Société d’ Histoire de Revel Saint-Ferréol                                       PARU DANS LES CAHIERS DE L’ HISTOIRE NUMERO 14 - 2009 -

 

LA « BODEGA »(1)

(1) prononcer « boudégo »
 

La musique, le chant, la danse

Par Jean-Paul Calvet

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La musique, le chant, la danse ont toujours occupé une part importante dans la vie de l’homme. Depuis la préhistoire, ils  ont pu accompagner des rites cultuels, ponctuer les phénomènes de sociabilisation des peuples au travers de fêtes, la commémoration d’événements importants pour une communauté.

Le jour de fête, c’est aussi une journée importante à l’équilibre physique et psychologique, c’est une salutaire rupture du rythme de vie.

Ces événements peuvent aussi être une provocation d’inversion de hiérarchie, de résistance, une recherche d’excès dans l’alimentation et la boisson ce qui peut être merveilleux dans un contexte où famine et disette vous  guettent, où pressions sociales et hiérarchie sont intenses et pesantes.

 Ils peuvent être pratiqués différemment à certaines époques selon les classes sociales et diviser les pauvres et les riches  comme l’écrit le poète biterrois  Matfre Ermengau à la fin du XIIIème siècle dans son « Breviari d’amor » .

La musique , le chant, la danse peuvent aussi être vecteurs de message profonds, puisés dans un folklore et une culture très locale. Ils peuvent signifier l’appartenance à un groupe ou exalter l’élan patriote.  Enfin et surtout, ils adoucissent les mœurs, rapprochent les personnes, peuvent véhiculer des messages d’amour et former des couples pour la vie.

 

L’instrument de musique « la bodega » entre dans le cadre de ces généralités.

 

LA RENAISSANCE DU PATRIMOINE MUSICAL

 

 Cette « cornemuse du languedoc » , souvent mal  connue, est un fleuron de notre culture d’une partie du Lauragais et de la Montagne Noire. Elle est unique.

Elle mérite d’être mieux connue, et fait parti d’un patrimoine « sauvé » récemment par toute une dynamique associative de grande valeur :

 

 

- Charles ALEXANDRE (installé à Villardonnel), enquête sur l'instrument et ses sonneurs de 1965 à 1975 (date de son article "Cornemuse du Languedoc" dans la revue Folklore). Ce travail a été commandé par le COATP (Conservatoire Occitan Arts et Traditions Populaires). Il est donc le premier à sortir l'instrument de l'oubli.

-  « 1983 » Les instruments de musique dans la tradition populaire du Lauragais

-  « 1900 – 1950 », thèse de Claude SICRE & Xavier VIDAL (5 volumes).

- 1986 "Grailaires e crabaires" réalisé par la TALVERA, à l'époque une poignée de "militants travaillant pour la reconquête de notre culture populaire et de notre identité d'occitan".

Il existe alors une quinzaine de sonneurs en tout.
- 2002 notre instrument vit une 2ème renaissance avec la formation d'un groupe interrégional de travail sur la bodega, né à l'issue d'une semaine de manifestations autour de l'instrument à l'initiative de l'ADDM de l'Aude (Frank SIMONEAU). Ce collectif de passionnés, chercheurs, musiciens, facteurs décide, sous la houlette de Luc CHARLES-DOMINIQUE, de travailler sur la recherche organologique (mesure de tous les instruments anciens connus et étude comparée), la pédagogie et la publication de documents (qui manquaient gravement, le livre de la Talvera étant épuisé). Ainsi l'anthologie triple CD "Bodega Bodegaires !" fête sa sortie en 2004 au festival de Saint-Chartier.

 

 

Pour qu'un instrument non seulement survive mais vive, la transmission est indispensable. C'est pourquoi, depuis plus de 7 ans à Villardonnel, Sophie Jacques professeur de musique,  l'enseigne afin que tous puissent se la réapproprier. Parmi la vingtaine d'escolans, il y des jeunes, un petit-fils de bodegaire et tout un public curieux et sensibilisé à la promotion et la reconnaissance de cet instrument.

