Société d’ Histoire de Revel Saint-Ferréol PARU DANS LES CAHIERS DE L’ HISTOIRE N° 2 - 1995 - |
LES CENT JOURS par Maurice de POITEVIN |
Avec une population de 6267 habitants une petite cité tranquille en ce début du XIXe siècle. Le CONSEIL_MUNICIPAL et le maire, Elisée Faure, multipliaient dans les registres de délibérations les qualificatifs élogieux envers l'Empereur, Napoléon 1er, "ce génie restaurateur qui dirige la France".
Le 25 janvier 1813, les membres du CONSEIL_MUNICIPAL, "jaloux de donner à sa Majesté de nouvelles preuves de son amour et de son attachement", votaient à l'unanimité l'offre de monter et d'équiper deux cavaliers pour servir les armées impériales.
Le 31 octobre 1813, ce même Conseil adressait à sa Majesté l'Impératrice, Reine et
Régente, l'hommage de son profond respect et de son "inviolable fidélité", tout en louant la paix, "nécessaire à la morale, à l'agriculture et au commerce" (3) ; néanmoins, au cours de l'Empire, quelques mécontentements (classiques pour l'époque) apparaissaient au fil des délibérations, notamment en
ce qui concerne la conscription et le système des réquisitions.
La municipalité reconnaissait volontiers que la conscription était "le seul moyen de recruter les armées : il est trop commode, trop prompt et trop sûr pour que l'on puisse jamais y renoncer"; bien entendu, elle était responsable des conscrits réfractaires et des déserteurs (inexistants, paraît-il, en 1812), ce qui pouvait l'exposer aux "visites des colonnes mobiles, qui font tant de bien à l'Etat et tant de mal aux particuliers" (4).
Quant aux réquisitions, "toujours repoussées par les principes d'une saine administration", elles étaient réparties "avec discernement et égalité", pour qu'elles "ne pèsent sur personne d'une manière bien aggravante" (5).
Après les désastres militaires de Russie et d'Allemagne, le début de l'année 1814 fut marquée par l'invasion de la France sur
toutes ses frontières. Le 6 avril 1814, Napoléon abdiquait en attendant de rejoindre l'île d'Elbe.
Le 13 avril, Louis XVIII faisait son entrée dans Paris. le Sud, les Anglais, venant d'Espagne, envahissaient le Toulousain poursuivant l'armée du Maréchal Soult en retraite. Le sous-préfet de l'arrondissement de Villefranche (dont dépendait la commune de Revel) devait se replier sur la ville de Revel avec ses ordonnances, la brigade de gendarmerie, ainsi que certains membres du Conseil général du département (6) (en réalité il opta pour Castelnaudary). Quelques Anglais furent même accueillis chaleureusement à Castres, où les habitants célébrèrent par de grandioses festivités le rétablissement de la monarchie (7).
A Revel, le 20 avril 1814, à quatre heures du soir, deux proclamations - celle du Conseil général du Département et celle du Maire de Revel à ses administrés (8)- furent lues par le maire en différents points de la ville, en présence du sous-préfet, des conseillers municipaux, des personnalités locales et de la garde nationale.
Elles annonçaient le retour de Louis XVIII et de la famille des Bourbons sur le trône de France, ce qui était un beau jour pour les vrais Français". Cette publication, suivie par toute la population de la ville, fut fréquemment interrompue par les acclamations de tous les assistants. Le soir, la ville fut illuminée et des danses eurent lieu sur la place publique jusqu'à l'aube, dans "le bon ordre". D'après le procès-verbal de publication, cette "allégresse publique"est "inspirée par la certitude que des maux sans nombre, résultats d'une politique astucieuse et dévorante, vont cesser et seront incessamment réparés par un gouvernement ferme, juste et paternel, qui éloigne de nous pour jamais la terreur d'un joug de fer" (9).
Dans les jours suivants, tous les emblèmes impériaux disparaissaient des lieux publics.
