TIRE DES ACTES DU COLLOQUE KARST ET MINES OCTOBRE 1988 SOREZE
LA GROTTE DE LA MINE
DU POUECH D'UNJAT
Commune de La Bastide de Sérou (Ariège)
par Jean Paul Calvet
(Société de Recherches Spéléo-Archéologiques du Sorèzois et du Revèlois)
C'est une région karstifiée, et son sous-sol recèle quelque 9 000 m de conduits karstiques.
Elle présente des paysages de pays calcaire avec des dolines, des lapiaz et des « champs de pierres » qui supportent quelques bois et bosquets circonscrits.
Ces étendues sont peu propices aux cultures, sauf dans la vallée de l'Aujole et les cuvettes d'Unjat.
Ces collines semi-désertiques, à végétation rase, sont bien visibles depuis la D. 117, de La Bastide à Foix, à la hauteur du hameau de Montels, et sur la route d'Unjat, d'où l'on voit sa petite chapelle se dresser fièrement sur une de ces collines.Tout ce secteur est entaillé par les profondes tranchées d'exploitation de la bauxite, qui forment de grandes saignées rougeâtres le long des collines, du Pouech à Cadarcet.
Aujourd'hui, la bauxite n'est plus exploitée. Elle a été exploitée dès le début du XX° siècle pour l'aluminium, puis plus tard pour la fabrication de ciments alumineux (1970 – 1980).
En 1950, un tir de mine en galerie ouvrait cette importante cavité « géode »…
APERÇU GEOGRAPHIQUE ET GEOLOGIQUE
Le Séronais appartient au grand système hydrographique de la Garonne, qui draine tout le sud-ouest de la France, et plus particulièrement au système de l'Arize, affluent de l'Ariège qui rejoint elle-même la Garonne en amont de Toulouse.Le secteur du Pouech d'Unjat n'est drainé que par un seul cours d'eau actif, le ruisseau de l'Aujole qui longe le flanc sud du massif, et rejoint l'Arize à La Bastide-de-Sérou.
Fig. 1 : La galerie amont creusée au dépend d'un joint de stratification dans les calcaires urgo-aptiens. |
Bien que localement soumise à un climat de type méditerranéen, la région subit l'influence des plateaux et montagnes environnants. L'hiver y est froid, l'été chaud. La pluviosité est importante au printemps et à la fin de l'été. Ce climat retentit sur le régime des cours d'eau ; ainsi, si l'Aujole coule toute l'année, son débit d'étiage est assez faible. Tous les petits ruisseaux qui alimentent les pertes du système tarissent en été ; par contre, les résurgences sont actives toute l'année, avec un débit variant d'une cinquantaine à une dizaine de litres par seconde (beaucoup plus en période de crue notamment pour les résurgences de Riou Sarclès et Nascouil).
L'ensemble constitue un aquifère karstique recélant une nappe phréatique libre.
Le substratum imperméable est formé par les marnes liasiques. La roche réservoir est un calcaire à faciès urgonien ou une dolomie cristalline. Ces roches sont fortement diaclasées, d'où une importante perméabilité de fissures ou « perméabilité en grand ».
Le sous-bassin du Riou Sarclès est le principal réseau hydrographique du secteur, puisqu'il contient le cours souterrain de la rivière du Pouech. Il comprend de nombreuses pertes : Planes, Fajou, Matet, La Plaigne, toutes temporaires.
La rivière du Pouech est connue dans le nouveau réseau : Galerie du Riou Sarclès à l'aval, Galerie des Laminoirs à l'amont.
Si l'aval est fermé par un siphon, l'amont laisse accès aux réseaux des pertes, et des jonctions doivent pouvoir être faites au Fajou et avec le gouffre-perte des Matets ; l'une d'elle a été réalisée avec le réseau Planes-Gouzis (septembre 1980) et une ouverture récente par la surface a été effectuée en 2007 (laminoirs).
Plus à l'est, seul le réseau des Matets est pénétrable et actif.
Les cavités de cette région montrent tous les types classiques de galeries, ainsi que certains modelés karstiques.
Il faut bien séparer deux modelés très différents, celui des calcaires de type urgonien, et celui de la dolomie. D'une manière générale dans le faciès « urgonien », le calcaire se caractérise par de grandes salles et de grandes galeries : les parois sont peu déchiquetées, le concrétionnement y est abondant et diversifié. Ceci se rencontre notamment au début de la Mine du Pouech (Grande Salle, Salle de la Bauxite, du Repos, Galerie Rouch, etc.).
