Société d’ Histoire de Revel Saint-Ferréol PARU DANS LES CAHIERS DE L’ HISTOIRE N° 22 - 2022 |
La communauté protestante de Revel
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Cette étude, visant à mieux connaître dans leur vie quotidienne les protestants de Revel, bastide lauragaise, est basée sur les seuls manuscrits que nous ait laissés la communauté, à savoir six registres de baptêmes, mariages et décès couvrant la période 1600 - 1685.
Ces sources, quoique parfois incomplètes, peuvent être considérées comme une aubaine, elles ont échappé au temps, à la haine et aux intrigues administratives d’un pouvoir malveillant. En août 1683, en effet, un arrêt rendu par le conseil d’État avait ordonné que « les registres de baptêmes, mariages et mortuaires de ceux de la R.P.R. (Religion Prétendument Réformée) soient remis incessamment aux greffes des baillages et sénéchaussées » ceci afin de vérifier quelles églises étaient en place au temps d’Henri IV et, de cette manière, de constater la légitimité de leurs droits. Là, à la merci d’un pouvoir qui avait à prouver qu’il n’y avait plus de protestants en France, les registres présentés n’étaient pas toujours rendus .
Quant au contenu lui-même de ces registres, s’il nous permet d’apprécier l’importance numérique de la communauté (les baptêmes s’échelonnent entre 25 et 50 par an, ce qui correspond à une population d’environ 1000 - 1200 personnes), il ne peut cependant fournir ici les données d’une réelle étude démographique. Nous sommes au XVIIème siècle et si le greffier suit assez fidèlement les prescriptions du premier synode national (Paris 1559) qui ordonnait l’enregistrement des baptêmes et des mariages , l’absence de ces mêmes décès et mariages pendant plusieurs semaines, voire mois, est trop suspecte pour entreprendre une authentique étude démographique. Par contre certains détails : jours de baptême, mois de célébrations du mariage, profession du père ou du parrain ou tout autre renseignement de cet ordre nous permettent de voir vivre ce peuple réformé dont on a voulu nier jusqu’à l’existence par l’Édit de Révocation.
1598-1685 : Rappel de quelques dates importantes pour l’histoire de la communauté protestante française au XVIIème siècle
13 avril 1598 : Édit de Nantes.
Après 8 guerres de religion (1562-1598), les protestants, en droit de recevoir une liberté de conscience totale, se heurtent à un Édit qui masque mal les fondations d’un ordre monarchique intransigeant :
Liberté du culte oui, mais dans des lieux et des villes bien précis ;
Places de sûreté oui, mais dont le gouverneur et la garnison sont payés par les finances royales.
Le Protestantisme entre donc dans le XVIIème siècle reconnu mais bien fragile face à des autorités locales et nationales de plus en plus hostiles.
Situation bien résumée par les paroles du procureur général Omer Talon qui, en 1634, déclare : « Les Réformés ne sont soufferts que par tolérance et dissimulation, comme on souffre une chose qu’on voudrait bien qui ne fût pas » .
1620 : Sédition du Sud menée par le duc de Rohan.
Octobre 1622 : Paix de Montpellier. Après la croisade de Louis XIII dans le Midi, les protestants perdent 80 places de sûreté.
Février 1626 : Le traité de Paris reconduit la paix de Montpellier.
Août 1627 - Octobre 1628 : Siège de la Rochelle.
Mai 1629 : Prise de Privas par les troupes royales après 2 ans de ravages dans le Sud.
28 juin 1629 : Édit de grâce d’Alès : liberté religieuse maintenue mais fortifications huguenotes détruites et assemblées politiques des réformés interdites.
Mai 1652 : Au jour de sa majorité légale, Louis XIV donne acte aux Réformés de leur fidélité et ordonne qu’ils fussent « maintenus et gardés dans la pleine et entière jouissance de l’Édit de Nantes ».
1659 : Synode de Loudun, dernier synode national autorisé.
1661-1664 : La moitié des temples dauphinois sont fermés et 135 lieux de prêche sont interdits en Languedoc.
1669 : Des lettres patentes du 2 avril précisent les droits et surtout les limites des Réformés. Parmi ces limites, quelques interdits :
- le chant des Psaumes doit être interrompu dans un temple au passage d’une procession catholique,
- les temples édifiés depuis 1598 devront être détruits,
- les morts de la R.P.R. ne pourront être enterrés dans des cimetières ou églises catholiques et l’inhumation, comme l’a prévu un arrêt du Conseil de 1667, ne peut être faite qu’à l’aube ou au crépuscule.
1670 : L’Assemblée du clergé demande de nouvelles rigueurs contre les Protestants.
1676 : Pélisson crée la « caisse des conversions » qui, estime-t-on, rapporte en un an 58.130 nouveaux convertis au catholicisme.
1679 : Après la paix de Nimègue, le roi s’intéresse sérieusement au cas protestant et prend une série de mesures préparant l’ultime répression.
- les protestants sont exclus de tous les offices royaux et seigneuriaux,
- les professions d’avocat, médecin, sage-femme, apothicaire, imprimeur et libraire leur sont interdites,
- les chambres de l’Édit sont supprimées,
- les maîtres de la R.P.R. se voient refuser le droit de recevoir des pensionnaires,
- les enfants peuvent abjurer dès 7 ans,
- destruction massive des temples.
1681 : Louvois autorise l’intendant Marillac à se servir des troupes pour précipiter les conversions.
1684 : Dragonnades en Dauphiné - Poitou - Languedoc.
Octobre 1685 : Édit de Fontainebleau. Louis XIV révoque l’Édit de Nantes. Chemins de l’exil, sentiers du Désert ou résignation fataliste, les Protestants commencent une autre page de leur histoire.
De 1567, date à laquelle Revel devient par le traité de Nérac une place de sûreté donnée au futur Henri IV, à 1577 où elle peut être considérée comme ville protestante (elle fait partie du colloque du Lauragais), la bastide lauragaise va vivre l’installation de la Réforme dans un climat de violence et de confusion ; troupes protestantes ou catholiques, partisans de Condé ou du duc d’Amboise, les différentes parties se succèdent dans des victoires éphémères. Pourtant à partir de 1577, et ceci jusqu’en 1621, un calme relatif va régner : les huguenots bâtissent leur temple et les catholiques reconstruisent leur église.
1621 : À l’inspiration du duc de Rohan, comme les villes avoisinantes de Castres, Puylaurens, Sorèze, Cuq-Toulza, Caraman, St-Paulet et Mazamet, Revel fait une guerre ouverte aux catholiques et s’expose ainsi à la répression royale dans ce cas personnifiée par le maréchal de Bassompierre. Celui-ci, après avoir pris Montauban et St-Antonin, vient faire le siège de Caraman et paraît devant Revel le premier juillet 1622 à la tête de son armée. Seule une chute de cheval qui obligea Bassompierre à se retirer sauva Revel.
Cependant, la prise de Montpellier par les forces royales contraignit les protestants à déposer les armes peu de temps après. Un édit de pacification mit fin à ces premiers troubles (octobre 1622) mais l’accalmie fut de courte durée.
En 1625 : le duc de Rohan, maître de Castres dont il avait fait sa principale place d’armes, entraîna d’autres villes religionnaires du Lauragais en leur faisant jurer de rester unies. Partout on se prépare à un nouvel affrontement. Il eut lieu lorsque le maréchal de Thémines mit en mouvement ses troupes et dévasta plusieurs villages du Lauragais et du Castrais. Revel néanmoins fut épargnée et un nouvel édit de pacification (le 3 février 1627) suspendit momentanément les hostilités. Trêve de courte durée : l’affaire du siège de La Rochelle, l’inexécution des derniers édits décident Rohan à reprendre la lutte. Celle-ci commença dès septembre 1627 dans le Bas-Languedoc et s’étendit bientôt dans le Rouergue et l’Albigeois.
Mais le Castrais et les villes protestantes des alentours étaient lasses de ces conflits. Castres refusa de recevoir Rohan et son exemple fut généralement suivi dans le pays. Revel, seule ville où le duc avait de nombreux partisans, lui fut livrée par surprise dans la nuit du 27 octobre 1627, grâce à la complicité de quelques habitants qui facilitèrent l’escalade des murailles à ses soldats.
Le duc de Rohan ne resta à Revel que jusqu’au 3 novembre date à laquelle, parti de la ville pour se diriger vers Mazères, il trouva sur son chemin les ducs de Montmorency et de Ventadour, chefs des troupes royales. Les deux armées se rencontrèrent entre Souilhe et Souilhanels, petits villages à une quinzaine de kilomètres de Revel. La bataille, brève, donna l’avantage à Rohan qui put continuer sa marche vers Mazères sans être inquiété.
Mais les troupes royales succèdent aux troupes royales et bientôt arrive le prince de Condé, successeur du maréchal de Montgomery pour le commandement de l’armée royale dans le Midi. Revel qui avait reçu une garnison du duc de Rohan semblait vouloir tenir encore mais constatant que Montauban s’était soumise au roi préféra implorer sa clémence (1629). À partir de cette date, Revel, toujours à majorité protestante, vécut de plus en plus difficilement ; ville réformée, le sort de ses habitants est lié au sort du calvinisme.
Retirer l’une après l’autre les concessions accordées par l’Édit de Nantes, frapper les temples, interdire les ministres, enlever aux réformés la participation aux affaires communales : voici quelques exemples de mesures arbitraires qui annoncent la décision d’octobre 1685 et vont atteindre les huguenots de Revel dans leur vie religieuse, civique et culturelle.
Première partie
La communauté protestante de Revel.
La composition sociale :
C’est grâce aux renseignements donnés par les différents registres de baptêmes, mariages et décès (de 1610 à mars 1685) que nous pouvons avoir une vision de la structure sociale de la communauté protestante de Revel. Là, en effet, ont été plus ou moins bien reportés la profession des pères, fiancés ou personnes décédées habitant à Revel ou dans ses environs, soit 919 métiers, arts ou statuts sociaux mentionnés pour 1304 patronymes d’adultes recensés.
On a ainsi une première approche des diverses catégories sociales :
Nobles : 14 représentants de 9 familles nobles
Bourgeois : 56 / officiers : 19
Hommes de loi - avocats : 13 / notaires : 3
Marchands : 167
Artisans (maîtres et ouvriers) : 553 dont 3 « artistes »
Brassiers : 94.
Chapitre 1
Les couches supérieures de la société.
La noblesse
Petite noblesse locale, étroitement liée par des alliances matrimoniales et des parrainages, on trouve sur les registres 18 noms à consonance noble. Cependant, il semble dangereux de déduire qu’il s’agit là d’authentiques nobles car il existe un certain nombre de bourgeois qui, tel Arnolphe, ont paré leur nom « d’un vieux tronc de métairie, afin d’en faire dans le monde, un nom de seigneurie » . Certains indices pourtant (résidence dans un château, ancêtres connus) permettent d’établir la liste d’authentiques gentilshommes :
- De Durand de Vincennes (dont le premier nommé sur les registres porte le qualificatif d’escuyer)
- De Padiès, seigneur de Bélesta
- De Terson, seigneur de Paleville
- De Las Cases, seigneur de Caussade
- De Bertrand, seigneur de Poudis
- Du Bosc, seigneur des Isles Maisons
- De Besset, seigneur de Couffinal
- D’Allary, seigneur de Blan
- De Portes, seigneur de Fontfrède.
Quant à la fidélité de ces gentilshommes à leur foi, là aussi on ne peut être affirmatif. Cependant, on sait que contrairement à la grande noblesse lasse des mesures prises pour entraver son ambition sociale , certains de ces hobereaux ont pris le chemin de l’exil. D’autres, obligés de se convertir, n’ont pratiqué qu’un tiède catholicisme. Les seuls indices que l’on puisse trouver à ce propos se trouvent dans la liste des nouveaux convertis de Revel et dans l’État des nouveaux convertis des diocèses de Castres et de Lavaur dressé en 1686 .
En ce qui concerne les nouveaux convertis, ont abjuré :
- noble Jean de Portes seigneur de Fontfrède, sa femme et ses enfants
- noble Marquis de Besse seigneur de la Garrigue, ses 3 filles et un fils
- noble Jacques de Durand seigneur de Vincennes, son fils et ses 2 filles
- noble Abel de Terson seigneur de Paleville
- noble Daniel du Bosc seigneur des Isles Maisons.
Et voici ce que disent les autorités ecclésiastiques catholiques de ces nouveaux fidèles :
- le seigneur de Couffinal : mauvais converti
- le seigneur de Paleville : mauvais converti, mal intentionné
- le seigneur de la Garrigue : très mal intentionné aussi bien que sa femme
- le seigneur de Durand : grand chef de parti et inflexible dans ses préjugés. Sa femme a le même esprit et sa fille aurait besoin de couvent
- le seigneur du Bosc : lui, sa femme et ses enfants ne se distinguent pas en bien. Il faudrait une main forte pour emporter la résistance.
« Résistance », le mot employé montre combienétaient obstinés dans leur foi ces hommes plus fidèles à la Réforme que ne l’ont été un Lesdiguières ou un Turenne .
Les notables
Les bourgeois
Avant de recenser le nombre de bourgeois mentionnés dans les registres, il faut définir le terme quide nos jours peut être équivoque. Le bourgeois du XVIIème siècle est l’homme du bourg, il habite la ville, la localité où se tient le marché, par opposition au rural. Ce bourgeois se distingue du petit peuple urbain et appartient à une élite citadine. À Revel, de 1610 à 1685, on trouve 56 bourgeois huguenots, soit 6% des métiers ou statuts sociaux recensés.
Il est entendu que l’on n’a pas tenu compte des bourgeois qui étaient aussi officiers ou marchands. Ces 56 bourgeois sont considérés comme rentiers, car jamais n’est donnée d’indication sur un quelconque métier ou office qu’ils exerceraient. Parmi eux reviennent souvent les mêmes noms :
Portal - Brun - Danes - Faure - Jougla - Chauvet - Salvaing.