Le CONSEIL_MUNICIPAL du Premier Empire, à quelques exceptions près, était maintenu en place, notamment le maire Elisée Faure. Celui-ci commanda, à titre personnel, un portrait de Louis XVIII, pour la somme de 60 francs
Le ler juillet 1814, lors de la traditionnelle session annuelle des Conseils municipaux, le Maire fit le bilan de son administration il stigmatisa une fois de plus la conscription et les réquisitions de "l'ancien gouvernement"; il adressa toute sa reconnaissance à l'armée Anglaise qui avait séjourné dans le
canton: "sa conduite franche, loyale et généreuse, déclara-t-il, a ménagé les propriétés autant que les circonstances le permettaient et elle a
acquitté sans hésiter les prix de ses divers besoins" ; il invita le Conseil à s'occuper avec zèle de tout ce qui intéressait la commune, "dans un temps, ajouta-t-il, où tout nous fait présager que les espérances des amis de l'ordre et de la paix seront enfin réalisées" (11).
Cependant, dans le pays, le gouvernement des Bourbons accumulait les maladresses: le drapeau tricolore, symbole des conquêtes de la Révolution, remplacé par le drapeau blanc, l'interdiction de la "Marseillaise", la proclamation du catholicisme comme religion d'Etat, la célébration des cérémonies expiatoires envers les victimes de la Révolution, la souscription publique pour ériger un monument "en l'honneur des malheureuses victimes de Quiberon" Les officiers de l'armée impériale étaient mis à la retraite (au nombre de 12.000) avec demi-solde économie nécessaire, disait-on, mais en même temps, on accordait des grades à d'anciens officiers émigrés et vendéens. Alors, on assista au réveil des passions révolutionnaires le 25 juin 1814, il y eut dans notre cité un "attroupement séditieux", c'est-à-dire un mouvement populaire contre les droits réunis (impôts sur la consommation) ; un gendarme fut maltraité et sans l'intervention de quelques citoyens, il aurait couru de graves dangers (13). Le 18 mars 1815, le Commissaire de Police de Revel faisait arrêter et emprisonner un colporteur, qui distribuait un pamphlet intitulé, " A bas la Cabale!", qui n'était autre qu'un "Eloge de Buonaparte" (14).
Ainsi donc, l'incertitude gagnait peu à peu l'esprit des Français. Pendant ce temps, le captif de l'île d'Elbe, rongé par l'ennui et de graves soucis, suivait avec une grande attention les événements de France ; la pension promise par le gouvernement ne lui était pas versée ; l'Empereur d'Autriche retenait à Vienne l'Impératrice et son fils, le roi de Rome, les puissances européennes parlaient de le déporter dans une île lointaine. Au début de 1815, les circonstances lui semblèrent favorables pour tenter l'aventure la plus audacieuse et la plus romantique de sa prodigieuse existence. Pour reprendre le trône, Napoléon comptait sur l'effet de surprise: "Aucun exemple historique ne peut m'encourager à risquer cette entreprise, mais j'ai mis en ligne de compte l'étonnement des populations, la situation de l'esprit public, les ressentiments de toute espèce, l'amour des soldats de ma personne.
Je compte sur la stupeur et l'irréflexion, sur l'entraînement des esprits soudainement frappés par une entreprise audacieuse et inattendue. J'arriverai sans que rien n'ait été organisé contre moi"
Curieux épisode que celui des Cent jours, où l'on a pu croire à la restauration de l'Empire. La légende s'est tellement emparée de ces événements qu'il est difficile de s'en faire une idée précise. Les œuvres littéraires, en particulier celle de Stendhal, de Victor Hugo et de Louis Aragon, ont, laissé sur cette période davantage de traces dans les mémoires que les livres d'histoire. Le 1er mars 1815, Napoléon débarquait au Golfe Juan, entre Cannes et Antibes le 7 mars, les habitants de la ville de Grenoble défonçaient les portes pour livrer la place à l'Empereur ; le 10 mars, il entrait à Lyon où les canuts lui réservèrent un accueil enthousiaste (16).
La nouvelle du débarquement de Napoléon en France, parvenue à Toulouse le 11 mars, arriva le lendemain à Revel. Le jour même, le Maire, les adjoints, les conseillers municipaux et la "masse des habitants de la ville" votèrent "spontanément" une "Adresse au Roi"ainsi rédigé "Sire, Vos fidèles sujets habitants de la ville de Revel se sont réunis à la première nouvelle que l'ennemi du genre humain a osé reparaître en armes sur le sol français ; ils offrent à votre Majesté leurs bras et leur fortune pour le soutien du trône des Bourbons. Ils sont avec le plus profond respect, sire, vos très humbles, très soumis et très fidèles sujets". Ce document fut approuvé et signé par 126 personnes (sans mention de leur profession, malheureusement) parmi lesquelles le commissaire de police, le juge de paix, le maire de Vaudreuille, quelques officiers et nobles locaux (de Terson, d'Arboussié, Molles de Pierredon, Pons de Vier) (17).
