîne, avec le nettoyage ethnique et la germanisation forcée qu’y entreprend Hitler, fuites et expulsions de 400000 réfugiés juifs, francophiles, français d’origine étrangère.

 

Dès fin novembre  la ville de Revel est informée de l’arrivée imminente d’un train d’Alsaciens et de Lorrains.
Les 3, 12 et 18 décembre trois convois amènent à Revel respectivement 81, 36 et 349 réfugiés.  164 sont accueillis dans la ville, 58 à la Murette, 64 à l’Hôtel du Lac, 44 à l’Hôtel de la  Plage. Les autres sont répartis dans les communes environnantes : Le Cabanial , Saint Julia , Montégut , Auriac , Caraman et Saint Félix où une soixantaine de personnes sont accueillies au château.

 

Nombre d’entre eux vont rester à Revel pendant toute la durée de la guerre. Le registre des « entrées et sorties » mis en place par la Mairie indique des départs jusqu’en 1949. L’hébergement est assuré dans des hôtels et bâtiments vacants réquisitionnés ou chez l’habitant. Ainsi,  sur un autre registre (toujours sous la forme d’un cahier d’écolier), est tenu à  jour pour chaque centre ou foyer d’accueil  un enregistrement mensuel des entrées et départs, du nombre de personnes et des jours de présence avec le montant de l’indemnité à percevoir.

 

Les réfugiés recevaient une allocation du service des immigrés leur permettant, de payer les frais d’hébergement. Le nombre important de  réfugiés à loger dépassant les capacités d’accueil il fallut fournir aux  centres et foyers d’accueil divers mobiliers (lit, matelas, table, chaises, armoires etc..)

 

On enregistre dès le 21 décembre 1940 des départs de famille dans diverses communes de la zone libre, en Afrique  du Nord  (Maroc), des retours vers les communes d’origine  et aussi malheureusement un certain nombre de décès.
Ces mouvements dureront jusqu’au 14 février 1949 date du dernier départ selon le cahier servant de registre  à la municipalité.

 

Il est impossible de connaître, à la lumière des données collectées en Mairie, le nombre total de réfugiés arrivés à Revel depuis mai 1940. Par contre le registre des départs fait mention entre décembre 1940 et  février 1949 d’un total de 524 personnes.

 

 

 

 

Les  premiers retours, antérieurs à la fin de l’année 1940,  s’expliquent  d’une part par le désir de retourner chez soi, malgré les difficultés liées aux voies de communications coupées ou endommagées et au franchissement parfois difficile de la ligne de démarcation et d’autre part pour les Alsaciens et les Mosellans par l’autorisation voire l’incitation au retour. Cette mesure prit cependant fin le 30 octobre.  Toutefois les juifs ne sont pas concernés par ses possibilités de retour car frappés d’interdiction par l’Allemagne mais aussi à cause des risques encourus à retourner dans ces territoires annexés par les nazis.

 

c/ Les Juifs et les camps d’internement

 

De nombreux juifs, et pas uniquement ceux venant d’Alsace et de Lorraine après l’annexion de ces territoires  et leur expulsion, sont présents en zone libre et notamment dans notre région.

 

Ainsi après le départ de nombreux réfugiés belges dans le dernier trimestre de 1940, des familles juives demeurent dans le canton de Revel. Le premier statut des juifs, début octobre, matérialisé par la loi du 4 octobre (sur l’initiative du gouvernement de Vichy) et qui paraîtra au journal officiel le 10  autorise les préfets à interner «les ressortissants étrangers de race juive».

 

Un recensement avait été effectué en septembre dans le canton de Revel soit avant que la loi entre en vigueur. De plus le préfet engage un processus d’épuration ethnique en supprimant les allocations aux réfugiés étrangers et apatrides.  Dès lors, dès octobre et novembre de nombreux juifs sont internés dans les camps de la région qui avaient été créés en 1939: Agde, Noé, le Récébédou, Clairfont, Le Vernet, Septfonds, Caylus, Montech, Saint Sulpice, Gurs…
D’autres sont assignés à résidence comme  la famille Berger  à Saint Julia par exemple.

 

 La « zone occupée » en foncé au nord
 la « zone libre » en clair au sud 


Les camps d’internement dans le sud de la France

 

Ces camps, comme ce fut le cas pour les exilés espagnols, offrent des conditions de vie et d’hygiène déplorables qui, malheureusement, auront pour conséquence un nombre élevé de décès.

 

Le second statut juif intervenu le 3 juin 1941 aggrave encore la situation. La loi du 10 juillet 1941 établit le recensement obligatoire des juifs, français ou étrangers,  en zone sud.

 

 

Carte des camps d’internement

 

Pendant l’été 1942 les arrestations se multiplient et après la rafle du Veld’hiv du 16 juillet 1942 elles se généralisent, même dans la zone libre. Dans notre région  et notre département le 23 août 1942, 2 familles sont arrêtées à Revel, 1 à Saint Julia, 1 à Bouloc
Après être passées par le camp de Noé, elles sont conduites à Drancy puis déportées à Auschwitz.  Nombre de camps d’internement, dès cette époque et bien plus après le débarquement  des forces alliées en Afrique du Nord en  novembre 1942, où la zone libre fut occupée par les troupes allemandes, servait de transit aux déportations vers les camps de concentrations nazis.