Certains, bien qu’appartenant déjà à l’élite sociale, semblent être grands amateurs de particule et n’hésitent pas à donner quelque lustre au nom de leur père en y ajoutant le nom de leur métairie. Certains même se font appeler « noble ».
Ainsi on peut voir quelques familles s’anoblir au fil des ans :
- Les Portal deviennent Portal seigneur de Lambreuse
- Gaillard (Gaillard seigneur de Molines)
- Salvaing (Salvaing seigneur de la Pergue)
- Danes (Danes seigneur de Moncal)
- Barrau (Barrau seigneur de Fontbrune).
D’autres, plus modestes, se contentent de rajouter une particule devant leur nom, chose que l’on retrouve d’ailleurs parmi les plus modestes gens du peuple.
Autres personnes pouvant être qualifiées de notables, ou du moins faisant partie de la petite élite urbaine : les officiers domaniaux, ici officiers de justice, notaires, juges, sergents, greffiers royaux.
Les officiers
« Les protestants sont capables de tenir et exercer tous états, « dignitez », offices et charges publiques quelconques, royales, seigneuriales ou municipales et d’estre indifféremment receus et iceux » .
C’est ainsi que l’Édit de Nantes accorde aux Réformés le droit d’être officiers. Mais, d’année en année, le pouvoir souverain va les dépouiller des offices dont ils sont pourvus ou leur interdire l’acquisition de charges nouvelles. En 1680, les charges de notaires, greffiers, procureurs seront interdites aux protestants dans les fiefs religionnaires et refusées partout dès 1682 .
À Revel, ils sont 19 mentionnés sur les registres comme possesseurs d’un office :
- Pierre Cavailhe - notaire royal 1601 (date à laquelle il est mentionné pour la première fois)
- Isaac Gaillard - notaire royal, substitut de monsieur le procureur du roi 1603
- David Gaillard - notaire royal et avocat à la cour royale de Revel 1605
- Marc Duroy - notaire royal 1610
- Jean Chamayou - notaire royal 1611
- Alexandre Pömet - notaire royal 1611
- Anthoine Guillem - notaire royal 1627
- Pierre Cavailhe - notaire royal 1641
- Pierre Dumas - greffier 1610
- Guillaume Ramière - greffier 1613
- Jean-Jacques Reverdy - greffier 1663
- Gérard Durand - procureur 1611
- Abram Caire - procureur 1655
- Pierre Danes - juge royal 1625
- Hugues Chauvet - lieutenant en judicature royale 1658
- Paul Biarn - sergent royal 1618
- Pierre Dumas - sergent royal 1634
- Pierre Guittard - sergent royal 1662.
À cette liste on peut ajouter :
- Daniel Poitevin « conseiller du roy et son récepteur des tailles » au diocèse de Toulouse qui habite Revel où, de 1661 à 1676, il baptise 4 enfants et qui abjure en 1685 comme « ancien » conseiller du roi et receveur des tailles.
Autre receveur des tailles : Mathieu Verny, mais celui-ci est receveur des tailles au diocèse de Mirepoix et ne baptise à Revel qu’un enfant en 1668. Quant aux officiers ci-dessus cités, on peut remarquer que sur 19, 14 exercent leur office dans la première moitié du siècle. Il semblerait qu’ensuite l’office soit moins accessible aux Réformés, difficulté d’accès qui annonce l’interdiction de 1680.
Les hommes de loi
Si les avocats ne font pas défaut à Revel, ils sont 13, le peu de notaires publics est assez étonnant.
En effet, alors que le notaire est un des personnages centraux de la vie du bourg on ne trouve à Revel que 3 notaires publics sur les divers registres :
- David de Robert : mentionné pour la première fois en 1625
- Pierre Rieux : mentionné pour la première fois en 1655
- Jacob Bourgues : mentionné pour la première fois en 1664.
Quant aux avocats, on l’a dit, ils sont bien présents à Revel et s’organisent en véritables dynasties de juristes :
Ainsi les Guillem : Gabriel Guillem - docteur et avocat 1633
Jacques Guillem - docteur en droit 1634
Jean Guillem - praticien 1648
Anthoine Guillem - avocat aux ordinaires 1659.
Il en est de même pour les Dumas, famille dont sont issus un notaire royal, un sergent royal et deux avocats.
Pour conclure en ce qui concerne les hommes de loi, on peut signaler la présence de 4 sergents ordinaires.
Quant au monde des notables, il ne serait pas complet si on ne citait les membres du corps de santé.
Docteurs en médecine, chirurgiens et apothicaires
Personnages se considérant comme des « artistes » et non comme des « méccaniques », ils sont nombreux sur les registres de Revel (27) :
- 8 maîtres apothicaires
- 6 apothicaires
- 7 maîtres chirurgiens
- 4 chirurgiens
- 2 docteurs en médecine.
Ici, comme pour les juristes, on a de véritables dynasties.
Ainsi la famille Maurel fournit 2 maîtres chirurgiens, un apothicaire et un chirurgien ; les Rivière donnent un maître chirurgien et 2 chirurgiens. Les Auroux donnent eux à la communauté 3 maîtres apothicaires.
Mais, comme les avocats et les officiers, les apothicaires et chirurgiens réformés vont être de trop dans le royaume français et on va leur interdire d’exercer leur art .
Les marchands
Il y a, à Revel, un grand nombre de marchands huguenots : 167 sont recensés dans les différents registres, soit 18% de l’ensemble des catégories sociales.
Ceci n’a rien d’étonnant. Le marchand, de foires en marchés, de transactions en contrats, entre facilement en contact avec les idées nouvelles. De plus, très souvent alphabétisé pour des raisons professionnelles, il peut aller vers la Bible pour en recevoir le message qui s’adresse à tout chrétien sans trop de difficultés.
Cependant, pour un bourg comme Revel relativement pauvre en archives à ce sujet, un problème se pose. Ces hommes qui se disent marchands sont-ils « honorables hommes ou honnestes personnes et bourgeois des villes » ou bien de simples trafiquants de villages ?
Sans preuves réelles, on ne peut se borner qu’à une remarque : par ses mariages, ses présences au consistoire (étudiées plus tard), le groupe social des marchands apparaît comme un groupe mouvant qui n’a que de fragiles frontières entre notabilité et artisanat.
Quant au terme « marchand », on peut avoir, grâce aux indices donnés par certains greffiers scrupuleux, une idée plus précise de ce qu’il désigne. Ainsi pour 167 marchands on a :
- 8 marchands chaussatiers (fabricant et vendeur de chausses, souliers et autres chaussures)
- 5 marchands teinturiers
- 3 marchands tisserans (tisserands)
- 3 marchands brodeurs
- 3 forgerons marchands
- 2 marchands couturiers
- 2 hostes marchands (aubergistes)
- 1 marchand drapier
- 1 marchand cordonnier
- 1 marchand cordier
- 1 marchand droguiste
- 1 marchand courroyeur (corroyeur : ouvrier qui apprête le cuir)
- 1 marchand mangonnier (en Languedoc, poissonnier)
- 1 marchand de foires.
On le voit, si le terme de marchand s’applique le plus souvent au monde de l’étoffe, il est des forgerons et même des hostes qui se font appeler ainsi. L’appellation n’est donc pas réservée à tous ceux qui font commerce de draps ou de toiles mais aussi aux vendeurs d’outils, de souliers et même aux aubergistes. Il n’en reste pas moins évident que beaucoup de marchands réformés sont directement liés à la manufacture textile. À ceci une raison : toute ville de l’Ancien Régime renferme un certain nombre de boutiques, d’artisans, de petits patrons, d’ouvriers, de marchands dont l’activité consiste à satisfaire les besoins essentiels des habitants. De plus, le commerce est particulièrement développé dans cette région du Lauragais proche de centres manufacturiers tels Carcassonne qui, dans la première moitié du XVIIème siècle, exporte des draperies fines ou encore Mazamet, plus spécialisée dans les draps grossiers pour clientèle plébéienne .
Revel fait donc partie d’un réseau où circulent facilement hommes, marchandises et idées.
. Université Toulouse le Mirail, Maîtrise d'histoire moderne
sous la direction de madame Garrisson-Estèbe.
. Rabaud (c) : Histoire du protestantisme dans l'Albigeois et le Lauragais, de son origine à 1685, Paris, Fischbacher, 1873 p.410.
. Bels (P) : Le mariage des protestants français jusqu'en 1685, Paris, librairie générale de droit et jurisprudence, 1968 p. 196.
. Cité dans Delumeau (J) : Naissance et affirmation de la Réforme, série, nouvelle Clio, 1973 P.190.
. Ce résumé de l'histoire religieuse de Revel au cours du XVIIème siècle est essentiellement basé sur les renseignements donnés par Doumerc (G) : Histoire de Revel en Lauragais, Albi, presses de l'O.S.J. 1976.
. Gachon (P) : Quelques préliminaires à la révocation de l'Édit de Nantes en Languedoc, Toulouse, Privat, 1899 p 185.
Chapitre 2
Les couches populaires.
Les artisans
Maîtres et compagnons (91 maîtres et 462 ouvriers), ils sont 553 artisans soit 60% des métiers ou catégories sociales recensés.
Hommes nés du peuple, n’ayant pas laissé de témoignage écrit à ce sujet, on ne peut savoir exactement pour quelles raisons ils abandonnèrent le Catholicisme et firent leurs les austères préceptes de Calvin. Huguenots enracinés dans leur foi, on les imagine vivant à l’heure du temple et de l’ouvroir. Pour eux, comme d’ailleurs pour leurs coreligionnaires de toute catégorie sociale, il ne saurait être question de quelques modestes joies volées à un quotidien souvent rude. Le consistoire veille : pas de danses, pas de déguisements, pas de taverne et 310 jours de travail alors que les catholiques, avec les fêtes, « n’en n’ont que » 260 . À ces contraintes vont s’ajouter les brimades du pouvoir qui va accabler l’artisan huguenot dans l’organisation même de sa corporation.
En effet, résultat logique d’un durcissement politique vis-à-vis de la communauté huguenote, un arrêt du 22 décembre 1682 réduit au tiers le nombre de maîtres et artisans réformés, même dans les communautés où leur métier n’est pas soumis au régime corporatif, même dans les plus chétifs hameaux ou les métiers rudimentaires ne sont représentés que par quelques ouvriers, même, comme c’est le cas à Revel, quand la communauté est à majorité réformée .
On a ainsi voulu démanteler un groupe social parmi les plus fidèles à la Réforme. Ce groupe, on peut le diviser en 5 catégories :
- artisans du textile
- artisans du cuir
- artisans de la métallurgie
- artisans de l’alimentation
- artisans de la construction.
Et enfin quelques-uns qu’on ne peut classer dans aucun de ces groupes : les voituriers. On trouve même, en février 1672, un certain Jacques Causse employé aux travaux du Canal Royal (ce qui n’a rien de surprenant Revel ayant fourni un grand nombre d’ouvriers à l’entreprise de Paul Riquet ).
À cette énumération il faut ajouter quelques ouvriers d’art, artisans que l’on rangeait parmi les « gens méccaniques » mais considérés comme supérieurs dans la hiérarchie des métiers .
Les métiers d’art
On relève deux sortes de ces « mestiers » moitié « mécaniques », moitié art :
- les orfèvres dont la plupart travaillaient l’or :
. Jean Calvet : 1612
. Jean Sicard : 1613
. Jean Segonne : 1630.
- les potiers d’étain qui se distinguent des potiers de terre, plus « vulgaires ».
À Revel, cet art est représenté par une famille : les Campmas :
Bertrand, natif de St-Papoul, s’installe à Revel et y baptise 14 enfants de 1636 à 1655. En 1671 on retrouve Paul, un de ses fils, lui aussi potier d’étain et Antoine, autre fils potier qui abjurera en 1685.
Les artisans du textile
Ils sont nombreux et c’est normal : l’étoffe est l’essentiel de la production artisanale en ce XVIIème siècle . À Revel, ce sont les laines d’Aragon qui sont transformées en drap et, du peigneur de laine au maître tailleur, compagnons et maîtres huguenots travaillent le drap. Ces maîtres et ouvriers, la précision du greffier enregistrant les professions des pères ou maris nous a permis de les distinguer :
- artisans de la laine et du lin proprement dit (126 soit 22% du nombre total d’artisans) :
- compagnons peigneurs de laine : 11 / maîtres : 4
- compagnons cardeurs de laine : 4
- compagnons tisserands de draps : 69 / maîtres : 5
- compagnons tisserands de rases : 5 / maîtres : 2
- compagnons tisserands de toile : 4
- compagnons pareurs de draps : 11 / maîtres : 3
- compagnons teinturiers : 6 / maîtres : 2 .
À ceux-là il faut ajouter les cordiers (7 ouvriers, 3 maîtres), artisans fabriquant des cordes à partir de fibres de chanvre.
Artisans du vêtement :
103 soit 18,6% du nombre total d’artisans :
- compagnons passementiers : 3 / maître : 1
- compagnons tailleurs d’habit : 25 / maîtres : 16
- compagnons couturiers : 36 / maîtres : 3
- compagnons bonnetiers : 9 / maîtres : 4
- compagnons chapeliers : 8 / maîtres : 2
- compagnons chaussatiers : 6 / maîtres : 2.
Pour tirer ces artisans de l’anonymat, on peut préciser quelques patronymes qui reviennent le plus souvent, donnant ainsi l’impression que l’artisanat a aussi ses dynasties :
- les Paralongue : Paul 1622 - Pierre 1629 - Anthoine 1655 - à nouveau Paul 1673 sont tous chapeliers
- les Garrigue : Bernard 1612 - Moyse 1633 - Anthoine 1639 - Bernard 1645 - Ramond 1677 sont tous maîtres tailleurs.
L’autre grande catégorie d’artisans : les artisans du cuir.