 Ils ont aussi élargi le répertoire entre autre au répertoire des fecas (carnaval de Limoux) afin de lui donner une valeur d'instrument de musique à part entière et non d'instrument de folklore, terme devenu péjoratif. On peut dénombrer actuellement plusieurs dizaine de sonneurs (une quinzaine il y a une décennie).

 

 

HISTOIRE ET  ORIGINE DE LA « BODEGA »

La « bodega » appelée aussi « craba » désigne un instrument de musique fabriqué de façon artisanale.

 Elle est de la famille des cornemuses. Cet instrument était, il y a longtemps, assez usité dans les campagnes et pouvait être différent dans sa conception et sa forme.

Ainsi pour le sud ouest, il existait « la gaita » dans les Pyrénées aragonaises, le sac de gemecs en Catalogne, la chabrette en Limousin, la « boha » en Aquitaine , la « cabreta » en  Auvergne  et notre « bodega » dans la Montagne Noire et une partie du Lauragais (Haut Languedoc avec diffusion dans la région Languedoc Roussillon).

 

Au XIème et XIIIème siècle la diffusion des jongleurs, puis des ménétriers au XIVème et XVème siècles pourraient avoir été les « propagateurs » de cet instrument appelé  la cornemuse (la « cornemuse » est un terme générique – la « bodega » en est une forme spécifique) . L'iconographie abondante du Moyen-âge nous atteste l'existence de nombreux modèles et variations morphologiques de cornemuses, sans "spécialisation régionale" (voir les nombreux chapiteaux sculptés dans la pierre ou les magnifiques illustrations des cantigas de Santa Maria.

 

 

 

Le château de Capestang (Hérault) possède un plafond peint exécuté vers 1436-1451 pour Jean d’Harcourt, archevêque de Narbonne, et évoque tout au long des métopes qui surmontent une des poutres la « carole au jardin de Déduit du Roman de la Rose », dont la première partie a été composée par Guillaume de Lorris en 1245. Plusieurs couples évoluent ainsi autour des deux panneaux représentant deux fois deux musiciens jouant de la cornemuse, du tambourin et du chalumeau.

 

 

 En 1398, cette preuve nous est fournie par un « cornemusayre » professionnel qui figure dans le registre des « Estimes toulousaines » (Luc CHARLES-DOMINIQUE).

 Enluminures, peintures, sculptures, vitraux d’églises fournissent de bons témoignages de la présence de cet art traditionnel dans notre région. La cornemuse est appréciée dans nos villes, villages et campagnes.

 

Au travers de toute cette iconographie régionale, on peut essayer de restituer l’évolution organologique de l’instrument la cornemuse   dans nos régions (nous ne développerons pas ici l’instrument dans l’antiquité et plus généralement avant l’an 1000 :

 

 

-  XII° et XIII° siècle l’archétype de la cornemuse est constitué d’une outre, d’un instrument à pied de section rectangulaire qui laisse supposer une perce cylindrique et qui n'interdirait pas un bourdon parallèle au tuyau mélodique (comme la boha), et d’un tuyau d’insufflation (château de Puivert XIV° siècle - Aude et à Fornex – Ariège)

- à la fin du XIV° siècle et tout particulièrement au XV° on adjoint à l’instrument un tuyau bourdon que le musicien tient sur son épaule (bourdon d'épaule). La cornemuse devient un instrument diaphonique (la deuxième voix est bourdonnante). On retrouve des représentations de cet instruments en 1341 dans une fresque murale de la chapelle Saint Antonin de l’ Eglise des Jacobins de Toulouse, en 1528 sur un chapiteau de l’église de Villardonel (Aude).

