Extrait de

« Productions agricoles,
stockage et finage en Montagne Noire médiévale »

 

Le grenier castral de Durfort (Tarn)

 

D’après Marie-Pierre RUAS

In Documents d’archéologie française 93.

Paris 2002 b- pp.20-30.

 

  1. Une vallée d'influences et de contrastes

 

 

Le site actuel du Castlar, rattaché à la commune de Durfort (Tarn), prend place à l'extrémité nord-ouest de la Montagne Noire, à 15 km au sud-est de Revel (Haute­Garonne).

Vestige d'un castrum bas médiéval, il est juché entre 400 et 450 m d'altitude sur un éperon rocheux du flanc méridional du plateau de Berniquaut, au lieu-dit La Combe des Buis, et surplombe ainsi la vallée du Sor. Les deux crêtes montagneuses que forment le massif de Berniquaut au nord et celui de la forêt de l'Aiguille au sud enserrent le bourg actuel de Durfort établi dans le vallon. En se campant juste au débouché de la vallée, ce village s'est ménagé une ouverture vers la plaine de Revel aux portes mêmes du Lauragais.

 

    1. La topographie et le sous-sol: kaléidoscope de schiste et de calcaire 

Le secteur durfortois illustre à lui seul un de ces points de rencontre géologique entre le massif ancien cristallin qu'est la Montagne Noire et la plaine sédimentaire effondrée du Bassin aquitain, représenté ici par la vallée alluviale du Sor et la dépression dite « de Revel ».

Le bloc primaire de l'ensemble montagneux pénéplanisé a subi des mouvements tectoniques (plissements, fractures) suivis d'érosions intenses, événements créateurs de ce relief tourmenté de failles, de terrasses emboîtées et de petits plateaux (les causses). Largement siliceux, il est formé de terrains à schiste et à gneiss. Çà et là des argiles, des calcaires et des grès recouvrent la roche primaire (Cassé 1972).

Le versant sur lequel est construit le castrum de Durfort est ainsi formé par une roche mère schisteuse qui alterne avec des affleurements cal­caires sédimentaires.

Orienté au sud-ouest, sa pente bénéficie d'un ensoleillement prolongé entraînant l'apparition de conditions estivales arides dans les zones rocheuses dénudées.

Passé la crête de Berniquaut-Jacournassy, on accède au massif de La Glacière, massif orienté au nord-est et soumis à un climat froid et humide. La vallée alluviale du Sor s'est formée depuis une de ces entailles torrentielles qui morcellent la Montagne Noire en plateaux peu élevés. Elle est dominée par celui de Berniquaut au nord-est et celui de la forêt de l'Aiguille au sud-ouest. Leur ligne de crête culmine respectivement entre 568m et 663m de Berniquaut à Jacournassy et entre 582m et 658m au-dessus de Combe Nègre et de la carrière des Fontanelles.

Le village actuel de Durfort se situe à une altitude comprise entre 265m (au débouché de la vallée) et 275 m.

 En amont du bourg, vers le sud, la vallée du Sor s'étrangle brusquement au niveau du Chayla (à environ 315m d'altitude) jusqu'aux gorges de Malamort (à environ 500m d'altitude).

Ce « bout du monde » porte les ruines du château de la famille de Roquefort, seigneurs du castrum de Durfort au Moyen Âge. De nombreux petits cours d'eau irréguliers (les recs) s'écoulent des flancs montagneux.

Ainsi, en un même lieu, alternent abrupts et combes et se chevauchent des affleurements rocheux de nature diverse propres à accueillir une végétation répartie à la manière d'une peinture pointilliste. La dissymétrie du relief et l'exposition des versants engendrent aussi une combinaison climatique originale.

 

    1. Le climat: au sud l'autan l'emporte...

 

Topographie tourmentée, altitude, exposition et sous-sol se conjuguent en soumettant cette vallée à trois types d'influences climatiques. Les vents dominants générateurs d'humidité en provenance du domaine aquitain imposent un climat de type atlantique humide à tempéré. Aux altitudes culminantes, sur l'ubac (versant nord-est de Berni­quaut), ils entretiennent un climat de type montagnard, froid et humide.

Au XIX's., F. Pariset (1882) visite en ethnologue les localités de la Montagne Noire et décrit des sommets souvent plongés dans la brume. Cette ambiance s'atténue sur le versant sud du plateau de Berniquaut, plutôt battu par le vent d'autan sec. La transition entre ce vent du sud-est et le vent marin soufflant depuis la Méditerranée peut être progressive ou violente (sur les reliefs) selon le modelé des secteurs (Vigneau 1972; Cassé 1972).

Les incidences méditerranéennes s'y expriment de manière localisée au niveau des affleurements et des éboulis calcaires à la faveur d'un ensoleillement prolongé, notamment sur l'éperon où a été érigé le castrum.

 Les précipitations annuelles sur le massif de Berniquaut oscillent entre 1000 et 1200 mm. Sur les plateaux environnants, elles s'échelonnent de 900 à 1000 mm et dans la plaine de 700 à 800 mm (Gaussen et al. 1964). Le fond de vallée est situé sur l'isotherme de 12 °C (moyenne annuelle).

Sur ce piémont où s'affrontent des vents contraires s'exprime l'histoire brutale ou lente des reliefs et du sous-sol.

La diversité des expositions de versants, l'influence des facteurs climatiques et le caractère contrasté des terrains ont donné naissance à des écotopes variés. Cette diversité est reflétée par la coexistence de communautés végétales superposées.

 

1.3 Les relevés botaniques: une mosaïque végétale

ENVIRONNEMENT AGICOLE

Nous avons réalisé un relevé des principales espèces ligneuses et herbacées au cours des mois de juillet 1985, 1986 et 1991 sur le versant sud-ouest du massif de Berniquaut, sur la crête et dans le vallon de Durfort.