Les artisans du cuir
Parmi eux une grande majorité de cordonniers : 73 ouvriers et 9 maîtres. Mais ici, encore une fois, rien d’étonnant. Le cordonnier sait être présent dans les grands moments de l’Histoire, qu’ils soient religieux ou politiques : une attitude ouverte vis-à-vis des idées nouvelles, confirmée par la présence de ces 82 cordonniers au sein de la communauté protestante ; 82 cordonniers, c’est à dire 15% du nombre total d’artisans. Mais le monde de l’artisanat du cuir est représenté par d’autres artisans :
- compagnons : courroyeurs : 22 / maîtres : 3
- compagnons : blanchers : 11 / maître : 1
- compagnons : gantiers : 3 / maître : 1
- compagnons : celliers : 4 / maître : 1 (parfois appelés voleurs)
- compagnons : bastiers : 5 / maîtres : 2.
En tout 145 artisans du cuir dont il faut considérer que certains sont itinérants, leurs métiers les obligeant en saison agricole à aller de fermes en hameaux réparer bâts et harnais des animaux, tabliers des paysans . D’autres artisans sont, par leur métier, contraints de prendre souvent la route ; il s’agit des artisans de la métallurgie et ceux de la construction.
Les artisans de la métallurgie
Indispensables au travail agricole, nombre de charrons, maréchaux de forge, forgerons, serruriers ont été touchés eux-aussi par la Réforme. Ils sont 59 à Revel (10,5% du nombre total d’artisans) :
- compagnons - maréchaux de forge : 18 / maîtres : 4
- compagnons - charrons : 14 / maîtres : 3
- compagnons - forgerons : 6
- compagnon - talandier (taillandier) / maître : 1
- compagnons - serruriers : 8 / maîtres : 2
- compagnons - armuriers : 3.
Quant aux artisans de la construction, ils se répartissent ainsi (40) :
- compagnons - maçons : 11 / maîtres : 4
- compagnons - charpentiers : 12 / maîtres : 5
- compagnons - menuisiers : 6
- compagnons - « thuilliers » : 2.
Il reste enfin ceux que nous appellerons « artisans de l’alimentation » parmi lesquels on trouve « l’hoste », l’aubergiste, en tout 67 :
- bouchers : 16
- meuniers : 16 / maîtres : 2
- hostes : 14
- fourniers : 8
- boulangers : 7 / maîtres : 4.
Enfin, inclassables dans ces catégories, les voituriers au nombre de 1.
Les brassiers
Plus que rural, pour définir ce groupe qui a aussi donné des disciples à la Réforme mais en proportion nettement inférieure à celle des notables, des marchands et des artisans, il faut employer le terme de semi-rural. Bien sûr, on va le voir, il y a quelques laboureurs (manouvriers à l’année) plus sédentaires que les brassiers et travailleurs, eux non attachés à une métairie et qui, habitant Revel, franchissent les murs de la ville pour aller vendre leurs bras ; mais ils sont minoritaires et on peut dire que, dans l’ensemble, ces hommes (94 sur les registres) sont des urbains qui travaillent à la campagne.
Cependant, pour être plus précis, on peut établir un classement grâce aux indications données par le greffier du consistoire :
- 39 portent la mention brassier de Revel ou habitant de Revel
- 3 se disent brassiers du Mas Saintes-Puelles
- 2 laboureurs dans métairie de Paleville
- 1 laboureur dans métairie du consulat de Sorèze
- 1 laboureur dans métairie du Falga.
Trois autres laboureurs n’ont pas donné de précisions quant à leur domicile, comme n’en ont pas données les 45 brassiers ou travailleurs qui ont apporté un ou plusieurs enfants au temple de Revel : 19 n’en ont déclaré qu’un seul, 26 plusieurs. Monde semi-rural, monde itinérant, la paysannerie huguenote existe à Revel mais fait figure de minorité face au groupe des artisans, marchands et notables. Parce que la société protestante a ses paysans, mais en a peu, on peut déjà dire qu’elle n’est en aucune façon une réduction de la société globale, elle, à majorité écrasante rurale.
Les servantes
Si on connaît le rôle important que tient la femme huguenote au sein de la famille en tant qu’épouse et éducatrice , le premier rôle est néanmoins dévolu au mari dont la supériorité est indiscutable en tant qu’homme. La femme donne l’impression de n’exister que par rapport au père ou au mari ; il n’y a pas de femmes couturières ou bourgeoises, il n’y a que des filles de couturier ou des femmes de bourgeois.
Jamais un métier, un état, ne définissent le statut social de la femme sauf en ce qui concerne une catégorie bien spéciale : les servantes. Ces servantes, on a pu en retrouver la trace grâce à la liste des nouveaux convertis. Jusque-là jamais leur nom n’avait été mentionné dans les différents registres. Peut-être perdaient-elles leur « métier » en se mariant ou bien la plupart d’entre elles ne se mariaient-elles pas, restant fidèles à la famille qui, semble-t-il, les employait très jeunes. On en a retrouvé 8 :
- Jeanne Vaissière, demeurant pour servante chez Bernaduque, maître tailleur
- Marie Moussoulier, 15 ans, de Saverdun, servante de Dumas, maître apothicaire
- Jeanne Bergère, 18 ans, servante de maître Rollande, bourgeois
- Jeanne Poux, 20 ans, de Mazères, servante du sieur Donlhac, chapelier
- Margot Conques, 15 ans, de Mazères, servante du sieur Mouisset
- Gabrielle Andrieu, de St-Rome, servante de demoiselle Duroy
- Paule Barouque, native de Mazères, servante de Fauré, bourgeois
- Marquise Marty, 22 ans, demeurant au service du sieur Brun, bourgeois.
Jeunes et étrangères à la ville où elles sont employées, voilà comme se présentent ces femmes de condition modeste qui, somme toute, elles aussi n’existent que par rapport à leur employeur dont on n’oublie jamais de mentionner le nom.
Conclusion
Après cette étude de la composition sociale du groupe protestant de Revel, une question s’impose en conclusion : cette société est-elle, en réduction, l’image de la société globale du XVIIème siècle ?
Cette société globale du XVIIème siècle, et plus généralement de l’Ancien Régime, se caractérise par la prédominance écrasante d’un groupe social, la paysannerie ; c’est pourquoi, empruntant une définition de Pierre Goubert, on peut affirmer que c’est « une société rurale qui s’organise en fonction de la terre » . Face à ce monde, paysan à plus de 85% , il y a le bourg, la ville. Là sont concentrés les 15% de Français qui vivent dans les cadres urbains : hommes d’église, bourgeois, juristes de tout ordre, médecins, marchands et toute une foule d’artisans enchevêtrés dans un dédale de communautés professionnelles. À ceux-là il faut ajouter nombre de semi-ruraux, brassiers vivant dans le bourg mais allant vendre leur travail à la campagne. Notables cossus, intellectuels, maîtres de « mestiers », compagnons, paysans sans terre, c’est là que la Réforme va trouver ses disciples ! Et c’est ici que l’on peut affirmer que la société protestante diffère, en ce XVIIème siècle, de la société globale.
Certes elle a ses paysans et la formule de Le Roy Ladurie « cardeur huguenot, paysan papiste » doit effectivement être nuancée . Des paysans huguenots vivent autour des grands centres protestants comme Montauban, Castres, Nîmes et autour de bourgs d’envergure plus modestes comme c’est le cas de Revel. Mais on ne peut affirmer être en présence d’une société rurale. Négation que vient renforcer l’exemple revélois : sur les 919 métiers, arts ou statuts sociaux mentionnés dans les registres seulement 94 (9,7%) sont identifiés comme laboureurs ou brassiers. Nous sommes bien loin des 85% estimés par Pierre Goubert ! Comme nous sommes loin de l’opinion souvent professée d’une communauté protestante où prédominent le bourgeois et le marchand usurier, marchand qui ne saurait être qu’huguenot car « l’usure est fille d’hérésie » !
Il est vrai que ces deux catégories sociales ont fourni de nombreux adeptes aux idées nouvelles et ceci en partie grâce à leur niveau culturel qui leur a permis de mieux accéder à la Bible. Mais on ne saurait définir le huguenot que par son appartenance à une élite sociale. Les protestants ne sont pas tous des notables . Dans le cas de Revel, plus que le monde des notables c’est celui de l’artisanat qui se présente comme le véritable vivier de la Réforme.
Maîtres et ouvriers confondus, ils représentent 60% des diverses catégories socio-professionnelles relevées sur les registres de 1610 à 1685.
Tisserands, cordonniers, meuniers, artisans du cuir, du textile ou autre : c’est tout un « petit » peuple acquis à la religion de Calvin.
Le fonctionnement de la communauté
Les chapitres qui vont suivre visent à nous faire entrer non seulement dans le quotidien civique, culturel et religieux de la communauté mais aussi à en voir l’originalité.
Comment les protestants participent à la vie de leur cité, comment s’organise leur église, quelle est leur attitude face au mariage et au baptême, quel est le rôle de la culture dans la mentalité huguenote ? C’est par l’exemple de Revel que nous allons essayer de répondre à ces questions.
Chapitre 3
Cadres civiques et religieux.
États consultatifs et Réformés
Depuis 1598 les protestants ont des droits politiques, ils peuvent ainsi assister aux assemblées légales : assemblée des États et assemblée des assiettes ou diocésaine. Ces États qui ont gardé le vestige d’une autonomie provinciale puisqu’ils soldent le montant des impôts royaux et en règlent la répartition, permettent aux protestants d’être plus que de simples contribuables et d’avoir une part de discussion et de contrôle sur l’administration financière. Malheureusement, au regard du pouvoir, les huguenots vont être de trop dans ces assemblées. Rejetés des États en 1645 et des Assiettes en mars 1663, il ne leur reste plus qu’une forme de participation à la vie civique : le consulat.
Les consuls, personnages à chaperons, manteaux ornés et bâtons ouvragés, possèdent l’administration locale, la juridiction qui s’y rattache et les surveillances et maniement des deniers dont le pouvoir royal permet encore l’usage aux municipalités. Ils interviennent aussi dans les questions d’assistance et d’instruction publique et dans la répartition, sur leur ville, des contributions générales. On comprend ainsi combien il est important pour une communauté d’y avoir ses représentants.
Or, en octobre 1631, le roi institue dans les villes à majorité protestante le régime du consulat et des conseils de ville mi-partis : un premier rang pour un consul catholique, avec alternance réformés, catholiques, pour les rangs suivants .
Cependant, encore une fois, on va considérer que les protestants sont de trop dans ces assemblées municipales et dès 1679 l’intendant Daguesseau peut se féliciter de la « résolution que sa Majesté a prise de rendre tous les consultants catholiques » .
Originalité du Consulat de Revel
C’est à cause de ses démêlés avec un petit village voisin que Revel eut, de 1631 à 1679, un consulat à majorité protestante. En effet le village de Dreuilhe, dépendant de Revel, supportait mal les charges que son adjonction à ladite ville lui imposait. Il chercha donc au début du XVIème siècle à se soustraire au paiement des sommes imposées à tous les habitants du consulat pour les affaires de la ville. Mais les diverses tentatives de s’en affranchir en formant une communauté séparée furent infructueuses. Revel, néanmoins, fit une concession : le 4ème consul de la ville serait toujours pris parmi les habitants de Dreuilhe. Et lorsqu’en 1631 le consulat mi-parti fut institué à Revel, le consul de Dreuilhe devint le second catholique. Négligence ou éloignement, le second consul ne venait guère aux délibérations municipales, faisant ainsi du consulat de Revel un consulat à majorité protestante .
Composition sociale
du Consulat protestant de Revel
Une liste conservée aux archives départementales nous permet de connaître quels furent, de 1631 à 1679, les consuls huguenots à Revel. Tous ces hommes ont pu socialement être identifiés et, de façon évidente, c’est le marchand qui est le plus présent dans cette liste.
Sur 71 consuls (certains sont élus plusieurs fois) on a :
- 32 marchands
- 21 bourgeois
- 7 hommes de loi dont 3 avocats, 3 notaires et un greffier
- 5 nobles
- 5 apothicaires
- 1 chirurgien.
Mais la participation des protestants au conseil de ville n’aura qu’un temps puisque, par un arrêt du conseil privé du roi du 4 décembre 1679, on supprima le consulat mi-parti.
Suppression du dernier droit civique
« Le roy ayant esté informé des grandes divisions et désordres qu’il y a toujours eu dans cet hostel de ville de Revel au diocèse de Lavaur et la mauvaise administration de cette communauté causée par les habitants de la R.P.R. de ladite ville. Lesquels estan en plus grand nombre que les Catholiques, ont toujours faict prendre des délibérations contraire au bien public et désavantage des Catholiques, a quoi estant nécessaire de pouvoir en n’admettant d’hores et avant au consul et conseil politique que des personnes faict dans plusieurs villes du Languedoc, sa Majesté estant en son conseil a ordonné que les habitants de ladite ville de Revel faisant profession de ladite R.P.R. seront exclus pour toujours du consulat et conseil politique dudit Revel.
Ce faisant, il ne sera admis au consulat et conseil politique dudit Revel que des personnes faisant profession de la religion catholique apostolique, et romaine et pour la première fois sans tirer à con- séquence Sa Majesté a nommé et nomme pour consuls de ladite ville de Revel et membres du conseil politique... » .
Ce texte, à l’évidente mauvaise foi lorsqu’il explique qu’il n’y aura plus de consuls protestants parce que cela nuit au bien public catholique, est l’illustration parfaite de la volonté d’un pouvoir royal qui harcèle la communauté huguenote dans tous ses droits et qui ainsi prépare la Révocation de 1685 ; car il ne semble pas qu’il y ait eu de graves différends entre les deux communautés qui ont des intérêts communs dans la gestion de leur ville. En ce qui concerne les affaires religieuses, ne participe aux délibérations et vote que le parti confessionnel concerné. Ainsi, comme seuls les catholiques ont voté pour l’entretien de la maison presbytérale au cours d’un conseil de ville, lorsqu’il s’agit de l’élection du régent protestant seuls votent les consuls et conseillers huguenots .
Ceci nous amène à étudier le fonctionnement de deux cadres importants de la communauté : l’école et l’hôpital.
L’école et l’hôpital
« Une des choses qui retient le plus les huguenots dans leur croyance est la quantité d’instruction qu’ils reçoivent dans leur religion et le peu qu’ils en voient dans le catholicisme ».