 

 

- au XVII ° siècle,  tout un engouement se développe pour les « plaisirs champêtres », l’aristocratie adhère à cette nouvelle mode, une mode noble d’inspiration pastorale va alors se développer. Les instruments populaires vont apparaître dans les ballets de cour et les orchestres de musique princière.  On présente le « Ballet des plaisirs » en 1655, et par opposition aux « divertissements de la ville » on propose « les délices de la campagne ».

 

Des transformations vont s’opérer  - adjonction d’un tuyau parallèle au hautbois, apparition de clés et abandon du gonflement de l’outre par la bouche. Le remplacement du porte-vent par le soufflet sous le bras a permis aux dames nobles, férues de cette mode pastorale, de ne pas avoir le visage déformé mais aussi de chanter en même temps.

 

 La cornemuse ainsi améliorée devient « musette de cour ». La cabrette que les Auvergnats ont transporté à Paris et qui a donné naissance au bal musette est la "survivance" de la musette de cour.

 

C’est en 1638 que se trouve dans l’ouvrage « Ditciounari Moundi » du Toulousain J. Doujat la première citation écrite de la « Boudego ».

- au XIX° siècle, l’instrument tombe en désuétude, il appartient déjà au passé. Pourtant plusieurs cornemuses paysannes vont bénéficier des évolutions technologiques de la « musette de cour ». Le divorce est prononcé entre ces cornemuses perfectionnées et les autres restées plus archaïques. Des différences très importantes vont se mettre en place entre les différentes cornemuses (boha – gaïta – cabreta et bodega).

La bodega semblait occuper avant 1850, une aire de diffusion plus restreinte?

 

 

 

L'aire de jeu de la bodega « sensu stricto » est bien celle décrite ci-dessus, elle a peut-être été plus répandue à une époque antérieure mais rien ne l'atteste. En tant qu'instrument elle apparaît au XIXème et connaît son heure de gloire jusqu'à 1914 : plus de 200 bodegaires et crabaires sont recensés dans cette petite aire de jeu.

 

Peut être du fait des déplacements, l’espace va s’élargir, des « bodegaîres » vont  emmener leur art en Ariège, Hérault, Haute Garonne. Cette aire a pu être plus importante notamment sous l’ancien régime (comme pour la « graïle »). Mais faute de documentation nous ne saurions l’affirmer.

Au XIXème siècle, des « cornemuses étrangères » (musiciens italiens avec leur instrument :la  zampogna "a chiave", c'est à dire dont le tuyau de la main  gauche est doté d'une clef sous fontanelle pour le trou inférieur) viennent même bourdonner dans la rue du Maquis à Soréze (nous avons un des plus vieux document photographique datant des années 1860 – malheureusement nous n’avons pas eu l’autorisation de la publier, celui ci étant en cours d’étude).

 

Au début du XX° siècle, on comptait plusieurs centaines de joueurs autour de Castres , Mazamet, le Sidobre, Monts de Lacaune, Montagne d’Alès, Montagne Noire et Lauragais (55 communes environ).

 

LA BODEGA – cornemuse unique
LE "COCUT"  DE GARREVAQUES

La bodega (notre cornemuse de la « montagne » du Haut Languedoc) est certainement la cornemuse la plus imposante qui soit avec sa cousine des Pouilles d’Italie la zampogna (de 50 à 100 litres d’air suivant le volume de la bête utilisée ), elle n’a qu’un seul bourdon (d’autres en ont deux : la gaita alors que le pipe écossais en a trois), elle est gonflée à la bouche (la cabrette est gonflée à l’aide d’un soufflet).

La technique d’assemblage des « anches » et leur nature donnent à la « bodega » un son très particulier. Chaque type de cornemuse est unique, a sa propre personnalité, ainsi elle peut être identifiée à la communauté dans laquelle elle dépend et la culture qu’elle représente. L’instrument est le témoin de techniques artisanales complexes (tournage, tannerie, confection des « anches »).   L'instrument est plutôt considéré comme "archaïque", et la plupart du temps le musicien se fabriquait lui-même son instrument (sauf le graile dont la perce conique était délicate et pour laquelle ils faisaient appel au forgeron par exemple). La décoration (laine ou coton) était en effet traditionnelle comme les cabrettes très décorées. Des bagues métalliques renforçaient les extrémités plus fragiles.  

