Société d’ Histoire de Revel Saint-Ferréol                                      PARU DANS LES CAHIERS DE L’ HISTOIRE NUMERO 7 - 2001 -

 

LES PREMIERS ÉTATS DU BARRAGE DE SAINT-FERRÉOL

 

RETOUR ACCUEIL
RETOUR PIERRE PAUL RIQUET

 

Saint-Ferréol avant le barrage :

On peut essayer de faire revivre le vallon aujourd'hui noyé par la retenue, tel qu'il était avant les travaux. Malgré les transformations qu'il a subies, l'examen des lieux aujourd'hui immédiatement en aval, puis dans la voûte de vidange, et à l'amont quand le réservoir est vide, enfin et surtout le procès-verbal d'indemnisation des terres nous permettent d'en faire une reconstitution assez précise (1).

 

Prenant sa source dans les prés en contrebas des Cammazes, vers 600 mètres d'altitude, le ruisseau de l'Audot (on me permettra de rétablir l'orthographe d'origine) dévale ensuite une gorge qu'il a taillée dans le gneiss de la Montagne Noire, pour arriver à l'altitude de 350 mètres à l'endroit appelé aujourd'hui l'Hermitage, après un cours de quatre kilomètres. La vallée s'élargissait alors sur près de deux kilomètres, et les pentes devenues moins raides avaient permis une occupation du sol variée. Froidour nous en a laissé une description assez sommaire, mais que l'on peut maintenant compléter :

 

Le Ruisseau d'Audot passe au milieu ; & c'est de son eau, & de celles des pluyes & des neges, qui sont fort frequentes en cette Montagne, dont on pretend le remplir. Il est plus long que large, ayant 760. Toises de longueur [1480 m] sur 550. de largeur [1070 m] qu'il a par le milieu. Il est fort étroit à la tête, s'élargit au milieu, & se reserre au pied par l'approche de deux Montagnes qui le bornent de côté & d'autre (2)

 

À cheval sur trois diocèses et partagées entre les trois communautés de Revel, Sorèze et Vaudreuille, les terres du vallon appartenaient à cinq propriétaires (3). Étienne Rieu, meunier, était le plus petit d'entre eux. Il possédait moins de 2,4% de la superficie, mais ses terres, situées près du ruisseau, étaient nobles et de bonne qualité : une vigne et un jardin, un pré et un paissier, quelques arbres. Son bien le plus important, noble lui aussi, était un petit moulin à blé avec une petite maison, l'ensemble basty de murailhe de pierre et chaux avec son couvert de tuiles Canal offrant une surface de 21 cannes carrées (66,76 m2) (4) Possédait-il d'autres biens par ailleurs ? Il faudrait rechercher dans les compoix, ce que je n'ai pas eu l'occasion de faire. Certes, son moulin était modeste, et l'unique meule qui tournait pouvait bien suffire à fournir aux habitants de ce coin de montagne. On se plait à imaginer Étienne Rieu vivant sagement entre sa vigne et son moulin, jusqu'au jour où les premiers ouvriers du Canal arrivèrent dans le vallon. Il laissa alors son moulin pour s'engager parmi les travailleurs, et l'on rencontre fréquement son nom dans les documents de l'atelier, allant par exemple avec sa cavale chercher du plâtre à Ricaud pour les mines.

 

 

1- Il existe aux archives du Canal (Liasse n°402, pièces n°1 et 2) deux documents qui n'ont jamais attiré l'attention, sans doute à cause de la simplicité du dessin. Il s'agit pourtant vraisemblablement de deux des rarissimes dessins du temps des travaux qui aient été conservés. Ils représentent les profils du terrain avant la construction du barrage. Le premier porte la légende, de la main de François Andréossy je crois : Profil De l'endroit ou doit esttre placée la Muraille.

 

En outre, le recueil 21 des archives de la Marine à Vincennes comporte plusieurs documents figurés inédits de Saint-Ferréol contemporains des travaux. Le n°34 est le projet de fronton du mur d'aval, daté de Cals le 5 mars 1670 et signé de La Feuille. Le n° 35 est un billet qui porte deux projets d'inscription pour le fronton. Le n°36 est la Table et Explication du Magazin de St Feriol, representé En ce plan, qui doit fournir les Eaux de secours au Canal Royal : le plan représente une vue "aérienne" du vallon et des maçonneries du barrage sans les terriers. Le n°37 est la CARTE DV RESERVOIR DE Sr feriol construit dans le valon de Laudot, et doit dater des environs de 1670 ; le moulin et la métairie de Saint-Ferréol sont figurés. Le n°38 intitulé ELEVATION DE LA Batisse de St Feriol représente une vue cavalière, comme un écorché des maçonneries sans les terriers ; je le date des environs de 1687. Concernant les travaux de Vauban, le n°41, Plans et Profils des Ouvrages à Faire au Réservoir de St Feriol en 1687, représente une coupe des maçonneries existantes et de celles qui sont prévues. On y voit bien en particulier l'ancien mur d'aval abandonné en arrière du nouveau. Enfin, le n°43, Plan Et Profils Des ouvrages de St Feriol, daté du 30 décembre 1689, donne un état du barrage modifié, avec en particulier des Nouveaux Robinets Et maison du garde à l'emplacement des vannes de la Badorque.

 

2- Louis de Froidour, Lettre a Monsieur Bertillon Damoncourt ... Contenant la relation & la description des Travaux qui se font en Languedoc pour la Communication des deux Mers, Toulouse, 1672, p.17.

 

3- Plus exactement, il y avait même discordance entre les limites civiles et religieuses pour cette dernière communauté : les terres d'Etienne Rieu et des frères Bastouls dépendaient de la paroisse et décimaire de Vaudreuille, et du consulat de Revel, alors que celles du prieur de Bouscaud, qui était son propre décimaire, étaient dans la même paroisse de Vaudreuille mais dépendaient du consulat de Labécède. Celles de Saint-Ferréol dépendaient partie du consulat, paroisse et décimaire de Revel (de même que celles de Dumas), et partie de celui de Sorèze. Perpétuant aujourd'hui les limites des anciens diocèses, celles des trois départements de la Haute-Garonne, de l'Aude et du Tarn se rencontrent au milieu du bassin.

4- J'ai utilisé un registre des indemnisations des terres aux archives départementales de l'Hérault (préciassés liasse n°C3732). D'autres copies sont aux archives du Canal (voir liasses 187 sq.).

 

Extrait dessiné à main levée de la CARTE DU RESERVOIR DE St FERIOL

CONSTRUIT Dans le valon de Laudot. En bas, la digue du barrage ; au-dessus, l'emplacement du moulin, la métairie de Saint-Ferréol et des cultures

(Arch. de la Marine, Vincennes, recueil 21, n°37, plan de 1670 environ).

 

 

 

À l'opposé sans doute de l'échelle sociale comme dans la géographie de ce petit univers, Monsieur de Saint Ferriol, ou Madaule de Saint-Ferréol, protestant de Sorèze, possédait plus du tiers de la superficie du vallon sur la rive droite, et une importante maison avec Une tour ... bastie de Murailhes de pierre et chaux, et construite sur une éminence. Comme pour bien des barrages de retenues, elle donna son nom à l'ouvrage qui devait entraîner sa disparition, ainsi que nous l'apprend le mémoire de Gaumont. Le procès verbal d'indemnisation nous donne un luxe de détails, et la nécessité que les commissaires avaient voulu qui fût respectée, selon laquelle les constructions devaient être payées comme si on les voulait rebâtir, a conduit les experts à nous donner une profusion de mesures qui permettrait d'en reconstituer les volumes si on le voulait. Contentons nous d'en retenir la tour qui abritait un pigeonnier, les murs de quatre cannes de hauteur (7,13 m), les escaliers, les trois cheminées avec un four à cuire le pain, les Vingt portes de bois avec leurs gonds Et Reilhedes (= pentures) y Comprins le portail de lentree. Les nonante cinq cannes cinq pans carrés (304 m2) de la toiture en tuiles canal achèveront de nous donner une idée de l'importance de la bâtisse.