Cette phrase écrite par Daguesseau, intendant du Languedoc, à Pierre Pélisson résume bien l’état d’esprit des autorités protestantes face à l’éducation . Car c’est dans l’écriture que le protestant trouve sa foi. Comme le judaïsme, le protestantisme est la religion du livre et c’est pour aller vers le livre que le maître d’école donnera un minimum d’instruction .
Or, Revel semble avoir eu une école de confession protestante dès le début du XVIIème siècle. On trouve en effet, en 1602, le mariage de Marguerite Besier, fille du régent et écolier de Revel. Ensuite c’est Dominique Catel qui, à partir de 1625, est mentionné comme père de plusieurs enfants baptisés entre cette date et 1639 et dont on a noté la profession : régent et chantre de l’église (il est très courant que les deux fonctions soient remplies par le même homme).
Une délibération du conseil municipal, datée de janvier 1666, nous donne de plus amples informations quant à ce maître ; au cours de la séance, le sieur de Pairin, consul de la R.P.R., propose à la fonction de régent un dénommé Bernac, ceci après avoir stipulé que le consistoire a déjà approuvé cette nomination. Or, les catholiques ne prenant pas part à une question purement confessionnelle, l’enregistrement du choix consistorial par le conseil de ville ne se fait qu’après délibérations des seuls conseillers religionnaires.
Quant aux gages versés au régent par la communauté protestante, puisque c’est elle seule qui prend en charge ces dépenses après avoir conclu contrat devant notaire, ils sont ici élevés à 120 livres. Cette somme, comparée aux 80 livres que reçoivent les régents catholiques en Provence en 1696 (10) paraît très élevée mais peut s’expliquer par l’importance numérique des fidèles (plus de 1000) dont provenaient les fonds financiers destinés à l’entretien non seulement du ministère mais aussi des fonctionnaires tels que le concierge et bien sûr le régent.
De plus, comme on l’a dit, l’école est la source indispensable de l’éthique protestante et le pouvoir le sait bien puisque c’est elle qui est visée. Même s’il est libéral dans son maintien et qu’il laisse encore, en 1680, quelques petites écoles où on apprend « à lire, écrire et l’arithmétique », le pouvoir sait que cette source se tarira avec le culte car, selon l’Édit, l’existence de l’école est subordonnée à la permission de l’exercice religieux et celui-ci est de plus en plus restreint.
Autre institution qui subira les tracasseries du pouvoir : l’hôpital.
L’Hôpital
L’hôpital protestant a le droit d’exister, l’article 42 de l’Édit de Nantes le légitimise et autorise les donations et legs faits aux pauvres de la religion réformée par leurs coreligionnaires . Il est même des hôpitaux mixtes où on accorde l’hospitalité aux fidèles des deux confessions et c’est le cas de l’Hôtel Dieu de Revel dont on connaît l’existence grâce à un litige qui oppose chirurgiens catholiques et chirurgiens protestants.
En effet, ces derniers (en 1666) ayant proposé leur service gratuit pour soigner les pauvres dudit hôpital se heurtent au refus des chirurgiens catholiques et du bailli. Ils portent alors l’affaire devant les consuls et conseillers qui approuvent la proposition protestante et imposent « aux malheureux » chirurgiens catholiques de travailler eux aussi sans honoraires.
Mais, peu à peu, les Réformés ne vont plus pouvoir prendre part à l’administration hospitalière et, à Revel, on va obliger le consistoire à attribuer les biens meubles et immeubles qui lui ont été légués, non seulement aux pauvres réformés mais aussi aux pauvres catholiques.
Quant à l’ambiance de ces établissements mixtes, il est facile de l’imaginer : véritable foire d’empoigne, pasteur et curé s’y disputaient les âmes agonisantes, heureux, lorsqu’après la mort d’un pauvre hère, ils pouvaient mettre sur son acte de décès « sur son décès mourut en la religion réformée » ou en la « religion catholique ».
Mais, bien entendu, le rôle du pasteur ne se borne pas à convertir « in extremis » quelques pauvres âmes.
Les protestants dans l’église
Guide spirituel de la communauté, le pasteur qui baptise et donne la communion n’a pourtant pas ce rôle quasi surnaturel du médiateur entre Dieu et les hommes que les fidèles catholiques donnent au prêtre. Pour les protestants le sacerdoce est universel. Néanmoins la communauté a besoin de pasteurs et ceux-ci sont reconnus par l’Édit de Nantes dont un brevet engageait l’État à payer une partie de leur traitement (45.000 écus). La clause n’ayant jamais été observée, ce sont les legs et contributions des fidèles qui assurent leur subsistance .
À Revel, au travers de quelques renseignements donnés par les registres où parfois est noté le nom de celui qui baptise ou marie, on peut relever, de 1600 à 1685, le nom de ces pasteurs et ainsi reconstituer la succession de leur passage comme « ministre du Saint Évangile en l’église chrestienne et réformée de Revel », ceci sans toutefois donner de date précise de leur arrivée et de leur départ.
Ont été mentionnés comme pasteurs à Revel :
- Guillaume Espinasse Cadet 1600-1612
- Jean Cezaux 1612
- Pierre Gaillard
- Jean Vialas
- Guillaume Bonnafous
- Jean-Louis de Jaussand et juges ; ils exercent leur ministère en même temps
- Isaac Lourens
- Guillaume Quinquiry et Isaac Lavergne : tous deux exerceront aussi leur fonction en même temps et sont les deux derniers ministres tolérés à Revel de 1675 à 1685.
On a très peu d’indications concernant ces hommes sauf pour Jean-Louis de Jaussand et Guillaume Quinquiry.
Jean-Louis de Jaussand est l’illustration parfaite du pasteur issu de bonne famille. Fils de Louis (d’Uzès) qui mourut conseiller à la chambre mi-partie de Castres, il a deux frères : le premier hérite du siège à la chambre de l’Édit, le second est avocat.
Lui-même étudie à Genève, exerce à Gergeau d’où il passe à Castres.
On le retrouve (1660) vice-modérateur du synode provincial de Millau puis, la même année, au synode national de Loudun qui le nomme à la commission de censure.
En 1663, éloigné de Castres par un arrêt du conseil, il exerce son ministère à Nîmes en 1664-1665. En 1668, le 13 septembre, il assiste comme ministre de Revel au synode provincial de Saint-Antonin et en est élu modérateur. En vain sollicite-t-il du roi sa rentrée à Castres, on le retrouve (1671-1674) pasteur à Blauzac.
Cependant, en 1674, il figure comme pasteur de Castres au synode de Millau et dès lors reste à Castres jusqu’à la Révocation .
Quant à Guillaume Quinquiry , emprisonné au moment de la Révocation à la conciergerie des Hauts Murats à Toulouse par arrêt du parlement du 26 janvier 1686, il s’exile comme son collègue Isaac Lavergne dont on retrouve la signature sur un acte de 1686, acte émanant des Églises des Pays-Bas .
Jusqu’ici nous avons été en présence de pasteurs exerçant leur ministère de façon régulière à Revel mais il existe aussi des pasteurs qui ne sont que de passage dans la ville et qui, à l’occasion, célèbrent des mariages ainsi :
- 1604 : mariage célébré par un pasteur de Caraman
- 1612 : mariage célébré par un pasteur d’Anglès
- 1623 : mariage célébré par un pasteur du Mas Saintes-Puelles
- 1632 : mariage célébré par un pasteur de Mazères
- 1643 : mariage célébré par un pasteur de Lacrouzette
- 1660 : mariage célébré par un pasteur de Montauban,
d’où l’impression d’une certaine mobilité du corps pastoral. Cette mobilité est entravée, dès 1667, par un arrêt du Conseil du 24 octobre qui assigne les pasteurs à résidence fixe et leur interdit ainsi de prêcher en d’autres lieux que celui désigné par les synodes dont les décisions sont contrôlées par l’autorité royale. Cette mesure fut complétée, quelque temps plus tard, par l’interdiction faite aux ministres d’exercer plus de 3 ans dans le même endroit .
Cette interdiction ne fut apparemment pas suivie car, comme on peut le voir à Revel, Lavergne et Quinquiry, les deux ministres en place en 1685, l’étaient depuis 1676, date à laquelle leur nom apparaît pour la première fois sur les registres. Autre personnage très important au sein de la communauté huguenote et dont le rôle est complémentaire de celui du pasteur : l’ancien.
Consistoire et anciens
Assemblée dont les membres sont renouvelés par cooptation le consistoire est, au sein de la communauté, le représentant et le gardien de l’ordre moral protestant. Car, s’ils ont un rôle financier (ils gèrent les deniers du temple) et d’assistance, les anciens ont aussi un rôle de surveillance quant à la bonne application de la morale calviniste.
Leur tribunal des mœurs que préside le pasteur est là pour sanctionner toute entrave au bon fonctionnement d’une société dont la morale est faite de mesure et d’ordonnance ; pas de jeu, ni de chanson, ni de danse, pas de fard, ni de cheveux longs, vagabonds et prostituées sont traqués, le pauvre est blâmé, coupable de se complaire dans son état .
À Revel, le nom des anciens nous est connu par la signature qu’ils apposent au bas des actes de naissance, décès ou mariage, ceci à partir de 1676 jusqu’en février 1685. Avant, leur signature est là aussi (elle est obligatoire depuis 1667 pour les actes de mariage) mais les registres sont incomplets. Voici donc le nom des anciens et leur qualité sociale durant ces 9 ans. Étant très difficile de discerner quand commence et quand finit leur mandat, cette liste n’est pas datée et vise seulement à donner un aperçu de l’échantillon social représenté par ces anciens.
À côté il nous semble utile de mentionner leur âge en 1685, c’est-à-dire tel qu’ils l’ont déclaré lors de leur abjuration. Comme on peut le voir, le terme d’anciens désigne des hommes à nos yeux relativement jeunes :
- Paul Auraux : marchand - 42 ans
- Jacques Mouisset : marchand - 60 ans
- Pierre Gouttes : maître apothicaire
- Pierre Marty : marchand
- David Mailhe : marchand
- Jacob Bourgues : avocat
- J.J. Reverdy : greffier - 45 ans
- Jean Teste : bourgeois
- Jean Ducers : bourgeois
- François Bousquet : maître chirurgien
- François Dessus : marchand
- Guillaume Lahrom : bourgeois
- Jacob Robert : bourgeois - 63 ans
- Jean Ferriol : marchand
- Jean Séverac : marchand - 45 ans
- Jacques Pons : marchand
- Pierre Roberty : docteur en médecine
- Jacques Donlhac : marchand - 65 ans
- Guillaume Espinasse : bourgeois - 41 ans
- Anthoine Reynauld : maître courroyeur
- Jean Delmas : marchand - 46 ans
- David Teste : bourgeois - 47 ans
- Jean Desplats : marchand chaussatier - 46 ans
- Ordéon Pommarède : maître apothicaire - 41 ans
- David Bernaduque : marchand « tincturier » - 50 ans
- Pierre Pagès : marchand - 35 ans
- Paul Maury : marchand
- Anthoine Barrau : marchand - 66 ans
- Étienne Azemas : marchand
- Jean Daïdé : marchand.
Soit 17 marchands, 2 maîtres apothicaires, 6 bourgeois, un maître chirurgien, un docteur en médecine, un greffier, un avocat et seul représentant d’une catégorie sociale moins élevée, un maître « courroyeur ».
Il est donc évident qu’à une majorité écrasante le consistoire recrute ses membres parmi les marchands (classe intermédiaire, on l’a vu, entre notabilité et artisanat) et les notables. Mis à part le maître courroyeur, le petit peuple n’est guère représenté au sein de l’assemblée.
Chapitre 4
Comportements religieux et culturels.
Le Baptême
Conception protestante du sacrement du baptême
Sacrement fondamental pour les catholiques puisqu’il lave le péché que tout être humain porte en lui à sa naissance, le baptême ne revêt pas la même signification au regard de la doctrine calviniste. Force accordée au fidèle pour persévérer dans la grâce divine qui lui a été donnée, il n’est cependant en aucune façon un moyen d’obtenir celle-ci. Le salut du protestant n’est pas tributaire d’un sacrement . De cette conception découle, vis-à-vis de la mort des enfants non baptisés, une attitude plus sereine que ne l’est celle des catholiques.
En effet ces derniers ont peur face à la mort de leurs nouveau-nés non baptisés. Hantés par l’idée que ces enfants puissent être privés de vie éternelle, ils respectaient scrupuleusement les indications du Concile de Trente qui conseillait d’imposer les enfants le plus tôt possible.
Ces scrupules religieux poussaient les parents à faire baptiser le nourrisson dès sa naissance, le lendemain ou le surlendemain au plus tard, ceci afin d’éviter qu’un enfant mort sans sacrement soit condamné aux limbes, territoire indéterminé où errait éternellement l’âme du petit enfant. Or, et on va le voir en étudiant les détails entre la naissance et le jour du baptême des enfants protestants, la notion de limbe semble s’être largement estompée des mentalités huguenotes.
Disparition de la notion de limbes
Cette étude porte sur 3 périodes : 1620 - 1624, 1665 - 1669 et 1677 - 1685. Ce choix a été retenu afin de voir s’il y a eu évolution entre le début et la fin du siècle, un décret synodal - synode tenu en 1676 à Sancerre - rappelant « à tous ceux qui auront des enfants à baptiser de les faire apporter au temple pour leur administrer le baptême le jour d’exercice le plus prochain de leur naissance sous peine d’être grièvement censurée ».
. Pour définir et classer les différents métiers qui vont être cités dans ce chapitre, nous avons utilisé I’ouvrage de Cayla (P) : Dictionnaire des institutions, des coutumes et de la langue en usage dans quelques pays de Languedoc de 1635 à 1648, Montpellier, Paul Deham imprimeur, 1964, p. 724.
. Le pareur travaille sur les pièces qui lui sont confiées, il renoue les fils brisés et épluche la pièce.