Depuis peu, pour le Conservatoire Occitan, Claude Romero a reconstitué les premières bodegas. Il y a actuellement 5 ou 6 facteurs.

 

 

LE REPERTOIRE MUSICAL

 

La « bodega » est aussi l’expression  et l’interprète d’un répertoire musical spécifique.

L’importance du chant et de la musique est importante dans notre région. Il y a plusieurs siècles, les chants ne se pratiquaient que d’une façon monodique . La pratique du « dançar al tralala » était courante dans nos campagnes. Le chanteur se plaçait dans l’axe de la cheminée et pouvait taper des pieds ou utiliser des ustensiles divers pour rythmer le chant (sabots, casseroles, table,etc…).

Une importante tradition de chanteurs ambulants, de chansonniers, de vendeurs de chansons s’était développée dans notre région. A côté de la bodega, on pouvait trouver des « violoneux », accordéonistes, joueurs de fifres, clarinette, flûtes à bec, caisses de gardes champêtres, etc…

Avec la «  bodega » on allait « sonar la bodega » « bodegar »  « far petar la bodega » « fotre una crabada  ou bodega».

 

Les recherches notamment de Charles Alexandre (CORDAE/ La TALVERA) ont permis de regrouper dans une triple CD (avec livret de documentation) une importante collection de musiques avec paroles de notre région. Il s’agit d’une véritable anthologie de la Cornemuse du Haut Languedoc (BODEGA, BODEGAIRES ). De nombreuses photos, histoires, chants avec paroles proviennent de notre région (Massaguel – Rivière du Sant, Revel, Soréze, Dourgne, Arfons, Garrevaques, St Félix, etc…).

 

 

Charles ALEXANDRE a publié ses recherches bien avant l'anthologie qui est le résultat d'un travail collectif de musiciens et dont Daniel LODDO a rédigé l'abondant livret pour pallier au fait que "grailaires e crabaires" était épuisé.

Le premier CD (45 titres) concerne les témoignages des anciens, résultat de diverses collectes et les 2 autres (22 pour le CD 2 et 23 titres pour le CD 3) sont la photographie en 2004 de la pratique de cet instrument, pratique collective ou en solo.

 

 

  Le répertoire était varié :

 

- des airs lents qui étaient le plus souvent des sérénades. Ces sérénades étaient jouées le plus souvent au mois de mai. On faisait le tour des fermes , les musiques étaient destinées à l’adresse des jeunes filles

 

 

 Margaridette mes amours

Je te porte un bouquet de fleurs.
Un bouquet d’œillets
La branche du romarin

C’est pour te faire voir
Que je suis ton bon ami.

 Margaridette ne pleure pas
Car ton galant ne partira pas

Margaridou, Margaridette

Marions-nous quand tu voudras.

 

 

- les marches qui accompagnaient les mariages avec un répertoire particulier. Le « bodegaïre » accompagnait le cortège sur plusieurs kilomètres. Il devançait ou « poussait » le cortège nuptial. Parfois le musicien était porté debout sur un bard.

 

- d’autres marches qui permettaient de se rendre aux veillées ou dans les fêtes y compris les fêtes religieuses, certaines messes de Noël (dans certains endroit la bodega était interdite pour les fêtes religieuses* … elle était symbole de permissivité !)

TELECHARGEMENT MUSIQUE
MORCEAU 1
MORCEAU 2

 

 

  

Un important répertoire de "nadal" existe pour la bodega car, instrument pastoral, la messe de Noël était une des rares occasions où elle était autorisée à rentrer dans l'église.

 Le cartulaire de Mahul mentionne cependant une rixe entre jeunes à Villardonnel où elle fut interdite à partir de ce moment à rentrer dans l'église.