Le 13 mars, c'était la publication de la proclamation de la municipalité, annonçant officiellement aux habitants le retour de l'Empereur sur le territoire national. Après avoir flétri vigoureusement cette action, le Maire se voulait quelque peu rassurant: "que cet événement inattendu n'alarme personne, que chaque citoyen soit tranquille et en sécurité chez lui... toutes les mesures sont prises pour arrêter cette bravade insensée ; mais, cependant, si les circonstances devenaient aggravantes et impérieuses, que chacun de nous soit prêt à tout sacrifier pour maintenir le trône de Louis le désiré et la patrie"(18).
Le 20 mars 1815, à neuf heures du soir, il entrait dans Paris, porté en triomphe aux Tuileries par ses partisans. Le 21 mars, le Conseil général de la Haute-Garonne lançait un appel aux habitants du département pour leur demander de s'unir et d'obéir aux autorités: "ne suivons d'autre guide que la volonté de notre bon Roi ; rallions-nous avec lui autour de la Charte Constitutionnelle ; repoussons le despotisme de tous nos efforts".
Quelques jours plus tard, cette même assemblée s'adressait plus spécialement aux "jeunes habitants de la Haute-Garonne" pour qu'ils fassent preuve de dévouement et de patriotisme ; "aujourd'hui, vos devoirs sont : votre Roi à défendre, votre constitution à maintenir, votre Patrie à venger", et non plus, "aller mourir au milieu des glaces de la Russie ou des provinces désolées de l'Espagne"(19).
En cette fin du mois de mars 1815, plusieurs tentatives de résistance royaliste eurent lieu, notamment dans le Midi, avec la duchesse et le duc d'Angoulême à Bordeaux et à Nîmes. Le baron de Vitrolles, commissaire extraordinaire du Roi, fut envoyé à Toulouse (25 mars) pour organiser la résistance au nouveau gouvernement impérial.
Il expédia de nombreuses lettres aux préfets, aux généraux, aux trésoriers ; il donna des ordres pour constituer des cours de justice prévôtales, pour mobiliser la Garde nationale, enrôler des volontaires et obtenir des renforts militaires de l'Espagne. En moins de deux semaines, deux préfets seulement répondirent à ses lettres et la garnison de Toulouse, qui comptait moins de mille hommes, "ne voulait pas la guerre civile". Alors que de Vitrolles était arrêté (5 avril), le préfet, de Sainte-Aulaire, donnait sa démission en notant ceci: "la ville est bien agitée ; on promène en triomphe le buste de Napoléon : il semble mener par une puissance supérieure, invulnérable aux choses humaines"(20).
A partir du 6 avril 1815, dans la région toulousaine, l'autorité impériale allait s'affirmer nettement. Pour le procureur impérial du Tribunal de première instance de Villefranche, "l'Empereur Napoléon est remonté sur le trône", la justice devait être rendue en son nom. De son côté, le sous-préfet constatait que "ces grands changements" s'étaient "opérés sans qu'une seule goutte de sang ait été versée.
En conséquence, le drapeau blanc devait disparaître pour être remplacé "sur le champ" par le drapeau qui flottera désormais sur les "maisons communes" des villes et sur les clochers des campagnes ; il fallait cesser d'utiliser le sceau aux fleurs de lys pour se servir "exclusivement" de celui de l'Aigle.
"L'esprit public" devait "être dirigé vers l'obéissance et l'amour de l'Empereur, qui a promis de nous rendre heureux et qui est capable de remplir sa promesse"(21).
Le 26 mai, le maire (Elisée Faure), ses adjoints et les conseillers municipaux de Revel étaient confirmés dans leurs fonctions par le commissaire extraordinaire de l'Empereur, ce qui est, d'après le sous-préfet, "une preuve de la confiance publique dont vous continuez d'être investis"(22).
