Société d'Histoire de Revel Saint-Ferréol - Cahier de l'Histoire de Revel N°21 pages 6 - 15 |
Note relative aux techniques d’éclairage
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L’auteur voulant proposer un thème rarement traité (de nombreuses publications ont déjà traité le cadre général de ce site majeur archéologique), nous présente dans cette publication une synthèse sur les observations effectuées en milieu souterrain (concernant les sites archéologiques du Plateau du Causse - essentiellement la Grotte du Calel et l’Aven du Métro) ayant trait aux techniques d’éclairage employées par les mineurs des XIe et XIIe siècles.
Peu d’études existent sur cette thématique, de ce fait cet article permettra nous l’espérons des développements futurs sur l’approche des techniques d’éclairage en milieu souterrain * .
* Nous avions notamment interrogé Mme Bailly – Mestre spécialiste des exploitations minières au Moyen Âge qui nous avait bien précisé qu’il n’existait pratiquement pas de publications sur ce sujet
et que nous étions en quelque sorte « des défricheurs » dans le domaine.
La situation du site
Le plateau du Causse et le complexe souterrain Jean Antoine CLOS situés près de la ville de Soréze (Tarn) développent plus de 9000 m de galeries souterraines qui descendent à une profondeur de 130 à 150 m.
Cet ensemble souterrain comprend plusieurs grandes cavités, il s’agit du Traouc del Calel (grotte du Calel) – de la résurgence de la Fendeille – du gouffre de Polyphème et de nombreuses autres cavités.
Depuis la fin du XVIIe siècle, une abondante littérature démontre l’intérêt porté à cette zone (curiosité naturelle, intérêt spéléologique – karstologique – géologique – hydrologique – biologique – etc..).
Le site archéologique
En 1966 et 1973, les spéléologues de la Société de Recherches Spéléo Archéologiques du Sorézois et du Revélois découvraient des vestiges archéologiques dans la grotte du Calel.
Une équipe pluridisciplinaire (Rouzaud F. – Mauduit E. – Calvet J.P.) fut mise en place par la Direction Régionale des Affaires Culturelles (Service Régional de l’Archéologie) et la Société de Recherches Spéléo Archéologiques du Sorézois et du Revélois.
Des fouilles programmées eurent lieu, de 1989 à 1995, dans le cadre du programme national HO3 (mines et métallurgie) et P 38000 (relevés d’art pariétal).
Il s’agit d’un ensemble minier et métallurgique homogène datant du Moyen Âge (extraction de fer / 1050-1150), mis en valeur par les fouilles et prospections des zones regroupant le versant de la Fendeille – le plateau du Causse – le complexe souterrain Jean-Antoine Clos et la vallée de l’Orival (fours de réduction de minerai – charbonnières – chemins).
Ce site archéologique est unique en France par son importance, la rareté des vestiges, son homogénéité ainsi que par le nombre et la diversité des vestiges découverts et relevés.
Le cadre de l’étude – les découvertes
En décembre 1966, lors d’une exploration systématique des réseaux adjacents des « Grands Boulevards » de la Grotte du Calel dans la commune de Sorèze (Tarn), une équipe de spéléologues pénétrait dans un réseau de galeries (1) qui était resté inexploré depuis presque 900 ans, période présumée de la cessation des activités minières médiévales (2) .
Les spéléologues découvraient de nombreux vestiges archéologiques laissés en place (poteries sur le sol, traces d’exploitation, aménagements divers).
Ces découvertes ouvraient un nouvel espace de recherche dans ces cavités parcourues de longue date. Une démarche d’observations plus détaillées fut entreprise dans la cavité. Elle fut couronnée de succès.
Ainsi, en 1973, un autre important réseau était découvert (3) mettant au jour de nombreux indices d’occupation et d’exploitation avec surtout la découverte exceptionnelle de dessins tracés au charbon de bois et de diverses gravures.
Les années suivantes d’autres découvertes étaient effectives (notamment la grotte-aven du Métro en 2010 – 2011), toutes apportant des compléments d’information sur ce site.
Les archives spéléologiques locales démontrent toutefois que, dès 1952, des traces avaient été révélées (4) mais aucune suite scientifique n’avait été donnée à ces découvertes.