 

 

Un important répertoire de "nadal" existe pour la bodega car, instrument pastoral, la messe de Noël était une des rares occasions où elle était autorisée à rentrer dans l'église.

 Le cartulaire de Mahul mentionne cependant une rixe entre jeunes à Villardonnel où elle fut interdite à partir de ce moment à rentrer dans l'église.

Nadalet

Chantons avec allégresse
Pour le Roi que Dieu nous envoie
C’est un grand jour de fête

Nadalet

Chantons le petit berger

- LES AIRS DE DANSE (le virolet, la balajaira, le quadrille, la farandola, la  polka, mazurka, valse ou « rodaïra », etc…)

 

Une compétition pouvait s’engager entre « bodegaïres »… celui qui jouait le plus fort (notion subjective car il n’y a pas de « potentiomètre » à la cornemuse !), le plus longtemps.

 Au début du XX° siècle, à Verdun Lauragais, les joueurs se répondaient les soirs d’été, d’un coteau à l’autre.

 Des concours de cornemuse ont eu lieu à Dourgne (fête de St Stapin en 1912), Arfons (septembre 1898), à Mazamet ce sont treize « bodegaïres »  qui font sortir de leur domicile la population.

 Le « Cocut » de Garrevaques à la réputation de « s ‘entendre à plusieurs kilomètres à la ronde ».

Le 8 mai 1945, pour célébrer l’arrêt des hostilités, un « bodegaïre » (Pierre AUSSENAC, garde à la mine de Salsigne) a joué toute la nuit. Il serait décédé à cause de son effort durant l’année 1945.

  

Le Félibrige (en occitan: lou Felibrige selon la norme mistralienne oulo Felibritge selon la norme classique) est une association littéraire fondée en 1854 par Frédéric Mistral et 6 autres poètes provençaux pour assurer la défense des cultures régionales traditionnelles et la sauvegarde de la langue occitane ou langue d'oc.

Son action s'est appliquée au provençal dans un premier temps et s'est étendue très rapidement à l'ensemble des parlers d'oc, dès la fin du XIXe siècle.

Le Félibrige est devenu aujourd'hui une organisation de défense et de promotion de la langue et de la culture d'oc. Il lutte pour la reconnaissance de la diversité culturelle en France mais aussi pour le monde entier. Le Félibrige est aussi la seule organisation présente sur les 32 départements de langue d'oc, conjointement avec l'Institut d'Études Occitanes (IEO).

Le congrès (assemblée générale) du Félibrige se déroule tour à tour dans une ville différente d'Occitanie, au moment de la fête de sainte Estelle (ou d'une date proche). C'est en général l'occasion de belles festivités publiques dans la ville d'accueil. A Revel, un Félibrige a eu lieu sous le mandat de M. Carrade (années d’occupation) et a été l’occasion de nombreuses festivités . Les « bodegaïres » étaient présents.

 

Des groupes organisés ont parfois dynamisé cet instrument  comme  à Revel pendant la deuxième guerre mondiale le groupe « le Tibourli » avec le Docteur Carrade, et l’organisation de « Felibriges ».

Un Félibrige à Revel année 1942/1943 avec le docteur Carrade maire de Revel

 

 

LA FABRICATION

 

La bodega est composée :

-  d’une poche de chèvre (d’où son nom tarnais) ou de mouton l’oire,

- d’un bufet servant à insuffler l ‘air dans la poche avec clapet en cuir

- d’un graile : hautbois percé de huit trous de jeu et de trous d’accord

- d’une bonda : long bourdon

La symbolique de l’instrument (qui servait aussi l’esthétique) était assurée par une importante décoration de couleurs vives ce qui ne manquait pas de trancher avec la couleur blanchâtre de l’outre. On ne connaît pas la valeur symbolique des décorations qui étaient faites par les épouses ou amoureuses pour leur joueur.