Néanmoins, durant cette période, les craintes et les inquiétudes demeurèrent vives parmi les populations. A Revel, c'était les dénonciations "signés par plusieurs citoyens", des écrits anonymes à l'encontre du maire, "des bruits qui tendent à troubler la tranquillité de la commune et à perpétuer l'esprit du parti" (23)... Dans le Toulousain, l'agitation royaliste se poursuivait plus ou moins violente selon les circonstances. Le clergé de Muret s'abstenait de faire faire "les prières d'usage pour l'Empereur et la Famille impériale", sous prétexte qu'il n'en avait pas encore reçu l'ordre de Monseigneur l'Evêque. Au lycée de Toulouse, le censeur et sept professeurs étaient destitués de leurs fonctions, "sans la moindre secousse", pour avoir refuser de prêter serment (24). Le 27 mai, le préfet du Tarn, le baron de Sainte-Suzanne, -il restera fidèle à l'Empereur jusqu'au bout- se plaignait auprès de son collègue de la Haute-Garonne de ce que son département soit "inondé de proclamations de toute espèce (en provenance de Toulouse) pour faire soulever le peuple" ; il ajoutait que "le bruit se répandait dans les environs de Toulouse qu'il devait y avoir un rassemblement considérable prêt à prendre les armes et à arborer l'étendard de la révolte" ; des fusils de guerre seraient même achetés dans les campagnes (25). A Toulouse même, les affiches du gouvernement était lacérées, la nuit, par les royalistes (deux tués au cours d'accrochage). A Lacaune, des habitants criaient: "Vive le Roi, à bas le Tyran". A Montauban, un soldat en permission, qui refusait de jeter la cocarde tricolore, était tué à coups de bâtons par la foule (26).
Pour combattre la violence des royalistes, un mouvement révolutionnaire se créa sous forme de fédérations. La première fédération vit le jour à Rennes (22 avril) en Bretagne; le pacte fédératif prévoyait le maintien de l'ordre et la défense de la Patrie.
D'autres provinces (Champagne, Lorraine, Bourgogne, Dauphiné) se fédérèrent et se mirent en relations avec la Bretagne. Au début du mois de juin, des Toulousains lancèrent les bases de la "Confédération du Midi" avec le soutien du préfet et du commandant de la place. La Confédération préconisait l'union "de coeur et d'action" ; elle voulait "sauver la Patrie du joug des étrangers" et "soutenir l'esprit public au niveau des circonstances présentes" ; et surtout, elle exprimait toute sa confiance en "cet homme qui est pour nous l'ancre du salut à laquelle nous devons tous nous rattacher (27)". Le17 juin, le sous-préfet recommandait cette association au maire de Revel en ces termes: "usez de votre influence sur vos administrés pour engager ceux d'entre eux qui sont acquéreurs des domaines nationaux et en général tous les bons citoyens de votre commune à faire partie de cette confédération, dont le but institutif est l'obéissance aux lois, aux magistrats et le respect des propriétés"(28). En fait, la Confédération du Midi n'a guère d'influence, semble-t-il, dans la région toulousaine. Par contre, la Confédération du Tarn, créée à Albi, a eu davantage d'ampleur, notamment dans les villes voisines comme Gaillac, Rabastens et Lavaur ; les noms des adhérents qui nous sont connus appartenaient à la bourgeoisie jacobine. Castres fut la seule ville importante du département à rester fidèle au Roi (29).
Une restauration pure et simple de l'Empire n'était pas possible. Napoléon pouvait s'appuyer sur le mouvement populaire, en particulier les ouvriers et les paysans, qui l'avaient follement acclamé au cours de sa chevauchée ; mais, il refusa d'établir un Empire démocratique fondé sur la Constitution de l'An VIII, comme le lui suggérait Carnot, ministre de l'Intérieur. Alors, il se tourna vers la bourgeoisie libérale en demandant à Benjamin Constant, un ancien opposant, de reprendre, en leur donnant un aspect plus libéral, les Constitutions de l'Empire, et c'est ce que l'on appela l'Acte additionnel ; il devait être soumis à l'acceptation du peuple français. Pour cela, des registres au nombre de quatre à Revel furent ouverts pendant dix jours dans toutes les administrations, jusque dans les études de notaires et les justices de paix, pour recevoir les votes des citoyens.
Les résultats furent proclamés en grande pompe, à Paris, à l'assemblée du "Champ-de-Mai" qui ne put se tenir que le ler juin ; sur cinq millions d'électeurs, il y eut seulement 1 532 527 "oui" et 4802 "non" ; le plus grand nombre des électeurs s'était abstenu.
