Société d’ Histoire de Revel Saint-Ferréol PARU DANS LES CAHIERS DE L’ HISTOIRE N° 22 - 2020  | 
          
Il y a 350 ans, la première écluse du canal du Midi
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La construction du canal du Midi commença en  janvier 1667 dans la Montagne Noire par la réalisation du système  d’alimentation : rigole de la montagne, rigole de la plaine et barrage de  St-Ferréol. Pour bien marquer la mise en route des travaux, Riquet avait convié  les autorités à poser solennellement la première pierre de ce dernier ouvrage  .  C’est l’évêque de St-Papoul qui procéda à l’opération le 17 avril en présence  de l’archevêque de Toulouse, du baron de Lanta et des intendants de Languedoc.  Lorsque tous ces chantiers furent bien mis en train, Riquet s’attaqua au canal  proprement dit en partant de la Garonne.
Il fallut attendre le milieu de l’automne, le  17 novembre, pour qu’une cérémonie ponctue, ici aussi, le lancement des travaux  près du fleuve. L’événement eut un grand retentissement au point qu’il fut  officiellement consigné dans les Annales de la ville de Toulouse  .  Au livre 9, année 1667, de ce précieux document on peut lire en effet :
        « Cette année se fit l’ouverture du  canal de la jonction des mers au Pré des Sept Deniers. La première pierre, ou  pour mieux dire les premières pierres furent posées à la première écluse par  Monsieur le premier président de Fieubet et les capitouls avec beaucoup de  cérémonie ». Je rapporterai ici la relation qui en fut imprimée en ce  temps-là et envoyée par toute la France.
        « Une des plus glorieuses entreprises de  notre grand monarque et qui marque davantage la félicité de son règne est celle  du fameux canal qui doit faire la communication des mers et dont Sa Majesté a  confié la conduite au sieur Riquet. L’ouverture s’en étant faite depuis quelque  temps à une portée de mousquet hors la porte du Bazacle, et l’écluse qui doit  être à son embouchure dans la rivière étant prête à construire, il fut proposé  aux capitouls de poser la première pierre aux fondements qui s’en devaient jeter,  ce qui fut accueilli par eux avec beaucoup de joie, sachant avec combien de  passion le roi regarde ce grand ouvrage dont le succès doit immortaliser sa  gloire. Sur cela ils assemblèrent un conseil de bourgeoisie où présida Monsieur  de Fieubet, premier président de ce parlement, accompagné de trois commissaires  du parlement et où l’on résolut de faire cette cérémonie au nom de la ville et  de lui donner tout l’éclat possible. On commença par bâtir dans cette vaste  prairie qui s’étend le long de la rivière une chapelle de vingt-six toises (50,7 m) de longueur sur six (11,7 m) de largeur qu’on tendit de  riches tapisseries, avec un autel au bout, paré de tous les ornements  possibles. Toutes choses étant prêtes pour le dix-septième de novembre, jour  destiné pour cette cérémonie, et Monsieur l’archevêque de cette ville s’étant  rendu à cette chapelle accompagné des évêques de Comminges, de Lectoure et de  St-Papoul et aussi de son clergé, Messieurs du parlement s’y rendirent aussi  et, après eux, Messieurs les capitouls, à cheval, vêtus de leurs habits de  cérémonie, précédés de leur main-forte et officiers, et suivis des anciens  capitouls, aussi à cheval. À deux cents pas (325  m) de la porte de la ville, ils rencontrèrent les travailleurs, en nombre  de près de six mille qui s’étaient mis en ordre de bataille ayant leurs  commandants à leur tête, avec quantité de tambours. Tous les ordres susdits  ayant pris leur place dans la chapelle, la messe fut célébrée en musique par le  sieur archevêque après laquelle il fit la bénédiction des pierres. Cela fait on  s’achemina en procession au lieu destiné pour poser les pierres, avec un  incroyable concours de peuple, une cérémonie si extraordinaire ayant attiré  quantité de monde des villes voisines. La plus grande partie de la marche de  cette procession se fit dans le creux du canal qui, étant bordé de peuple de  tous côtés, formait une manière d’amphithéâtre et donnait une idée des  spectacles des anciens Romains. Étant arrivés au lieu du fondement, les sieurs  de Lafaille, chef du consistoire, et de Maynial, capitoul de la partie, ayant  tous deux pris de la main de Monsieur l’archevêque les deux pierres bénies, en  offrirent une à monsieur le premier président qui la posa au fondement du côté  droit avec du mortier qu’on lui présenta dans un bassin d’argent avec une  truelle de même. Pendant que les deux capitouls posaient la leur de l’autre  côté et de la même manière, il fut jeté dans ces fondements des médailles de  bronze qui représentaient d’un côté l’effigie du roi avec ce vers autour :
        « Undarum terraque potens atque arbiter  orbis   »
        et de l’autre la ville de Toulouse avec un  canal qui se décharge dans la rivière par une écluse, avec cet autre  vers :
        « Expectata diu populis commercia pandit   »
        et ce mot au-dessus :
        « Tolosa Utriusque maris Emporium  ».
        Il fut répandu quantité de ces médailles sur  le peuple et on en donna partout et il en fut envoyé même aux pays étrangers. À  chacune des pierres jetées au fondement était enchâssée une lame de bronze  portant cette inscription :
        « Ludovico  XIIII semper augusto regnante prudentissimis J. Baptistae Colbert comitis  consistoriani consiliis, Gaspar de Fieubet princeps senatus amplissimus una cum  nobilissimis capitolinis Germano Lafallie et Petro du Maynial consecratum ab  illustrissimo archipraesule Carolo Danglurre de Bourlement molem immensi  aggeris gemini maris commercio suffecturi susteniaturum saxum felicibus  auspiciis, instante viro clarissimo Petro de Riquet, tanti operis inventore  posuerunt anno salut. Instaur. M.DC.LXVII  ».