Fabriquée artisanalement en peau de mouton ou chèvre, on s’efforçait de choisir l’animal. L’animal était tué en hiver de préférence durant la lune vieille. On choisissait une femelle (les mâles sentaient mauvais) de moins de deux ou trois ans et n’ayant mis bas pas plus d’une ou deux fois.

Pour les gens peu fortunés, on fabriquait la bodega avec un animal non consommable et à valeur commerciale nulle – malade le plus souvent.

La poche devait parfois être changée…

La peau devait être intacte pour l’étanchéité. Ossements et viande étaient enlevés par le cou de l’animal  après broyage des os avec un bâton entouré d’un chiffon. D’autres techniques existaient, la meilleure était celle là (technique pour réaliser des outres pour le transport de liquides). La peau était retournée, les poils vers l’intérieur.

 

Divers éléments en bois de la bodega (cornemuse du Languedoc) ayant appartenu à un musicien de Garrevaques : porte-vent, souche du graile, postarèl

Collection Centre Occitan des Musiques et Danses Traditionnelles Toulouse Midi-Pyrénées

 

Eléments du bourdon (bonda) d'une bodega (cornemuse du Languedoc) ayant appartenu à un musicien de Garrevaques.

Collection Centre Occitan des Musiques et Danses Traditionnelles Toulouse Midi-Pyrénées

 

Détail du bourdon d'une bodega (cornemuse du Languedoc)

Collection Centre Occitan des Musiques et Danses Traditionnelles Toulouse Midi-Pyrénées

 

 

Un rond de bois  (le postarèl) permettait de boucher l’orifice, certains gardaient les 4 pattes de l’animal.

Tout le reste de l’instrument était fabriqué localement, et faisait appel à un « savoir faire » assez « pointu ».

 

 

Détail de deux bourdons de bodega (cornemuse du Languedoc) ayant appartenu à un musicien de Garrevaques
Collection Centre Occitan des Musiques et Danses Traditionnelles Toulouse Midi-Pyrénées

 

Elément du bourdon (bonda) d'une bodega (cornemuse du Languedoc) ayant appartenu à un musicien de Garrevaques.

Collection Centre Occitan des Musiques et Danses Traditionnelles Toulouse Midi-Pyrénées

 

 

LE NOM DE LA CORNEMUSE

 

Chaque cornemuse « occitane » est désignée par son élément central : l’outre.
L’animal dont est tiré l’outre donne le nom de l’instrument (cabreta, craba) parfois l’élément pris en compte est le souffle (la boha), Pour notre cornemuse appelée aussi craba, c’est dans notre région le mot « outre » en languedocien qui a donné son nom : la bodega.

 

Le dictionnaire selon le « parler languedocien » d'ALIBERT mentionne aussi que dans le « parler Audois » bodega signifie une personne ventrue...

Pour plus de clarté dans la compréhension de la terminologie, la bodega appartient à la grande famille des cornemuses et est le nom de la cornemuse de la Montagne Noire, elle n'a pas de nom en français.

La difficulté est que ce terme est utilisé par les habitants de l'aire de jeu pour désigner tout type de cornemuse.

 

LA BODEGA : du mépris à la renaissance

 

A la fin du XIX° siècle et au début du XX°, une partie de la société vilipendait l’archaïsme de l’instrument et les musiciens.

 

Des méfaits étaient organisés contre cet « art traditionnel ». Crevaison des outres, excréments mis dans l’extrémité des bourdons. Certaines expressions sont caractéristique : « Aquel es un profesor de bodega ! » pour signifier qu’une personne ne fait rien de bon dans la vie et entraîne les autres dans la débauche…

Les joueurs étaient accusés de s’adonner à la boisson, et de mal faire danser…

Il est vrai que les « bodegas » étaient les instruments de musique du petit peuple, des classes les plus basses de la société. Leurs descendants ont souvent cherché à cacher ou détruire toute trace de cette misère passée. Heureusement, les mœurs ont changé… Nous recherchons nos racines, et cet art traditionnel de la Montagne Noire en fait parti. De nombreux groupes de « bodegaïres »  se produisent lors de manifestations dans notre région, et nous enchantent de leur musique qui nous appartient, qui appartient au fonds patrimonial du Lauragais et de la Montagne Noire.