Voici les résultats locaux : 5% de "oui" à Toulouse et environ 3% à Revel, c'est-à-dire 43 "oui" sur 1560 électeurs (chiffres arrondis) ; à Albi, 25% de "oui" contre 3% seulement à Castres. Les abstentions sont considérables : 86% dans le Tarn, environ 97% à Revel. Dans l'histoire électorale française, le plébiscite des Cent Jours tient une place à part : c'est l'archétype de la consultation "manquée" et surtout l'échec d'une politique "libérale" qui ne rallie même pas les libéraux(30).
Quelle que soit l'importance des faits déjà évoqués, ce fut surtout la menace étrangère qui préoccupa le gouvernement et les Français ; en effet, le 13 mars 1815, au Congrès de Vienne, les puissances alliées mettaient Napoléon au ban de l'Europe. La guerre paraissait inévitable. Dès le 23 avril, le préfet de la Haute-Garonne, dans une circulaire adressée à tous les maires du département, constatait ceci: "aujourd'hui, une paix douteuse, le silence inquiétant des Puissances qui nous entourent nous font un devoir de reprendre les armes" ; il exhortait les citoyens à "voler à la défense de la Patrie", des lois et de la liberté, et les soldats à "accourir à la voix de Napoléon"(31). Quelques jours plus tard, le Préfet, dans une proclamation volontiers optimiste, présentait aux "habitants des campagnes la Vérité sur la situation extérieure de la France". Les Autrichiens, retenus en Italie, ne pouvaient agir "puissamment" sur les bords du Rhin. Au Piémont, le roi de Sardaigne était "contenu" par l'armée du roi de Naples (Murat). L'Espagne devrait rester neutre. Les Russes ne pouvaient s'éloigner de la Pologne sans s'exposer à des insurrections. Seuls les Anglais et les Prussiens étaient à nos frontières. "Ne croyez donc pas, quoi qu'on vous dise, à une attaque prochaine de toutes les armées de l'Europe". Cette proclamation se terminait par un vibrant appel à "la vigueur, à l'ardeur guerrière des braves militaires de tout grade, nobles élèves du grand Napoléon ; vous servez sous un Héros dont on ne peut plus compter les victoires et qui a dépassé toutes les limites connues de la carrière des armes"(32). Le 3 mai 1815, le ministre de la Guerre, le maréchal Davout, pressentant le pire, donnait des instructions pour la défense du territoire : "que chacun soit prêt à repousser toute tentative d'envahissement, que des obstacles de toute espèce se multiplient sur le passage des dévastateurs, que les habitants des campagnes disputent eux-mêmes les défilés, les bois, les marais, les gorges, les chemins creux.
Cette guerre, sans danger pour celui qui connaît les localités, honorable autant qu'utile au citoyen qui défend sa propriété, est toujours désastreuse pour l'étranger qui ne connaît ni le terrain, ni la langue...
Du succès de cette lutte dépend l'existence même de la France. L'Empereur est au milieu de nous" (33)
Pour faire face à la situation, Napoléon eut recours aux conscrits de 1815 et aux soldats de l'armée de la Restauration ; il fit aussi appel aux volontaires, aux officiers licenciés - deux militaires de la marine résidant à Revel furent ainsi rappelés (34) - et à la garde nationale ; celle-ci devait garder les forteresses ou former des divisions de réserve. Les appelés ne répondirent qu'avec lenteur et sans enthousiasme. Le 1er juin, vingt-cinq gardes nationaux de Revel ne s'étaient pas présentés au "Conseil d'examen" ; les familles et la Commune étaient menacées de "garnison militaire" dans un délai de quatre jours (35). Le 15 juin, le sous-préfet donnait ordre aux militaires retraités ou réformés de la Commune de se rendre à Villefranche pour former "sur le champ" une colonne mobile "employée contre les gardes nationaux insoumis et les déserteurs de toute arme"(36). Le 18 juin, c'était le désastre de Waterloo.