. À cause de la valeur des chaudrons et des cuves qu’il employait pour teindre, le maître teinturier faisait partie de l’élite des métiers.
. La différence entre couturier et tailleur est assez difficile à faire, les 2 termes étant parfois utilisés pour un même homme.
. Le blancher est effectivement un artisan du cuir dont le travail se rapproche de celui du gantier. Cet artisan exerce son activité dans l'apprêt et l’utilisation des peaux de moutons, de chevreaux et de mort-nés.
. Falguerolles (G.E.de) : Paroissiens de l'Église Réformée de Puylaurens (1969-1973) R.B.S.H.P.P. avril, mai, juin 1966 p 136.
. Comme la liste des consuls, ce texte daté du 4 décembre 1679 se trouve dans le registre GG 2 E 2266.
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Années 1620-1624 |
Années 1665-1669 |
Années 1676-1682 |
Délai entre naissance et baptême |
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Moins de 4 jours |
23% |
8% |
28% |
Entre 4 et 7 jours |
31% |
25% |
27% |
Entre 8 et 14 jours |
17% |
30% |
27% |
Entre 15 jours et 1 mois |
11% |
14% |
7% |
Plus d’un mois après la naissance |
1% |
3% |
/ |
Plus de 2 mois |
2 enfants |
/ |
/ |
Le jour même |
2 enfants |
3% |
8% |
Indéterminés |
16% |
12% |
5% |
Délai de présentation au baptême
C’est en comparant les différentes données du tableau que l’on comprend l’inquiétude des autorités religieuses : alors qu’en 1520 - 1524 ce sont 29% d’enfants qui sont baptisés sans tenir compte des prescriptions de Calvin qui voudraient que l’enfant soit présenté aux fidèles le dimanche suivant sa naissance, ce taux passe à 47% dans les années 1665.
Ceci s’explique en partie par la mobilité d’une certaine catégorie sociale de la population (brassiers ou itinérants) mais surtout par un détachement de plus en plus grand vis-à-vis des dangers d’une mort sans sacrement.
Détachement qu’accrédite l’absence de pratique de l’ondoiement ; à aucun moment le terme n’est employé dans les registres et il semble que l’interdiction faite aux médecins et aux sages-femmes de s’approprier la fonction de pasteur en baptisant les nouveau-nés en danger de mort ait été particulièrement suivie .
Cependant ce taux de 47% d’enfants baptisés 8 jours ou plus après leur naissance tombe à 34 % après 1676 tandis que 28% sont baptisés moins de 4 jours après.
Effets des prêches pastoraux afin de faire appliquer le « souhait » du synode de Sancerre ou défense d’une communauté face à un pouvoir qui laisse présager l’ultime brimade ? Les deux hypothèses sont à prendre en considération et un fait conforte particulièrement la dernière de janvier 1684 à mars 1685 (date des derniers baptêmes enregistrés) : sur 45 baptêmes dénombrés, 23 ont lieu moins de 4 jours après la naissance, 12 entre 4 et 7 jours, 3 entre 8 et 10 jours, 7 le jour même.
Traqués moralement, les protestants défient toutes les mesures prises contre eux en donnant au plus vite une identité religieuse indélébile à leurs enfants.
Les parrains et marraines
Autre différence avec l’esprit religieux catholique, la fonction du parrain. Si dans la religion de Rome le parrain est considéré comme un être ayant des liens spirituels très forts avec son filleul, le parrain huguenot est beaucoup plus considéré comme un témoin du baptême d’un être déjà élu que comme le guide spirituel d’un enfant qui gagnera son salut par ses œuvres. Le Protestantisme n’accorde que très peu d’importance au rôle des autres dans les relations d’un homme et de son Dieu. On peut cependant essayer de voir qui sont ces parrains et marraines nullement choisis au hasard.
Essayer de distinguer des liens familiaux entre les parrains, marraines et parents est très difficile car la parenté est très rarement mentionnée sauf dans le cas de très jeunes parrains, frères ou sœurs de l’enfant. Il faut donc, pour avoir une vue d’ensemble, se contenter de faire une étude à base de patronymes c’est-à-dire de considérer toute personne ayant le même nom que le père ou la mère comme parent de celui-ci ou de celle-ci.
De cette façon on s’aperçoit, sur un échantillon de 5 ans (1665 – 1670), que pour 116 parrains identifiés 73 appartiennent à la famille du père et 43 à la famille de la mère.
Quant aux marraines, les 76 « identifiées » appartiennent 45 à la famille de la mère et 31 à celle du père.
Il semble donc que le parrain soit plus fréquemment choisi dans la famille du père alors que le choix n’a pas de règle précise pour la marraine.
Ce qui est sûr, c’est que ce parrain ou cette marraine donne pratiquement toujours son prénom au nouveau-né. Ainsi, toujours pour la même période 1665 - 1669, sur 239 enfants 201 ont reçu le même prénom que leur parrain ou marraine, soit 84%.
Les prénoms
Patriarche, roi ou prophète, Abraham, David ou Jérémie, certains prénoms jusqu’ici exclusivement portés par les fils d’Israël - autre peuple élu - vont devenir signe de reconnaissance pour ces huguenots fiers de leur différence. Car « il y a toujours dans un prénom de ce genre un signe de réforme et les protestants le savent. Imprégnés de culture biblique, ils vont donner à leurs enfants des prénoms qui, bien que tirés de la Bible, n’en sont pas pour autant auréoles de sainteté au regard des catholiques ».
Ces prénoms bibliques issus de l’Ancien Testament les voici :
- Prénoms masculins :
Isaac, Daniel, Samuel, David, Moïse, Gabriel, Amos, Nathanaël, Abel, Aron, Salomon, Josué, Élie, Nephtaly, Zachée, Joseph, Jacob, Abraham.
En ce qui concerne ce dernier prénom, il est à remarquer qu’il est aussi orthographié Abram. Or, seule la lecture du texte de la Genèse peut entraîner cette différenciation d’orthographe pour le nom du patriarche. On peut donc voir là l’empreinte de l’érudition biblique du greffier ou des parents.
- Prénoms féminins :
Judith, Ester, Rachel, Ruth, Sarah, et Suzanne.
Pour ce dernier, l’appartenance à la catégorie des prénoms bibliques pose un problème.
Car, si Suzanne est une figure féminine de la Bible, elle est aussi, depuis le IIIème siècle, une sainte très vénérée par les catholiques. Après avoir énuméré ces prénoms, symbole de l’attachement des protestants aux Écritures de l’Ancien Testament, il faut tout de même dire, et c’est évident à Revel, qu’ils vont avoir beaucoup de difficultés face à la primauté de prénoms plus traditionnels. Ces prénoms sont le plus souvent de la tradition médiévale et ceci avec une prépondérance flagrante de Jean et Pierre pour les garçons, Jeanne et Marie pour les filles.
Pour ce dernier on peut s’étonner de sa fréquence ; on va le voir, il vient en tête du début à la fin du XVIIème siècle et ceci malgré la lutte constante des protestants contre la mariolâtrie. Mais un siècle semble trop court pour tuer toutes les habitudes et Marie, comme Anne sa mère, furent des saintes très priées et très populaires au XVIIème siècle.
Et que dire des prénoms tels que Catherine, « Anthoine », Marguerite ou Françoise dont un édit de Genève, en 1550, avait interdit l’emploi et qui resteront, tout au long du XVIIème siècle, plus utilisés que Jacob, Judith ou Rachel ?
Cette persistance des prénoms traditionnels, on peut la voir en étudiant leur emploi sur deux périodes de dix ans chacune 1620 - 1630 et 1660 - 1670, périodes que séparent quarante ans, pratiquement deux générations. Mais auparavant, comme on a classé les prénoms issus de l’Ancien Testament, il faut classer ceux issus du Nouveau Testament et ceux d’origines diverses c’est-à- dire pour la plupart des prénoms de saints médiévaux :
- Prénoms masculins issus du Nouveau Testament :
- Pierre - Jean-Paul - Jacques - Barthélemy - Marc - Thomas - Mathieu - André.
- Prénoms féminins :
Élisabeth - Anne - Marie - Magdeleine - Marthe.
- Prénoms masculins d’origines diverses :
Étienne, Benoist, Amans, Michel, Guillaume, Sicard, Marquis, Charles, Phélip, Robert, François, Louis, Bernard, Nicolas, Arnaud, Germain, Durand, Ramond, Gérald, Laurens, Sébastien, Bertrand, Dominique, Henry.
- Prénoms féminins d’origines diverses :
« Anthoinette », Françoise, Catherine, Rose, Cécile, Marguerite, Constance, Nicole, Germaine, Marquise, Livie ou Lénie, Ramonde, Benoiste, Doumenge, Guillemette, Gaillarde, Julie, Louise, Delphine, Claudine, Gracie, Charlotte.
À ceux-là il faut ajouter des prénoms de l’Antiquité, rarement portés, mais présents chez l’élite surtout chez les nobles :
- Marc-Anthoine, Julien, Scipion, Olympe, Lucrèce.
Voici comment se répartissent les plus répandus de ces prénoms sur les deux périodes :
|
Garçons baptisés |
|
1620 - 1630 |
1660 - 1670 |
|
Jean |
26% |
28% |
Pierre |
15% |
12% |
Paul |
6% |
4% |
Jacques |
3% |
7% |
Daniel |
4% |
1% |
David |
4% |
5% |
Anthoine |
2% |
8% |
Comme on peut le voir ce sont Pierre et Jean qui, de façon écrasante, s’installent en tête des prénoms répandus avec 26% et 28% pour Jean et une légère baisse pour Pierre qui vient tout de même en seconde position.
Les deux seuls prénoms typiquement bibliques Daniel et David viennent bien loin derrière ces taux, avec même une nette baisse de Daniel.
En revanche, on peut remarquer une hausse des « Anthoine » qui, avec 8%, se placent en troisième position dans les années 1660.
En ce qui concerne les prénoms féminins voici comment ils se répartissent :
|
Filles baptisées |
|
|
1620 -1630 |
1660 - 1670 |
Jeanne |
14% |
10% |
Marie |
13% |
19% |
Suzanne |
9% |
6% |
Anne |
7% |
10% |
Marguerite |
5% |
4% |
Françoise |
4% |
4% |
Ester |
3% |
1% |
Judith |
3% |
2% |
Ici encore les prénoms typiquement bibliques Ester et Judith ont un taux minoritaire. Par contre Marie progresse et s’affiche comme le premier prénom féminin protestant alors que Jeanne diminue légèrement.
Cependant, de ce tableau comme du précédent se dégage une évidence ; on prénomme les enfants en 1670 comme on les prénommait en 1620, tradition et logique puisqu’on donne presque toujours le prénom du parrain. C’est lorsque cette coutume s’amenuisera que, peut-être, on choisira délibérément d’appeler ses fils Josué ou Samuel plutôt qu’Anthoine ou Jacques.
Le mariage
« Les mariages seront enregistrés et soigneusement gardés en l’église », c’est grâce à cet article 27 de la discipline du synode national de Paris (1559) que nous avons aujourd’hui la possibilité de voir comment s’organise le mariage protestant qui, contrairement au mariage catholique, n’est pas un sacrement mais un contrat fondé sur le consentement mutuel. Cependant, comme le sacrement catholique, ce contrat obéit à un certain nombre de modalités que nous allons étudier, cette étude étant basée sur une période de 40 ans (1630 -1670), période durant laquelle les registres matrimoniaux sont relativement bien tenus.
Modalités du mariage
Les bans ou annonces
La publication des bans qui était déjà une coutume ancienne dans l’Église catholique est réglée dès le premier synode national de 1559. Elle doit se faire dans « lieux et vocation ordinaire » c’est-à-dire où le culte est régulièrement célébré sous la présence d’un pasteur. Ces annonces, faites 3 dimanches de suite dans le temple, doivent être publiées dans la paroisse des époux et dans celle des deux époux quand ils sont de paroisses différentes.
Nous avons, à Revel, seize preuves écrites de ces annonces que les autorités religieuses imposaient aux fidèles, ceci afin d’éviter des cas de bigamie. Parmi celles-ci en voici quelques-unes enregistrées par le consistoire de Revel :
- 1631 : Pierre Faure de Sorèze épouse Perette Cros de Castres « tous ayant au préalable fait voir attestation de la publication des annonces par trois dimanches sans contestation ».
- Septembre 1638 : Jean Boujeu de Caraman épouse Magdeleine Sirven, elle aussi de Caraman, avec « attestation de Caraman, signée par les anciens d’iceluy et du conseil de l’Église réformée ».
- Toujours en 1638 : David Escaffre de Puylaurens et Élisabeth Gabite viennent aussi à Revel « avec attestation de Castres du 3 juin et de Puylaurens du 13 juin 1638 ».
- Mars 1639 : Paul Poitevi, marchand de Lavelanet, vient se marier à Revel avec Anne Roqueville, fille d’un marchand de Mazères, en « ayant porté attestation des anciens de Mazères, signée par 8 anciens et lecteurs de ladite église ».
Quant au départ des fidèles allant se marier ailleurs que dans leur village d’origine, il est enregistré sous cette forme :
- Janvier 1653 : « sont partis de Revel Ramond Tornier marchand de Mazamet et Catherine Rivals de Revel pour aller faire bénir leur mariage au lieu de St Alby ».
Autre modalité, la date du mariage :
Le jour et le mois du mariage
Normalement on peut se marier n’importe quels jours « sauf lorsqu’on célèbre la Cène » afin qu’alors il n’y ait aucune distraction et que chacun soit mieux disposé à recevoir le sacrement . Cependant, et à Revel la tradition est bien marquée, des jours fixes sont mis en place la régularité étant un facteur d’ordre et de publicité. Ainsi de 1540 à 1570, période durant laquelle se sont célébrés 514 mariages, 218 l’ont été un jour de célébration connu :
42% ont eu lieu le mercredi, 41% le dimanche, 16% le vendredi sans aucune mention pour le mardi alors qu’ordinairement c’est ce jour-là qu’on se marie le plus dans les campagnes françaises .