 

Les autres terres du vallon n'étaient pas bâties. Elles dépendaient de métairies sises plus en hauteur, et qui devaient être à l'abri des eaux du réservoir. D'importance presque égale en superficie à celles de Saint-Ferréol (36,55% du vallon), les terres dépendant de la métairie de Lencastre sur la rive opposée appartenaient aux frères Bastoul. Venait ensuite le prieur de Bouscaud avec 18,96% des terres, et enfin sur la rive droite le sieur Dumas, apothicaire à Revel, avec 4,33% de maigres terres en bas de sa métairie d'En Rastel, du côté de l'actuel épanchoir du trop-plein.

 

L'adoucissement momentané de la pente de la vallée avait donné de riches terres, principalement sur la rive gauche plus humide, car située au bas des bois de Lencastre et de Peyre-Basal, celle de droite n'étant séparée de la plaine de Revel que par des hauteurs plus sèches et de peu d'élévation. Ces terres, estimées pour la plupart entre 100 et 300 livres la sétérée (ce qui était beaucoup), étaient alors occupées par des cultures variées : des céréales d'abord, et principalement du blé (38,14%, dont 1,89% seulement de seigle au moment de l'estimation), des prés et des pâturages (29,45%), des rassises et autres terres incultes (22,94%), deux parcelles de vigne (3,69%), et quelques arbres : un verger, une piboulede de publiers, et un petit bois en broussaille.


Parvenu au bout du vallon, l'Audot et ses petits affluents de la rive gauche, les ruisseaux de Bouscaud et de Lencastre, avaient drainé un bassin versant d'une importance non médiocre (8,5 km2, contre 5,8 pour le Rieutort, 7,2 pour le Lampy, 6,8 pour la Bernassonne, le Sor et l'Alzau étant plus importants avec respectivement 13 et 21,9 km2 (5).

 

Peu après la jonction avec le ruisseau de Lencastre, le vallon se rétrécissait brutalement entre deux avancées rocheuses qui sont encore bien visibles quand on vide le bassin, et entre lesquelles l'Audot se glissait en décrivant quelques sinuosités qui sont à l'origine du plan en ligne brisée de la voûte de vidange. Au delà, il reprenait son cours encaissé jusqu'à Vaudreuille, puis la vallée s'ouvrait progressivement avant de s'étaler largement après le moulin de Moncausson, en débouchant sur le seuil de Graissens.

 

5- D'après Compagnie Nationale d'aménagement de la région du Bas Rhône Languedoc : Aménagement du Lauragais audois, Carte des bassins versants, avril 1975. Ces bassins versants s'entendent à l'amont des ouvrages de prise d'eau, ou du barrage des Cammazes pour le Sor.)

 

.

Les premiers ouvriers et le début des travaux :

 

Le principal intérêt que présente l'histoire du barrage de Saint-Ferréol réside dans l'abondance des documents comptables, qui permettent de reconstituer jour après jour la chronologie de l'organisation du chantier. La précision que l'on obtient permettrait presque de restituer un journal des travaux, autant pour ce qui concerne les travailleurs que pour la mise en place des approvisionnements divers, avec par exemple les premiers achats et charrois de chaux vive, l'extinction de celle-ci dans des fosses, puis la remise en état de fours à chaux abandonnés comme ceux du Bouscaud ou de la Pouticarié, ou la construction d'un nouveau four dans le bois de l'AIquier dans le mois d'octobre 1667, afin d'utiliser le bois que l'on coupait dans les travaux de la rigole de la Montagne. Il ne sera donné ici que quelques exemples.

 

Les niveleurs durent venir tracer l'emprise du fond du barrage dans la deuxième quinzaine de janvier 1667, mais les documents qui les concernent font défaut. Les ouvriers arrivèrent dans le vallon le mardi premier février, dirigés par le chef d'atelier Ficat qui dressa le premier Contreroolle des obriers quy ont Trauaillér a St feriol (6). L'effectif était modeste : 53 hommes seulement venant des paroisses de Revel et de Sorèze, et conduits par trois brigadiers. Vernède commandait une brigade de 25 hommes, Pean 20, dont deux jeunes garçons que Riquet fit inscrire lui-même en sus du contrôle, et Prunet 10. Les travailleurs ne revinrent que le samedi avec un effectif un peu plus étoffé, 97 hommes, dont trois venaient de Saint-Papoul. Que firent-ils dans cette courte première semaine ? Sans doute commencèrent-ils à préparer le terrain, et à dégager l'emplacement des fondations des maçonneries. La construction de la voûte de vidange, qui était la partie la plus basse de l'édifice, fut en effet l'ouvrage le plus important de cette première année, et nous allons voir qu'elle fut entreprise dès les premières semaines.

 

 

 

 

Le premier contrôle des travailleurs de Saint-Ferréol, du samedi 5 février 1667.

 

Les deux dernières lignes, signées de Riquet, sont de la main du comptable Picot : Outre le nombre cy dessus a este donné 7 (sols) 6 (deniers) a deux jeunes garsons le e feuurier 1667

 

(Arch. du Canal, liasse n°912, pièce n°5).

 

 

 

LISTE DES OUVRIERS QUI ONT TRAVAILLÉ À SAINT-FERRÉOL
LE PREMIER FÉVRIER 1667

 

Compagnie de Vernède
Paroisse de Revel

 

 

Compagnie de Pean
Paroisse de Revel

 

Compagnie de Prunet
Paroisse de Revel

- Pierre Pastré
- Antoine Brun
- Jean Maturin
- Nourat Sans Jeune
- Guillaumes Sans vieux
- Jean Faure
- Pol Vila
- Jean Duran
- Guillaumes Segonne
- Jean Vechenin
- Jean Brecharet

Paroisse de Sorèze

- Piere Perut
- Piere Arnaud
- Antoine Counibe
- Francois Bessede jeune
- Guillaumes Bessede vieux
- Antoine Assema
- Bartolomi Hanri
- Jean Blanc
- Jean Rouquet
- Jaques Rigal vieux
- Jaques Rigal jeune
- Antoine Andrau
- Paule Assema
- Jean Aluert

- Jean Mathieu
- Bertrand Rontes
- GuilhaumeGout
- Vidal Brunei
- Anthoine Carosse
- Pier Counoulie
- Grauiel Counoulie
- Pier Carosse
- Jean Acarica
- Arnaud Clergue
- Pier Teule
- Jean Teule
- Guilhaume Aleric
- Pierre Faure
- Hugues Martin

Paroisse de Sorèze

- Antoine Bousquet
- Antoine Martin
- Barthelmy Izar
- Francois Rey

(rajoutés)

- Jean Fontes (garçon)
- Jean Cumonge (garçon)

- Ramont Montagne
- Pierre Vasal
- Jean Donat
- Guilhaume Peirilie
- Jean Valat
- Estiene Ramondou
- Pierre Pradie
- Jean Ortal
- Bernard Basal
- Jaques Pradie

(Arch. du Canal, liasse
n '918, pièces n °3, 4 et 5).

 


 

Une organisation plus différenciée fut mise en place le lundi suivant. Ficat, parti semble-t-il au Conquet pour préparer l'ouverture de la rigole de la Montagne (les travaux devaient y commencer le 16), était remplacé par un personnage qui à partir de ce jour commanda l'atelier pendant plus d'un an, et qui, bien que simple exécutant, semble avoir été un peu l'âme de ces travaux : il n'était autre que le propriétaire de la métairie du vallon, Madaule de Saint Ferréol, que l'on appelait respectueusement Monsieur de Saint Ferriol.