Aujourd’hui, plusieurs classements protègent ce site dont le plus important est certainement le classement Monument Historique de la totalité du Plateau du Causse.
De nombreuses publications (voir bibliographie) et des contributions ont été déposées à la Direction Régionale des Affaires Culturelles permettant à ce jour de mieux comprendre les activités qui se sont déroulées sur ce site pendant plus d’un siècle.
Un aspect de cette activité souterraine n’a pourtant été qu’effleuré à ce jour, c’est celui de l’éclairage dans les cavités à cette époque.
Dans cet article, nous essaierons de faire la synthèse de nos observations relevées dans plusieurs grottes du Causse depuis plus de 50 ans (5) avec cette thématique de l’éclairage.
La problématique : comment investir un milieu souterrain aux XIe et XIIe siècles
Une constatation est à faire dès le départ, les « mineurs » entre 1050 et 1150 (6) ont parcouru plusieurs kilomètres sous terre (plus de 8 km au moins) et sont descendus à plus de 100 mètres de profondeur dans un espace hostile (7) et obscur.
Il fallait bien maîtriser ces inconvénients en s’adaptant autant que possible à ces éléments. Ils le feront grâce à des aménagements divers rendant le parcours plus confortable et d’une certaine manière sécurisé pour l’époque (ce n’était pas les normes actuelles ! « sic »). Un éclairage adéquat permettait de prospecter et d’exploiter la plupart des galeries.
À cette époque il existe quatre systèmes d’éclairage :
Les bougies et l’huile étant des produits chers ils ne pouvaient être utilisés dans ce contexte ; restaient les torches, les lampes à graisse … et les feux ouverts.
Les torches
Pour s’éclairer, il fallait de nombreuses torches permettant de longues séances de travail.
La torche devait être préparée à l’avance. Il s’agit d’un outil manufacturé comportant une âme en bois rigide à laquelle on ajoute des couches de fibres végétales (lin ou chanvre par exemple (8) ). Ces couches végétales constituent le réservoir qui est imbibé de graisse (de suif). L’allumage se faisait très certainement dès l’entrée de la cavité avec un briquet médiéval (9) .
Le briquet médiéval représenté dans l’héraldique avec des variantes. Emblème des ducs de Bourgogne.
Les intérêts de la torche :
- une certaine autonomie qui peut durer plusieurs minutes selon la préparation et l’importance de la substance réservoir (l’expérimentation archéologique donne des durées de 5 à 10 minutes)
- un éclairage puissant.
Les inconvénients :
- elle ne laisse pas les mains libres (une main est toujours occupée à tenir la torche)
- un certain aveuglement par le fait que la torche éclaire puissamment et est portée à bout de bras. Elle est souvent dans le champ de vision au niveau des yeux
- un important dégagement de fumées (on ne peut s’en servir que dans de grands volumes souterrains bien ventilés).
La lampe à graisse
Intérêts de la lampe à graisse :
- une autonomie plus importante (10)
- possibilité de la poser sur un rocher, sur le sol, ou sur une boule d’argile collée sur la paroi (dans ce cas on peut la disposer où l’on veut)
- on peut la placer en plusieurs points dans un espace très localisé augmentant ainsi la puissance d’éclairage (possibilité aussi d’augmenter la lumière en ajoutant plusieurs mèches de combustion) - la lampe dégage peu de fumée (peut être mise en service dans des conduits exigus et peu ventilés)
- elle laisse les mains libres lorsqu’on travaille et peut être déplacée facilement et rapidement
- la lampe est confectionnée dans des réemplois de céramique cassée (la partie la plus galbée est donc celle qui permettra de mettre le maximum de graisse)
- la graisse est facile à transporter (suif)
- une certaine sécurité dans la fiabilité de la conservation du feu pour rallumer d’autres lampes.
Les feux ouverts
Leur présence n’est qu’anecdotique mais bien réelle. Nous avons observé quelques présences rares et d’indices de feux réalisés le plus souvent à proximité des accès extérieurs.
L’apport des indices découverts
les témoignages archéologiques
Les traces de charbon de bois
Dès le début de nos investigations souterraines (vers 1966) nous avions toujours été intrigués, en parcourant la grotte du Calel, par l’extraordinaire importance des débris de charbon de bois mêlés à l’argile située sur le sol et parfois sur plusieurs mètres d’épaisseur. À cette époque nous n’avions aucune notion de l’importance archéologique de cette grotte.
