Société d'Histoire de Revel Saint-Ferréol - CAHIER D'HISTOIRE DE REVEL N° 21 pages 32-35 |
Le fusil de la « Garde bourgeoise » de RevelPar Jean-Paul Calvet |
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Dès la fondation de la Bastide de Revel, la charte des coutumes (Charte de Fondation) de la ville prévoyait et autorisait la constitution d’un corps armé pour protéger la cité et faire la police contre d’éventuels malfaiteurs.
Deux articles de cette charte sont particulièrement explicites :
article 20 – « Que les consuls de ladite ville ensemble bayle et les autres officiers du roi, notre seigneur, en ladite ville, puissent garder la ville en armes de jour et de nuit, prendre, faire prendre et arrêter les délinquants, malfaiteurs, les mettre dans les prisons de ladite bastide, pour les punir de leurs méfaits. »
article 22 – « Que les consuls de ladite université puissent fermer ladite ville et son intérieur, ou à l’entour faire des fossés, retranchements, portes, murailles et tours, sans qu’ils soient tenus de rien donner pour prix ou amende au roi notre Seigneur , avec le droit aux habitants de remplir d’eau lesdits fossés et retranchements d’en faire des viviers, d’y tenir du poisson, et de faire de celui-ci à volonté. »
Le passé militaire de Revel a déjà été évoqué dans un de nos « Cahier d’Histoire de Revel » (1) , en effet Revel a joué durant certaines périodes de l’histoire le rôle de place forte militaire.
Les textes commencent à nous éclairer dès le 17e siècle sous Louis XIV, on peut ainsi lire qu’il existe « une tour » (certainement un corps de garde) à chaque porte de la ville avec bien entendu des hommes armés :
« … Et de mettre leurs portiers aux quatre portes de la ville, sur lesquelles il y a une tour à chacune pour les loger » (2) .
De nombreux autres documents à partir du 17e siècle essentiellement (avant les documents sont rares) corroborent la présence d’un « corps armé » dans la ville.
La Garde bourgeoise de Revel à la fin du 18e siècle
Le Conseil consulaire de Revel, après de nombreux mécontentements des habitants qui se plaignaient de vols et autres excès, demande dans sa séance du
4 janvier 1773 l’établissement d’une garde bourgeoise.
Cette demande sera officialisée par le comte Gabriel-Marie de Talleyrand-Périgord en date du 1er mars 1773 assortie d’un règlement en douze articles précisant la réglementation et l’organisation de la « garde » (3) :
« Règlement pour l’établissement d’une garde bourgeoise à Revel diocèse de Lavaur ».
« Gabriel-Marie de Talleyrand-Périgord, comte de Périgord et de Grignols, prince de Chalais, Grand d’Espagne de la première classe, chevalier des ordres du roi, maréchal de camp, gouverneur et lieutenant-général de la province de Picardie et pays reconquis, commandant en chef de celle de Languedoc. »
« Sur les plaintes qui nous ont été portées par les Consuls de Revel, diocèse de Lavaur, les vols et autres excès qui se commettent journellement dans cette communauté et la délibération prise par lesdits consuls, le 4 janvier 1773 à l’effet de nous supplier de leur permettre l’établissement d’une garde bourgeoise audit Revel pour la sûreté des habitants, nous avons ordonné et ordonnons ce qui suit … »
Cette garde est répartie en deux classes :
- La première est destinée au commandement d’une patrouille de six hommes (le recrutement se fait à partir des bourgeois, négociants, notaires ; excepté les militaires, avocats, médecins ou maîtres-chirurgiens).
- La deuxième comportait les ouvriers, travailleurs, agriculteurs qui étaient en service uniquement le dimanche et jours de fêtes.
Cette patrouille, composée de six hommes et de son commandant, circulait dans les rues de la ville :
- l’hiver de 18 h à 7 h du matin
- l’été de 21 h à 4 h du matin.
Un fantassin de la « Garde Bourgeoise » de Revel appelée aussi parfois « la Milice Revéloise » et/ou « Troupes Volontaires de Revel » armé du fusil mousqueton à silex modèle 1777
(dessin de M. Bézian).