 

6- Arch. du Canal, liasse n°912, pièce n°5. Les renseignements qui suivent sont tirés des autres documents de cette même liasse. Je ne préciserai pas davantage le numéro de toutes les pièces afin d'éviter une multitude de renvois. Les rôles des ouvriers avec les noms et les paroisses d'origine se trouvent dans la liasse n°918.

 

Ce lundi 7 février, l'effectif avait augmenté. Les trois brigadiers commandaient 131 hommes, et un quatrième, Castel, arrivait avec une petite brigade de 22 pour ramasser du sable de rivière pour les futurs mortiers, vraisemblablement dans les endroits propices du lit de l'Audot et de ses affluents. Le lendemain, les trois brigades de Pean, Vernede et Prunet travaillaient a la pierre, et les 22 hommes de Castel toujours au sable. Mais il y avait ce jour là une nouvelle évolution : une cinquième brigade de 20 hommes faisait son apparition, commandée par Grimail, et elle travaillait a accomoder les chemins pour Le port du Sable. Les travailleurs arrivaient aussi de paroisses plus variées : les trois hommes de Saint-Papoul ne devaient plus revenir, mais il en venait de Vaudreuilhe, La Pomarède, les Cammazes, Cahuzac.

 

Cette organisation continua toute la semaine ainsi que la suivante, et quelques événements donnent jour après jour un autre aspect de la préparation des travaux. Auparavant, il faut noter un détail, insignifiant sans doute, mais qui nous fait vivre un peu de la petite histoire du chantier. Le samedi 12, Monsieur de Saint Ferriol rédigeait son premier état de la semaine. C'est le premier document d'une longue série sur lequel j'ai eu la
surprise de voir briller de nombreuses paillettes de mica collées sur l'encre. On en trouve à partir de cette semaine sur la plupart des papiers écrits de sa main, ainsi que sur certains documents venant des bureaux de Riquet à Revel. Un peu de cette poudre était encore restée dans le pli de quelques feuillets. C'est un mica gris, mais qui prend des reflets dorés lorsqu'il est collé sur l'encre. Il semble que l'on a pris plaisir à s'en servir pour la sécher, et les paillettes qui restaient donnaient à l'écriture un aspect peu ordinaire. Aujourd'hui encore,
certains documents particulièrement chargé scintillent un peu à la façon de ces cartes de Noël qui étaient à la  mode quand j'étais  enfant. Je pense que la compagnie chargée de ramasser du sable trouva dans les torrents de la montagne des endroits d'eau calme, où s'étaient sédimentées de fines paillettes de mica qu'ils ramassèrent soigneusement.



La signature de Madaule Saint-Ferréol au bas du controle de la deuxième semaine, avec le decompte des journées d'ouvriers et la somme à payer (Arch. du Canal, liasse n°912, pièce n°6).

 

 

 

Très vite, les travaux de construction des parties basses du barrage allaient commencer, et principalement celle de l'élément le plus important, la voûte de vidange. Il allait falloir pour cela des quantités considérables de matériaux : de la pierre, du sable et de la chaux, des outils, et des ouvriers capables de les mettre en œuvre.

 

Le vendredi 4, Riquet passait un marché avec Bernard Jammes, maître tuilier et chaussinier de la tuilerie du sieur Barrau, marchand de Revel, pour la fourniture de chaux à 22 sols la charge, et il lui faisait une avance de 100 livres. Le lundi 7 février et le mercredi 9, en même temps que les ouvriers commençaient à arracher de la pierre, Madaule Saint Ferréol envoyait un ouvrier de Sorèze, François Bessède, pour aller à Saint-Paulet avec son cheval chercher des aiguilles et des bourres et les faire remettre en état par Antoine Pech, maître maréchal de Revel. Ces outils devaient servir à l'équipe de mineurs qui allait être constituée la semaine suivante. Les pics et les pals fer ne suffisaient pas en effet pour extraire la pierre lorsqu'ayant dépassé les.« couches superficielles elle devenait compacte, et il fallut alors avoir recours à la poudre. Dès le mardi 15 février, on constitua une petite équipe spéciale commandée par r Rivière, gendre de Madaule Saint Ferréol. D'un effectif qui ne dépassa que rarement 8 à 10 hommes, on y sélectionna ceux qui devaient travailler aux mines. Un mineur semble avoir déjà travaillé les jours précédents, puisque Antoine Pech lui avait aiguisé l'aiguille à plusieurs reprises, mais on n'en trouve pas de mention dans les rôles des ouvriers (7). C'est dans cette équipe que l'on trouve le premier grand blessé du Canal, Antoine Carausse, grieuement blessé par l'effect d'une mine le 22 juin 1667. À quelques dizaines de mètres en Tambour, visible quand le réservoir est vide, l'une des anciennes carrières d'où les ouvriers ont extrait les pierres pour les maçonneries présente encore des traces d'extraction (trous de mines).

 


Acte de cautionnement de Barrau, marchand de Revel, du 11 avril 1667 pour la fourniture d'une valeur de cent livres de chaux, suivi d'un mandement de madaule Saint-Ferréol sur Pierre Valentin, comptable de Riquet à Revel, et du bon à payer de Riquet (Arch. du Canal, liasse n°912, pièce n°4).

La signature de Madaule Saint-Ferréol au bas du contrôle de la deuxième semaine, avec le décompte des journées d'ouvriers et la somme à payer (Arch. du Canal, liasse n°912, pièce n°6).

 

 

Pour une raison que je n'ai pu déterminer, les travaux cessèrent le vendredi 11 mars, où les ouvriers ne travaillèrent que demi-journée. On note seulement la semaine suivante un transport de chaux que l'on fondit aussitôt le mercredi 16, et l'équipe de Castel envoyée ramasser du sable ce même jour, ainsi que les mardi et mercredi suivants. Les ouvriers ne revinrent à l'atelier que le 13 avril, pour préparer la pose de la première pierre.

 

 

A quelques dizaines de mètres en face du tambour, visible quand le reservoir est vide, l'une des anciennes carrières d'où les ouvriers ont extrait les pierres pour les maçonneries presente encore des traces d'extraction (trous de mines).

 

 

Signature d'Antoine Pech, maître maréchal de Revel, au bas de son mémoire du 13 février 1667 (Arch. du Canal, liasse n°912, pièce n°8).

 

 

 

La pose de la première pierre :

 

Cet événement ne semble avoir fait l'objet d'aucune relation comme ce fut le cas pour l'écluse de Garonne quelques mois plus tard, et la date même n'en a pas été conservée. Il y eut cependant une cérémonie et quelque solennité : Mr Larchevesque de Toulouse, Levesque de St Papou!, les lntendans de cette province, et le baron de Lanta, viennent de partir presentement de cette ville [Revel] p[our] s'en aller chez eux, Ils ont icy sejourné durant 3 jours, et ils ont fait une visite exacte de mes travaux, et mis la le pierre a mon le magasin appellé Feriol, La ceremonie a esté pompeuse, et sans fraix (8). Cette première pierre fut posée par l'archevêque Charles d'Anglure, les intendants Bezons et Tubeuf et le baron de Lanta, M. Levesque de St papou! officiant a cause que lesdits] magasins sont dans son diocese (9).

 

On a souvent écrit, et j'ai moi-même suivi cette opinion, que cette cérémonie avait eu lieu le 13 avril. Il semble plutôt que ce fut le 17 ou le 18, si l'on se fie au texte de la lettre ci-dessus citée. Mais on peut cerner l'événement de plus près avec les pièces comptables. On a notamment un compte de Pons, marchand de Revel chez qui l'on prit diverses marchandises du 14 avril au 6 mai (10). On peut deviner à travers ce document la préparation des diverses friandises dont on régala les invités : le cuisinier, le marmiton ou la servante prirent du sucre en pains et tamisé, des amandes, de l'écorce de citron, des olives de Lucques, du girofle, de la muscade, etc. Mais à la date du 17 avril, une fourniture concerne plus directement la cérémonie : jay de liuray par tordre de m' de beau fort et a Roux deux postesaiz daCord a 2 It 15 s piecte pour apourter a st fairiol pour faute!. On peut être incertain sur la nature des objets dont il est question (des porte-ais, des tréteaux peut-être), d'autant que l'écriture de Pons est aussi maladroite que son orthographe, mais l'indication ne fait pas de doute : le 17, on apportait à Saint-Ferréol ce qui était nécessaire à la cérémonie, et le 19, les évêques et les intendants étaient repartis. La première pierre fut donc posée vraisemblablement le lundi 18 avril.