Pour nous, jeunes spéléos sans compétence, ces vestiges de charbon de bois ne pouvaient être que des témoignages d’incendie du plateau à des époques reculées. La preuve, pour nous, c’est qu’ils étaient mêlés au remplissage naturel (nous n’avions pas su voir alors que ce remplissage avait été remanié par l’homme) .
Lorsqu’en décembre 1966, nous découvrions le réseau Pierre Marie, notre vision des choses allait être complétement modifiée (11) .
Nos observations au cours des années suivantes allaient permettre de mieux comprendre les activités réalisées sous ce plateau.
Une première étude en 1973 faisait mention d’une carrière d’argile, mais nos expéditions et explorations qui suivirent dans toute la cavité nous permirent de prendre la bonne dimension du site et de bien visualiser les filons de fer qui avaient été exploités.
Des traces de charbon de bois
mélangé dans l’encaissant
Nous constations que tout le sol de la cavité avait été remanié, creusé, remblayé, quelquefois recreusé (parfois sans trop de logique). Il était donc normal que nous retrouvions les débris laissés par les torches qui permettaient d’éclairer les travaux.
Ce sont des centaines de mètres cubes de remplissage qui ont ainsi été « oblitérés » par une multitude de fragments de charbon de bois (quelques millimètres de section).
Une technique d’abattage par le feu n’est pas retenue sur ce site, aucun indice concernant cette méthode par pyrofracturation n’ayant été relevé.
« L’étonnement » (12) de la roche n’a donc pas été réalisé dans ces cavités (13) .
Des fragments de charbon de bois Un ancien niveau de « piétinement » est décelable
inclus dans l’encaissant sédimentaire. avec la collection de charbon de bois en position stratiforme.
Les entités archéologiques stratiformes
Lors d’aménagements plus structurés et ayant demandé un certain temps pour leur exécution, on a pu relever des formes stratifiées de collection de charbon de bois de plusieurs centimètres d’épaisseur.
Il s’agit le plus souvent d’un ancien niveau de déambulation qui a été utilisé un certain temps.
Parfois, une réactivation de passages rapides s’est opérée laissant une autre stratification supérieure d’argile mêlée au charbon de bois.
Schéma explicatif des niveaux de piétinements Un bâton en bois qui a gardé sa forme d’origine,
dans la réalisation de ce « pontet ». la partie intérieure n’existe plus.
Les vestiges de fragments de bois
De nombreuses traces dans l’argile apportent la preuve de la mise en place de « mâts de perroquet » de planchers en bois, d’échafaudages dans les grottes. À certains endroits, il s’agit de véritables échelles confectionnées sur plusieurs mètres de hauteur (jusqu’à 10 m) avec des rondins de bois coincés dans des encoches en creux creusées dans la roche.
Ces structures en bois ont évidemment été détruites par le temps.
Les vestiges de ces rondins se retrouvent sur le sol sous la forme de masses longilignes noires dont il ne reste que la partie externe qui a été carbonisée à l’origine (pour sa protection) et a donc pu être préservée du temps.
Ils se présentent sous la forme de sortes de fourreaux vides de leur substance interne.
Parmi ces vestiges, parsemés dans les grottes, il est bien difficile de faire une différence entre le rondin de bois destiné à l’architecture d’un aménagement et les restes d’une âme de torche.
Les restes de bâtons de bois dont la partie extérieure
(seule conservée) était carbonisée.
Les traces sur les parois – les « mouchures »
En de nombreux endroits, nous avons observé des traces effectuées avec du charbon de bois sur les parois des galeries. Ces traces sont essentiellement des traits (souvent groupés) tirés par grattage semble-t-il contre la roche, parfois ce sont des ponctuations ou des traits courts. L’analyse et l’explication de ces actions sont difficiles à interpréter, nous aurions deux propositions à émettre :
Nous mettons en annexe un élément de diagnostic différentiel qui permet toutefois de prendre cette hypothèse comme plausible (voir : « Élément de diagnostic de mouchages de torches – l’analyse de l’accident d’un prospecteur il y a 900 ans »).