Quant au mois, il est assez difficile de percevoir un mouvement saisonnier les législations protestantes interdisant de façon moins rigide le mariage pendant certaines périodes, telles l’Avent et le Carême, que ne le fait la religion catholique ; on peut donc difficilement discerner les répercussions de quelconques interdits religieux. Néanmoins, sur les 514 mariages enregistrés durant trente ans, voici comment se répartissent les 498 dont on connaît le mois durant lequel ils ont été célébrés :
- Janvier : 41
- Février : 45
- Mars : 56
- Avril : 54
- Mai : 37
- Juin : 42
- Juillet : 48
- Août : 38
- Septembre : 34
- Octobre : 34
- Novembre : 32
- Décembre : 37
Ce qui frappe le plus, c’est le nombre relativement faible de mariages durant les 4 mois d’hiver : octobre - novembre - décembre - janvier, saison morte durant laquelle habituellement les populations à majorité paysanne se marient. Ici le maximum est atteint au printemps avec en particulier les mois de mars et d’avril ; or, comme on l’a vu, la population huguenote de Revel est à majorité artisanale avec pour spécialité le textile. Le printemps étant l’époque de la tonte de la laine, on peut penser que de nombreux mariages s’effectuent au cours du déplacement des ouvriers et marchands de la laine qui viennent à Revel pour travailler et pour se marier. Cette hypothèse s’appuie sur le fait que 33 mariages, durant ces deux mois, sont des mariages : de marchands (8), de tisserands (13), de cardeurs (7), de peigneurs de laine (4), de tireur de laine (1). Après avoir vu comment et quand se marient les protestants de Revel, on peut dire quelques mots sur le lieu du mariage.
Lieux du mariage : le temple et le château
Bien entendu l’énorme majorité des fidèles se marient au temple. Il en est pourtant qui se marient dans des annexes, sortes de « temples privés » concédés par l’Édit de Nantes aux seigneurs ayant fiefs.
Liberté de culte, certes, mais avec restriction puisque seules une trentaine de personnes peuvent y assister. De plus, dès 1669, on va exiger du seigneur qu’il prouve que son fief est resté, depuis le temps de l’Édit, aux mains de la même famille .
Or, on trouve dans les registres de Revel la trace de deux châteaux dans lesquels pouvaient avoir lieu le culte. Il s’agit du château de Couffinal où ont lieu deux mariages :
- Pierre Durand, notaire royal de Sorèze, épouse Marguerite de Barrau, fille de David, Seigneur de Fontbrune, en mars 1639
- Jean Barrau, marchand de Revel, épouse Catherine de Fontès, fille de Seigneur de Fontfrède, en novembre 1641
et du château de Paleville où :
- David Seguin, seigneur d’Anglès, épouse Suzanne de Terson, fille de noble Jean Seigneur de Paleville, en septembre 1636.
Comme on peut le voir, ces mariages sont ceux de personnages appartenant à l’élite sociale de la communauté.
Il nous reste maintenant à voir à quel âge, en moyenne, se marient l’homme et la femme protestants.
L’âge du mariage
L’âge des mariés n’est pratiquement jamais mentionné dans les registres sauf pour les années 1668-1669, 1670-1671-1673, soit 41 couples formés dans cette période. C’est avec ces indications que l’on peut faire une approche de l’âge au mariage de ces hommes et femmes. Pour les hommes l’âge moyen est de 28 ans 4 mois, pour les femmes 24 ans et 1 mois, soit des âges relativement en accord avec les statistiques de l’âge moyen au premier mariage dans la France des XVIIème et XVIIIème : siècles : 27-28 ans pour les garçons et 25-26 ans pour les filles .
Cependant, il peut y avoir des cas de mariés très jeunes. Ainsi, en 1640, Marthe Vales, fille de Bernard, maître bastier, se marie-t-elle « avec permission du magistrat à cause de son bas âge ». Mais c’est le seul exemple mentionné et on peut penser que c’est une exception confirmant la règle générale d’un âge assez tardif au mariage.
Homogamie socio-professionnelle ?
Dans la France des XVIIème et XVIIIème siècles l’homogamie socio-professionnelle est très forte ; à moins que l’on ait à agir autrement, à la campagne comme à la ville, on se marie à l’intérieur de son propre groupe social. Cette règle est, de façon générale, confirmée par l’étude de 310 mariages célébrés entre 1630-1670 et dont l’appartenance sociale des deux conjoints nous est donnée. Comme on peut le voir dans la liste ci-dessous, l’homogamie socio-professionnelle est effectivement majoritaire avec cependant quelques exceptions dans le groupe des notables (bourgeois, hommes de loi, officiers, médecins) et dans celui hiérarchiquement opposé (les brassiers).
Le mariage des nobles
Si la noblesse donne parfois ses filles à la roture (six d’entre elles épousent des roturiers) elle se présente tout de même comme un groupe assez fermé. Seuls deux nobles épousent deux non nobles :
- en juillet 1637, Étienne de Besset, Seigneur de la Rivière, épouse Catherine Chauvet de Charles, bourgeois
- octobre 1656, Samson de Portes, Seigneur de Fontfrède, épouse Isabeau Danes de Pierre, juge royal. Cette impression de « caste » existe peu dans la bourgeoisie.
Le mariage des bourgeois
En effet, bourgeois et filles de bourgeois s’allient par leur mariage non seulement au monde de la loi, de l’office, de la santé ou encore des marchands mais aussi, suprême « promotion » sociale, à celui de la noblesse. Ils sont trois bourgeois dans ce cas :
- En décembre 1633 : Abel Mauran épouse damoiselle Françoise de Besset, fille de Hugues, Seigneur de Couffinal
- En 1649 : Jean Portal épouse damoiselle Marguerite de Besset, fille de Samuel, Seigneur de la Garrigue
- En Avril 1656 : Guillaume Verdu épouse damoiselle Magdeleine de Padiès, fille d’Honoré Seigneur de Bélesta.
Quatre autres bourgeois prennent pour épouse
soit des filles d’avocat :
- Avril 1635 : Pierre Faure épouse Magdeleine de Bret, de Guillaume - avocat
- Août 1640 : Pierre Mauran épouse Suzanne de Bardin, de Jacques - docteur et avocat à Puylaurens
- Février 1651 : Jean Bataille épouse Marie Chartrou, de Guillaume - docteur et avocat à Revel,
soit des filles d’officiers :
- Janvier 1658 : François de Pairin épouse Françoise de Danes, de Pierre - juge royal.
La bourgeoisie s’allie aussi à la médecine :
- Décembre 1633 : Jean Bonnet, bourgeois de Caraman, épouse Marie Viguier, de feu Jean - docteur en médecine de Castres
- Avril 1650 : Pierre Faure épouse Marie de Frégeville, de Josias - docteur en médecine de Castres.
La bourgeoisie s’allie aussi au groupe des marchands :
- Juin 1643 : Étienne Danes épouse Marie Pagès, de Pierre - marchand
- Juillet 1654 : Jean Pons épouse Magdeleine Leigne, de Jean - marchand.
Et enfin deux bourgeois
épousent des filles d’artisans :
- 1649 : Jean Brun épouse Jeanne Pélissier, d’Hugues - maréchal des forges
- 1669 : Jean Séverac épouse Magdeleine Debouts, de Bernard - maître tisserand.
La bourgeoisie n’est donc pas un groupe fermé puisque sur 14 mariages de bourgeois 4 seulement se marient avec des filles d’autres bourgeois.
Toujours dans ce monde de notables : les officiers et les juristes.
Le mariage des hommes de loi :
officiers et juristes
Eux aussi, bien que prenant femme dans un milieu qui est toujours socialement élevé, n’appliquent pas d’homogamie stricte. Sur 11 mariages 4 se font entre avocats ou officiers et fille d’avocat ou d’officiers. Les autres se répartissent ainsi :
2 avocats se marient avec des filles de la noblesse, chose fréquente dans le Midi où les gens du barreau tiennent le haut du pavé dans les cités.
Ici, ce sont deux hommes de loi de la même famille qui épousent deux sœurs de famille noble :
- Mai 1634 : Jacques Guillem, docteur et avocat, épouse damoiselle Léa de Besset, fille de Hugues, Seigneur de Couffinal
- 1536 : Gabriel Guillem, avocat, épouse damoiselle Magdeleine de Besset, aussi fille de noble Hugues, Seigneur de Couffinal.
On trouve aussi des alliances matrimoniales avec des familles bourgeoises :
- Mars 1639 : Pierre Durand, notaire royal de Sorèze, épouse Marguerite Barrau, de David - bourgeois
- 1641 : Pierre Guitard, sergent royal, épouse Judith Vïguier, de Paul - bourgeois
- Juin 1659 : Daniel de Poitevin, receveur des tailles au diocèse de Toulouse, épouse Anne de Faure.
Enfin un seul se marie avec une fille de docteur en médecine - Charles Bourgues, avocat, épouse Marie de Roberti, d’Élie - docteur en médecine.
Ceci nous amène à étudier le cas assez étonnant du « monde médical ».
Le mariage des chirurgiens,
apothicaires et docteurs en médecines
Lorsqu’on regarde avec qui se marie l’apothicaire ou le chirurgien une constatation s’impose, sûrement pas avec la fille d’un confrère !
Sauf Anthoine Desplats maître chirurgien qui, en 1654, épouse Jeanne Auroux, de feu Jean - maître apothicaire, les autres épousent, soit des filles de bourgeois, ils sont 3 :
- Juillet 1535 : Jean Ségala, maître apothicaire de Saint- Paul, épouse Marie Salvignol, de Jean - bourgeois
- Juillet 1643 : Jean Peyrille, maître apothicaire, épouse Magdeleine Faure, de Noël - bourgeois
- Février 1663 : François Bousquet, maître chirurgien, épouse Magdeleine Brousse, de Pierre - bourgeois,
soit une fille d’avocat :
- 1653 : Anthoine Dumas épouse Marguerite Duroy, de Pierre - avocat de Castres.
Pour le reste, 3 maîtres chirurgiens, 4 maîtres apothicaires et un apothicaire vont chercher leur épouse dans le groupe des marchands, scellant ainsi l’alliance de deux groupes sociaux qui, s’ils ne font plus partie du monde artisanal, ne sont pas toujours des notables à part entière. On connaît l’obstination des chirurgiens, gens « mécaniques », à se faire reconnaître non plus comme artisans mais comme artistes.
Autre groupe social présentant quelques exceptions dans l’homogénéité de ses alliances matrimoniales : les marchands.
Le mariage des marchands
Certes 60% d’entre eux (39 sur 59 recensés) épousent des filles de confrères, 23% (14) s’allient au groupe des notables. Il en est même 1 qui se marie avec une demoiselle noble.
En novembre 1641, Jean Barrau épouse demoiselle Catherine de Porte.
Mais il est évident que ce mariage est exceptionnel et on peut dire qu’à Revel, au XVIIème siècle, « le négoce n’est pas le tremplin de la noblesse locale ».
Par contre il est intéressant de voir que onze filles de marchands épousent des artisans et que six marchands eux-mêmes se marient avec des filles d’artisans. Ceci est assez pour montrer combien le monde des marchands oscille entre notabilité et artisanat.
Voici avec quelles filles d’artisans se marient ces marchands :
- 1631 : Étienne Auger, marchand chaussatier, épouse Françoise Puget, fille d’Anthoine - maréchal des forges
- 1632 : Pierre Delmas épouse Ester Delors, fille de Jean - maître tailleur d’habits
- 1654 : Jacques Delmas épouse Jeanne Boujeu, de Nicolas - maître cordonnier
- mars 1655 : Bernard Fabre épouse Ester Coste, de Pierre - chaussatier
- 1658 : Jean Faure épouse Suzanne Auger, de Pierre - maçon
- 1661 : Jean Escaffre épouse Rose Jean, de Jean - tisserand.
Ceci nous amène maintenant à voir comment s’organise socialement le mariage des artisans.
Le mariage des artisans et des brassiers
C’est dans ce milieu que l’homogamie est la plus poussée. Sur 169 artisans 139 d’entre eux, soit 81%, épousent des filles d’autres artisans. Un seul semble s’élever socialement par le mariage.
Arnaud Roumieu, cordonnier, épouse en 1639 Jeanne Auroux, fille d’Anthoine - maître apothicaire.
Mais les cordonniers font partie d’une certaine élite de l’artisanat. Moins exceptionnel, comme on l’a vu, est le mariage d’artisans avec des filles de marchands. Enfin, autre constatation, c’est l’étroit lien qui existe entre le monde artisanal et le monde paysan.
Sur 35 filles de paysans (brassiers ou laboureurs) la moitié épousent des artisans alors que 47% des brassiers ou laboureurs se marient avec des filles de tailleurs, couturiers, forgerons ou autres meuniers.
C’est peut-être là que se trouve une des raisons de l’adhésion de ces brassiers à la Réforme. Faisant partie d’un groupe qui ne connaît pas de rigoureuse barrière sociale et géographique (11 de ces brassiers sont déclarés comme habitant Revel) le brassier, bien qu’allant vendre son travail à la campagne, est cependant étroitement mêlé à ce monde urbain acquis au Calvinisme.
De cette façon, plus que le paysan attaché à sa terre, il est entré en contact avec les idées nouvelles et a ainsi adhéré au protestantisme.
La culture
Protestantisme et culture biblique :
« Alors il alla chercher la grosse Bible que j’avais entrevue et la posa sur la table desservie... l’aïeul ouvrit le livre saint et lut avec solennité un chapitre des Évangiles, puis des Psaumes » .
Le patriarche et la Bible ! Une des plus belles images que l’on puisse avoir de cette foi huguenote ancrée dans l’Écriture ! Le père, pilier de la foi, doit inculquer à ses enfants sinon une culture biblique du moins les rudiments qui permettent à chacun de faire siens ces trois préceptes :
« Sola gratia - Sola fide - Sola scriptura ».
« Seule la grâce - Seule la foi - Seule l’Écriture ».
Cette autorité, en matière de foi, de l’Écriture Sainte mise à la portée de tous et l’affirmation du sacerdoce universel des croyants, entraînent la double exigence d’une instruction générale et d’éducation qui lui donne son sens.