 

7- Arch. du Canal, liasse n°912, pièce n°7 : du 8 février : premièremant je acoumoudé une bourre que je luy et mis six libres de fer mounte + 1 It 18s ; plus je agouse la gullie au mineur trois fois mountet + 0 lt 03s ; plus du 9eme febrier1667 je Chause une a guillie ou je mis dus libres de fer dasier mounte + 0 If lOs ..."

8- Lettre de Riquet à Colbert, du 19 avril 1667.

9- Lettre de Riquet à Colbert, du 10 mai 1667, dont s'est inspiré La Lande, p.14.

10- Arch. du Canal, liasse n°916, pièce n°25.

 

Les premiers cintrements des voûtes :

 

L'un des travaux les plus importants de Saint-Ferréol pendant cette première année fut la construction des voûtes, et principalement de la plus basse, celle de vidange. Les préparatifs datent des premières semaines. Dès le vendredi 11 février, Élie Nègre, maître charpentier de Sorèze, Employé pour commander les massons Et faire les soupapes & cindres, allait à Carcassonne acheter des bourres Et au[tr]es Jnstrumens (11). Mais la construction des cintres ne commença cependant pas tout de suite. Il fallait d'abord bâtir les fondations et les pieds-droits, et c'est à cela que durent être employés la chaux et le sable dont on peut suivre l'acheminement à l'atelier pendant les premiers mois, avec les paiements des charretiers.

 

On peut déterminer approximativement la date à laquelle les cintres ont été commencés. La première mention précise est du 20 juillet : on prit du sieur Charla de Durfort po[ur] les cintres cinq canes six pans postam (12). On peut noter également le 26 juillet le port d'un millier de clous grande barque que Madaule avait envoyé chercher pour les Cintrages de St ferriol (13). Mais il est possible qu'ils aient été commencés le mois précédent. Le principal témoin de la construction des cintres semble être en effet l'achat de ces clous grande barque, qui devaient être de gros clous de charpentier. La première mention que l'on en trouve est du 27 juin, et elle fait allusion à un achat antérieur sans doute de quelques jours. On peut donc supposer que les cintres furent commencés dans la deuxième quinzaine de juin.

 

Leur construction était avant tout un travail de charpentier, et c'était là le rôle d'Élie
Nègre. Il fallait des pièces d'assez fort équarrissage pour en faire l'ossature (Les porte cintres que l'on trouve parfois mentionnés dans les paiements des charretiers), sur laquelle on clouait des planches, les postam, dont on trouve de nombreux charrois. Ces planches devaient être posées jointives, les voûtes n'étant pas appareillées mais construites de moellons grossièrement retaillés, ainsi qu'on peut le voir dans la voûte d'Enfer quand le réservoir est à sec. Le seul indice que l'on ait des assemblages reste l'achat de clous de deux dimensions, de grande et petite barque.

 

Le bois qui était nécessaire pour la construction des cintres avait diverses provenances. Nous venons de voir que les premiers postams furent achetés à un marchand de Durfort. Le principal fournisseur de bois de sciage fut cependant Guillaume Cals, le maître scieur de La Galaube (la fameuse rassègue de Cals des premiers documents du Canal), qui fournit par charrettes entières les ais, postams et porte-cintres malgré la distancequi séparait son moulin à scie de l'atelier. La première mention est du 8 juillet, et ce premier transport de trois charrettes fut suivi de nombreux autres jusqu'à la fin de l'année (14).

 

Mais ce ne fut pas la première démarche. À diverses reprises en effet, l'entreprise chercha à s'assurer une fourniture directe de matériaux, sans pour autant abandonner les achats aux marchands ou aux maîtres scieurs. C'est à Saint-Ferréol que nous en avons les premiers exemples, et en particulier pour le bois des cintres. Le 16 mars, on achetait à Marie d'Assézat, veuve de Bertrand de Senaux, conseiller au Parlement de Toulouse, 60 arbres au bois de Peyrebasal, dont 30 de chesnes et 30 de bois de fau (15). L'exploitation du bois commença assez rapidement, puisque le 23 avril Antoine Gras, bordier de Saint-Ferréol, avait apporté cinq charrettes de bois pour faire des bayards (16). Mais c'est surtout à des transports de bois à brûler que nous font assister les premières pièces, qui sont peut-être un indice de l'abattage des arbres, ou du dégagement des taillis. Ce n'est qu'au mois de janvier suivant que le maître scieur Charles Andrieu en débita des troncs à Saint-Ferréol (17).

 

On avait de même acheté à Jean Fabrias cent arbres à choisir dans son bois près de la métairie de Las Prades, tout proche de Saint-Ferréol (18), et l'on commença à apporter les troncs le 5 mai.

 

11- Le mot oindre doit être corrigé en cintre. Celui de soupape pourrait désigner je pense un dispositif permettant le décintrement. Son identification serait alors intéressante, si elle était certaine.

12- Les postams étaient de grandes planches d'un pied à un pied et demi de large, et d'un à deux pouces d'épaisseur.

13- Arch. du Canal, liasse n°913, pièces n°59 et 61. 

14- Arch. du Canal, liasse n°913, pièce n°36.

15-Arch. du Canal, liasse n°912, pièces n°10, 21 et 22, Lages notaire à Toulouse.

16-Arch. du Canal, liasse n°912, pièce n°28.

17-Arch. du Canal, liasse n°915, pièce n°121.

18-Arch. du Canal, liasse n°915, pièce n°41.

 

 

Les cabanes pour les outils ou les travailleurs :

 

Tous ces travaux nécessitaient un outillage ou des fournitures que l'on ne pouvait emporter chaque soir, et qu'il fallait mettre à l'abri afin d'éviter les vols pendant la nuit ou les jours chômés. On peut mentionner par exemple tout l'outillage des mineurs, la poudre et les accessoires des mines, les cordes, les clous, etc. Il semble que dans un premier temps on ait utilisé des tentes pour cela (19). Mais à la fin du mois d'avril, on construisait un Magasin des Jnstrumens : le 29, on achetait cinq gros arbres et trois couroudes à Étienne Rieux a !effet de faire les poteaux Et sursul [linteau?] de la porte du Magasin des Jnstrumens, pendant que Fabre, un ouvrier qui avait l'habitude de travailler le bois, passait une journée à faire des lattes pour la couverture (sans doute des bardeaux qui pouvaient être débités avec un outillage simple, sinon il aurait fallu un scieur) (20). Au mois de juillet, on construisait une autre cabane que l'on couvrait de tuiles canal pour abriter les travailleurs, sans compter celle que l'on construisit ensuite pour l'énigmatique machine. (21)

 

 

19-Il est deub 20 s a Pierre Michel Jean Roquefort Estienne Rieu & Anthoine Azam pour avoir couché pendant 3 nuitz aux Tentes pour les garder par ordre de Mr de Beaufort (Arch. du Canal, liasse n°912, pièce n°28 en date du 23 avril). Mais cette mention pourrait être également rapportée aux nivellements.

20-Arch. du Canal, liasse n°912, pièce n°34.

21-Arch. du Canal, liasse n°913, pièce n°72.