Collection de charbon de bois à la base Traces laissées sur la paroi par des « pièces en bois » entreposées.
d’une paroi avec « mouchures ».
Les restes du prospecteur découvert en 1981 Les dernières traces de mouchage du prospecteur
– quelques minutes avant l’accident.
Élément de diagnostic de mouchages de torches –
l’analyse de l’accident d’un prospecteur il y a 900 ans
La découverte en 1981 de la grotte G9 située sur le plateau du Causse de Sorèze (versant gouffre de Polyphème – cavité obstruée à l’origine) nous livrait une belle cavité de plusieurs dizaines de mètres de longueur comportant un passage difficile dans sa partie médiane : un puits de 8 m (un passage aérien se faisant par le côté sud).
Nous trouvions des traces de charbon de bois dans le fond de la cavité et nous fûmes surpris au fond du puits de trouver un squelette humain gisant en position « décubitus dorsal ».
Nous retracions la scène de l’accident :
« le prospecteur, isolé du groupe et sans signaler sa présence, découvre une toute petite ouverture donnant accès à une cavité. Il cherche des hydroxydes de fer. Il allume sa torche et pénètre dans la cavité. Il arrive, en prenant de gros risques avec sa torche à la main, à franchir un puits de 8 m par le haut. Il explore la fin de la cavité qui se termine en cul de sac, semble gratter sa torche contre la paroi puis retourne pour accéder à la surface. Pour une raison inconnue, il tombe dans le puits et vu sa position allongée décède plus tard … Combien de temps ?
Ses collègues ont dû le chercher longtemps et ne l’ont pas retrouvé ! Ils ne connaissaient pas l’existence de cette grotte.»
Les lampes
Nous avons été étonnés, dès le départ de nos investigations archéologiques, de trouver des fragments de céramique assez importants sans contexte particulier ; des morceaux isolés du reste de la céramique.
Ces tessons de poteries (genre oules) avaient été retouchés et présentaient des formes manifestement manufacturées (bords arrondis – retouches nettes avec traces d’abrasion intentionnelles – une certaine symétrie harmonieuse pour certains).
Un des bords portait le plus souvent des traces de carbonisation (d’une largeur de 1 à 3 cm avec, pour certains tessons, la présence d’un bourrelet de substance carbonisée).
On notait parfois des contrastes dans la couleur de la face concave, peut-être des traces d’un niveau de remplissage (couleur plus foncée dans la partie la plus profonde de la forme galbée).
Ces tessons (14) proviennent tous de la partie la plus galbée de céramiques communes médiévales (oules, dournes ou pegaus). L’un d’eux a été particulièrement soigné car il présente une forme parfaitement symétrique. Certaines montrent une usure sous la face inférieure démontrant ainsi leur position utilitaire (15) .
La plupart avaient une capacité de remplissage de 30 à 40 cc (graisse certainement, suif).
Nous avons expérimenté l’autonomie que pouvait offrir de telles lampes ; avec une seule mèche on pouvait éclairer pendant 1 h à 1 h 30 (16) . Il faut noter que pour augmenter l’éclairage il suffisait de multiplier le nombre de lampes et de supports ou augmenter le nombre de mèches par lampe !
Dessins représentatifs de quelques lampes à graisse découvertes dans la grotte du Calel.
Le bon positionnement de deux lampes au moins, placées judicieusement, permettait d’éliminer les ombres portées.
Les supports de lampe
Typologie des supports
Lors des explorations initiales, notamment de l’aven du Métro et dans la grotte du Calel (pour quelques cas plus isolés), nous avons observé des supports de lampe à graisse anthropisés. Ils sont réalisés à l’aide d’une motte d’argile, le plus souvent très plastique et collante (de la valeur d’une grosse poignée), puis plaqués et collés sur les parois des conduits.
Les traces de digitations importantes démontrent la technique de collage avec appui en pression de la matière sur la paroi et formation d’une zone horizontale sur la partie supérieure permettant la pose de la lampe.
D’autres supports ont pu être mis en évidence dans des anfractuosités assez larges de la paroi pour permettre cet aménagement.
Ces anfractuosités peuvent être agencées par adjonction d’argile à la partie inférieure et/ou construction avec de l’argile et des cailloux d’une petite plateforme.