Un véritable couvre-feu existait, il est consigné par écrit dans un des articles (4):
« Après l’heure de la retraite annoncée au son de cloche, tous les cabarets seront fermés, tous les habitants fermeront leurs portes, ceux trouvés dans les rues à faire du bruit , jeter des pierres, porter des armes sans en avoir le droit, frapper aux portes, en un mot troubler la tranquillité publique, seront arrêtés et mis au corps de garde jusqu’au matin. »
Notons aussi, largement décrite par Gustave Doumerc en particulier, les deux compagnies de la « Jeunesse de Revel » qui deviendront plus tard les « Troupes Volontaires de Revel ».
En 1777, l’effectif de ces troupes était de 40 hommes pour la troupe à cheval, de 50 hommes pour la compagnie à pied. Elles seront dissoutes pendant la Révolution et deviendront la Garde Nationale…
Le fusil de la « Garde bourgeoise » de Revel
Il y a quelques décennies, existaient encore dans les greniers de la Mairie de Revel les vestiges de l’ancien arsenal de la ville.
Celui-ci était constitué d’une dizaine de fusils et de diverses cartouchières dont les caractéristiques étaient la présence sur les crosses d’une armoirie gravée dans le bois portant un « R » couronné (dont l’appartenance était bien définie à Revel) et d’un numéro d’ordre à deux chiffres.
Ces fusils furent alors sortis de ce grenier pour une « opération de protection-nettoyage ». Depuis, ces fusils ont disparu.
Une personne (dont nous ne citerons pas le nom) avait trouvé anormal le départ de ce patrimoine et avait subtilisé un de ces fusils.
Il y a deux ans, dans une démarche de restitution et pour se mettre en règle avec la collectivité revéloise, elle me remettait ce fusil.
L’analyse du fusil
Il s’agit d’un fusil complet avec baïonnette de type « fusil mousqueton de cavalerie à silex modèle 1777 dragons » fabriqué à la manufacture de Saint-Étienne
(on l’appelle aussi le fusil Charleville Modèle 1777).
Il est mis au point en 1777 par Jean-Baptiste Vaquette de Gribeauval (1715 – 1789).
Cette arme constitue le point d’aboutissement de toutes les modifications apportées au fusil depuis 1717.
Sa qualité est démontrée puisqu’il est fabriqué jusqu’en 1822 et est produit à plus de 2 millions d’exemplaires.
Il équipe l’armée révolutionnaire puis tous les fantassins du Premier Empire qui combattirent sur l'ensemble des champs de bataille d'Europe et d'Outre-mer. La Garde Consulaire, puis Impériale, se servit du même fusil d'infanterie (il était même présent sur les théâtres d’opérations américains (Guerre d'Indépendance des États-Unis, guerre anglo-américaine de 1812).
Ce fusil est considéré comme l’apogée du système à silex en France.
Le chargement se fait par la bouche, le canon est lisse.
Prolongé de la baïonnette, il atteint la longueur de 1,92 m., cette longueur étant calculée pour permettre au fantassin de se défendre contre une charge de cavalerie après avoir fait feu.
Il subira quelques légères modifications en 1801, on l’appellera alors « le fusilan IX » ou « le fusil 1777 corrigé an IX ».
Les dimensions et les caractéristiques du fusil
Le fusil de 1777 se caractérise par sa grande résistance, notamment au niveau du canon (des essais ont montré que ce modèle pouvait tirer 25 000 coups sans être mis hors service).
Conçu pour pratiquer le tir sur trois rangs, sa précision est relativement bonne pour une arme à canon lisse (le tir est juste jusqu’à 150 m, efficace jusqu’à 200 ou 250 m et très imprécis au-delà de ces distances). La platine de ce fusil est néanmoins sujette aux ratés (1 coup sur quinze en moyenne).