 

 

La Machine pour le transport des terres :

 

Le chantier aurait sans doute manqué de fantaisie s'il n'y avait eu un inventeur, émule sans doute de Léonard de Vinci ou d'autres ingénieurs plus obscurs, qui inlassablement inventaient des plans de nouvelles machines. Ce n'est pas sans surprise que j'ai découvert dans les pièces de Saint-Ferréol des détails sur une construction quelque peu insolite. Il manque malheureusement les premiers documents de cette affaire, et je n'ai pas encore analysé les liasses qui nous en donneraient peut-être l'épilogue.

 

Au printemps de cette première année des travaux, un certain Monsieur de Combes proposa à Riquet de construire une machine destinée à faciliter le transport des terres, dont la construction fut aussitôt entreprise. Le samedi 25 juin, un convoi de dix charrettes traversait le Lauragais, partant de Toulouse pour Saint-Ferréol. On aura une idée de l'importance du transport, quand on saura que les charretiers s'estimaient suffisamment chargés chacun par une seule pièce, qui selon la nature du bois (sapin ou chêne) devait peser entre 360 et 630 kg. Elles mesuraient environ huit mètres de long, 44,6 cm de largeur, et 22,3 cm d'épaisseur (22). Dès le lundi suivant, sinon le lendemain, le charpentier Antoine Rioux travaillait avec son fils sur les bois apportés l'avant-veille de Toulouse (23). C'étaient sans doute les pièces principales de la machine, auxquelles s'ajoutaient d'autres qui étaient débitées sur place. C'est ainsi que l'on employa 28 journées et demi d'un scieur de bois longs, et de deux de ses compagnons pour Cier des poultres (24). On trouve également une dépense de six livres chez Teste, marchand à Revel, pour deux planches d'orme, ce qui est considérable et doit donner une idée de leur dimension (25), et une autre de dix livres à mr Fabre pour deux grosses pieces de bois de faux [= hêtre] acheptees par monsieur de Combes pour employer aux Chariots de la machine (26), mais on n'a pas toutes les dépenses.

 

La mise en œuvre de ces bois nécessita 109 journées de charpentiers et 24 de menuisier, l'intervention d'un charron, d'un serrurier, d'un maréchal pour la confection de certaines pièces, comme des boulons avec leurs clavettes, etc.

 

Il nous manque naturellement une représentation graphique ou une description de cette machine pour pouvoir dire quel en était le principe, et il serait bien hasardeux en leur absence d'en tenter une reconstitution. On peut cependant se poser quelques questions, notamment sur l'usage de ces longues poutres de bois. Les diverses dépenses permettent d'avoir quelques lumières. Il y avait 16 roues avec leurs boites en bronze, c'est à dire les paliers ou boites à graisse, et elles ne devaient pas avoir été bien grandes pour avoir tous tenus enfilés sur une corde. Maître Barre, charron, reçut le 17 juillet cinq livres pour La facon ou bois quil a foumy a faire le bracquent de la machine (27).

 

Il y avait un chariot (ou quatre, correspondant aux seize petites roues ?), que l'on devait remplir de terre, pour lequel maître Rougé, menuisier, fournit un cent de clous et deux crampons de fer. Il fallait au moins trois hommes pour dresser la machine. Elle comportait en plus une grande roue, dont les 24 rayons donnent une idée de la dimension, à moins qu'elle n'ait été double, ou qu'il ne se soit agi d'une cage d'écureuil, véritable moteur de la machine, destinée à être mue par des hommes (28). L'autre partie insolite est la bascule, qui fait penser à un dispositif pour vider des chariots arrivés en bout de course (29).

 

22- Lettre de Desquerré à Valentin, du 25 juin 1667 à Toulouse (Arch. du Canal, liasse n°913, pièce n°29)

23- Arch. du Canal, liasse n° 913, pièce n°39.

24- Arch. du Canal, liasse n°913, pièces n°49 et 88.

25- Arch. du Canal, liasse n°913, pièce n°47.

26- Arch. du Canal, liasse n°913, pièce n°51.

27- Arch. du Canal, liasse n°913, pièce n°48. Doit-on lire "brancard" ?

28- a anthoine pech mareschal la somme de 25 It pour vn Essieu quil a fait a la roue de la machine quattre bandes de fer croizéés, deux frettes, trois Rondelles & trois hures de Clous le tout pezant vn quintal (Arch. du Canal, liasse n' 913, pièce n'95, 16 aout). a rie barre charron pour le moyeu de la grande Roue et 24 Raye prix faict pour le tout a 3 lt 10s (pièce n°96, 23 août). Une roue de charrette ordinaire comporte habituellement douze rayons.

29- a maistre barthelemy mareschal la somme de 4 If 8s pour seize liures fer a 5s 6d la liure quil a ouures & fournis pour la basseculle de la machine (pièce n°69, 31 juillet).

 

Ce sont là les principaux détails significatifs que l'on peut trouver. Le 23 août, la machine était terminée, et mise à l'abri dans un couvert. Huit hommes semble-t-il étaient requis pour cette opération (30).
Cette machine n'était pas une petite affaire, et Riquet l'avait prise au sérieux. Il vint à Saint-Ferréol pour la voir quand elle fut terminée, et on la dressa exprès pour lui. Il avait donné 550 livres à Combes pour son invention, et il le défraya de toutes les dépenses qu'il put faire pour son service, notamment 60 livres pour son hébergement pendant plus de deux mois chez Caussé, hoste à Revel, et six livres pour la location pendant huit jours du cheval de ce dernier pour aller à Toulouse choisir certaines pièces de bois qu'il n'avait pas trouvées sur place, et pour s'entendre avec des artisans. Combes lui-même s'occupa directement de la fabrication, achetant chez les marchands de Revel les divers ferrements dont il avait besoin, dirigeant sur place les travaux. Ceux-ci échappèrent complètement au chef d'atelier Madaule Saint-Ferréol, qui n'en fit aucune mention dans ses contrôles : les mandements et les certificats de Combes étaient adressés directement à Contigny, qui avait la responsabilité de toutes les dépenses cette première année.
Peut-être la suite de cette affaire se trouve-t-elle dans des liasses que je n'ai pas encore analysées, mais on peut sans peine deviner quelle fut la destinée de la machine. Sans moteur commode et suffisamment puissant pour la mouvoir, elle dut subir le sort de toutes les inventions du même genre antérieures à la mise au point de la machine à vapeur. Aucun des voyageurs qui visitèrent par la suite l'atelier n'en firent jamais mention, mais ils virent au contraire des hommes et des femmes portant la terre dans des hottes ou des paniers. De même que les ponts flottants que Riquet fit construire trois ans plus tard vers Deyme et Montgiscard et dont il devait être si fier, la machine de Saint-Ferréol dut bien vite être reléguée parmi les choses inutiles, et ses matériaux récupérés pour d'autres usages.
Mais en ce mois d'août 1667, l'heure n'était pas encore venue de transporter la terre pour la digue de Saint-Ferréol. Les travaux qui étaient alors en cours concernaient la construction des voûtes, et la machine n'était mise au point qu'en prévision des terrassements de l'année suivante. Même si l'on en fit l'essai, ce que je pense, on ne put donc pas avoir sur le moment de preuve de son manque d'efficacité, et on la remisa sous son couvert en attendant de pouvoir s'en servir. Ces premiers essais, que je suppose, durent sembler prometteurs, et à l'automne, Combes récidiva avec une machine plus grande encore à Toulouse. Mais c'est là une autre histoire.