Or, comment connaître le niveau d’éducation que possèdent une partie des protestants de Revel si ce n’est par la seule trace qu’ils aient laissée à ce sujet : la signature ?
La signature : une culture élémentaire
Tenter de mesurer l’alphabétisation d’une communauté au travers de la signature de ses membres demande d’emblée à faire un choix quant au degré d’instruction dont cette signature est représentative. Ici, comme on peut le voir, nous sommes en présence d’un paraphe réel, en toutes lettres, et non de lettres mal reliées qui laisseraient à penser que la signature a été plus dessinée qu’écrite.
On peut donc dire qu’il s’agit ici d’indicateurs minimums de lecture courante, c’est-à-dire que les hommes et femmes qui ont signé savaient lire (à cette époque c’était la première chose qu’on apprenait) et écrire.
Liste par catégorie sociale
et professionnelle de ceux qui savent signer
- Nobles : 9
- Bourgeois : 21
- Officiers : 10
- Notaires : 5
- Jacques Martin : directeur général de Gabelles du Languedoc
- Jean Bataille : procureur de la souveraine cour du Languedoc
- Daniel Poitevin : receveur des tailles au diocèse de Toulouse
- Mathieu Verny : receveur des tailles au diocèse de Mirepoix
- un greffier
- Avocats : 12
- Sergent ordinaire : 1
- Docteurs en médecine : 3
- Chirurgiens : 8
- Apothicaires : 8
- Marchands : 61
- Ouvriers d’art :
- Orfèvre : 1
- Potiers d’étain : 2
- Artisans du textile : 36
- Artisans du cuir : 12
- Artisans de la métallurgie
- Artisans de l’alimentation
- Autres : voituriers : 2
: maçon : 1
- Femmes : 9
- non identifiés socialement : 8
Ceux qui savent signer :
C’est en étudiant les signatures apposées au bas d’actes de naissance durant les années 1668 - 1669 ; 1671 - 1673 ; 1676 - 1685, soit 575 baptêmes que l’on a pu relever 221 patronymes de pères, parrains, marraines (rare) et différents témoins parmi lesquels bien entendu les anciens.
Ces signatures que l’on retrouve dans les actes de mariage et de décès nous apprennent l’appartenance sociale de ceux qui les ont apposées. Comme on peut le voir dans le tableau ci-contre, savent signer :
- les nobles : 4%
- les bourgeois
- les hommes de loi : 28%
- les notables
- les officiers
- les médecins
- les marchands : 27%
- les artisans : 32%
Que les nobles, bourgeois, officiers, hommes de loi, marchands sachent signer peut paraître évident, leur condition sociale ou leur fonction au sein de la société le demande. Pour eux « l’hérésie est fille d’instruction » . C’est parce qu’ils ont eu d’assez faciles contacts avec le livre qu’ils sont devenus fils de la Réforme. Ce livre est diffusé dans la région castraise et lauragaise par les proches villes que sont Castres, Albi, Lavaur où, dès le XVIème siècle, on trouve tout un réseau de libraires gagnés à la Réforme.
Le problème est de savoir si pour les 71 artisans, soit 32% de ceux qui ont signé, la démarche a été la même. Ces hommes avaient-ils déjà un minimum d’instruction lorsqu’ils se sont convertis ou bien, analphabètes jusque-là, pour eux l’instruction fut-elle fille d’hérésie ?
Bien que nous ne puissions pas répondre ici à cette question, on peut cependant faire une remarque : ces artisans au contact des marchands réformés de Revel ou de l’Albigeois se sont sentis concernés par cette religion qui a su s’adapter à la civilisation occitane . Et le « pater familias » occitan, façonné par des siècles de droit romain, n’a eu qu’à franchir le seuil d’une école pour devenir patriarche huguenot qui, le soir venu, Bible à la main, rappelle à ses enfants que là se trouve la source de la foi.
Mais le tableau ne doit pas être trop idyllique, tous n’ayant pas bénéficié d’un minimum d’instruction. Il y a encore des « oubliés de l’écriture ».
Ceux qui ne savent pas signer
Si on ne compte pas les femmes, dont on parlera dans le paragraphe suivant, il y a 88 personnes citées comme père ou parrain qui portent la mention « n’a seu signer ».
Parmi ces 88 :
- des artisans du textile : 19
- des artisans du cuir : 7
- des artisans de l’alimentation (hoste-meunier-boulanger-boucher) : 9
- des artisans de la métallurgie : 3
- et autres menuisiers, armuriers, maçons : 9.
À ceux-là il faut ajouter la mention de 12 noms cités comme ne sachant écrire, sans mention de la profession.
En tout 47 artisans qui n’ont pas accédé au stade minimum du savoir, 12 inconnus et surtout 29 brassiers !
Vingt-neuf, c’est exactement le nombre de brassiers recensés dans ces registres et pas un seul n’a su signer ! Le paysan du Lauragais, qui pourtant a su se détacher de tout un carcan de superstitions vaguement teintées de catholicisme pour rejoindre l’austère Réforme, n’a cependant pu aller jusqu’au bout de son cheminement intellectuel ; il a entendu les Psaumes mais ne les a jamais lus. Nous retiendrons cependant que sur 296 patronymes masculins, seuls 24% sont des noms de gens ne sachant pas signer.
Alors « hérésie fille d’instruction » ou « instruction fille d’hérésie » ?
Difficile de répondre mais il est évident que les deux sont inséparables.
Les femmes
Ce dernier paragraphe pour montrer combien, même dans la société huguenote, les femmes du XVIIème siècle ont été délaissées par la culture.
Sur 242 patronymes féminins cités, elles sont à Revel seulement neuf à savoir signer :
- Anne Poitevin, fille d’officier
- Anne d’Escale, veuve d’un avocat
- Marie Frégeville, femme d’un bourgeois
- Madon Leignes, fille d’un marchand
- Isabeau Reverdy, fille d’un greffier
- Jeanne Robert, fille d’un bourgeois
et 3 nobles :
- Marquise de Las Cases
- Renée de Terson, de Terson de Paleville.
- Lucrèce, de Comte d’Allary.
Toutes de condition élevée, elles représentent une petite élite féminine qui a eu accès à l’instruction.
Pour le reste, à Revel, en ce XVIIème siècle, la femme huguenote fait, elle aussi, encore partie des « oubliées de l’écriture ».
Deuxième partie
La communauté protestante de Revel
au moment de la Révocation.
La Révocation
Après avoir étudié quelques aspects des mentalités protestantes, il nous faut en venir à la tentative pure et simple de l’anéantissement de cette religion qui, au fil des ans, par ses spécificités, s’est façonnée en culture. Religion, culture, mentalité autres, des différences insupportables au regard d’un pouvoir monarchique qui veut faire éclater aux yeux de l’Europe et de la Papauté à la fois sa puissance et son intérêt pour la religion !
Mais ce pouvoir n’agit pas seul, il s’appuie sur l’approbation des États, du Parlement, de l’intendant et du clergé.
Ce dernier, farouche adversaire de la Réforme, n’eut de cesse qu’il n’eût obtenu, par une voie ou par une autre, la suppression du Protestantisme ce qui, pour le Languedoc, fait dire à Le Roy Ladurie :
« Si Louis XIV n’avait pas décidé la Révocation, les 22 évêques du Languedoc l’auraient inventée ».
Chapitre 5
La Révocation et la communauté protestante au moment de l’Édit de Fontainebleau.
Situation des Réformes en 1680
En 1680, les États sont satisfaits ; ce qu’ils réclamaient en Languedoc depuis 18 ans est officiel : sous peine d’amende honorable et de bannissement l’abjuration de la foi catholique est interdite. Le nouveau converti protestant est hors la loi et on traque les relaps en aggravant les peines qu’ils encourent. Les mesures prises contre la liberté de conscience s’intensifient. La chambre mi-partie de Castres (Chambre créée pour juger en toute souveraineté et dernier ressort les affaires où les Réformés sont intéressés) est supprimée. Les magistrats réformés sont inquiétés dans leurs offices ; on oblige les fidèles à contribuer aux frais du culte catholique (on pense qu’en payant les 2 beaucoup auront envie de se convertir), on leur a confisqué tous les droits civils et politiques, on a restreint leur activité professionnelle . Traqués dans toutes leurs libertés et tous leurs droits, les huguenots vont devoir subir l’ultime épreuve, la violence.
Instauration de la violence et abjurations forcées à Revel - Début des Dragonnades
C’est en 1680 que Marillac, intendant du Poitou, parcourt sa circonscription avec un régiment de dragons qu’il loge chez l’habitant huguenot dans le but d’obtenir de force des conversions.
Le but est atteint : plus de 30.000 conversions. Après le Poitou c’est le Vivarois qui connaît les dragons de Saint-Ruth en 1683. Peu à peu la terreur se répand et, en 1685, c’est tout le Languedoc qui se convertit sous « l’influence des missionnaires bottés ».
De cette façon pourquoi garantir désormais le culte réformé en France puisqu’il n’y a plus de Réformés ?
Le texte de l’Édit de Fontainebleau qui révoque l’Édit de Nantes est signé de la main du roi le 18 octobre 1685.
Revel ne fut pas épargnée par cette violence arbitraire. On avait déjà abattu les temples de Castres, Mazamet et Saint-Amans (ces destructions de temples prenaient souvent pour prétexte le fait qu’ils étaient postérieurs aux dates requises par l’Édit) lorsque l’église de Puylaurens fut interdite et attaquée en la personne de ses membres qu’on accusa d’avoir reçu dans le temple un nommé Falmons et sa femme relaps.
Leur temple rasé, de nombreux fidèles de Puylaurens viennent entendre, le 16 mars 1685, les prédications de leur ministre Lansquier à Revel. Des séances de prières, des prêches rassemblèrent pendant plusieurs jours de nombreux fidèles jusqu’au 21 mars jour où le juge criminel de Castelnaudary vient à Revel, accompagné de monsieur le procureur du roi et décrète la prise de corps des sieurs Lansquier et Quinquiry (ce dernier ministre de Revel) qui se rendent prisonniers à la conciergerie des Hauts Murats à Toulouse.
Le dimanche 7 octobre, en présence de l’évêque de Lavaur, abjurent un premier groupe de protestants suivi d’un autre le 14 octobre et c’est le 15, après l’arrivée de 4 compagnies du régiment allemand de Koenigsmark (régiment qui s’est illustré non seulement dans le diocèse de Lavaur mais aussi dans ceux de Nîmes et de Castres) que devant M. Fresquet, curé, abjurent le reste des « réfractaires ».
Quelques jours après, monsieur de Lamoignon, intendant de la province, rendant une ordonnance en exécution de l’Édit de Révocation, demande la démolition du temple de Revel dans le courant de novembre.
Cette ordonnance ayant été présentée à M. Fresquet, curé, celui-ci utilisa une compagnie du régiment de Koenigsmark pour faire démolir le temple. Enfin, en janvier 1686, 4 docteurs de la Sorbonne venus de Paris sur l’ordre du roi, eurent pour mission « d’instruire les nouveaux convertis ». Ils restèrent à Revel jusqu’au 3 mai, obligeant ces néophytes à faire leur acte. L’année suivante, c’est à nouveau monseigneur l’évêque de Lavaur qui vient s’assurer lui-même que tous les convertis font leurs Pâques.
Modalités de l’abjuration
« …l’an 1685, dans l’église de Revel et devant Jean Fresquet curé de Revel, les ici nommés ont renoncé à la Religion Prétendue Réformée qu’ils avaient professée jusqu’alors et ont fait profession de la Religion apostolique et Romaine dans la forme prescrite par l’Église et ont promis d’y persister inviolablement toute leur vie et de la faire tenir et garder par ceux qui sont ou seront en leur charge et généralement ont renoncé à toutes leurs erreurs, contraire à la religion catholique. Ont signé ou pas ».
Voici le texte qui engageait le huguenot à renoncer à sa religion pour suivre les préceptes d’une autre qu’il n’a pas choisie librement. Devant le curé et parfois l’évêque, il engage non seulement sa personne mais tout son entourage ou du moins ses enfants à rester fidèles à cette promesse. De plus, on lui fait reconnaître que ses convictions religieuses n’étaient qu’erreurs dont il prend conscience en les abjurant.
On va même jusqu’à aller dans les maisons particulières faire abjurer des gens très malades ainsi le 22 octobre 1685, dans la maison de noble de Besset, Jeanne de Besset, 50 ans, malade et en son lit et à cause de sa maladie n’ayant pu venir à l’Église a abjuré la R.P.R. « comme n’a pu signer, fait en présence du sieur Alexandre de Pyri et de noble Marquis de Besset Seigneur de la Garrigues ».
De même, dans la maison des héritiers de feu monsieur du Falga, damoiselle Dauphine de Soubiran, d’environ 70 ans et malade en son lit et à cause de sa maladie n’ayant pu venir à l’Église, a promis de vivre et mourir en icelle, en présence de monsieur Marc Boyer, notaire et avocat aux ordinaires et Jean Roques praticien.
Qui a abjuré ?
La Révocation et ses conséquences générales en France
Il ne faut plus qu’il reste un seul « huguenot » , c’est ainsi que Louvois exprime la volonté royale fin 1685. Et c’est vrai qu’après les dragonnades il ne reste plus beaucoup de protestants, du moins officiellement.
Mais si la majorité, contrainte et forcée, se convertit il y eut un mouvement de résistance par une lutte armée sur laquelle nous ne nous étendrons pas (les Camisards) et une forme de lutte passive face à un pouvoir qui l’interdit, l’exil.
Et c’est ainsi que se pose le problème de savoir si la diaspora protestante a privé le royaume de France d’un capital financier et d’un savoir artisanal. Si on ne peut répondre à la première question, en s’appuyant sur les connaissances que l’on a à ce sujet pour Revel, on peut répondre à la seconde question.
Qui a abjuré à Revel ?
Que sont-ils devenus ?
