Société d’ Histoire de Revel Saint-Ferréol                                       LES CAHIERS DE L’ HISTOIRE - N°15 - 2010

 

 

Vents et moulins du Lauragais

JC. Pétronio d'après René Viala, vice président de la Société Scientifique de l'Aude

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Le Lauragais terre de céréales.

 

Le Lauragais, avant que le prix des céréales ne s’effondre dans la première partie du XIXe siècle à la suite des importations en provenance de Russie, a été selon l’expression du géographe Roger Brunet, la « machine à blé ».Le système est déjà évoqué par Lamoignon de Basville, intendant de la Province à la fin du XVIIe siècle, « le diocèse de Saint-Papoul est fort riche en bleds…il croît dans ce diocèse toutes sortes de denrées,& beaucoup plus de bled qu’il n’en faut pour nourrir le Paîs. Les Habitans y vivent de millet, vendent leur bled, & payent leurs Charges. ». En effet, le Lauragais a été l’une des premières régions de  France à voir apparaître le maïs (millet) dont on voit la mention sur le fourleau (mercuriale) de Castelnaudary dès 1637. Cette céréale, amplement cultivée, sert à nourrir la population et libère une fraction de blé exportée par le Canal royal récemment inauguré. La multiplication des grains à moudre entraîne celle des moulins, attestée sur la carte de Cassini. Lorsque l’eau est abondante et la pente forte, les moulins à eau l’emportent sur les moulins à vent. C’est le cas sur le versant occidental de la Montagne noire, bien que le vent d’autan y soit plus fort et que cette région ait été industrieuse au XVIIIe siècle. Le domaine des moulins à vent s’étend à l’ouest dès les cuestas de Saint-Félix. Mais la rareté des sources d’énergie – dues au fait que la région se trouve sur une zone de diffluence –  entraîne toutes les fois que c’est possible le jumelage d’un moulin à vent et d’un moulin à eau conduit par le même meunier. La prolifération des moulins à vent dès que l’eau n’est plus disponible a été nécessaire.

 

Les vents du Lauragais

 

La seule station de Météo France qui a répertorié les vents du Lauragais est une station automatique installée de manière relativement récente dans la proximité de Castelnaudary. Elle utilise la rose des vents à 20 directions, plus précise, mais qui abandonne la rose à 16 directions, traditionnelle. La répartition des fréquences, en pourcentage, de vingt degrés en vingt degrés à partir du nord, est exprimée dans les tableaux suivants :


 

Les frEquences des Autans

 

Direction

020

040

060

080

100

120

140

160

180

Fréquence.

0,3

0,1

0,1

0,5

2,5

13,5

9,9

1,9

0,3

 

Les frEquences du Cers

 

Direction

200

220

240

260

280

300

320

340

360

Fréquence

0,1

0,1

0,4

1,6

6,9

16,6

16,6

5,9

1,6

 


Située dans un couloir les vents semblent canalisés dans deux directions opposées. Le cers de direction nord-ouest, tire son nom du latin cercius ou circius le vent fort du Narbonnais et l’autan de sud-est dont le nom dérive lui aussi, du latin altanus, le vent qui vient de la haute mer autrement dit le marin,  terme utilisé dans l’Aude pour désigner le même vent.

 

La fréquence importante du Cers est due à la circulation générale de l’atmosphère qui privilégie aux latitudes moyennes les vents d’ouest. Après un long parcours sur l’océan atlantique ces vents tempèrent les climats de l’Europe qui sont alors qualifiés d’océanisés.

Le vent d’autan, dont le domaine couvre et déborde le Lauragais, est un système complexe décrit par les géographes toulousains qui en ont déterminé deux catégories : les autans synoptiques et les autans géographiques.

 

Dans les autans synoptiques le vent a la même direction en altitude et au sol, celle-ci est dictée par la configuration des isobares de la carte des pressions appelée carte synoptique. Souvent associés à la face méridionale des anticyclones situés sur l’Europe, secs, froids en hiver et générant la canicule en été ils sont en général peu violents et à ce titre n’ont pas retenu l’attention. A l’origine de la canicule de l’été 2003, la sécheresse qui a sévi à ce moment là a été plus violente dans son domaine que dans le domaine méditerranéen. Ce type de temps est aussi qualifié d’autan blanc. Lié à des anticyclones qui sont des zones de pressions très stables, il dure selon la tradition 3, 6, 9 jours, exprimé par un certain nombre de dictons : « l’auta dei diluns un jorn et s’arrèta pas pus » ou bien encore « l’auta  des dijous dura nei jorns o neufs ».