La morphologie naturelle de certains espaces présentait parfois sans aucun aménagement le support idéal (rocher au milieu de la galerie ou sur la bordure, accumulation de sédiments karstiques naturels).
Photos de quelques lampes – noter les bords charbonnés et les niveaux de remplissage en partie apparents.
Support de lampe confectionné avec une boule d’argile Support de lampe (avec fragment de lampe) sur un rocher naturel.
plaquée contre la paroi
Le positionnement des supports
Dans la plupart des cas les supports sont placés de façon isolée, le plus souvent à hauteur respectable pour assurer une diffusion optimale de lumière (souvent à 1 m – 1,50 m de hauteur (17) ).
C’est essentiellement dans de petites galeries exiguës (18) que l’on rencontre ce type de vestige (rappelons que des enfants de 6 à 8 ans exploitaient le site – certaines galeries ne permettent pas aux adultes de s’y mouvoir).
Les grands espaces ventilés semblent avoir été éclairés par des torches. Par contre pour les réseaux mal ventilés l’utilisation des lampes est de rigueur (19) .
Deux lampes ont été retrouvées sur des saillies rocheuses à plusieurs mètres au-dessus du sol. L’une d’elles était à 2,50 m de hauteur ce qui avait pour objectif une meilleure diffusion de la lumière dans cet espace ; une autre a été trouvée à plus de 6 mètres de hauteur (galerie de l’Espoir) démontrant que le sol était à l’origine plus haut dans la galerie et que ce remplissage a été dépilé.
Étape 1 : la « Galerie de l’Espoir » lors du début de l’exploitation médiévale. Un support de lampe placé à 2m 50 du sol
La flèche indique la position de la lampe à graisse.
Étape 2 : niveau du remplissage après la fin de l’exploitation.
Niveau actuel. La lampe a été oubliée il y a plus de 900 ans !
Le « carburant » des lampes – le transport
Tout comme les torches qui devaient être enduites de suif ou de (mauvaise) graisse, les lampes étaient certainement approvisionnées par la même matière.
Dans les cavités, de nombreuses céramiques (oules, dournes, pégaus, ….) ont été découvertes posées directement sur le sol.
Elles étaient préservées dans leur intégrité et ont dû être laissées par les mineurs lorsque l’exploitation a cessé (20) .
Certaines se situaient dans des fonds de réseaux difficilement accessibles à plus de 110 m de profondeur.
Nous nous sommes interrogés sur l'utilisation de ces poteries bien fragiles transportées dans un milieu aussi hostile. Nous avons écarté le transport d’aliment et restons sur la problématique de transport de liquides – ou de graisse.
Il est certain que les mineurs devaient bien apaiser leur soif.
De l’eau dans la grotte il y en a beaucoup, mais pas toujours à proximité des lieux d’exploitation. Ces poteries devaient peut-être permettre de transporter de l’eau.
Mais nous resterons aussi sur le fait que les céramiques devaient être le meilleur contenant pour transporter, loin dans la cavité, des réserves de graisse semi-liquide pour les lampes. Aucun indice ne nous permet de donner la priorité à l’une ou l’autre de ces hypothèses. Peut-être sont-elles toutes deux aussi valables !
Une oule médiévale en place dans le site (photo prise le jour de la découverte)
Aménagements spécifiques – éclairage des espaces de « repos » ( ?)
Trois zones semblent avoir fait l’office d’un aménagement bien particulier :
Nous les avons identifiées comme des espaces de « détente », de « repos », car le sol est aménagé (bien horizontal), peu humide. Des banquettes taillées dans le remplissage ont pu faire office de sièges (il en est de même pour certains rochers placés de façon judicieuse).
Dans l’aven du Métro (cavité peu ventilée) de nombreux supports de lampes sont présents dans un petit espace, démontrant le souci de bien éclairer la zone « de détente ».
Pour la grotte du Calel et notamment celle près de la salle des Marbres, un foyer était encore présent lors de la découverte. Il était délimité par des pierres posées en rond avec quelques rondins carbonisés au centre (voir photo). Nul doute que l’objectif de cet important foyer était d’éclairer et de réchauffer les « mineurs ».
Placé à proximité d’un ancien accès à la surface, les fumées du foyer pouvaient facilement s’évacuer vers l’extérieur.