        
 
Pendant la cérémonie, l’artillerie de cette  ville qu’on avait plantée sur le bord de la rivière faisait éclater par toute  la campagne, par ses continuelles décharges, la solennité de cette fête qui fut  accompagnée des cris continuels de « Vive le Roi » tandis que  le sieur Riquet faisait distribuer quantité de vivres et de vin à ses  travailleurs. Il est remarquable que les jours précédents ayant fait un temps  fort pluvieux et incommode, le ciel, comme pour favoriser cette action, changea  soudainement en sorte qu’il fît un jour comme de printemps ce qu’on prît pour  un heureux présage en faveur de ce grand dessein de Sa Majesté ».
        Au musée du Vieux Toulouse on peut admirer  l’une des nombreuses médailles de bronze frappées pour commémorer l’événement.  Des médailles d’argent furent aussi confectionnées pour les personnalités.
        Riquet, qui était à l’origine de cette  cérémonie, n’était pas l’auteur des textes en latin de la médaille et des lames  de fondation et il avait voulu que son ami l’archevêque   en vérifie la correction  ainsi qu’il le raconte avec humour au chevalier de Clerville, l’ingénieur du  roi qui « inspectait » ses travaux, dans une lettre qu’il lui  écrivit pour lui faire part de l’événement  .
        « ...  Même je suis persuadé que vous ne me ferez pas querelle sur ce chapitre (du  Latin) comme me fit un vénérable cordelier dans la grande salle de  l’archevêché. Monsieur Parisot m’ayant chargé de ce diable de Latin pour le  faire savoir à Monsieur l’archevêque, j’allai chez lui pour cet effet. Je  rencontrai dans la première salle du palais épiscopal deux gras cordeliers. Et  comme, de longtemps, je sais que ces sortes de religieux entendent assez bien  le Latin, je voulus leur demander l’explication de celui que je portais et le  lus en leur présence tout aussi bien qu’il me fut possible, néanmoins sans  doute fort mal puisque ces bons pères, qui me prenaient pour un docteur in  utroque, …. un homme fort savant, crurent que je me moquais d’eux et que je les  prenais pour des ignorants, lisant mal comme je faisais, et, quelque  protestation que je leur puisse faire que je n’entendais pas le Latin, ils  persévérèrent dans cette fausse croyance que j’étais un grand docteur et que je  me moquais d’eux, disant qu’il fallait que je susse tout ce que les autres  savent, et quelque chose au-delà puisque je faisais un ouvrage qui passait la  connaissance de tous les hommes. Enfin la chose passa si loin que nous en fûmes  aux grosses paroles et qu’un des pères, le plus gaillard des deux, eut la  hardiesse de mettre en ses mains une de ses galoches pour m’en frapper. Mais  alors que je vis en ses mains la sandale, je tremblai de frayeur et, crainte de  scandale, je gagnai promptement la chambre épiscopale où je me mis à l’abri de  notre grand prélat contre la tempête de ce père furieux auquel on fit enfin  comprendre qu’il avait tort et que j’avais raison, je veux dire qu’il était  vrai que j’étais un ignorant, mais que l’ignorance n’était pas un crime  punissable et qu’il me devait donner la paix, comme il fit car sans cela je ne  serais pas en état de vous en faire la relation comme je fais ici..».
        Cette écluse de Garonne était le prototype  d’une série de 67 exemplaires qui équiperont le canal de Toulouse à l’étang de  Thau. Le chevalier de Clerville avait décrit ses principales caractéristiques  dans le devis annexé à l’Édit de St-Germain d’octobre 1666. Il s’inspirait des  ouvrages de ce type alors en cours de construction sur le Lot, le Tarn et  l’Agout, et dont les bajoyers étaient rectilignes. Face aux problèmes que les  réalités du terrain feront assez vite émerger, Riquet réagira en homme pragmatique.  Et ce fut le cas dès cette première écluse dont il avait prévu initialement de  réaliser la chute de 4,5 m au moyen d’un seul sas, ce qui était un peu  ambitieux  .  Devant la difficulté de fabriquer des portes de 6,5 m de haut, il se résoudra à  répartir la chute sur deux sas et la première écluse sera donc une écluse  double. Par la suite, il adaptera notablement leur architecture, délaissant par  exemple le classique plan rectangulaire pour adopter son fameux plan ovale. Il  fera de même évoluer leurs méthodes d’implantation et celles de construction.
        De cette écluse primordiale qui reliait le  fleuve au port de l’Embouchure, il ne reste plus maintenant que le  souvenir : après que son débouché dans la Garonne a été fermé, dans les  années 1960, par une digue de protection contre les inondations elle a  finalement disparu en 1973, ensevelie sous l’autoroute périphérique de  Toulouse.
. Michel Adgé a décrit les premiers états du barrage de St-Ferréol dans le Cahier de l’Histoire n°7 de 2001.
. Archives Municipales de Toulouse, cote BB281, pp.  83-84.
            Toutes les transcriptions  de cet article sont adaptées en Français actuel.
. « Sous le règne de l'auguste Louis XIV et avec la très sage assistance de J-Baptiste Colbert, membre du consistoire, Gaspard de Fieubet, très vénéré chef du parlement, ainsi que les très nobles capitouls Germain Lafaille et Pierre de Maynial, ont posé la lourde pierre consacrée par l'illustre archevêque Charles Danglurre de Bourlement, pour asseoir cet immense ouvrage des deux mers destiné au commerce sous d'heureux auspices, grâce au zèle de l'illustre Pierre de Riquet, architecte d'un si grand ouvrage ».
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