 

Les travaux après 1667 :

 

Les années suivantes furent marquées tout d'abord par la mort de Madaule Saint-Ferréol en septembre 1668, et son remplacement par Douard, qui devait à son tour mourir à Toulouse en 1673. Quant au barrage lui-même, il est généralement écrit qu'il fut terminé en 1673 ou 1674. Cette indication est absolument inexacte, et tout au plus peut-elle concerner de premiers essais de mise en eau. Les liasses des pièces comptables n'ayant pas encore été analysées pour les années qui suivent, le détail de la suite des travaux apparaîtra lorsque ce travail sera terminé. On peut pour le moment signaler les principales étapes.
En 1669, la construction des maçonneries fut confiée en sous-traitance à des entrepreneurs : quatre maîtres maçons avaient le bail de la construction du grand mur, et Jean Pichou, maître maçon de Limoux, celui du Tambour (31). Les voûtes étaient terminées

 

30- pour journées & fournitures tant pour parachéuér la machine que de la mestre dans vn Couuert ; à Maître Rougé, menuisier, pour aydér vne journée auec son garçon a mestre la machine dans le couuert ; pour 6 hommes qui furent prions pour aydér a mestre la machine a Couuert a 6s chacun (pièce n°96, 23 août).

31- Arch. du Canal, liasse n° 910, pièce 3

 

en 1670, les petits murs et les parties basses du grand mur étaient en voie d'achèvement en 1672: Le Rezeruoir de St Ferriol Se continue tous jours la grande muraille et a fleur de montagne on Terrasse peu a peu et ont ne saperçoit pas quil se fasse aucune Fraction aux murailles (32). Mais l'année suivante fut des plus importantes pour ces travaux, avec les premiers essais de mise en eau pour tester le barrage (Peut-être est-ce à cause d'eux que l'on crut par la suite que leur achèvement datait de cette année là). Au mois de mai ou juin 1673, l'intendant Bezons les visitait, et il en donnait la description suivante : A Lesgard du magasin de St Ferriol on a continué le terrassement et la muraille de lesleua[tijon du millieu est maintenant a fleur de la montaigne mais auant de la Hausser dauantage on Veut finir le Tambour et essayer le fait du regonflement et de lesuacuallon des eaux apres quoy on se reglera plus seurement sur ce qu'on aura a faire pour son entiere esleua[ti]on (33).

 

L'un des intérêts de ce texte est de nous montrer combien on manquait d'expérience dans ces sortes d'ouvrages, et Vauban lui même en rendit témoignage à Riquet lorsqu'il inspecta le Canal (34). Mais il est un autre détail encore plus important : ce premier essai de mise en eau est pour nous l'occasion d'apprendre que ce fut véritablement Riquet qui avait conçu le barrage.

 

La chose est totalement inédite. Riquet était malade au moment où l'intendant écrivait ces lignes, et sa maladie empira tellement qu'à la fin de l'été on le crut perdu. Mais auparavant, un ou deux mois après Bezons, au mois d'août je pense, un voyageur anonyme passait à son tour à Saint-Ferréol, et il trouvait un chantier arrêté : Les meurailles & les terrasses dud' magazin de st feriol sont Esleuéés Jusques a la Haulteur de la premiere montaigne Et les voultes sont acheuéés depuis longs temps, Il ne reste plus que a acheuer de fermer le tambour & y poser les Robinetz pour la vuidange des Eaux, Et comme Cest vne Chose de la seulle jnuention de monsieur Riquet Ion attend quil soit en estat de faire acheuer le trauail, duquel il a pourtant donné touttes les jnstructions (35).

 

Peut-on douter, après cela, que Riquet soit véritablement l'auteur du Canal, et qu'il ait eu les compétences nécessaires pour le réaliser ?

 

On trouve en outre dans ce texte une mention précise de la pose des robinets, qui étaient l'une des pièces essentielles du réservoir. Riquet paraît avoir prévu à l'origine un nombre bien plus élevé que les trois qui furent en définitive posés, puisque les premiers documents comme le mémoire de Gaumont en mentionnent 21 ou 30. L'achèvement des galeries en 1670 semblait rendre leur pose imminente (36). Un premier chargement de robinets de bronze (et non de bois !) arriva de Toulouse à Saint-Ferréol en février de cette même année (37). Il n'est pour le moment pas possible de dire si ces premiers essais furen teffectivement réalisés. Toujours est-il que dans les premiers jours de mai 1675, le maître fontainier Cammas travaillait a la Caisse du pion Et Trebuchet, et le mois suivant on posait la porte de la galerie (38). En ce qui concerne les trois grands Robinets de Bronze, ils sont attestés par la vignette de la carte de Nolin, qui bien que publiée en 1697, est la copie d'un dessin antérieur à l'agrandissement de Vauban. Ces robinets étaient plus petits que les actuels : ils avaient un alésage de 153 mm (contre 200 mm aujourd'hui), et ils étaient manœuvrés à l'aide d'un système de leviers, les trébuchets que l'on vient de voir mentionnés, et dont il paraît bien difficile de reconstituer la disposition (39). On ne trouve aucune mention à l'achèvement du Canal de la vanne de la Badorque, dont je pense qu'elle fut réalisée lors des travaux de Vauban, ni de celle du trop-plein, bien que cette dernière ait été indispensable.

 

32- Memoire des Choses Examinées et resolues a Cette le 8e 8.bre 1672 par Monsieur de Bosons intendant auec M. de la feulle Inspecteur et M Riquet apres la verifica[ti]on par Eux faite du Rezeruoir de Saint Fertiol des ouurages de /a montagne rigoles Canal et port de Cette (Arch. du Canal, liasse n° 13, pièce n° 6).

33- Memoire sur les ouurages du port de Cette et du canal royal de la communica[ti]on des mers en Languedoc fait au mois de May et Juin 1673 (Arch. du Canal, liasse n° 13, pièce n° 8).

34- la dizette des fonds y t[i]t negliger quantite de choses qui luy sont pr[ese]ntem[ent] tres prejudiciables et qui peut estre n'estoient pas mesme entendues de ceux qui en ont eu la conduite dans vn temps que ces sortes douurages estoient jnconnus et tout a fait jgnorez en france, De sorte qu'il y a plus lieu d'admirer qu'on ait pû venir a bout de le rendre nauigable par des pays si difficiles et dans vn temps que Ion estoit si peu esclairé qu'il ny en a de n'auoir pu luy donner toutes les perfections necess[ai]res a sa durée et a sa seureté (Memoire sur le canal du midi les augmentations qu'on pourrait y faire de Vauban, Arch. de l'Inspection du Génie, N° 5 Son 5 § 10 Con 9 N' 10).

35- Obseruations sur Lexecution Du Canal (Arch. du Canal, liasse n° 13, pièce n° 7).

36- Le premier juillet 1670, on payait le trasseur François Auger pour la pierre arrachée pour la porte de la voulte de saint ferriol (Arch. du Canal, liasse n° 910, pièce n° 3).

37- Paiement de Rivenc voiturier pour le port de deux charges de Robinetz de Bronze pour le magazin de saint ferriol le 27 février 1570 ; à Me Cammas pour voyages qu'il a faits a Thoulouze pour lachapt du plomb


de Saint Ferriol suivant l'ordre verbal de Monsieur Riquet (Arch. du Canal, liasse n° 1185, pièce n° 15), et 63 livres a bon compte des robinetz de st ferriol (Liasse n°1186, pièce n° 3), J'ignore quelle était la valeur de la charge de bronze. Je l'ai évaluée à 147 kg pour la chaux apportée de la tuilerie des Lattes et de Durfort à Saint-Ferréol, ce qui donnerait pour les robinets 294 kg de bronze. Ces transports de robinets, et de plomb vraisemblablement pour les sceller, paraissent bien prématurés en 1670.

 

38- Arch. du Canal, liasse n° 910, pièce n° 11.

39- Andréossy ne cite que deux trébuchets en 1682 dans le Tambour par où l'Eau tombe dans la voute de dessous, quand on a ouvert les deux Trebuchets, qui sont mis horisontalement, et qui occupent, tout le dans-oeuvre de ladite Tour. Ces deux Trebuchets sont posez chacun sur un essieu de fer, qui traverse la muraille, au bout de la voute de dessus ; pour les tourner, avec une Manivelle, la voute de dessus* s'appelle la voute d'ouverture, et celle du dessous**, la voute de vidange, à cause qu'elle vide l'eau (F.Andréossy : Les Règles du jeu du canal Royal, 1682, p. 23 à 25).