Calibre du canon (canon lisse) : 17,50 mm
Diamètre des balles : 16 et 16,60 mm
Efficacité : à 100 m - entre 74 et 95%
à 150 m - entre 46 et 67%
à 200 m - entre 21 et 47%
Longueur du fusil : 1,52 m
Longueur du canon : 1,1350 m
Longueur de la lame de baïonnette : 0,4030 m
Longueur totale avec baïonnette :1,9250 m
Poids du fusil : 4,6 kg
« Il connut beaucoup de problèmes d'amorçage, et son canon qui ne supportait pas la poudre de mauvaise qualité, employée pourtant à l'époque par l'armée française, était régulièrement encrassé (obligeant le canon à être lavé au chiffon puis séché et graissé après 50 ou 60 coups, chose impossible sur le champ de bataille et qui, de fait, obligeait la plupart des soldats à y uriner afin de le décrasser et de pouvoir s'en resservir. » Cf. Wikipédia.
Les traces et les marques du fusil de Revel
1. Marque sur baïonnette : lettre M et au-dessus étoile radiale à six branches.
2. Marque sur la crosse en bois - côté gauche : un « R » couronné dans un cartouche ayant la forme d’un blason.
3. Deuxième marque sur la crosse en bois - côté droit : le chiffre « 16 » est gravé avec à proximité un rond en bois de diamètre 12 mm
(il semble être en « emporte-pièce » dans la masse de la crosse).
4. Une marque sur la platine côté droit est difficilement lisible et décelable. Il semble y avoir un « S » au tracé curviligne suivi d’un espace et un « E »
(curviligne aussi) avec semble-t-il en caractères plus petits et pratiquement illisibles une série de lettres.
Les lettres « S » et « E » semblent être séparées par un petit dessin difficilement interprétable.
La comparaison avec un côté de platine mieux conservé (la photo a été découverte sur un site spécialisé dans les armes anciennes)
démontrerait une parfaite adéquation avec le nôtre.
La marque sur platine bien définie (relevée sur le site internet).
Elle concerne la « Manufacture d’Armes de Saint-Étienne ».
L’inscription sur photo de la platine du fusil de Revel est pratiquement illisible. Sur l’original on retrouve à la loupe la plupart des inscriptions gravées. |
Retranscription des lettres (tracé blanc). La mention portée sur le fusil de Revel désigne son lieu de fabrication : la Manufacture d’Armes de Saint-Étienne. |
La protection juridique du fusil Cette arme est actuellement détenue par la Société d’Histoire de Revel Saint-Ferréol, elle n’en est pas propriétaire. ANNEXE
1. Le 12 février 1853 lors d’une visite de l’intendant militaire (résidence de Toulouse) à l’arsenal de Revel, il est décidé de réparer 11 fusils à silex de Dragon Modèle 1822 et Dragon modèle 1816. Une fiche détaillée et descriptive des réparations à faire est jointe à la demande. Le montant des réparations est estimé à 2. Un reçu en date du 12 février 1853 est signé précisant le dépôt de onze fusils à silex modèle dit de Dragon . 3. Le 11 avril 1853, le Préfet autorise la commune de Revel de réintégrer les 200 fusils et 200 sabres qui lui ont été confiés pour l’armement de la compagnie cantonale des sapeurs-pompiers ( « ? » c’est ainsi que c’est écrit !) à l’arsenal de Toulouse.
1 -. « Les remparts et la présence militaire dans la Bastide de Revel » par Jean-Paul Calvet. In « Cahier de l’Histoire de Revel » n° 16 – janvier 2011 – pp. 3 – 70 (publication annuelle de la Société d’Histoire de Revel Saint-Ferréol). 2 -. Archives de la Haute-Garonne, 51 B 55 fos 602-607 : concerne les lettres d’amortissement accordées par Louis XIV à la communauté de Revel – mai 1690. 3 -. Archives de la Haute-Garonne – cote 2 E 648 – dans ce dossier constitué de 4 pièces se trouvent aussi les réponses aux demandes circonstanciées faites par les Consuls de Revel pour établir une « Garde Bourgeoise » dans la ville : 4 -. Cf. G. Doumerc . 5 -. A.M.R. 4 D 16 lettres du maire 6 -. A.M.R. 4 D 16 lettres du maire 7 -. A.M.R. 4 D 16 lettres du maire du 11 et du 12 avril 1853. 8 -. A.M.R. 1 D 14 paragraphes n°184 |