Plan et coupe de la grotte de la Mine du Pouech d'Unjat
La dolomie par contre donne un réseau en baïonnette, aux galeries très déchiquetées. La caractéristique en est la patine noire de la roche et la présence de grandes lames rocheuses. Le concrétionnement y est quasi inexistant, notamment dans les rivières. C'est dans la dolomie que coulent les grandes rivières du massif, celles du Pouech et de Cadarcet.
Chaque fois, nous avons affaire à de grandes galeries, hautes et étroites, où il faut parfois progresser en opposition.
Entre ces deux terrains se trouvent des lambeaux de couche bauxitique. La présence de ce niveau plus friable a donné des zones de faiblesse au contact desquelles se sont formées les grandes salles du Pouech.
Ce niveau constitue donc une zone privilégiée pour l'établissement de salles aux dimensions plus importantes.
Vers les zones amont (zone des pertes, les calcaires à algues donnent des galeries très basses (les laminoirs) souvent impraticables lors de forte pluviosité . Cet ensemble étonnant de laminoirs donne un réseau de plus d’un kilomètre – l’exploration en 1981 a donné beaucoup de mal aux spéléologues…
La grotte de la Mine du Pouech d'Unjat, se développe donc en partie dans les dolomies jurassiques, ayant par endroits des intercalations calcaires (petits niveaux). Cette série du Jurassique s'étagerait du Bathonien supérieur au Kimméridgien. La cavité, après avoir traversé le niveau bauxitique, va s'étendre dans les calcaires subrécifaux à faciès urgonien (Gargasien) et, vers les zones en amont du système hydrologique, dans les calcaires subrécifaux à algues (Albien à Clansayésien).
SITUATION ET ACCÈS
La grotte de la Mine du Pouech d'Unjat s'ouvre dans la commune de La Bastide-de-Sérou (Ariège), aux coordonnées X = 530,600 Y = 80,630 Z = 575 m (Carte I.G.N. au 1/25 000e Pamiers XXI 46 5-6).
Plan avec légende de la grotte de la Mine du Pouech d'Unjat
Du village d'Unjat, prendre la route départementale 211 en direction de Cadarcet. A 700 m environ d'Unjat, on emprunte vers le sud un chemin qui gravit le Pouech (face à la route non goudronnée qui mène à la ferme des Calvets). Une pente assez abrupte passe devant des carrières à ciel ouvert. A environ 550 m, après avoir laissé la route goudronnée, on rencontre sur le bord nord-est du chemin deux passages qui se dirigent vers l'est à flanc de colline. Empruntons le passage inférieur. Cinq cents mètres plus loin, les voitures ne peuvent plus avancer. Il faut continuer le chemin à pied sur 150 m; l'entrée de la mine est très visible sur le bord sud du passage. L'accès à la grotte se fait par une galerie de mine de plus de 300 m de longueur.
HISTORIQUE
En septembre 1950, un tir dans une galerie de la mine de bauxite recoupe le réseau karstique. Le soir même et les jours suivants, une équipe se constitue : Amardeilh, Paul Delpech, Jean Fonta, Jean Arnaud et Élie Déjean aident Marcel Rouch à explorer la grotte. La Grande Salle est parcourue, ainsi qu'une galerie de 700 à 800 m, aujourd'hui obstruée par des tonnes de pierres. C'est d'ailleurs dans ce vaste couloir très concrétionné que Marcel Rouch découvre les traces d'un ours.
Cette cavité attire ensuite plusieurs personnalités du monde de la spéléologie : Romain Robert, Norbert Casteret, Félix Trombe, Jacques Baures, Marcel Loubens..., ainsi que les habitants des alentours qui veulent voir « leur » grotte.
En 1959, Marcel Rouch, MM. Freu père et fils, Herrero et d'autres membres de la Société Spéléologique de l'Ariège vont explorer la fin du Réseau 1950.
Ils parcourent la Galerie Amont, la Galerie de la S.S.A., de la S.S.P., la galerie terminale et se heurtent à l'éboulis terminal, qui restera longtemps le terminus de la grotte. Dès 1967-68, la « France spéléologique » voit l'explosion démographique des clubs. Le groupe spéléologique de Foix s'intéresse à la Mine et désobstrue la galerie du même nom. Un de ses membres, Alain Mangin, dresse le premier tracé topographique du Réseau 1950.Les spéléologues tarnais de la Société de Recherches Spéléo Archéologiques du Sorèzois et du Revèlois s'intéressent ensuite à cette zone de l'Ariège : ainsi, en 1971, lors d'une visite de routine, ils remarquent une chatière soufflante dans le petit réseau du P8 ; manque d'expérience ou plutôt pessimisme, ils ne tentent pas la désobstruction du goulet qui deviendra célèbre en 1979 (il s'agit de la Chatière du 23 juillet).