 Nous le complétons avec le relevé qu'ont effectué J.-L. Vernet et A. Durand au printemps 1987 sur le versant nord-est de ce plateau (Durand rapport inédit 1987). Les deux transects couvrent une zone depuis la rive droite du Sor jusqu'au lieu-dit La Glacière sur la pente boisée nord-est de Berniquaut (voir document). Le parcours choisi permet ainsi de rendre compte des influences atlantique, méditerranéenne et montagnarde qui s'y manifestent et de la juxtaposition des sous-sols.

Ce travail vise à caractériser les traits environnementaux du site archéologique et contribue à mieux saisir les conditions écologiques et surtout agrologiques du piémont durfortois.

RUAS-GRENIER-DURFORT

1.3.1 Dans la vallée du Sor

 

De la rive droite du Sor au sud-est de Durfort (275 à 295 m)

 

La ripisylve bien développée comporte aussi des espèces naturalisées ou plantées près des habitations. On y relève en particulier la présence de l'alisier torminal (Sorbus torminalis), de l'aulne glutineux (Alnus glutinosa), du buddléia (Buddleja davidii), du châtaignier (Castanea sativa),du frêne élevé (Fraxinus excelsior), du fusain d'Europe (Evonymus europaeus), du marronnier d'Inde (Aesculus hippocastanum), du noisetier (Corylus avellana), de l'orme champêtre (Ulmus campestris), du peuplier d'Italie (Populus nigra), du saule (Salix sp), du sureau hièble (Sambucus ebulus) et du sureau noir (Sambucus nigra). Des fourrés à clématite (Ciematis sp.) et à ronce (Rubus agg: fruticosus) ferment les zones éclairées.

Le tapis herbacé installé sur le sol plus ou moins détrempé comprend la fausse roquette de France (Erucastrum galli­cum), le géranium d'Endresse (Geranium endressii), l'herbe à Robert (Géranium robertianum), l'herbe aux chantres (Sisymbrium officinalis), une menthe sauvage (Mentha sp.), l'ortiedioïque (Urtica dioica), la potentille rampante (Potentilla reptans), le rumex oseille (Rumex acetosa), la saponaire officinale (Saponaria officinalis) et la sussise des prés (Sussisa pratensis).

 

 

Les zones actuelles de cultures

 

Les parcelles cultivées se situent aujourd'hui principalement dans la plaine et sur les terrasses alluviales du Sor. Le vallon de Durfort permet, entre autres, quelques cultures fruitières familiales telles que le figuier (Ficus carica), le noyer (Juglans regia),le cerisier (Prunus avium) et le prunier cultivé (Prunus domestica).

 Il est surtout exploité en prairies. Le maïs (Zea maïs) fait son apparition au pied du versant sud-ouest à côté des jardins. Ces petits jardins familiaux, potagers et ornementaux, s'étendent sur la rive opposée.

 D'après le témoignage d'un habitant de Durfort, le coteau sud-ouest de Berniquaut était couvert par des vignes au début du XX's. (Pousthomis communication personnelle).

 Aujourd'hui, les boisements de la chênaie pubescente ou, après les incendies, l'enchevêtrement des taillis et les griffes acérées des ronces les remplacent. Un vignoble existe encore sur le bas de pente du versant descendant vers Soréze.

La plaine de Revel est cultivée en céréales comme le maïs (Zea maïs), l'avoine cultivée (Avena sativa) et le blé (Triti­cum sp.) ainsi qu'en tournesol (Helianthus annuus). On remarque également quelques rangs de vigne (Vitis vinifera var. sativa) et de nombreuses parcelles fourragères.

 

1.3.2 Sur le versant sud-ouest du massif de Berniquaut
(295 à 500 m)

 

L'espace ouvert au-dessus de Durfort (295 à 325 m)

 

Hors les jardins se remarquent quelques arbres naturalisés tels un figuier (Ficus carica), un lilas (Syringa vulgaris), quelques noyers (Juglans regia), un prunier cultivé (Prunus domestica), des rosiers (Rosa spp.) et un tilleul (Tilia

1. La montagne de Durfort, le site et la démarche carpolooique

Profil topographique et chaîne des formations végétales étagées sur les deux versants du vallon du Sor. Relevé de la coupe sud-ouest/nord-est.

Au-delà de la zone habitée, on relève la présence du châtaignier (Castanea sativa) et du jasmin (fasminus fruticans). On y observe fréquemment l'alisier (Sorbus torminalis),1'aubépine monogyne (Crataegus monogyna), le chêne vert ou yeuse (Quercus ilex), le frêne (Fraxinus excelsior), le nerprun alaterne (Rhamnus alaternus) et le tamier (Tamus communis). Un jeune néflier d'Allemagne (Mespilusgerma­nica) a été repéré en 1991. La strate herbacée accueille, entre autres, la clématite (Clematis vitalba),la coronille variée (Coronilla varia), l'épiaire droit (Stachys recta), l'euphorbe characias (Euphorbia characias), un hélianthème (Helian­themum sp.), l'hellébore fétide (Helleborus foetidus), la psoralée bitumeuse (Psoralea bituminosa) et le thym serpolet (Thymus agg. serpyllum).

 

Une bande de taillis au pied du versant (325 m)

 

S'y développent les espèces ligneuses suivantes: l'aubépine (Crataegus monogyna),le bois de Sainte-Lucie (Prunus mahaleb), la bourdaine (Rhamnus frangula), le buis (Buxus sempervirens), le chêne pubescent (Quercus pubescens), le chêne hybride sessile-pédonculé (Quercus sessiliflora pedunculata), le cornouiller sanguin (Cornus sanguinea),le cytise (Laburnum sp.),l'érable champêtre (Acer campestre), le frêne élevé (Fraxinus excelsior), le fusain (Evonymus europaeus), le lierre (Hedera helix), le nerprun alaterne (Rhamnus alaternus),le nerprun purgatif (Rhamnus catharticus), le prunellier (Prunus spinosa), la ronce (Rubus agg. fiuticosus) et quelques individus de chêne vert ou yeuse (Quercus ilex), de fragon (Ruscus aculeatus) et la viorne mancienne (Viburnum lan­tana).