  

 

Xavier Vidal et Claude sicre signalent que, particulièrement dans le Lauragais, les gens étaient fiers de leur bodegaire, pas forcément de l'instrument.

 

 Il accompagnait le monde rural dans sa vie de tous les jours et les "méfaits de crevaison" n'étaient qu'anecdotiques. C'est plutôt après la guerre de 14 que l'instrument commençât à rentrer dans l'oubli, déjà pour la bonne raison que beaucoup de ses sonneurs n'en sont pas revenus. La deuxième cause est l'essor de l'accordéon, venu d'Italie, plus à la mode, plus facile d'utilisation et permettant plus de possibilités musicales et par conséquence un accès à un autre répertoire, qui a supplanté progressivement notre bodega.

 

Beaucoup d'instruments sont partis "al fòc" car les épouses ou les enfants n'étaient pas forcément fiers d'avoir un musicien dans la famille, qui passait ses fins de semaine à "faire la fête" et ne rentrait pas d'argent dans des milieux défavorisés.

Le bal du village se tenait pour les plus aisés sur la place du village au son de la clarinette et du piston alors que les valets de ferme dansaient à la sortie du village au son de la bodega (et du fifre ou du tambour).

 

 (rédigé par Sophie Jacques)

 

 

La recherche de documentation continue pour préserver ce patrimoine… vous avez une photo, un texte, une anecdote, une chanson, un document, une partie d’instrument de musique, faites nous en part. Ils seront sauvés de l’oubli et d’une perte irréversible.

 

Marché de nuit Saint - Ferréol  été 2008

 

Remerciements 

(cet article n’est que la synthèse et la compilation rapide d’éléments fournis par diverses associations et personnes que je tiens à remercier içi):

-   Centre Occitan des Musiques et Danses traditionnelles – Toulouse
-   Association Cordae/ La Talvera (Alexandrine Bach, Céline et Daniel Loddo)
-  
M. Jean Luc Matte (site internet à voir   http://jeanluc.matte.free.fr)
-   M. Marcel Baurier ( responsable ecclésiastique des Jacobins)
-   M. Jean Louis Bonnet (château dePuivert)
-  
Mme Corinne Calvet (historienne)
-   OT de Carcassonne
-  
Mme Sophie Jacques (école et groupe de musique de Villardonel)  qui m’a apporté son concours pour la rédaction de cette publication)  

Pour les personnes intéressées par cet instrument et cet art traditionnel, nous conseillons la visite de sites ou la lecture d’ouvrages dont la liste suit :

- Bodega, bodegaïres « Anthologie  de la cornemuse du Haut Languedoc– livret et 3 CD publiés et enregistrés  par Cordae/
- La Talvera
– ADDMD 11 – Conservatoire Occitan – Centre Languedoc-Roussillon des Musiques et Danses traditionnelles
- ALEXANDRE Charles -. « La cornemuse du Languedoc ». Folklore n°165, tome XXX
- ALEXANDRE Charles. « La survivance des anciens instruments de musique populaire en Languedoc ». Folklore de France, n°124, Paris, 1972
- LODDO Daniel. Graïlaires et crabaïres. Enerque. Vent Terral.1986. 254 pages
- LODDO Daniel. Lo graïle e los graïlaïres”. In Les hautbois populaires. Anches doubles, enjeux multiples. Saint Jouin de Milly. -
- Editions Modal. 2002

- Un site incontournable  
http://jeanluc.matte.free.fr (Iconographie de la cornemuse)
-
Double DVD + Livret "Bodega, buf de vida !" primé par l'académie Charles Cros - http://www.bodega.bufdevida.sitew.com