LE CASTRUM DE DURFORT

 

Durfort

 

D’après Isabelle Darnas -1996-

 extrait de :

« La maison du castrum de la bordure méridionale du massif central ».

Archéologie du Midi Médiéval – supplément n°1, pp. 43-45

 

 

Le castrum de Durfort est construit sur un éperon rocheux, situé dans une zone de contact entre le Bassin Aquitain et la Montagne Noire. La région est partagée au début du XIIIe siècle, entre le comte de Toulouse qui domine directement la vie politique dans la plaine de Revel, et ses vassaux et rivaux, les Trencavel, vicomtes de Carcassonne, dont le domaine est limité à l'ouest par le front de la Montagne Noire. Plus directement, Durfort dépend des puissants seigneurs de Roquefort dont la résidence se trouve à deux kilomètres en aval, lesquels sont vassaux et parents des Trencavel. Sur le plan religieux, il relève du diocèse de Toulouse jusqu'à la création en 1317 du diocèse de Lavaur auquel il se trouve alors rattaché.

Les documents écrits sont rares et ne nous apportent que des renseignements de second ordre sur l'histoire du village.

 Son souvenir s'est perpétué jusqu'à nos jours sous le nom de castlar.

La première mention explicite du site provient d'un texte des premières années du XIIIe siècle. Il nous apprend que Arnaud Raymond de Roquefort est coseigneur de Durfort. Son sort semble déjà lié à celui du château de Roquefort et à ses puissants seigneurs. En effet, Jourdain de Roquefort, seigneur de Montgey, de Durfort et de Roquefort se trouve en 1220 à Durfort où il protège ouvertement les parfaits Cathares qui s'y sont réinstallés au fur et à mesure que le comte de Toulouse et son fils chassaient les Français du pays.

C'est ainsi que le village de Durfort a abrité des hérétiques cathares de renom et de nombreux parfaits (1), tel Arnaud Raymond Gauti, chevalier de Durfort, hérétique et brûlé à Montségur (2).

La seigneurie de Durfort est donc partagée entre les Roquefort et un autre coseigneur, sans doute issu d'une branche cadette. Cette dernière part, pour une faible partie (un tiers) revient ensuite à l'abbé de Soréze, nommément désigné coseigneur de Durfort par une charte du 20 juillet 1252 par le biais d'encours d'hérésie octroyés par Alphonse de Poitiers(3).

 

Les seigneurs de Roquefort sont donc probablement les instigateurs de la création du castrum de Durfort, autorisée par Trencavel.

 Selon J.-L. Biget, "Roger ler leur donne en 1141 le puech de Berniquaut pour y fonder un "castelnau" : c'est Durfort" (Biget 1992, 71 et 78, HGL t. V, col. 1046) . En effet, l'abandon progressif du castrum voisin de Berniquaut dont les habitants sont attirés par l'abbaye de Soréze dès 1100 environ, leur faisait perdre non seulement des droits et des revenus, mais aussi le contrôle d'une position haute au débouché de la vallée, à la frontière avec la zone d'influence du comte de Toulouse.

 Il est possible qu'ils aient cherché aussi à compenser la progression de leurs dépenses, à recréer ou à renforcer une position de défense avancée de leur château de Roquefort, tout en regroupant une population, soit issue de Berniquaut, soit d'un habitat peut-être groupé autour de l'église Saint-Etienne, située en amont du village actuel, à proximité du Sor, mais dont l'existence n'est attestée qu'en 1255(4). Nous aurions ainsi presque simultanément descente d'une population attirée par une abbaye et regroupement perché et fortifié, incastellamento, sous l'égide de seigneurs (peut-être d'une branche cadette ?).

 Le castrum de Durfort semble apparaître au début du XIIIe siècle, sinon un peu plus tôt. Durfort semble compter parmi les premiers castel­naux de la Montagne (Biget 1992, 78). Cependant, un texte mentionne l'existence, vers 1274, du castrum vieux de Durfort, indiquant un déplacement de population, peut-être déjà en fond de vallée.

Il se peut que, dès le troisième quart du XIIIe siècle, aient coexisté deux pôles : l'un restant une position de défense et peut-être le siège officiel du pouvoir seigneurial (lieu perché et protégé où l'on conserve les récoltes ?), l'autre en fond de vallée, plus accessible et plus proche de l'outil de travail que sont LES_MOULINS drapiers et bladiers dès 1280 (5). Cependant, l'occupation du castrum, telle qu'elle est révélée par l'archéologie, date pour l'essentiel du XIVe siècle.

Au cours de la guerre de Cent Ans, en 1377, Soréze est prise par les Grandes Compagnies et le monastère se rachète du pillage et de l'occupation par une forte rançon (HGL t. IX, 859).