* Le texte imprimé porte dessous, et il a été corrigé à la main sur l'exemplaire de la bibliothèque de Montpellier.

** Correction inverse.
Qu'étaient ces trébuchets? Un autre texte donne d'autres précisions, sans que cependant l'on y voie guère mieux : a la muraille de devant appellée jnterieure il y a vne tour (planée qui est jointe qu'on nomme tambour, dans laquelle sont trois trebuchets de bronze faits à la maniere de ceux de bois des Ecluses, qui servent à lacher ou retenir les eaux qui entrent dans la ditte tour et sur les dits trebuchets par Vn trou grillé au travers de la muraille dud.t tambour sont les trois robinets de chacun 5 pouces en guerre [0,135 m, ce qui donnerait un alésage de 153 mm], qui donnent L'eau en si grande quantité à cause de la pesanteur jmmense qui se trouve dessus, qu'il est presqu'jmpossible de rester dans la voute, et je n'ay jamais entendu Vn bruit qui etonne plus que celuy la (Arch. du Canal, liasse n° 897, pièce n° 2).

 

Toujours en 1675, le grand mur était élevé à la hauteur de 16 toises (31,20 m) sur 180 dans sa plus grande longueur (351 m), et il garda ces dimensions jusqu'à l'agrandisse­ment par Vauban. Mais Riquet ne le considérait pas pour autant terminé : la passion quil a pour la grandeur de cet ouurage dont Linuention et l'execu[ti]on Surpasse tout ce qu'on peut imaginer le porte a vouloir encore eleuer la muraille du milieu de Cinq a six Toises ce qui augmentera encore considerable[ment] la quantité des eaux qui doiuent estre renfermées dans ce reseruoir non seulement en hauteur mais encore en estenduë a cause de l'elargissement des montagnes dont le Circuit Sera plus Vaste a mesure que la Superficie de l'eau sera plus haute, mais ll a esté lugé a propos de Sursoir cette Eleua[ti]on Jusques a ce que ce reseruoir en l'estat quil est ait esté remply d'eau et qu'on en ait Veu l'effet ce qui ne se pourra eprouuer que l'hyuer prochain apres qu'on aura laissé seicher la massonnerie pendant l'esté (40).

 

Les années qui suivirent jusqu'en 1680 semblent marquer un ralentissement des travaux. Le barrage était presque achevé, et surtout, le creusement du Canal entre Trèbes et Béziers absorbait toutes les énergies. À Saint-Ferréol, il ne fallait plus que parachever le grand mur et les terriers, et faire un revêtement d'un pied d'épaisseur en maçonnerie sur celui d'amont afin de lui permettre de résister à l'action de l'eau, entreprise qui fut confiée au maître maçon Jean Boyer (41), À l'achèvement du Canal, s'il manquait encore quelques toises cubes de maçonnerie au grand mur, on pouvait dire cependant le barrage achevé. Mais il allait quelques années plus tard subir de grandes transformations.

 

 

 

Les travaux de Vauban :

 

La construction des aqueducs préconisés par Vauban, si elle sauva le Canal de l'ensablement et de la ruine, devait avoir pour conséquence de le priver d'une partie importante de son alimentation dans les parties basses. Les chaussées par lesquelles le Canal franchissait les nombreux cours d'eau qu'il rencontrait (citons au hasard l'Hers, la Thésauque, le Fresquel de Baraigne, le Tréboul, le ruisseau de Mezuran ...) avaient permis à l'origine de le réalimenter après qu'une partie importante des eaux de la Montagne aient été perdues par les infiltrations et diverses autres causes.

 

Dans son mémoire daté du 5 mars 1686 à Montpellier, Vauban avait donc prévu de compenser cette diminution des ressources par le renforcement des réserves dans la Montagne Noire : il préconisait la construction d'un barrage sur le Lampy, d'un autre sur l'Alzau en amont de la Galaube, et surtout l'agrandissement de la retenue de Saint-Ferréol. Le prolongement de la rigole de la Montagne jusqu'aux Cammazes devait en outre permettre d'y amener les eaux excédentaires de la rigole de la Montagne pendant l'hiver, et de les y tenir en réserve pour les mois d'été.

 

Le 8 février 1687, alors que l'entreprise de la rigole de l'Alquié et du percement des Cammazes avait été confiée à l'architecte de Carcassonne Guillaume Cailhau, celle de l'agrandissement de Saint-Ferréol échut à Dominique Gillade, avec celle des aqueducs de Toulouse à Carcassonne. Bourgeois de Narbonne, Gillade avait été employé de Riquet dès 1669, et il fut à partir de 1671 l'un des deux contrôleurs généraux, chargé des travaux dans le Bas-Languedoc de Ventenac à Marseillan. Depuis l'achèvement du Canal, il en était directeur général. Mais il avait déjà des affaires à Narbonne (en particulier la construction de l'écluse de Moussoulens, et surtout l'entretien de la Robine), et il ne put faire face à tous ses engagements. De l'avis de Niquet, son marché avait été passé à des conditions désavantageuses pour lui, si bien qu'en 1689, on estimait qu'il avait trop perçu pour plus de 70 000 livres sur son marché, et il en devait encore 27 000 l'année suivante, ce qui était considérable. La remise en eau du Canal était retardée par les travaux de Saint-Ferréol qu'il n'arrivait pas à finir, ayant employé l'argent qu'on lui avait donné pour cela à régler ses dettes précédentes. Peut-être est-ce la raison pour laquelle le rehaussement du grand mur, qui avait été prévu de quatre toises (7,80 m), fut limité à quinze pieds (4,87 m) (42).

 

40- . Estat des ouurages du Canal de communication des mers lors de la visite qui en a esté faitte dans les mois de may et Juin 1675 par d'Aguesseau (Arch. de l'Inspection du Génie à Vincennes, N° 5, S°n 5, § 10, Con 1, N° 3).
41- . Arch. du Canal, liasse n' 910, pièce n° 12.
42- . Arch. du Canal, liasse n° 52, pièces n° 28, 29, 30 ; Arch. de l'Inspection du Génie, n°5, Son 5, & 10, Con' 1, n° 16 et 18. Je compte publier une biographie de Gillade, où ces détails seront mieux précisé
s.

 

 

Les divers états du barrage, de l'origine au déplacement des robinets :

 


On a complètement oublié quelle fut la structure primitive du barrage, et la première fois que j'ai eu sous les yeux les dessins qu'a publiés Froidour en 1672, je les ai jugés complètement fantaisistes. En réalité, ils sont absolument exacts, et il me suffira d'en donner pour référence le fait qu'ils ont été dessinés par François Andréossy.

 

Ces dessins de Froidour-Andréossy représentent le projet de Riquet en 1671, donc au moment où les murs étaient élevés à une partie de leur hauteur. On doit donc s'attendre à ce qu'il y ait quelques différences avec le barrage achevé, mais la conception est restée la même.

 

 

Plusieurs détails de ces dessins surprennent. Il y a tout d'abord les terriers qui montent jusqu'à l'arase du grand mur, aussi bien l'intérieur que l'extérieur.

Mais si nous avons l'habitude de voir le barrage avec le terrier intérieur plus bas de plusieurs mètres que le grand mur, c'est Coupe du barrage de Saint-Ferréol telle qu'il était prévu de le construire en 1671 (Froidour, p. parce que nous voyons le barrage après l'agrandissement de Vauban.