 La flore herbacée est constituée notamment par la bryone dioïque (Bryonia dioica),une campanule (Campa­nula sp.), la coronille variée (Coronilla varia),le gaillet gratteron (Galium aparine), la gesse à larges feuilles(Lathyrus latifolius), des graminées (Poaceae), un lychnis à fleurs blanches (Lychnis sp.), le millepertuis à feuilles perforées (Hypericum perfoliatum) et le thym serpolet (Thymus agg: serpyllum).

 

Le rocher calcaire du Castlar (330 à 450m)

 

Cette unité, en partie envahie par une végétation arbustive, demeure relativement ouverte. Des éléments de la flore méditerranéenne occupent les zones déboisées soumises à l'aridité estivale.

 

On retrouve à peu près les mêmes essences ligneuses que dans les taillis de bas de pente accompagnées de l'asperge à feuilles étroites (Asparagus tenuifolius), de rares pieds de fragon (Ruscus aculeatus),de quelques houx (Ilex aquifolium) et de genêts (Sarothamnus sp.). La flore herbacée abonde avec l'ail rose (Allium roseum), l'arabette tourette (Arabis turrita), le brome rameux (Bromus racemosus), le brome stérile (Bromus sterilis), le gaillet gratteron (Galium aparine), la ger­mandrée petit-chêne (Teucrium chamaedrys), le grand tordyle (Tordylium maximum),la linaire couchée (Linaria supina),une menthe (Mentha sp.), la grande marguerite (Chrysanthemum vulgare), un millepertuis(Hypericum sp.), l'oeillet prolifère (Petrorhargia prolifera), le plantain lancéolé (Plantago lanceolata), la scabieuse colombaire (Scabiosa colum­baria), le sédum élevé (Sedum altissimum), le tamier (Tamus communis), le thym serpolet (Thymus agg. serpyllum), le trèfle à feuilles étroites (Trifolium angustifolium) et la vipérine d'Italie (Echium italicum).

 

Les fentes ombragées du rocher abritent de petites touffes de capillaire(Asplenium sp.) tandis que les moignons de murs médiévaux s'offrent aux frondes du cétérach (Ceterach officinarum). En juillet 1991, nous avons remarqué des plants tout récents de sureau hièble (Sambucus ebulus) sur les déblais du chantier archéologique. La ronce (Rubus agg. fruticosus) et la clématite (Clematis sp.) s'étendent d'année en année autour des secteurs fouillés.

 

La couronne boisée du Castlar (350 à 500m)

 

La strate arborescente est dominée par le chêne pubescent (Quercus pubescens).L'abandon et quelques incendies récents favorisent l'embroussaillement de la pente par les espèces ligneuses déjà citées. Parmi les herbacées se repèrent la bryone dioïque (Bryonia dioica), la garance voyageuse (Rubia peregrina) et la mélique (Melica uniflora).

 

1.3.3 Sur le versant nord-est du massif de Berniquaut (450 à 568 m)

 

La zone boisée jusqu'au lieu-dit La Glacière (450 à 550 m)

 

Les essences ligneuses de ce massif forestier com­prennent l'alouchier (Sorbus aria), l'aubépine monogyne (Crataegus monogyna), quelques châtaigniers (Castanea sativa), le chêne hybride sessile-pédonculé (Quercus sessiliflora/pedun­culata), le chêne pubescent (Quercus pubescens), le genêt à balais (Sarothamnus scoparius), le hêtre (Fagus sylvatica), le houx (Ilex aquifolium), le pin noir (Pinus nigra), le pin sylvestre (Pinus silvestris) et le prunellier (Prunus spinosa). La fougère aigle (Pteridium aquilinum) se joint au cortège et le pin de Monterey (Pinus insignis) participe au reboisement du versant.

 

La zone ouverte sur la crête de Berniquaut-Jacournassy (550 à 568 m)

 

Les principaux taxons observés sont la bruyère cendrée (Erica cinerea), la callune (Calluna vulgaris), la fougère aigle (Pteridium aquilinum), le genêt épineux (Calicotome spinosa), le genévrier commun (Juniperus communis) et le houx (Ilex aquifolium). Plusieurs graminées (brome, pâturins...) abondent ici et là.

 

1.1.3.4 Conclusion

 

De la rive du Sor au sommet du massif de Berniquaut, on peut finalement lire un étagement des principaux groupements végétaux, parfois très imbriqués à la faveur de correcteurs édaphiques.

A chaque étage correspond grosso modo une insolation et une hygrométrie particulières. Un effet de versant se manifeste dans la composition végétale de part et d'autre de la crête de Berniquaut-Jacournassy .

 

Sur les rives du Sor

La végétation ligneuse du bord de l'eau (ripisylve) est typique d'une aulnaie-frênaie. La pression humaine s'y manifeste, comme le traduisent les espèces favorisées par un enrichissement du substrat en nitrates organiques (déjections animales, détritus). En conséquence, cette formation est infiltrée par plusieurs plantes rudérales.

 

Sur le versant sud-ouest (adret)

La pente boisée est caractérisée par une chênaie pubescente des sols bruns acides. Compagnes typiques, les essences de sous-bois telles que le troène, le lierre, l'érable champêtre, le cornouiller sanguin, le noisetier et le prunellier soulignent le caractère atlantique humide de cette forêt. Il est atténué par l'influence méditerranéenne limitée aux aires ouvertes sur calcaire. La proéminence rocheuse du castrum et une partie de la pente accueillent, en effet, une végétation adaptée à une forte aridité (plantes xérophiles) : le chêne vert, l'eu­phorbe charachias, la psoralée bitumeuse ou le sédum élevé par exemple. La strate herbacée y est majoritaire (fig. D, E, p. 50).