Après l'abdication de Napoléon Bonaparte (22 juin), la ville de Revel a connu probablement quelques troubles ou "mouvements désordonnés" qui ont été sensiblement amplifiés par la peur des habitants. Il s'agirait de provocations publiques, de chants, de cris ("Vive le Roi"), de vociférations et d'attroupements, mais "il n'y a point eu d'explosion d'aucune espèce". Cependant, le Maire, pour des raisons que nous ignorons, est resté très circonspect sur ces événements, ce qui impatiente très fortement le sous-préfet, comme le montre ces quelques mots: "au nom de Dieu, Monsieur, rendez-moi un compte très prompt, bien circonstancié, de tout ce qui s'est passé dans votre commune depuis huit jours".
Ce même sous-préfet, dans une autre lettre, écrit alors ces paroles prophétiques : "les mouvements, les turbulences de localité ne changent rien à l'ordre des événements et ne sont propres qu'à faire des victimes ; c'est dans le Capitale de l'Empire que le sort de la France est toujours réglé ; les événements des provinces ne sont d'aucun poids dans la balance des destinées françaises"(37).
Le 24 octobre 1815, à Toulouse, sur la place royale (aujourd'hui Place du Capitole), on brûla des emblèmes impériaux (aigles, écharpes et cocardes tricolores) déposés dans des magasins militaires (38).
Au mois de novembre 1815, à la demande expresse du sous-préfet, la municipalité de
Revel livrait à l'autorité royale "les marques de la rébellion, les insignes de l'Usurpateur", c'est-à-dire "deux vieux drapeaux tricolores et le sceau à l'Aigle" (39). Le rêve napoléonien s'était définitivement évanoui, mais la légende et le mythe ne faisaient que commencer. A propos des Cent Jours, Napoléon avouera plus tard, à Sainte-Hélène : "je n'avais plus en moi le sentiment du succès définitif ; ce n'était plus ma confiance première ; je sentais en moi qu'il me manquait quelque chose. J'ai traversé la France, j'ai été porté jusqu'à la capitale par l'élan des citoyens, au milieu des acclamations universelles ; mais, à peine étais-je à Paris, que, comme par une espèce de magie, et sans aucun motif légitime, on a subitement reculé ; on est devenu froid autour de moi" (40).
Sources.
(1). Archives municipales de Revel (en abrégé A.M.R.), série F7 (recensement de 1814).
(2). A.M.R., série ID 14, feuillet 149 recto, séance du 25 janvier 1813. (3). A.M.R., ID 14, f° 16 recto, séance du 31 octobre 1813. (4). A.M.R., ID 14, f° 131 recto, séance du 1er ami 1812.
(5). A.M.R., ID 14, f°s 7 recto et 39 verso, séances du 1er mai 1809 et 1810.
(6). A.M.R., série Z 25, liasse sur la Correspondance générale antérieure à 1830. Lettre du sous-préfet au Maire de Revel du 1er avril 1814.
(7). NAYRAL (Magloire), Mémoires, Bibliothèque municipale de Castres, 1856, p. 33.
(8). Voir Annexe n°1
(9). A.M.R., ID 14, Es 169 verso et 170.
(10). A.M.R., Z 25, lettre du 24 mai 1814. 60
(11). A.M.R., ID 14, f° 17 1 recto, séance du 1er juillet 1814, présentation des comptes du Maire.
(12). A.M.R., Z 26, liasse sur la Correspondance générale antérieure à 1830. Lettre du sous-préfet aux maires de l'arrondissement du 18 juin 1814.
(13). A.M.R., Z 25, lettre du 28 juin 1814.
(14). A.M.R., Z 26, lettres des15 et 18 mars 1815.
(15). Les Cent jours, Textes et documents pour la classe, n°6, 23 novembre, p. 9.
(16). TULARD (Jean), Napoléon, Paris, Fayard, 1977, 496 pages. Ouvrage essentiel pour le premier Empire. Voir notamment le dernier chapitre, pp. 425-441.
(17). A.M.R., série ID 15, feuillet 3 verso, séance du 12 mars 1815 et Z 26, lettre du 17 mars 1815.
(18). Voir Annexe n°2.
(19). Archives Départementales de la Haute-Garonne (en abrégé A.D.H.G.), série 4M 34, imprimés des 21 et 30 mars 1815.
(20). BEGOUEN (le Comte), les débuts des Cent Jours à Toulouse, d'après les "souvenirs" de la Comtesse de Sainte-Aulaire, Mémoires de l'Académie des Sciences de Toulouse, 1925, pp. 483-531. En outre, les Archives départementales de la Haute-Garonne n'ont qu'une liasse insignifiante sur cette période en raison des bombardements de la Seconde Guerre Mondiale.