 

 

 

Coupe du barrage de Saint-Ferréol telle qu'il était prévu de le construire en 1671
(Froidour, p. 21)

 

 

Ensuite, on remarque sur toutes les coupes que les maçonneries situées du côté de l'eau sont à double paroi. Froidour nous en donne l'explication : Tous ces murs, en ce qui concerne le dedans de la Chaussée, & méme ceux de la Galerie, doivent estre contre-murés d'un mur de deux pieds [65 cm]. La Galerie de plus doit estre contre-voutée d'une autre voute ; & les vuides qui seront entre deux, doivent estre remplis de terre glaise bien battue & bien pressée : afin que si par quelque accident extraordinaire, l'eau venoit à faire quelque ouverture au lit de terre glaise qui sera entre le premier & le second murl, le reste soit maintenu en son entier par cette espece de conserve (43).
Cependant, ces précautions, nous le verrons, ne firent pas longtemps l'effet que Riquet s'en promettait.

 

L'autre surprise concerne la position des robinets. Là encore, on est tellement habitué au barrage tel qu'il nous est parvenu, que l'on n'imagine pas qu'il ait pu connaître d'autres dispositions. Dans le Plan de la Chaussée publié par Froidour, on trouve les robinets dans le Tambour, au fond des galeries qui à l'origine traversaient de part en part le barrage. Le Tambour, lui, était fermé par une voûte, et complètement étanche. Et il m'a fallu quelque temps pour arriver à admettre que si l'on trouve étonnant aujourd'hui qu'il existe deux galeries de prise d'eau dans les parties habituellement noyées du barrage, c'était parce qu'à l'origine ces galeries étaient à sec, et qu'elles n'étaient que le prolongement des galeries extérieures. Et l'on comprend mieux alors l'étonnement, voire la frayeur des contemporains lors de l'ouverture des robinets, car celle-ci ne s'opérait pas comme aujourd'hui à l'aplomb du grand mur, mais tout au fond de la galerie d'ouverture, dans le Tambour, sous plus de vingt mètres d'eau, au cœur même de la retenue.

 

43- Froidour, p. 21-22.21).

 

 

 

coupes horizontale et verticale du barrage tel qu'il était prévu en 1671 d'après Froidour.
(Pour la légende, voir figure précédente).
On remarque principalement les robinets dans le tambour,
et la galerie d'ouverture traversant de part en part le barrage.

 

 

 

 

Et au sujet des robinets, nous l'avons vu plus haut, contrairement à la gentille tradition qui existe à Revel, les robinets de Saint-Ferréol n'ont jamais été en bois, légende qui a dû être inspirée par leur analogie avec les cenelles des fûts de vin. Dès l'origine, Riquet a placé des robinets en bronze.

 

Quelles furent les modifications que Vauban a apportées à Saint-Ferréol ? Nous avons vu que l'essentiel des travaux a consisté à surélever le grand mur afin d'accroître la capacité de la retenue. Mais il a craint que le talus placé par Riquet à l'aval pour soutenir la poussée des eaux soit insuffisant, et il l'a fait élargir, ce qui a conduit à prolonger les galeries, et à construire un nouveau mur à l'aval. Ainsi, quand on regarde le barrage, que ce soit en haut, au couronnement de la digue, ou en bas, devant les sorties des galeries, ce ne sont pas des maçonneries de Riquet que l'on voit, mais de Vauban. Pour voir celles de Riquet sans attendre que le barrage soit vide, il suffit d'entrer dans les galeries.

 

Quand on s'avance dans celle d'ouverture, on rencontre entre 36 et 38 mètres de l'entrée une jonction entre deux sortes de maçonneries. Alors que depuis l'entrée les pieds-droits de comme la voûte sont bâtis principalement de pierres de taille (dont beaucoup

portent des marques de tâcherons, comme la surélévation du grand mur), les maçonneries au delà de cette distance sont uniformément enduites de mortier. Un relevé précis des distances par rapport au parement du mur (36,84 et 37,75 m) m'a permis de tracer l'orientation du plan de joint, qui forme un angle bien marqué par rapport au mur actuel. Cette jonction est bien moins visible dans la galerie de vidange, qui est uniformément enduite. Mais à une quinzaine de mètres de l'entrée, une fissure dans l'enduit semble bien correspondre là encore à l'agrandissement du barrage. J'ai reporté les lignes ainsi obtenues sur le plan du barrage publié par La Lande en 1778. On a alors la surprise de voir mes lignes correspondre aux anciens plans antérieurs aux travaux de Vauban, dans lesquels ce mur d'aval formait un angle aigu avec le grand mur, alors que depuis Vauban il lui est à peu près parallèle.

 

 

 

Plan des Murailles et Voutes du Reservoir de S.Farriol de la carte de Nolin (1697, selon un plan antérieur à 1690). L'orientation du mur d'aval correspond exactement à celle qui est restituée sur le plan ci-contre à partir des mesures dans les galeries.

 

la jonction des maçonneries de Riquet (à gauche) et celles de Vauban exécutées par Gillade (à droite) dans la galerie d'ouverture, à 36,84 m de l'entrée.

Restitution de la position de l'ancien mur de Riquet sur le plan de La Lande

(Les deux lignes sont décalées en raison du talus que faisait le mur).

 


 

 

Coupe du barrage à son achèvement par Riquet, et au-dessous, après les modifications de Vauban.

 

1- Tambour
2- Puits du Tambour
10- Grand mur
11- Prise d'eau des robinets (aujourd'hui fenêtre Tambour)
12- Vanne de fond

13- Galerie d'ouverture des robinets
14- Galerie de vidange
16- Mur extérieur
17- Rigole de fuite, ancien lit de l'Audot
18- Chemin de Revel à Vaudreuille
19- Terriers

Plan du barrage et de la retenue de Saint-Ferréol, et détail des galeries, vignette de la carte de Nolin (1697) d'après un plan de 1690.

 

Dans la décennie qui suivit les travaux de Vauban, d'abondantes pertes d'eau s'étaient fait jour à travers les maçonneries, principalement des galeries. Toutes les précautions qu'avait pris Riquet de faire des doubles parois et des corrois de glaise avaient été vaines, et les mortiers, exécutés à la chaux grasse, avaient été vite délavés. À une date qui n'a jamais été précisée, probablement vers 1700, les robinets furent reportés au grand mur, les galeries définitivement bouchées et leur partie amont ennoyée, ainsi que le Tambour dont la voûte inutile fut supprimée et la chambre réaménagée vers 1760.

 

 

Extrait dessiné à main levée de l'ELEVATION DE LA Batisse de St Feriol, qui représente comme un écorché du barrage
(Arch. de la Marine, Vincennes, recueil 21, n°38, plan non daté, antérieur à 1687).

 

Que reste-t-il des aménagements primitifs de Riquet ? J'ai recherché en vain les traces de scellement des anciens robinets dans le puits du Tambour, lors des deux dernières mises à sec. L'ouverture qui se trouve sous les escaliers de la chambre du tambour pourrait être un vestige de celle par laquelle on les manœuvrait, niais cette partie a été très modifiée. En revanche, j'ai eu la surprise de découvrir au bas du puits deux humbles témoins du fonctionnement des robinets dans le Tambour. À la jonction entre le seuil formé par le radier du puits (sur lequel venait s'écraser l'eau des robinets) et la voûte d'Enfer, les pierres présentent des deux côtés une usure visiblement provoquée par un écoulement d'eau qui a dû passer là longtemps et avec violence. Or, depuis 1700, cette partie est constamment noyée, et ce ne peut être le passage de l'eau lors des rares ouvertures de la vanne de fond qui les ait produites.

Je regrette parfois d'avoir renvoyé l'histoire des robinets de bois de Saint-Ferréol au domaine des légendes. Mais la réalité n'est-elle pas plus belle que la légende, quand on sait en retrouver les traces ?

 

 

 

Aux deux extrémités du ressaut du radier du puits du Tambour, et au départ de la voûte d'Enfer, l'usure de la pierre (flèches blanches) provoquée par un long écoulement de l'eau témoigne des premières années du fonctionnement du barrage, avant que les robinets aient été transportés au grand mur (Photos Gérard Roche).

 

 

 

Michel ADGÉ

 

RETOUR PIERRE PAUL RIQUET 

ACCUEIL