Ce flanc méridional présente donc un faciès mixte méditerranéo-atlantique. La série du chêne pubescent est cependant éliminée en bas de pente au profit des aires polyculturaies. Sur ce versant, on reconnaît les étages de végétation suivants :

- l'étage mésoméditerranéen (295 à 325 m) qui comprend la ripisylve du Sor (aulnaie-frênaie anthropique), les aires ouvertes polyculturales et les habitations; sa flore se compose de rudérales nitrophiles et d'adventices;

- l'étage supraméditerranéen (325 à 400 m) qui se situe sur la langue rocheuse calcaire à forte aridité juste en contrebas du castrum; c'est le secteur de la chênaie d'yeuse et de la pelouse xérophile avec ses espèces méditerranéennes;

 

  1. l'étage collinéen (400 à 500 m) formé par les bois qui s'étendent de part et d'autre du castrum; la roche mère schisteuse permet le développement de la chênaie pubescente avec son sous-bois de type atlantique.

 

•  Sur le versant nord-est (ubac)

Une pluviosité plus marquée et une exposition des sols moins ensoleillée ne permettent plus l'infiltration d'espèces méditerranéennes. Sur ce flanc s'est donc développée une forêt atlantique à chêne sessile-pédonculé et hêtre dans laquelle pénètrent quelques pins de l'étage montagnard. Une lande sèche à genêts, bruyères et callune occupe les zones de terrain acide ouvertes du sommet. Deux étages de végétation se distinguent :

- l'étage collinéen (362 à 570 m) du massif de La Glacière dont le sol acide podzolique est l'aire de prédilection de la lande sèche arbustive à bruyère cendrée et de la chênaie sessile/pédonculée;

- l'étage montagnard (570 à 700 m) dont les sols bruns forestiers portent une hêtraie-chênaie mêlée de charmes.

 

Les quelques approches naturalistes du piémont dessinent l'image d'une mosaïque de schistes et de calcaire, d'un territoire à multiples facettes où les pentes accueillent, selon leur exposition, une végétation mixte atlantique et méditerranéenne et où les zones fertiles (vallée du Sor, plaines de Revel et du Lauragais) contrastent avec les terrains peu arables des pentes.

 Ces derniers peuvent être encore propices aux cultures, de toute façon peu exigeantes, s'ils sont bien exposés (adret) ou bien inaptes lorsqu'ils sont tournés vers le nord ou trop escarpés. Un tel milieu né de la superposition des substrats, de l'affrontement des vents et des reliefs semble potentiellement offrir les moyens d'y développer une économie diversifiée polyculturale et pastorale. Il importera par l'analyse carpologique de chercher à savoir si cet environnement complexe était exploité par la communauté villageoise du castrum au XIVe s. et de découvrir quels modes culturaux elle y pratiquait.

Pour l'heure, intéressons-nous à l'histoire de cette terre qui semblerait plus tournée vers la Méditerranée que vers l'Aquitaine.

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1.2 Scènes languedociennes

 


1.2 Scènes languedociennes

Nous rappelons, par un bref éclairage ou quelques scènes locales, certains faits marquants de l'histoire régionale à partir des sources archéologiques et textuelles. Notre propos est orienté sur l'occupation du sol et les activités économiques pratiquées dans le Lauragais et le piémont de la Montagne Noire. Dans la mesure où nous tentons de situer le castrum de Durfort dans le cadre du peuplement et des structures économiques de sa région, nous détaillerons un peu plus les connaissances que nous avons puisées dans plusieurs articles d'historiens et d'archéologues sur les XIIIe­XIVe s. entre les terres lauragaises et Durfort.

 

      1. L'occupation du sol en Lauragais et sur le piémont jusqu'à l'Antiquité

 

Les prospections archéologiques montrent que dès le Paléolithique, le bassin de Revel et les cavités natu­relles des massifs calcaires portent les traces d'une présence humaine (Sacchi 1983; Campech 1989). Les versants montagneux et les nombreux cours d'eau semblent déjà offrir des ressources vivrières diversifiées comme l'attestent les données archéozoologiques et archéobotaniques issues des niveaux d'occupation épipaléolithiques et mésolithiques d'abris sous roche à Félines-Minervois/balme de l'Abeurador (Hérault) et à Sallèles-Cabardès/grotte de Gazel (Aude) (Vaquer 1983; Vaquer et al. 1986; Heinz et al. 1992).

Plus tard, les premiers paysans néolithiques préférant, semble-t­il, les sols sablonneux des plateaux audois, plus faciles à travailler, auraient pour un temps dédaigné les terrains lourds du Lauragais (Vaquer 1983). Au Néolithique final, d'après les données carpologiques de Raissac-sur-Lampy (Aude), le blé tendre-hérisson (Triticum aestivo-compactum) et l'orge vêtue (Hordeum vulgare) sont cultivés (Ruas inédit 1984). Bien que l'on détecte encore mal les établissements du Néo­lithique/Chalcolithique dans la plaine lauragaise, celle-ci constitue dès l'époque un couloir d'échanges et de diffusion de produits finis (haches polies, lames en silex, outillage en cuivre) (Vaquer 1983) qui s'accentue au cours des âges du Bronze (1800-700 av. J.-C.) et du Fer (700-50 av. J.-C.) et perdure à la période gallo-romaine (Passelac 1983). L'habitat reste pourtant dispersé entre l'âge du Bronze et l'âge du Fer. On ne détecte pas d'oppida véritables comme en Languedoc oriental mais des sites perchés d'étendue modeste (Passelac 1983). Le plateau de Berniquaut semble, d'ailleurs, connaître sa première occupation sédentaire au Bronze final, vers 1200 av. J.-C. (Lautier 1977).

 

Le rôle diffuseur puis commercial que joue le couloir du Lauragais s'accentue nettement pendant les siècles qui suivent. Entre le I° et le Ier s. av. J.-C., la voie d'Aquitaine traverse le centre de la plaine, incitant de plus en plus les habitats à se regrouper. Si le piémont demeure encore peu exploité par les paysans gallo-romains, les terres lauragaises sont cultivées de façon intensive.

 Durant l'Antiquité, cette région s'affiche ainsi comme une « entité géographique et humaine » (Passelac 1983 : 57). L'occupation des sols au début du Moyen Âge est mal documentée tant par l'archéologie que par les textes (Campech 1989).