(21). A.M.R., Z 26, deux lettres du 6 avril 1815.
(22). A.M.R., Z 26, lettre du sous-préfet à Elisée Faure, maire de Revel, 26 mai 1815.
(23). A.M.R., Z 26, lettres des 12 avril et 17 juin 1815. (24). A.D.H.G., 4 M34, 16 mai et 2 juin 1815.
(25). A.D.H.G., 4 M34, lettre du Préfet du Tarn à celui de la HauteGaronne du 27 mai 1815.
(26). BLOND (Georges), Les Cent Jours, Paris, Julliard, 1983, pp. 227232. CURIE-SEIMBRES (Lucienne), Les incertitudes préfectorales dans le Tarn (1814-1815), dans Actes du XXVIIe Congrés de la Fédération des Sociétés Académiques et Savantes du Languedoc-Pyrénées-Gascogne,tenu à Montauban, les 9, 10 et 11 juin 1972, pp. 286-292.
(27). Journal Politique et Littéraire de Toulouse et de la HauteGaronne, 12 juin 1815.
(28). A.M.R., Z 26, lettre du 17 juin 1815.
(29). PORTAL (Charles), Les Cent Jours dans le Tarn, Le Tarn Républicain, 22 décembre 1928 et 26 janvier 1929. VANEL (Jean), Le mouvement fédératif de 1815 dans le département du Tarn, dans Actes du XXXIe Congrès de la Fédération des Sociétés Académiques et Savantes du Languedoc-Pyrénées-Gascogne, tenu à Gaillac les 21-23 mai 1976, pp. 397-395. PONTEIL (Félix), La chute de Napoléon 1 er et la crise française de 1814-1815, Paris, Aubier, 1943, pp. 236-239.
(30). A.M.R., Z 26, "relevé des votes émis dans les registres ouverts pour l'acceptation ou le rejet de l'Acte additionnel aux Constitutions de l'Empire", le 17 mai 1815. BLUCHE (Frédéric), Le plébiscite des Cent Jours (avril-mai 1815), Genève, Droz, 1974, pp. 61 et 98. Une thèse excellente.
(31). A.D.H.G., 4 M34, imprimé le 23 avril 1815. (32). A.D.H.G., 4 M34, imprimé le 27 avril 1815.
(33), A.M.R., Z 26, "instructions pour la défense du territoire, s'il était envahi", le Ministre de la Guerre, Paris, le 3 mai 1815.
(34). A.M.R., Z 26, lettre du 31 mai 1815. (35). A.M.R., Z 26, lettre du ler juin 1815. (36). A.M.R., Z 26, lettre du 15 juin 1815.
(37). A.M.R., Z 26, lettres de sous-préfet au maire de Revel, des 30 juin, 2 et 7 juillet 1815.
(38). Journal politique et Littéraire de Toulouse et de la HauteGaronne, 25 octobre 1815.
(39). A.M.R., Z 26, lettre du 11 novembre 1815.
(40). HUBERT (Emmanuelle), Les Cent Jours, Paris, Julliard, 1966, p. 187.
Chronologie.
26 février 1815, Napoléon 1er quitte l'île d'Elbe.
1er mars, débarquement de l'Empereur dans le golfe Juan (entre Antibes et Cannes)
7 mars, Napoléon entre à Grenoble.
10 mars, accueil enthousiaste à Lyon.
11 mars, proclamation du maire de Toulouse, annonçant le retour de Napoléon.
13 mars, proclamation identique du maire de Revel. Les alliés mettent Napoléon au ban de l'Europe au Congrès de Vienne.
19 mars, fuite du roi Louis XVIII vers Gand (Belgique).
20 mars, arrivée triomphale de Napoléon à Paris au palais des Tuileries.
21 mars, appel du Conseil général du département de la HauteGaronne à ses concitoyens.
25 mars-5 avril, essai de résistance royaliste dans la région toulousaine sous la direction du baron de Vitrolles.
6 avril, premières directives impériales du sous-préfet de Villefranche aux maires de l'arrondissement.
23 avril, organisation des gardes nationales et rappel des militaires du département.
3 mai, instructions du Ministre de la Guerre pour la défense du territoire.
26 mai, confirmation dans leur fonctions des autorités municipales de Revel.