De 1971 à 1977, de nombreuses visites de routine ont lieu. Le Spéléo-Club de l'Arize visite depuis 1976 la Mineet les deux groupes (SRSASR et S.C. Arize) se rencontrent et échafaudent un projet ambitieux : faire l'inventaire spéléologique de la région de La Bastide-de-Sérou.
L'interclub est né...
Les activités de 1977 et du début de 1978 permettent aux deux groupements de relever systématiquement le plan et la coupe de la grotte. Le développement est de 1 850 m, pour 73 m de dénivellation.
En 1978, deux autres groupements entrent en lice : le Spéléo-Club Albigeois et l'Association Spéléologique des Pays d'Olmes. Durant le camp d'été, une tentative de désobstruction de la Chatière du 23 juillet est effectuée sans résultats.
Quatre autres groupes s'allient à la cause commune en 1979 : l'Association Spéléologique de la M.J.C. de Pamiers,, le G.S. Couserans, l'Équipe spéléo des Eclaireurs de Castres et le S.C. Montagne Noire Espinouze.
Le 23 juillet 1979, trois jours avant la fin des activités interclub, une équipe formée de Christian Pradel, Thierry Rumeau et Jean-Paul Calvet va jeter un coup d'oeil sur le seul indice prometteur de réseaux vierges...
Dans les laminoirs de la zone amont, creusés dans les
calcaires
sub-récifaux à algues du Clansayésien inférieur, les galeries au plafond particulièrement bas se développent sur presque 1000m. Leur exploration reste un exercice très physique. |
De belles galeries et salles concrétionnées se développent dans les calcaires du Gargasien supérieur. |
La chatière découverte en 1971. Après une rapide désobstruction, la chatière livre le passage à Thierry Rumeau, qui effectue une reconnaissance :«... Neuf heures quarante, Thierry revient. Dès qu'il est à portée de voix, il nous lance : Il y a une rivière... On a pénétré l'actif! C'est le délire, Christian me tape sur l'épaule et, comme un forcené, creuse un peu plus la chatière... Il faut qu'on passe tous les trois ! Un quart d'heure plus tard, l'équipe se trouve à la plage, n'en croyant pas ses yeux. Nous descendons l'aval... Merveilleux, fantastique, nous n'avons même pas à ramper dans la boue, à se faufiler dans des étroitures. La galerie est taillée dans des dimensions plus que confortables... Sur un parcours de 800 m, l'équipe chante, saute, court... elle est dans un autre monde... Il y a plus de trois ans que nous attendions ce moment, et il est arrivé alors que nous n'y croyions plus... ».
L'après midi, le réseau aval est exploré jusqu'au siphon terminal. Le 24 juillet est employé à explorer plus en détail la galerie aval, tandis qu'une équipe explore la galerie amont jusqu'à l'éboulis, qui semble impénétrable.Courant août, une équipe trouve un passage remontant vers les blocs et pénètre dans la Salle de la Bauxite; la Galerie Rouch et la Salle du Repos sont reconnues. Fin août - début septembre, l'équipe se retrouve au complet pour explorer l'amont du réseau. La Galerie des Adibofis est explorée, tandis que d'autres équipes explorent le Réseau des Laminoirs. Fin septembre, l'étiage facilite l'exploration... Pradel, Lequemeneur, Vindard et Calvet poursuivent l'exploration des laminoirs. Ils atteignent le point baptisé Point de jonction du 21.09.80. La fin de 1979 permet aux spéléologues de revoir la zone des pertes. Les conduits se dirigent vers le Fajou (2° affluence) et vers Las Planes. Au Bois du Fajou, un petit trou déjà vu en 1977 permet, après la découverte d'un puits, de retrouver un regard sur l'affluence de la perte du Fajou... Le laminoir ne se trouve qu'à quelques dizaines de mètres. Malheureusement, la voûte basse est complètement noyée. Les 6 et 7 septembre, un pompage à la vasque des Gouzis permet de pénétrer dans un conduit vierge de quelques dizaines de mètres, un deuxième siphon empêchant toute progression.