 

Les autans géographiques ont la particularité d’avoir des directions perpendiculaires en altitude et au sol. En altitude leur flux est de sud-ouest alors qu’au sol ils conservent comme tous les autans la direction de sud-est. Cette variété est celle où les autans sont les plus violents et les plus turbulents. A Castelnaudary des mesures faites avec un anémomètre de faible inertie rendent compte de rafales dont la durée est inférieure à la seconde où la vitesse du vent est doublée ou triplée.

Le franchissement des Pyrénées entraîne plusieurs conséquences : l’air descend au nord des Pyrénées, des phénomènes de fœhn, le réchauffent rendant impossible toute précipitation. Ce flux écrase la veine au sol dont l’épaisseur n’excède guère les 300 mètres, 1500 pieds selon les pilotes au dessus de l’aérodrome de Castelnaudary. Il est animé d’ondes stationnaires dont la trace est visible grâce à des nuages lenticulaires qui se logent au sommet des ondes. Les ventres de ces ondes vibrent et ont pour conséquence d’ouvrir plus ou moins le passage de l’air des basses couches. La faible épaisseur de celles-ci, sensibles au relief ainsi que la vibration des ondes est certainement responsable de la turbulence des autans géogra-phiques. Ces autans sont souvent liés au passage des perturbations qui balaient d’ouest en est les latitudes moyennes principalement au printemps. Leur courte durée est suivie d’un renversement du vent et de la pluie ce que traduit la sagesse populaire à travers les dictons qui les concernent : « l’auta del dissabte n’arriba pas al diluns » ou bien « vent d’auta, pletge deman ».

Les violentes rafales, engendrées par les phénomènes décrits plus haut, provoquent des variations de pression très rapides qui fatiguent êtres vivants et machines. Leurs coups de boutoir obligent les moulins à des constructions très solides.

 

Architecture et sites des moulins du Lauragais.

 

 Pour résister à ces coups de boutoir les ailes sont plus courtes et plus massives que celles des moulins du Nord de la France (7 et 7,5 mètres contre 11 à 12 mètres) Leur puissance, proportionnelle à leur longueur est donc plus faible. Le poids de leur charpente est très lourd d’autant plus que dans certains moulins, d’après Rivals, la toile n’occupait qu’une partie de l’aile, un lattis de planchettes se trouvant dans la partie centrale. Ces lattis, s’ils permettaient de mieux résister aux autans violents, surchargeaient les ailes et diminuaient leur rendement. Pour animer de telles masses il fallait alors favoriser le couple en élargissant la surface au vent. Une anecdote rapportée par le meunier de Saint-Amans dans la Piège, confirme le couple important que pouvait développer ces machines. Il racontait qu’à l’âge de douze ans  sa blouse avait été happée par une aile et  qu’il avait fait un tour complet avant que son père alerté par ses cris ne puisse arrêter le moulin. Cependant l’élargissement des ailes ou leur multiplication, comme dans le moulin de Nailloux, freinait leur mouvement et réduisait encore leur rendement. Cependant tous ces aménagements permettaient aux meuniers de s’adapter aux conditions locales : le site du moulin favorisant plus ou moins la vitesse du vent.

moulin-saint-julia

Les moulins de Saint-Julia

Les sites que l’on peut recenser sur la carte de Cassini, éditée à la fin d’ XVIIIe siècle permettent de mieux cerner leur emplacement. A cette époque les moulins se trouvent d’abord à proximité des lieux de consommation de la farine, donc près des agglomérations puis dans les sites les plus ventés : sur les hauteurs dans les crêtes face au vent où la vitesse et la régularité du vent s’accroissent.

 

La puissance et les conditions d’utilisation des moulins.