Lorsqu’on regarde la liste des nouveaux convertis dressée par le curé Fresquet une évidence s’impose ; on a l’impression d’être en présence d’une population à majorité écrasante de femmes et d’enfants.
Sur 684 personnes citées on a :
- 337 femmes
- 209 hommes de plus de 14 ans dont seulement 117 adultes
- 138 enfants mineurs, garçons et filles.
Et c’est ici que se pose un problème : pourquoi y a-t-il si peu d’hommes adultes qui abjurent et surtout pourquoi parmi ceux-ci on ne retrouve plus l’image d’une société à majorité artisanale ?
Liste par catégorie ou statut social des hommes qui ont abjuré en octobre 1685 :
- Nobles : 5
- Bourgeois : 11
- Marchands : 41
- Avocats : 5
- Ancien procureur du roy au Parlement de Toulouse : 1
- Apothicaires : 3
- Chirurgiens : 6
- Docteur en médecine : 1
- Potiers d’étain : 2
- Artisans du textile : /
- Peigneurs de laine : 2
- Tailleurs : 7
- Chaussatier : 1
- Cordier : 1
- Passementier : 1
- Pareurs de drap : 11
- Chapeliers : 3
- Artisans du cuir : /
- Cordonniers : 3
- Bastier : 1
- Blanchers : 2
- Artisans de l’alimentation : /
- Hostes : 2
- Voiturier : 1
- Forgeron : 1
soit :
- nobles : 5%
- notables : 64%
- artisans : 30%
On le voit, le « cardeur huguenot » n’est guère présent sur cette liste. Alors, pour tenter de donner une explication à cette absence, on peut imaginer que la population huguenote de Revel, usée par toutes les mesures prises contre elle, avait déjà pris les chemins de l’exil ou de la conversion avant 1685.
Et ceci, notamment, est une hypothèse solide pour tous les artisans, maîtres et ouvriers qui ont eu, comme on l’a vu, à subir nombre de mesures restrictives vis-à- vis de leur métier.
Dans ce cas, on peut dire que le 18 octobre 1685 n’est pas le commencement des persécutions mais l’aboutissement logique d’une politique royale persécutrice et sectaire à l’encontre d’une minorité religieuse.
Conclusion générale
Si cette deuxième partie est très brève, c’est que nous nous sommes heurtés dans son élaboration à l’absence quasi totale de source autre que la liste d’abjurations.
Cependant, on peut retrouver la trace de quelques exilés revélois qui, au risque d’être envoyés aux galères, ont décidé de rejoindre les pays du Refuge protestant : essentiellement l’Angleterre, l’Allemagne, la Suisse et la Hollande.
On retrouve ainsi la signature d’Isaac Lavernhe, pasteur de l’église réformée de Revel à Rotterdam, en avril 1686. David Martin, né à Revel en 1639, trouvera lui aussi refuge en Hollande. Pasteur et théologien, il gagnera une notoriété dans toute l’Europe protestante grâce à sa révision de la Bible de Genève (1707). Pour Paul Parelongue, c’est Erlangen, ville de Bavière en partie fondée par les huguenots français qui deviendra sa nouvelle patrie. Guillaume Donlhac, lui, s’installe à Berlin et crée une fabrique de chapeaux célèbre jusqu’à la cour impériale de Russie. Quant à Gabrielle Comenge, autre native de Revel, c’est dans le canton suisse de Vaud qu’elle fait résidence et exerce le métier de boulangère.
Mais ces exilés font figure d’exception et il faudra attendre l’Édit de Tolérance de 1787 et la Révolution pour retrouver la notion de liberté de conscience en France.
Conclusion
En commençant cette étude, nous en avons exprimé l’ambition : faire revivre toute une communauté au travers des seules sources qu’elle nous a laissées, à savoir quelques registres de baptêmes, mariages et décès. Or, cette ambition s’est souvent heurtée aux limites mêmes de ces sources ; au-delà des lacunes et des absences d’information, s’imposent quelques concIusions. En effet, tel qu’il nous apparaît dans cette communauté de Revel, le protestantisme nous met en présence d’une société où culture, religion, vie civique se mêlent et s’imbriquent, faisant du huguenot non seulement un homme qui a acquis de nouveaux préceptes religieux mais aussi un homme qui, en ce XVIIème siècle, modèle de nouveaux rapports et vis-à-vis de la société catholique et vis-à-vis du pouvoir.
Ainsi, différent voire marginal par sa foi, le protestant va essayer d’intégrer et de vivre cette différence au sein d’une société globale peu disposée à la tolérance.
Conscient des dangers qu’entraînent convictions et comportements autres que ceux majoritairement reconnus, il ne s’enferme pourtant pas dans une sorte « de ghetto religieux ». Il ne se contente pas d’aller au temple et de chanter les Psaumes, il veut aussi siéger au consulat pour participer à l’administration de la ville. Il ne se limite pas à la prise en charge de ses pauvres et malades, il propose aussi de soigner pauvres et malades catholiques.
Le protestant affirme ainsi et sa différence religieuse et son appartenance à part entière à l’ensemble des sujets du roi de France. Et c’est ici que nous pouvons parler de rapports nouveaux vis-à-vis du pouvoir. Car être protestant au XVIIème siècle c’est braver un ordre monarchique. Le huguenot de Revel qui n’abjure qu’en 1685, malgré toutes les brimades perpétrées à son encontre, est un homme qui obstinément a refusé l’arbitraire du pouvoir royal. Lorsque cet arbitraire deviendra violence, ce même huguenot s’avouera vaincu mais seulement « le temps d’une messe ». Et là, nous semble-t-il, se situe l’erreur du pouvoir et du clergé qui ont voulu anéantir le protestantisme comme s’il ne s’agissait que d’une pratique hérétique du Christianisme, comme s’il n’était question que de détruire les manifestations extérieures d’un culte. Roi et évêques ont cru que sans temple et sans prêche, sinon les pères, du moins les fils perdraient vite l’habitude de tutoyer Dieu.
Or, qu’avons-nous vu au long de cette étude ? Des hommes et des femmes qui vivent non seulement une foi différente mais qui, à partir de cette foi, élaborent au fil des ans une culture. Cette culture, cette façon de vivre, ces conceptions nouvelles ancrées dans la mémoire collective de la communauté seront bien difficiles à déraciner malgré sermons et catéchèses. Et s’il n’est pas de notre propos de porter un jugement de valeur sur telle ou telle religion, on peut cependant se féliciter de cette victoire du spirituel sur la violence et sur l’intolérance d’état. Lieu commun certes, mais encore une fois l’histoire prouve qu’il est plus facile de raser un temple que de faire taire une prière.
Sources manuscrites.
Registres de baptêmes, mariages et décès du temple de Revel A.D. de la Haute-Garonne, série 4 E :
4E 1716 : baptêmes 1598 -1621
4E 1717 : baptêmes 1622 - février 1654
4E 1718 : baptêmes avril 1654 - 1668
4E 1719 : mariages 1599 - 1669
4E 1720 : décès 1598 - 1668
4E 1721 : mariages - décès - baptêmes : 1669 - 1672 - 1673
4E 1722 : mariages - décès - baptêmes : 1676 - 1683
4E 1723 : mariages - décès - baptêmes : 1683 - mars 1685.
Registre de baptêmes, mariages et décès de l’église paroissiale de Revel A.D. de la Haute-Garonne série GG 2 E 1529.
On trouve là les abjurations protestantes enregistrées pour l’année 1685.
Registres des délibérations consulaires de Revel A.D. de la Haute-Garonne série GG :
GG 2 E 2265 : délibérations 1630 - 1670
GG 2 E 2266 : délibérations 1670 - 1679.
Sources imprimées
- Aymon (A) : Tous les synodes nationaux des Églises Réformées de France.
La Haye, Charles Delo, 1710, 2 T.
Dictionnaire :
- Cayla (P) : Dictionnaire des institutions, des coutumes et de la langue en usage dans quelques pays du Languedoc de 1635 à 1648.
Montpellier, Paul Deham imprimeur, 1964, 724 p.
Bibliographie
Ouvrages généraux
- La Bible
- Chaunu (P) : Église, culture et société, essais sur la Réforme et Contre-Réforme (1517 - 1520).
Paris C.D.U.- S.E.D.E.S., 1981 ; 544 p.
- Delumeau (J) : Naissance et affirmation de la Réforme. Paris, nouvelle Clio, 1973, 415 p.
- Gide (A) : Si le grain ne meurt. Paris, coll. Folio, 1955.
- Léonard (E.G.) : Histoire générale du Protestantisme.
Paris, P.U.F., 1961 3 tomes.
- Livet (G) : Guerres de religion.
Paris, Que sais-je n°1016, 1962 ; 123 p.
- Miquel (P) : Les guerres de religion.
Paris, Fayard, 1980, 595 p.
- Wolff (P) : (sous la direction de) : Histoire des protestants en France. Toulouse, Privat, 1977, 491 p.
Ouvrages sur le Languedoc
- Dom Devic et dom Vaïssette : Histoire générale du Languedoc. Toulouse, Privat, 1875, T. XIV.
- Armengau (A) et Laffont (R) (sous la direction de) :
Histoire d’Occitanie. Paris, Hachette littérature, article d’Estèbe (J) pp. 412-475.
- Gachon (P) : Quelques préliminaires à la révocation de l’Édit de Nantes en Languedoc. Toulouse, Privat, 1899, 202 p.
- Le Roy Ladurie (E) : Paysans du Languedoc. Paris, SEVDPEN, 1966-1020 p. 2 tomes.
- Wolff (P) (sous la direction de) : Histoire du Languedoc, Toulouse, Privat, 1967, 540 p.
Lauragais et villes du Lauragais
- Doumerc (Q) : Histoire de Revel en Lauragais. Albi, Presse de l’O.S.J. 1976, 205 p.
- Falguerolles (G.E de) : Paroissiens de l’Église Réformée de Puylaurens (1969 - 1973). R.B.S.H.P.F. - avril - mai - juin 1966 pp.121 - 140.
- Frêche (G) : Population de deux villes du Haut-Languedoc (Revel et Puylaurens). Bulletin de la société des sciences, arts et belles lettres n°28, 1969, pp.203 - 223.
- Rabaud (C) : Protestantisme dans l’Albigeois et le Lauragais de son origine à 1685. Paris, Fischbacher Éditeur 1873/5 - 638 p.
- Rabaud (C) : Protestantisme dans l’Albigeois et le Lauragais depuis la révocation de l’Édit de Nantes jusqu’à nos jours. Paris, Fischbacher, 1898, 642 p.
Société et institutions au XVIIème siècle
- Deyon (P) : Amiens capitale provinciale, étude sur la société urbaine au XVIIème siècle. Paris, La Haye, Mouton, 1967, 606 p.
- Goubert (P) : L’Ancien Régime - tome I : la société. Paris, Colin, collection U, 231 p.
- Goubert (P) : Cent mille provinciaux au XVIIème siècle Beauvois et le Beauvoisis de 1630 - 1730. Paris, Flammarion.
- Richet (D) : La France moderne, l’esprit des institutions. Paris, Flammarion, 1973, 189 p.
Mentalités
- Bels (P) : Le mariage des protestants français. Paris, Librairie générale de droit et jurisprudence, 1968, 264 p.
- Boisset (J) : La Réforme et l’éducation. Toulouse, Privat 1974, 190 p.
- Chartier (R) : Compère (M.M) Julia (D) : L’éducation en France du XVIème au XVIIème siècles. S.E.D.E.S. - C.D.U. Paris, 1976, 302 p.
- Garrisson-Estèbe (J) : L’homme protestant. Paris « le temps des hommes » Hachette 1980, 255 p.
- Lebrun (F) : La vie conjugale sous l’Ancien Régime. Colin, Paris, 1975, 173 p.
- Mandrou (R) : Histoire de la pensée européenne - t.3 : des humanistes aux hommes de science XVIème - XVIIème siècles Paris, Seuil, coll ; Points 1973, 245 p.
- Richard (M) : Vie quotidienne des protestants sous l’Ancien Régime. Paris, Hachette, 1966, 319 p.
Table des matières
- Les sources
- 1598 - 1685 : quelques dates importantes
- Revel et la Réforme.
1° partie - La communauté protestante de Revel
I : Composition sociale
Chapitre 1 : Les couches supérieures de la société
- La noblesse
- Les notables
- Les bourgeois
Officiers
Hommes de loi
Chirurgiens et apothicaires
- Les marchands.
Chapitre 2 : Les couches populaires
- Les artisans :
artisans du textile
artisans du cuir
artisans de la métallurgie et autres
- Les brassiers
- Les servantes.
Conclusion : La société protestante, image en réduction de la Société globale du XVIIème siècle.
II : Le fonctionnement de la communauté
Chapitre 3 : Cadres civiques et religieux
- Les protestants dans la cité : états, consulats et Réformés
- Originalité du consulat de Revel
- Composition sociale du consulat protestant de Revel
- Suppression du dernier droit civique
- L’école et l’hôpital :
école
hôpital
- Les protestants dans l’église : le pasteur - consistoire et anciens.
Chapitre 4 : Comportements religieux et culturels
- Le baptême : Conception protestante du sacrement de baptême
- Disparition de la notion des limbes, parrains et marraines
- Les prénoms
- Le mariage : modalités
- Homogamie socio-professionnelle ?
- La culture : protestantisme et culture biblique
- La signature, une culture élémentaire
- Ceux qui savent signer
- Ceux qui ne savent pas signer
- Le cas des femmes.
2ème partie - La communauté protestante de Revel au moment de la Révocation
Chapitre 5 : Révocation et communauté protestante
de Revel en 1685
- La Révocation ; situation des réformés en 1680
- Instauration de la violence et de l’abjuration forcée à Revel
- Modalités de l’abjuration
- Qui a abjuré ?
- La Révocation et ses conséquences générales en France
- Qui a abjuré à Revel ?
- Liste par catégorie sociale de ceux qui ont abjuré.
- Conclusion
- Conclusion générale
- Sources et bibliographie
- Table des matières.
Nelly Abruzzo - octobre 1982.