Dans la salle du Foyer de la grotte du Calel – Légende : 1. Les séries de marches d’accès taillées dans l’argile
« les vestiges du feu » 2. Les deux foyers
3. Les banquettes pour s’asseoir
Sur les parois plus de dix supports de lampes devaient éclairer la salle dite du Repos dans l’aven du Métro
Conclusion
L’étude des réseaux souterrains fréquentés par les mineurs médiévaux nous a permis de lever le voile sur cette activité économique locale, inconnue jusqu’à présent sur le plan historique (21), celle d’une exploitation d’hydroxydes de fer sur et sous le plateau du Causse de Sorèze.
Pour nous, spéléologues, nous avons pu ressentir à quel point les conditions de travail devaient être pénibles aux 11e et 12e siècles notamment pour des enfants de 6 à 8 ans.
Malgré notre équipement moderne et nos moyens d’éclairage sophistiqués, nos conditions actuelles d’exploration sont restées difficiles ; on peut s’imaginer quelles devaient être les conditions à cette époque, avec des vêtements tissés grossièrement en fibres végétales, des pieds non chaussés, des éclairages frustes et peu pratiques.
Mais l’intérêt suscité par le fer était très important et pourvoyeur de richesses.
Malgré ces difficultés dans la grotte, il a dû y avoir des moments d’activité ludique car les enfants de la mine ont dessiné leurs collègues, des parois blanches ont été criblées de boules d’argile par jeu comme pour signer leur passage.
Il ne nous reste, 900 ans plus tard, que de fragiles témoignages archéologiques qui nous rapprochent de ces hommes et l’évocation forte du pouvoir de l’éclairage qui s’est perpétuée puisque la tradition orale a conservé le nom de la lampe à graisse à la principale grotte tarnaise : le Calel !
Références bibliographiques
concernant les sites archéologiques
ARCHÉOLOGIE MÉDIÉVALE -1991- Chroniques médiévales. Tome XXI-1991. Publications du Centre de Recherches Archéologiques Médiévales (C.R.A.M - Caen).
ARCHÉOLOGIE MÉDIÉVALE -1991- Chroniques médiévales. Tome XXII-1992. Publications du Centre de Recherches Archéologiques Médiévales (C.R.A.M. - Caen).
CALVET (J.P.) -1969- Le réseau Pierre Marie. Bull. de la Soc. de Rech. Spéléo-archéo du Sorézois et du Revélois, pp. 9-10.
CALVET (J.P.) -1978- Découvertes de signes et de blason sur paroi dans la grotte du Calel. Bull. Féd. Tarnaise de Spéléo Archéologie.
CALVET (J.P.) -1988- Inventaire spéléologique du Tarn. C.D.S. Tarn - Conseil Général du Tarn.
CALVET (J.P.) -1993- Note sur les lampes à huile découvertes dans les différents réseaux de la grotte du Calel (Sorèze - Tarn.) Bull. de l’Entente Spéléologique de Dourgne Revel Sorèze, pp. 6-7.
CALVET (J.P.) - 994 à 1997- voir Rouzaud – Mauduit.
CALVET (J.P.) -2007- Le site minier et métallurgique du Calel (Sorèze-Tarn). Les « CAHIERS DE L’HISTOIRE » n°12 – janvier 2007, publié par la Société d’Histoire de Revel Saint - Ferréol, pp. 51-59.
CALVET (J.P.) -2012- Les charbonniers de la Montagne Noire. Les « CAHIERS DE L’HISTOIRE » n°17, publié par la Société d’Histoire de Revel Saint-Ferréol.
CALVET (J.P.) -2013- Découverte du site minier médiéval de la grotte-aven du Métro (Sorèze-Tarn). Archéologie Tarnaise n°15, bulletin du Comité Départemental d’Archéologie du Tarn (bulletin des associations archéologiques du Tarn), pp.65 – 92.
MAUDUIT(E.) -1994- Le site du Calel. Mémoire de maîtrise, Université de Toulouse Le Mirail.
ROUZAUD (F.), MAUDUIT (E.), CALVET (J.P.) – 1994 – L’art pariétal médiéval de la grotte mine du Calel. I.N.O.R.A, lettre internationale d’information sur l’art rupestre, n°9.