 La continuité des installations est détectée à travers les lieux de culte cités par un vocable mérovingien ou carolingien. Une pseudo-charte de fondation de l'abbaye Sainte-Marie de Soréze daterait ainsi cet ensemble ecclésial du début du IX° s.

 Berniquaut y est aussi mentionné sous l'appellation « castrum de Verdun » (Vidaillet et al. 1996). Cet indice marquerait une réoccupation du promontoire sans que l'on puisse en déduire sa nature: ébauche de regroupement villageois ou simple camp de hauteur temporaire (Campech 1989 : 51).

 

1.2.2 Les transformations de l'habitat rural:

l'incastellamento (Xe-Xllle S)

 

Dans le courant du XII°s., le mouvement de création de nouveaux bourgs en France méridionale s'accélère. Par rapport à la période antique où les installations humaines demeurent dispersées dans la plaine et les bas de pente, on assiste à la « flambée d'incastellamento » (Cursente 1980 : 38) qui regroupe la population rurale autour des pouvoirs spirituels et administratifs que sont les églises et les châteaux. Les habitats fortifiés ou castra se développent sur les versants montagneux et dans la plaine. En Provence, on bâtit Rougiers (fin XII's.) (Demians-d'Archimbaud 1980), et dans l'Albigeois à l'Isle-sur-Tarn (Tarn), Montaigut se superpose à l'ancien habitat détruit (Abramowicz et al. 1970). Sur le plateau de Berniquaut sont attestés les vestiges d'un habitat daté entre le XI` et la fin du XII` s. qui paraît totalement déserté au XIII's.

L'apparition de ces villages fortifiés s'effectue à un rythme variable selon les régions (Campech 1990). L'habitat rural et, en conséquence, l'occupation des terres sont modifiés sans que l'on sache vraiment encore quels aspects revêtent les nouvelles structures agraires (Cursente 1980). Une plus ou moins lente désertion des sites perchés pour l'implantation des « villages neufs » en plaine s'amorce pourtant dès le XIII's. (Campech 1989 : 53-54). Peu à peu, comme atteint d'une « anémie pernicieuse » (Le Roy Ladurie 1985a: 148), les castra se vident de leur population. Il semble ainsi que la désertion du causse de Berni­quaut entre là fin du XII' et le début du XIII's. et la création dans le même temps du village bas de Durfort au débouché de la vallée du Sor s'inscrivent dans ce mouvement socio-économique (Pousthomis 1981; Campech 1989).

 On verra dans le paragraphe suivant que l'installation du castrum à mi-pente du plateau de Berniquaut constitue une variante de ce schéma.

Plusieurs études ayant trait à l'économie rurale de communautés abbatiales et seigneuriales livrent les ingrédients essen­tiels à la connaissance de l'état des cultures en Lauragais entre le XIII' et le XIV's. Les possessions foncières de la Commanderie de Puysubran (Pexiora, Aude) (Guimbail 1987), de l'abbaye bénédictine de Lagrasse (Aude) (Blanc 1983), de la bailie de Castelnaudary (Aude) (Cazes 1987) et de l'abbaye de Prouilles (Bourin-Derruau 1983) rendent compte d'une plaine avant tout fromentale.

 Mais la viticulture et l'arboriculture fruitière tiennent une place appréciable dans le cycle des productions. L'horticulture est pratiquée par irrigation près du moindre cours d'eau. L'élevage est tourné vers les bovins et les porcins mais de plus en plus vers les ovins quand l'activité drapière prend son essor au XIII's. (Gramain 1977; Bourin-Derruau 1987).

 En Albigeois, au nord du Tarn, où la céréaliculture est vivrière, des distinctions se manifestent au milieu du XIII's. entre le causse d'Albi aux terroirs variés dont les plates-formes sont favorables à la culture du blé et le nord-est dont les plateaux ne permettent que des récoltes de seigle (Higounet 1958).

Les textes réfèrent donc à une région vouée à la polyculture grâce à la diversité écologique des terroirs. Le dynamisme commercial, notamment en Lauragais et dans le piémont, se maintient et favorise la multiplication des foires et des marchés locaux au XIV's. (Gramain 1977).

Pourtant, peu de villages et d'activités seront épargnés par les fléaux climatiques, épidémiques et guerriers qui s'abattent sur le Languedoc au milieu de ce siècle.

  

1.2.3 De la peste noire au bleude pastel (XIVe-XVIe S.)

 

 Entre les XIVe et XVe s., le Languedoc subit une , récession économique et démographique entraînant une diminution des trafics commerciaux. Disettes (1302, 1335, 1351, 1377), épidémies buboniques (« peste noire » de 1348) et guerre de Cent Ans (1337-1453) conjuguées accablent le pays (Larenaudie 1952). La seule peste noire anéantit un tiers de la population languedocienne (Wolff 1972). À moins de 5 km du Castlar, le secteur de Soréze, dans la plaine, connaît une forte mortalité (Pousthomis 1981).

Nées de la guerre de Cent Ans, les petites bandes de Routiers, issues de la Compagnie anglaise conduite par le Prince de Galles Édouard alias le Prince Noir, refluent vers le Languedoc aux alentours de 1367. En 1377, Soréze est assiégée. Mais le Lauragais n'a sans doute souffert que des incursions de petits groupes de ces pillards itinérants (Pousthomis 1981).

 

Pendant ces troubles, en dépit de la perte de main-d’œuvre, les productions agricoles se sont concentrées sur les meilleures terres et atteignent des rendements élevés (Wolff 1972). Le haut Languedoc et le Terrefort, moins touchés par les épi­démies et la famine, parviennent bon an mal an à secourir le bas Languedoc en acheminant des convois de céréales (Larenaudie 1952; Wolff 1972). Une autre activité se ménage pourtant des revenus plutôt confortables à la faveur de l'es­sor des foires et des marchés: 1'industrie drapière qui bat son plein entre le XIII' et le XIV's. Durfort est d'ailleurs cité comme centre de production et de vente de draps de laine dans les comptes de 1388 d'un des plus grands marchands circulant entre Gênes et le bas Languedoc, le Florentin Francesco Datini. L'étoffe achetée par les riches marchands ita­liens est de qualité moyenne, soit, mais, comme la majeure partie de la draperie languedocienne de l'époque, elle est destinée à être revendue aux familles modestes de l'Italie du Nord qui s'en confectionnent des vêtements pour l'hiver (Caldéran-Giachetti 1962).