 

De nombreuses études ont été menées dès le XVIIIe siècle sur la puissance que pouvaient fournir les moulins. Charles Augustin Coulomb et Daniel Bernouilli connus pour être à l’origine de la théorie sur la cinétique des gaz sont les auteurs des premières études théoriques. A coté de ces études, l’ingénieur anglais John Smeaton s’est livré à des expérimentations sur les ailes de moulins hollandais pour constater dans un premier temps que la puissance des moulins était proportionnelle au cube de la vitesse du vent, puis déterminer que celle que pouvaient développer ces moulins était proche de 40 ch., afin que les pertes par les engrenages en bois et les frottements qui en résultaient, réduisaient cette puissance sur les meules à 15 ch. Ces mesures qui ont été confirmées de manière récente permettent d’apprécier le rendement de leur machinerie proche de celles du Lauragais.

 

moulin-saint-felix

Le moulin de Saint-Félix

 

La puissance sur l’axe des ailes peut être calculée grâce aux travaux du physicien allemand Albert Betz (1885-1956) poursuivis à l’université de Göttingen. Il publie en 1926 un ouvrage où il démontre que seulement près de 59 % de l’énergie cinétique du vent peut être transformée en énergie mécanique. Dès lors la puissance maximale fournie par les aile d’une machine à vent s’exprime par la formule P=16/27(1/2 m S V3) où m est la masse volumique de l’air (variable de 1,33 kg/m3en hiver à 1,15 kg/m3 en été la moyenne de 1,25 kg/m3 étant retenue pour simplification).

 

Au delà les rendements de la voilure puis des engrenages contribuent à diminuer la puissance disponible pour les meules.

 

Désiré Le Gourières dans son livre Energie éolienne, théorie, conception  et calcul pratique des  installations paru Chez Eyrolles en 1979 donnait, comme rendement aérodynamique des ailes des moulins traditionnels, le chiffre de 50 %. Dans cette même publication l’auteur calculait la vitesse  de rotation des ailes par la formule suivante N= 51,5 V/D ou N est le nombre tours par minute, V la vitesse du vent et D une constante qui est calculée en tenant compte non seulement de la limite de Betz  mais aussi du rendement aérodynamique des ailes de 50 %. En admettant  un rendement de 40 % pour l’ensemble des engrenages qui communiquent leur puissance aux meules, conforme aux calculs explicités plus haut, un tableau peut être établi des puissances et vitesse de rotation  des ailes en fonction de la vitesse du vent.

 

moulin-lauragais

Un moulin quelque part dans le Lauragais...
(photo sur plaque de verre)

Vitesse du vent en m/s

Puissance maximum en kW

Puissance maximum en ch.

Puissance sur l’axe des meules en ch.

Vitesse de rotation en t/m

Fréquences cumulées des autans en pour mille

Fréquences cumulées des cers en pour mille

Total des fréquences cumulées en pour mille

Fréquences cumulées en jours/année

9

24,6

33

13

31

34

 

34

12

8

17,5

23

9

27

50

5

55

20

7

11,6

15

6

24

74

10

84

30

6

7,3

10

4

20

114

26

140

51

5

4,2

5

2

17

140

62

202

73

4

2,2

3

1

14

175

210

386

140

3

0,9

1

0,5

10

212

340

552

201

 

Ces résultats sont en cohérence avec un certain nombre de données collectées par ailleurs. Paul Gille dans l’Histoire générale des techniques chez PUF 1996 affirme « la roue hydraulique même avec ses engrenages un peu améliorés donnait au maximum une puissance de 10 ch. et n’atteignait en moyenne  que 5 ch. ». Le meunier de Saint-Amans nous avait dit que lorsque les ailes de son moulin n’avaient plus fonctionné, il les avait remplacées par un moteur électrique de 10 ch. Le meunier de Ribouisse affirme que son moulin peut développer une puissance de 12 ch., sans autre précision. Les différents engrenages de ce moulin - grand rouet 83 dents, grande lanterne 41, rouet 92, lanterne 34 - multiplient le mouvement des ailes par un chiffre voisin de 5 que l’on retrouve communément dans les autres moulins de la région.