ROUZAUD (F.), MAUDUIT (E.), CALVET (J.P.) -1989 à 1995 - Bilan scientifique du Service Régional de l’ Archéologie . D.R.A.C. Midi-Pyrénées
ROUZAUD (F.), MAUDUIT (E.), CALVET (J.P.) - 1997 - La grotte mine médiévale du Calel à Sorèze. Proceeding of the 12th International Congress of Speleology. Switzerland. International Union of Speleology.
ROUZAUD (F.), MAUDUIT (E.), CALVET (J.P.) -1997- Le site minier et métallurgique du Calel (Sorèze -Tarn). PALLAS n°46, pp.273-285.
NOTES
1 -. Il sera baptisé « Réseau Pierre Marie ».
2 -. Il s’agissait d’une importante exploitation d’hydroxydes de fer naturels en surface et en milieu souterrain (dans des grottes naturelles).
3 -. « Le réseau Vidal Jullia ».
4 -. Notamment des traces de pieds nus humains, des fragments de céramiques, des céramiques entières, du charbon de bois et même d’une « tête humaine sculptée dans la roche » qui avait fait la « une » des « journaux à sensations » de l’époque.
5 -. Nos observations archéologiques ont commencé le 26 décembre 1966 avec la découverte du réseau Pierre Marie.
6 -. Par référence aux huit datations au radio carbone réalisées.
7 -. 90% d’humidité – boue – température de 12° - nombreux puits – problèmes pour se situer dans un espace labyrinthique.
8 -. Le réservoir de la torche (un ensemble de fibres végétales, chanvre et lin qu’on enduit d'un corps gras pour faciliter/aider/provoquer la combustion) était agencé autour d’une âme rigide (un corps fibreux peu combustible : on devait se servir d’un bois humide, non résineux résistant au feu).
9 -. Plusieurs briquets médiévaux ont été retrouvés dans diverses fouilles, ils sont constitués d’une forme en fer assez reconnaissable (voir dessin) et d’un silex qui par frottement intempestif pourront allumer avec des étincelles de l’amadou. Cette technique demande de la dextérité et il me semble difficile de mettre en place ce dispositif dans la grotte sauf pour un cas d’urgence. Les torches et lampes devaient être allumées « de l’une à l’autre » ; il fallait veiller à toujours garder une flamme allumée !
10 -. Cf. nous avons réalisé des expériences « in situ ». Une lampe a éclairé plus d’une demi-heure (avec de la graisse de porc). Lorsque nous sommes plongés dans la pénombre, la pupille de l’œil se dilate au maximum et la simple flammèche d’une lampe à graisse permet d’avoir une lumière suffisante pour travailler.
11 -. Nous découvrions notamment des entassements de pierres, des céramiques sur le sol, des fragments de bois consumés, des marches taillées dans l’argile, un tunnel creusé par l’homme sur plus de 15 m de longueur, etc…
12 -. Terme de mineur. Étonner la roche, allumer un bûcher auprès, afin d'en rendre l'abattage plus facile.
13 -. Les indices lors d’abattage par le feu sont très voyants : roches délitées – fragments de roche éclatés sur le sol – formes ovoïdes des creusements – etc… Nous avons pu réaliser des travaux sur des mines ouvertes au feu dans l’Ariège aux 1er et 2ème siècles avant notre ère (Projet Collectif de Recherches sur les Mines et la Métallurgie dans l’Ariège) et avons pu constater que l’environnement est tout à fait différent de celui du Calel !
14 -. Nous en avons trouvé une quinzaine dont certains étaient encore en place sur les supports.
15 -. Partie des lampes qui étaient en contact avec le support.
16 -. Nous avons utilisé pour cette expérience de la graisse de cochon.
17 -. On restera toutefois prudent avec cette affirmation bien qu’elle soit très plausible ; le sol des galeries est extrêmement remanié – parfois recreusé ou rempli de façon anthropique (le sol est le plus souvent artificiel).
18 -. Les lampes à graisse produisent moins de fumées !
19 -. L’exemple est flagrant dans l’aven du Métro qui est une cavité où la ventilation de convection est minime (nous n’y avons rencontré aucune trace d’éclairage avec des torches par contre les supports de lampes sont nombreux et variés).
20 -. Nous avons découvert une dizaine de céramiques.
21 -. Aucun texte n’en fait mention.