La cruelle concurrence de la draperie de Flandre a néanmoins raison du commerce durfor­tois. Au XV's., celui-ci commence à décliner. Cependant, à la même époque, s'intensifie la culture d'une crucifère à petites fleurs jaunes, le pastel (nommée aussi la guède : Isatis tinctoria), plante tinctoriale exploitée au moins depuis le XIII° s. dans la plaine lauragaise. En Toulousain, les champs de pastel s'étendent aussi généreusement à la fin du Moyen Âge. Cette culture génère un autre commerce florissant au XVI° s. qui fit la légende du « Pays de Cocagne ». Les cocagnes ou coques sont les boules de feuilles séchées et longuement maturées du pastel. On exportait la matière tinctoriale don­nant le fameux bleu et ses dérivés sous cette forme. Ce pays quasi mythique est exactement situé dans le triangle Albi­Carcassonne-Toulouse, Durfort se trouvant au beau milieu.

 Nous ne possédons toutefois aucune information sur les bénéfices que pouvaient en tirer les habitants durfortois. Le Lauragais est, au XVIe s., le principal terroir fournisseur « d'or bleu » de toute l'Europe, devançant par la qualité de la teinture obtenue le pastel de Picardie et de Thuringe (Rufino 1990). Cette époque flamboyante voit l'apparition de multiples métiers autour du bleu de cocagne : cultivateurs, meuniers pastelliers, négociants, teinturiers pastelliers, bateliers pastelliers...

Plusieurs hôtels particuliers du XVIe s. à Toulouse évoquent la formidable réussite de cette entreprise.

 

1.2.4 Berniquaut, Le Castlar et Durfort

 

Les sources médiévales désignent le village perché par « castrum de Durfort » ou simplement « Durfort ».

 Au XVIe s., ce bourg abandonné est distingué du village bas par les termes « castel » ou « Castellas », puis parvient jusqu’a nous sous le nom de « Castlar »(N. Pousthomis-Dalle communication personnelle). L'existence du castrum de Durfort et celle d'habitants à Durfort au sens large sont enregistrées dans les archives des XIIIe et XIVe s.: registre d'Inquisition, actes de cartulaire, droits d'usage, comptes marchands. Ces mentions diffuses réfèrent tantôt au rôle d'accueil d'hérétiques cathares, aux coseigneurs, à l'administration religieuse ou civile ou bien aux produits d'échanges commerciaux comme les draps de laine. Malgré tout, cette documentation écrite laisse dans l'ombre tout aspect de la vie matérielle au village et de son territoire d'exploitation.

Celui de Durfort, deux cents ans plus tard, a pu néanmoins être appréhendé grâce à deux compoix des XVIe et XVIIe S. (Vidaillet et al. 1996). Les résultats de cette étude seront mis à contribution lors de notre interprétation des données car­pologiques relative au finage médiéval .

Les lignes qui suivent forment un résumé sur les liens qui ont scellé l'avenir des trois villages à l'abbaye de Soréze: le castrum de Berniquaut, celui de Durfort qui correspond au site archéologique du Castlar, et le bourg de Durfort dans le vallon. Elles sont rédigées à partir des recherches de N. Pousthomis-Dalle, B. Pousthomis et F. Vidaillet (Colin etal. 1996; Vidaillet et al. 1996). 

Le castrum de Durfort semble avoir été édifié dans la deuxième moitié ou le dernier tiers du XIIe s., date étayée par les fouilles archéologiques du site. Ses premières mentions connues figu­rent dans un acte de déposition du registre d'Inquisition du tout début du XIIIe S.3 Il apparaît ainsi comme un lieu d'accueil et de protection de parfaits et de diacres cathares en fuite. Dans le courant de ce siècle, la région comprise entre Revel et Durfort représente une limite frontalière entre le domaine du comte de Toulouse, qui aboutit à la plaine de Revel, et celui de ses vassaux, les vicomtes de Carcassonne, famille des Trencavel, dont les terres s'appuient à l'ouest sur les contreforts de la Montagne Noire. Le castrum relève alors du diocèse de Toulouse puis, en 1317, de celui de Lavaur.

Probablement créé de toute pièce sous l'égide des puissants seigneurs de Roquefort, vassaux et parents des Trencavel, et dont le château est retiré dans le fond de la vallée à 2 km en amont de Durfort (fig. B, p. 49; fig. 2), il est dirigé en cosei­gneurie, d'abord entre les Roquefort et une branche cadette. Une charte de 1252 désigne ensuite l'abbé de Soréze comme coseigneur du castrum pour un tiers, les deux autres tiers demeurant sous la tutelle des Roquefort.

Les fouilles archéologiques démontrent que l'ouvrage répond à un projet de construction organisé dont l'extension hors du premier rempart est prévue dès l'édification du « château » (fig. 4). Une hypothèse émise par N. et B. Pousthomis tente d'expliquer cette construction ex nihilo autorisée par les Tren­cavels qui semble lier le sort du castrum de Durfort à celui de Berniquaut. En effet, quand apparaît Durfort, le castrum de Verdun/Berniquaut est en voie d'abandon. Vers 1100, les habitants attirés par l'abbaye de Soréze commencent à quitter le plateau pour rejoindre la vallée de l'Orival de l'autre côté du versant et y forment un bourg autour de l'abbaye. Les seigneurs de Roquefort auraient ainsi peu à peu perdu des droits et des revenus ainsi que le contrôle, depuis ce point stratégique avancé au débouché de la vallée, sur la zone d'in­fluence du comte de Toulouse. L'origine de la population du castrum de Durfort n'est pas clairement établie. Les textes laissent envisager la venue d'une partie des habitants de Ber­niquaut ou celle de familles groupées autour de l'église primitive supposée de Durfort citée sous le vocable traduit « Saint-Etienne » et sise en amont du village actuel de Dur­fort, sur la rive droite du Sor (fig. A et B, p. 49; fig. 2). Sa première mention ne date toutefois que de 1255 1. 