 

Des arrestations dans le département se poursuivirent jusqu’à l’automne 1944, à Auriac, Bruguières, Colomiers, Bouloc,  et Toulouse bien évidemment.

Le camp de Gurs dans les Pyrénées Atlantiques fut le plus important des camps d’internement du sud de la France.

 

 

Edifié en 1939 pour les réfugiés politiques, espagnols notamment, il a accueilli jusqu’à 19000 personnes. A partir de 1940 il a regroupé des prisonniers politiques, des communistes, des anarchistes et de nombreux juifs (6500 dès octobre 1940). D’août 1942 à mars 1943 six convois enverront 3907 juifs à Auschwitz via Drancy.

 

Dans une grande majorité les juifs étrangers, bien souvent sans ressources et nouveaux arrivants, sont victimes de ces internements administratifs. Ceux qui ont des moyens de subsistance ou  sont supposés en avoir sont assignés à résidence. Il est impossible de connaître le nombre de familles juives réfugiées à Revel à partir de mai 1940 qui ont été internées  ou assignées à résidence, puis déportées à Auschwitz.

 

Lors du 50ème anniversaire de la libération des camps, comme le signale le livre « Revel des années noires 1939/1945 », il fut apposé sur la stèle de la résistance, une plaque à la mémoire des juifs déportés qui ne comportait aucun nom mais  seulement cette phrase : 

« A la mémoire des familles juives réfugiées à Revel et de tous les déportés qui furent martyrisés et exterminés dans les camps de l’Allemagne nazie

 

Plusieurs dizaines d’années après leur hébergement à Revel un certain nombre de réfugiés étrangers et français ont eu recours aux archives municipales pour attester, aux fins de reconstitution de carrière, de leur présence dans notre cité entre 1940 et 1945.

 

Le maire a ainsi établi des attestations de présence pour répondre à ces demandes et  leur permettre ainsi  de percevoir les indemnités qui leur étaient dues.
L’accueil bienveillant, compatissant, qu’un certain nombre d’habitants de nos cités ont réservé à ces malheureux réfugiés, même si le réalisme oblige à ne pas généraliser ces comportements humanistes, fut salué par des courriers de remerciements parvenus en mairie comme le montre le document 1 (voir page suivante).

 

4. Conclusion

 

Du début des années 1930 à la fin de la 2ème guerre mondiale les millions d’hommes, de femmes, d’enfants, de vieillards qui ont afflué, sur une période relativement courte, en France du sud, dans des conditions dramatiques et parfois mortifères ont constitué vraisemblablement l’exode le plus important de l’époque moderne.

 

Ces conditions catastrophiques, d’exil, d’hébergement, de vie, voire de survie et les déportations qui s’ensuivirent furent les conséquences de l’inconscience du péril nazi, de sa volonté expansionniste, et de la poussée des régimes totalitaires, de l’impuissance à y faire face, de l’impréparation qui l’explique, de l’illusion de la puissance militaire française dont les moyens et équipements n’avaient pas évolué depuis la guerre de14/18 et de la protection illusoire d’une ligne Maginot réputée infranchissable.

 

Heureusement la réactivité, le bénévolat, l’aide des organismes humanitaires et la volonté d’action des structures locales et régionales ont permis d’atténuer les souffrances subies par tous ces réfugiés, sans oublier toutes celles et ceux qui ont permis, par leur dévouement, de sauver des vies et épargner des déportations. On pouvait espérer, à la fin de cette période malheureuse, ne plus connaître un autre mouvement de population.

 

Mais l’Histoire se répète, preuve du déterminisme auquel elle est soumise, puisqu’une vingtaine d’années plus tard, en 1962, un nouvel exil, définitif cette fois, concerna un million de français contraints de fuir la terre dont ils étaient, eux aussi, les indigènes.

 

Attestation de présence et de statut de réfugié dans la ville de Revel

 

 

« L’accueil bienveillant, compatissant, qu’un certain nombre d’habitants de nos cités ont réservé à ces malheureux réfugiés, même si le réalisme oblige à ne pas généraliser ces comportements humanistes, fut salué par des courriers de remerciements parvenus en mairie. »

 

 

 

NOTES

 

1 - Article écrit le 12/09/2012

2 - Ce paragraphe est en partie élaboré à partir d’informations  extraites du Livre de Pascale Labit :  Revel  terre d’asile, ainsi que de l’ouvrage de  Francis Pujol et Jules Soletchnik :   Revel des années noires 1939 – 1945.

3 - Ce paragraphe est en partie élaboré à partir d’informations  extraites du livre de  Francis Pujol et Jules Soletchnik :   Revel des années noires 1939 – 1945.

Les informations et photos fournies par un ressortissant belge dont la famille a été réfugiée de mai en septembre 1940 à Montégut-Lauragais, m’ont également été utiles pour enrichir ce document de témoignages vécus ou transmis et je l’en remercie chaleureusement.

4 - «1940, Le grand exode » de Jean Vanwelkenhuyzen et Jacques Dumont )