Le week-end des 20 et 21, ce deuxième siphon est pompé, la jonction est effectué par une équipe de 4 spéléologues, grâce au travail acharné de 18 autres (E.S.D.R.S., S.C. Arize, S.C. Albi, S.C.M.N.E., E.D.F. Castres). L'équipe Fourment, Papailhau, Rousseau, Méritan pénètre le laminoir du Pouech. En août 1981, alors que l'interclub est terminé, le S.C. Arize s'attaque à l'éboulis de la galerie amont et découvre la Galeriedu S.C. Arize, après désobstruction et dynamitage.
Empreintes de pas d'ours des cavernes dans l'argile de la mine du Pouech d'Unjat, datant de plus de 26000 ans. |
PERSPECTIVES D'AVENIR
Enfin, signalons la jonction avec la perte et le gouffre du Fajou qui reste à effectuer. Mais dans ce cas, la possibilité de développement est réduite (40 à 50 m).L'éboulis terminal du Réseau 1950 peut offrir « du vierge » après désobstruction. Le franchissement du siphon aval, dans la Galerie de Riou Sarclès, reste à faire. La résurgence se trouve à 420 m, pour une dénivellation de 7 m environ... Une belle galerie reste ici aussi à explorer.
SPELEOMETRIE DE LA CAVITE
Total du dEveloppement :
6000 m environ (actualisE en 2008) + 340 m de galerie de mine.
Réseau 1950 : 1 597 m + 340 m de galerie de mine.
Galerie de l'Inter Club : 930 m.
Galerie de Riou Sarclès : 719 m.
Réseau Amont : 1 020 m.
Réseau des Laminoirs : 955 m.
Galerie du Spéléo-club Arize : 200 m.
Galerie dite des « 800 mètres » : 200 m
PROFONDEUR :
Entrée de la galerie de mine-siphon aval de la Galerie de Riou Sarclés : 95 m.Dénivellation totale (haut de la Grande Salle-siphonaval) : 102 m (- 95 m, + 7 m).
INTERET HYDROSPELEOLOGIQUE DE LA REGION (voir carte)
Si la grotte mine du Pouech d’Unjat fait parti du réseau hydrologique de Riou Sarclès (ou Unjat – zone B de la carte), cette zone est à la jonction des bassins versants de :
- vers l’ouest avec les zones A – B – D le bassin versant de l’ Arize.
Il semblerait que l’enfoncement plus rapide de la vallée de l’ Ariège permette une capture des pertes vers l’ouest, inversant ainsi les directions des circulations aquifères.
La complexité du système hydrologique est maintenant mieux connue :
Zone A – complexe souterrain et hydrologique de Nascouil
Zone B – complexe souterrain et hydrologique de Riou Sarclès – mine Unjat
Zone C – complexe souterrain et hydrologique de Labouiche
Zone D – complexe souterrain du gouffre de Cadarcet – Les Taychounères
Zone E – complexe souterrain et hydrologique de la rivière de Foix - St Hélène
Zone F – complexe souterrain et hydrologique du Portel – résurgence de Coufet
Deux grands systèmes hydrologiques restent à découvrir en partie :
- le système Sainte Hélène ou plusieurs kilomètres (6 – 8 – 10 kms ???) sont encore inconnus (amont du siphon ensablé)
- le système Labouiche avec notamment le réseau amont (amont de la cascade Salette – siphon terminal amont)
ELEMENT DE BIBLIOGRAPHIE
BAURÈS (J.) - 1958 - L'aventure souterraine. Albin Michel, p. 83.
CALVET (J.-P.) - 1969 - Expédition spéléologique du Pouech d'Unjat (Ariège). Bull. soc. archéo. du Sorézois et du Revélois, no 7-8-9, p. 13-15.
CALVET (J.-P.) - 1984 - Réseau du Pouech d'Unjat. La Bastide-de-Sérou, Ariège. SpéléOc, no 28, p. 13 et 16.
CASTEL (J.) - 1960 - La caverne d'Unjat. Bull. SC Aude et Ariège, no 1, p. 16-17.
TROMBE (F.) - 1952 - Traité de spéléologie. Payot, p. 245.
CALVET (J.-P.) -1981- Inventaire spéléologique du Séronais. Musée spéléologique du Grand Sud-Ouest (nombreuses citations dans plusieurs chapitres, et un chapitre spécialement consacré à la cavité, avec topographie intégrale et vue perspective).
CALVET (J.-P.) -1985- La grotte de la Mine du Pouech d’Unjat à La Bastide de Sérou – Ariège.SPELUNCA n° 17 – janvier – mars 1985, bull. de la Fédération Française de Spéléologie, pp. 18- 23, nombreuses illustrations et topographie.