Les dernières conclusions tendent à retenir l'hypothèse de la coexistence, dès le troisième quart du XIIIe s., de deux villages à Durfort: le castrum qui, en 1274, est déjà cité comme « castrum vieux » suggérant l'amorce d'une descente de la population dans le vallon, et le village bas qui a évolué jus­qu'à nos jours (Colin et al. 1996). Le premier aurait constitué le pôle central du pouvoir seigneurial et un lieu de protection; le second, ouvert sur la plaine, aurait tenu le rôle de centre d'activité artisanale et meunière. Les mentions en 1255 d'un moulin bladier et en 1280 d'un moulin drapier et bladier, situés sur les rives du Sor, permettent de l'envi­sager'. Cette situation perdure pendant près d'un siècle jus­qu'à la désertion définitive du rocher dans la deuxième moitié ou la fin du XIVe s. Le toponyme Durfort est alors transféré au village du vallon. Lors de la guerre de Cent Ans, des rou­tiers issus des Grandes Compagnies occupent le château de Roquefort jusqu'en 1415 d'où ils sont chassés par le seigneur de Lafayette, lieutenant du duc de Bourbon et capitaine général du Languedoc. Le castrum déserté de Durfort a pu également leur servir de camp retranché. Toutefois, une telle occupation n'a guère laissé de traces archéologiques hormis quelques monnaies et autres vestiges qui témoignent de réoc­cupations temporaires: sur les ruines du grenier au début du XVe s. et dans la tour carrée nord-est au cours du XVIe s. Mais elles pourraient être, en ces temps de conflits religieux, le fait de groupes errants armés. 

La désertion du castrum de Berniquaut amorcée à la fin du XIIe s., la création de celui de Durfort suivie, au XIIIe s., de son lent abandon jusqu'à la fin du XIVe s., illustrent simul­tanément la descente progressive des populations vers la plaine et le regroupement dans un habitat perché. Ces mouvements migratoires de populations parviennent au XVe s. « à la fixation définitive de l'habitat dans la plaine et le piémont » (Campech 1989 : 55). Plusieurs causes expliqueraient ces déplacements provoquant l'abandon, dans le secteur, de ces sites perchés et la création de villages dans la plaine et la vallée entre le XII' et la fin du XIVe s.: poursuites inquisitoriales, rivalités politico-religieuses, peste noire qui ravage le Lauragais en 1348, instabilité politique et pillages lors de la guerre de Cent Ans (siège de Soréze en 1377), orientation économique vers la production drapière commercialisée (foires du bas Languedoc).

 

Aujourd'hui, plusieurs siècles après les heures de gloire de la draperie durfortoise puis du pastel lauragais, l'économie du village est principalement tournée vers la chaudronnerie d'art. Les productions en cuivre et le martinet à force hydraulique de Durfort sont l'objet de curiosités et de commerces touristiques de la Montagne Noire. Facétie étymologique : une fois démoulée, la calotte obtenue à partir du cuivre en fusion versé dans un creuset se nomme une... « pastelle »!

  

    1. Le site archéologique du Castlar

 Fouillé entre 1981 et 1997 par une équipe de bénévoles, dans le cadre de programmations triennales et du projet collectif de recherche H18, le site a fait l'objet de conférences et de publications ponctuelles sur l'urbanisation, certains bâtiments et le mobilier archéographique marquant (cf. Pousthomis 1992; Colin et al. 1996; Durand et al. 1997). À l'heure où nous rédigeons, les découvertes des campagnes de fouilles des dernières années ont pu nuancer certaines hypothèses émises dans ce texte. Toutes les descriptions relatives au site et au matériel archéologique ont été puisées dans les rapports de fouilles inédits aimablement transmis par les trois responsables du chantier. Elles ne sauraient constituer un état définitif des analyses et des conclusions. Les secteurs de fouilles ont été enregistrés par numéro de chantier de 1 à 23 (fig. 4, Cl à C23). Le bâtiment incendié dont il est question dans cet ouvrage forme une des deux parties d'une terrasse désignée par « chantier 4 ».

Lors de sa découverte en 1983, un carroyage à mailles d'un mètre de côté a été installé; chaque carré a été désigné par une lettre et un nombre. En 1984, la stratégie de fouilles et de prélèvement que nous avons mise en place avec la collaboration de B. Pousthomis dans le niveau d'occupation du chantier 4 reprenait le même carroyage. Elle consistait, entre autres, à porter systématiquement sur un plan la position de découverte du moindre vestige mobilier, des concentrations de grains et l'étendue de dispersion des semences et des charbons de bois. Elle visait, comme nous le commenterons dans le chapitre 2, à étudier la répartition spatiale des éléments en place et leurs relations topographiques.

 

1.3.1 Le village castral

Le bourg fortifié est bâti à mi-pente du massif de Berniquaut, sur un éperon rocheux d'environ 110m sur 40m et s'organise en trois zones de part et d'autre de l'arête calcaire (fig. E, p. 50; fig. 4). Au nord-est de l'arête culmine une tour quadrangulaire à deux étages entourée par un fossé sec en amont et une enceinte propre (fig. 4, C5). Juché sur une plate-forme, l'ensemble aurait tenu le rôle de château. Le reste du village est protégé par deux remparts successifs (RI et R2) liés à l'extension du bâti. Un îlot d'habitat reconnu sur 200m constitue le noyau d'habitat primitif du village. Prolongeant l'ouvrage militaire vers le sud-ouest, il est protégé par le ravin et le premier rempart (RI). La troisième unité, sorte de faubourg, est plaquée contre le noyau antérieur à l'extérieur de ce rempart.