 

Dès lors si l’on considère que la vitesse pondérée moyenne pour l’anémomètre de Loudes se situe entre 4 m/s et 5m/s avec des vents majoritairement de cers, les ailes tourneraient, pour ces vitesses, entre 14 et 17 t/m entraînant les meules entre 70 et 85 t/m  ce qui n’est pas loin des normes communément admises pour des meules d’un diamètre de 1,50 m à 1,70 m employées dans les moulins à eau. La puissance recueillie sur les meules variait alors entre 1 et 2 ch et la fréquence d’utilisation à ces vitesses de vent autour au mieux de 100 jours par an et obligeaient les meuniers à utiliser les autans, mais à ce moment en réduisant la voilure ils ne gagnaient pas beaucoup de temps d’utilisation et devaient être alors très attentifs à la conduite du moulin.

 

Cependant il est probable que cet auteur ait fait ces calculs en fonction de ce qu’il connaissait des moulins du Nord de la France souvent rénovés au XIXe siècle et proches des moulins néerlandais dont les rendements étaient supérieurs. A contrario les mesures concernant les vents ont été faites dans la dépression et proches de Castelnaudary où norma-lement ils sont beaucoup moins forts que sur les sites décrits précédemment. Le tableau suivant n’est donc livré qu’à titre indicatif et doit être interprété en fonction des vents, des sites, sur lesquels se trouvaient les moulins.

 

Pour compléter donc ce tableau et bien apprécier les conditions d’utilisation des moulins à vent dans le Lauragais, il faut considérer la fréquence des vitesses des vents. Pour ce faire, ces fréquences ont été enregistrées sur l’anémomètre de la ferme de Loudes à Castelnaudary (les données n’y sont pas en cohérence parfaite avec celle des fréquences des  vents enregistrées par Météo France sur une autre station proche et dans une durée différente). Ces fréquences ont été relevées sur les graphiques de l’anémomètre toutes les deux heures sur une durée de dix minutes en considérant les vitesses moyennes. Dans ces conditions le tableau suivant a pu être établi :

 

arbres-st-ferreol

Photo sur plaque de verre fin XIX ème siècle : les arbres penchés du parc de Saint-Ferréol...
(collection Roger Jullia)

 

Tous ces chiffres n’infirment pas les affirmations de Claude Rivals dans son livre Le moulin à vent et le meunier pour lequel les ailes des moulins à vent du Lauragais tourneraient normalement à 12 t/m. Ce devait être le cas pour des moulins dont le rendement aérodynamique était plus faible, notamment ceux qui étaient équipés des planchettes. La diversité de l’équipement des ailes des moulins, des sites et des expositions aux vents, ne permet guère d’apprécier une moyenne qu’il faut donc relativiser.


rose-des-vents

 

carte-des-vents

 

rose-des-vents-01

La rose des vents à la "fleur de Lys"

route-des-sapins

L’entrée de la « route des sapins » dans le parc de Saint-Ferréol. Les arbres ont subi les outrages du vent. Ils sont fortement penchés.

 

In Memoriam :

 M. René Viala

 

     En ce début février 2010, René Viala nous a quittés. Géographe de formation, il avait bien d’autres cordes à son arc. Sa passion pour la photo et l’audiovisuel est rapidement reconnue par l’Académie de Montpellier dans laquelle il exerce le professorat. Il devient un excellent pédagogue dans cette discipline ô combien d’actualité qui ne tardera pas à être reconnue comme une option au Baccalauréat. Ses talents, René Viala, toujours disponible et à l’écoute des autres, a su également les mettre aux services des sociétés savantes de notre région. Sa retraite sera très active : d’abord Président de la Société Scientifique de l’Aude pendant 4 ans, puis vice président conformément aux statuts, René Viala a également redynamisé le Centre Lauragais d’Etudes Scientifiques : le « CLES » dont il a étendu et fait rayonner les activités culturelles.

     René Viala était un grand érudit notamment dans le domaine de la climatologie, il était un grand spécialiste des vents du Lauragais et surtout du Vent d’Autan. La Société d’Histoire de Revel Saint Ferréol est reconnaissante à René Viala de lui avoir confié pour sa publication un des derniers articles qu’il ait rédigé : « Vents et Moulins du Lauragais ».

    René Viala venait de terminer un ouvrage : «Clés pour le Lauragais » ; sa publication serait un beau témoignage de la passion de l’auteur pour le Lauragais. Son œuvre lui survivra longtemps.

                                                                                                                         Bernard Velay

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