 Elle s'étend sur les pentes orientées au nord-ouest et est entourée d'un autre rempart (R2) de facture moins soignée que le précédent. L'ensemble architectural prend ainsi corps dans la masse rocheuse calcaire en s'intégrant à la topographie tourmentée.

Il est partagé en quartiers ou îlots dont l'un, en marge du premier rempart, est établi sur une veine schisteuse plus tendre (C8 et C9). L'habitat est contracté autour d'un élément militaire et protégé par un double système défensif profitant du relief particulier. Un ravin abrupt borde, en effet, la majeure partie du site. Sa pente a parfois été accentuée par un débitage artificiel de la roche, notamment dans le secteur du château. Un long chemin serpente d'une extrémité à l'autre du castrum. Il paraît en être l'artère principale. 

La majorité des niveaux et des faits archéologiques sont attribués à l'extrême fin du XIIIe s. et au XIV' s. Lors de la deuxième moitié du XIIIe s., le castrum connaît une phase de constructions et de réaménagements (ajout de cloisons, réorientation de bâtiment). Peu de sols stratifiés ont été mis au jour en raison du nettoyage systématique avant l'abandon des unités. 

Une dizaine de bâtiments a été reconnue entre 1981 et 1989. Le matériau de base employé dans les constructions est le calcaire du piton rocheux lui-même dont le débitage a permis d'extraire moellons, pierres et cailloutis de nivellement. Les moindres ressauts, les pendages de terrain ou les failles ont été mis systématiquement à profit.

Les aires maçonnées s'organisent en terrasses étagées dont les sols aménagés, taillés en banquettes, sont nivelés par le cailloutis de débitage. Le niveau inférieur jouerait le rôle de cour, d'atelier, de remise, de cellier, tandis que l'étage constituerait le lieu de la vie domestique. Sur l'ensemble des constructions dégagées, la moitié correspondrait à de réelles habitations; l'autre constituant plus sûrement des espaces utilitaires surtout en fin d'occupation du castrum au XIVe s.

Ainsi, on a découvert ici une concentration de petits objets liés au filage, voire au tissage, là les outils du travail du cuir tout près d'une batterie de silos creusés dans le schiste (C8 et C9). À l'autre extrémité du village, vers l'aval, la cour d'une grande terrasse (C4) était jonchée d'ossements animaux portant des traces de découpes; cette aire était peut-être vouée au débitage de carcasses, œuvre d'un artisan boucher (?), comme le suggère aussi la découverte d'un tranchet.

Sur la même terrasse se tenait un grand bâtiment qui a livré les centaines de milliers de semences brûlées, objet de cette étude. L'architecture faiblement différenciée de ces maisons-blocs et les rares traces de la dernière utilisation gênent souvent l'identification des activités pratiquées dans ces pièces. De plus, les transformations de certains bâtiments entre le XIIIe et le XIVe s. ont, semble-t-il, entraîné des changements de fonction au profit des lieux utilitaires. La deuxième moitié du XIV' s. signe, en effet, une rétraction de l'habitat. Résiduel, il est alors retranché dans le noyau primitif, dernier stade d'occupation avant son abandon définitif.

 

Le village perché de Durfort, à l'urbanisme très resserré, est donc un véritable castrum au sens où a été défini ce type d'agglomération rurale, fortifiée et seigneuriale (Cursente 1980; Chapelet, Fossier 1980; Baudreu 1986). Sa position à mi-pente du plateau de Berniquaut permet un contrôle à la fois sur la vallée du Sor et l'entrée de la plaine. Pourtant, sa création, réponse probablement motivée par le mouvement de descente de la population castrale de Berniquaut vers l'autre vallée, le singularise des cas types de castra méditerranéens. J.-M. Pesez juge à ce titre que « Le Castlar de Durfort se distingue mal des habitats voisins, situés plus haut ou plus bas, qui l'ont précédé ou qui lui ont survécu, de sorte qu'il fait un peu figure d'annexe » (Colin et al. 1996 : 10). Aucun bâtiment ecclésial n'a été découvert sur le site. L'église paroissiale mentionnée en 1255 au lieu-dit Saint­Etienne, sur la rive droite du Sor, a probablement constitué l'église primitive. Le statut social de certains des habitants successifs de ce castrum transparaît au détour de dépositions dans le registre d'Inquisition et dans certains vestiges de mobilier archéologique et aménagements architecturaux. Les petits outils du travail de la laine, du cuir, de découpe bouchère assurent de la présence d'artisans dans la dernière phase d'occupation, au XIVe s. Les mentions de moulin à foulon en 1280, celles des draps fabriqués et vendus à Durfort un siècle plus tard dans les comptes de 1388, indiquent que cette activité a tenu une place économique importante dans les deux villages de Durfort. L'agriculture et l'élevage dont nous reparlerons à partir des données carpologiques jouaient aussi un rôle essentiel pour la communauté.

Enfin, la population devait aussi inclure quelques nobles chevaliers (milites) avec leurs chevaux ou du moins des soldats pendant la pleine occupation du XIIIe s. compte tenu de la présence des deux tours, de mobiliers militaires (éléments d'armures et carreaux d'arbalète) et des dépositions inquisitoriales. Le village a abrité plusieurs hérétiques cathares tel Arnaud Raymond Gauti, chevalier de Durfort, brûlé à Montségur. Guillaume Peyre ou Périer de Labécède signale, par ailleurs, qu'il« tenait les chevaux en dehors de la maison » lors d'une prédication cathare qui eut lieu à Durfort en 1220 et qui réunissait en particulier des notables, un chevalier de Soréze et Jourdain de Roquefort, seigneur de Montgey, de Durfort et de Roquefort II.

La présence au village de montures appartenant à une classe sociale aisée est notamment révélée par une pièce de harnais en bronze doré dans la maison. Le castrum aurait donc été habité par une population composée de plusieurs tranches de la société bas médiévale Languedocienne.

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