La peste de 1348, qui a causé des ravages considérables dans tout le Lauragais, et l'instabilité politique due à la guerre de Cent Ans et aux pillages des Grandes Compagnies, ont peut-être été des causes suffisantes à l'abandon du site perché, concluant ainsi, avec Durfort, une longue période, amorcée au XIIe siècle, de déplacements de population quittant les sites élevés et fortifiés pour des sites de plaine ou de fond de vallée, surtout autour de 1250-1350.

Une dernière cause, économique, a pu jouer : Les Moulins, ressource essentielle de Durfort au Moyen Age, bâtis le long de la rivière Sor (Biget, 1992, 98).

 En effet, la faible superficie des terres labourables (14 % d'après le compoix de 1559)(6) et donc des ressources agricoles, juste suffisantes à la survie de ses habitants, les a peut-être contraints à s'orienter vers une économie manufacturière, peut-être favorisée par le pouvoir seigneurial, tirant partie de la régularité du Sor et du contexte économique.

 On trouve, en effet, des mentions de moulins bladiers (1255) et drapiers (1280). La vraisemblable prédominance des foulons aux XIIIe et XIVe siècles est à mettre en relation avec les fabrications de draps de laine dans l'ensemble du Lauragais, vendus aux foires de Lunel, Pézenas et Montpellier.

L'effondrement du commerce du drap en Lauragais dans les premières années du XVe siècle se traduit, pour Durfort, par une reconversion de l'outil de travail, le moulin foulon, transformé en martinet sans doute à fer (7).

Ainsi, les dates des premiers textes connus et les recherches archéologiques conduisent à proposer la première occupation du site à partir de l'extrême fin du XIIe siècle ou au début du XIIIe et un abandon dans la seconde moitié du XIVe siècle.

 

Ces quatre sites  (dans la  publication il est fait mention de trois autres sites de la bordure méridionale du massif central) appartiennent à l'histoire languedocienne.

 Peut-on établir des liens entre l'histoire politique, livrée par les textes, et l'histoire du bâti, livrée par l'archéologie ?

 Il est évident que ces castra ont été mêlés, à des degrés divers, aux événements importants qui marquèrent le midi médiéval, comme la croisade albigeoise ou la guerre de Cent ans, mais ces événements ont-ils eu une incidence sur le bâti ?

Pour des destructions lors de la guerre albigeoise, la réponse affirmative est vraisemblable pour Cabaret et Cabrières, bien que les témoignages archéologiques soient moins tranchés que les textes.

 En revanche, Calberte et Durfort ne semblent pas avoir souffert de la croisade. La guerre de Cent Ans, au contraire, a eu une importance plus marquée à la fois sur les constructions et sur l'abandon des castra.

 En effet, les châteaux ainsi que les habitats de Cabrières, de Calberte et de Durfort sont abandonnés au cours de ce conflit.

 S'il est encore trop tôt pour affirmer une incidence directe, à l'exception de Cabrières dont les textes livrent des indications précises, il semble pourtant que la dépression du XIVe siècle a pu être l'une des conséquences de cet événement majeur sur l'abandon progressif de ces sites perchés. La plupart des désertions semble se faire pendant une période de dépopulation. Pourtant, il ne faut pas négliger les possibles raisons politiques. Devant toutes ces hypothèses, seule la comparaison entre les données textuelles et archéologiques, possibilité offerte par ce travail collectif, peut espérer ­éclairer l'évolution du bâti à travers cette seconde moitié du Moyen Age et établir des liens entre les renseignements fournis par l'histoire et ceux livrés par les résultats archéologiques.

 

Notes :

1. En effet, vers 1217, une réunion d'hérétiques autour de Arnaud Huc se tient à Soréze, village voisin de Durfort, chez Guillaume Pescay qui habitait à Durfort : déposition de Raymond Arquier dit

Baussan, coll. Doat 25,178b.

2. Déposition de Pierre Peytavi, de Soréze. Coll. Doat, 25, 264b.

3. B.N., manuscrit latin 12698, f° 127 v° et Coll. Doat, vol. 81, f° 286.

4. Un acte situe un moulin in decimario sancti Stephani de Duroforti, (A.D.T. non côté, Cart. Abb. Soréze, f° 89). Durfort est mentionné comme paroisse dans la bulle de Jean XXII de 1317 qui délimite les paroisses comprises dans le diocèse de Lavaur nouvellement créé (Gallia Christiana, tome XIII, col. 269). L'église primitive devait se situer dans la parcelle dite saint Etienne n° 372, section A, 2e feuille, du cadastre de 1833, restée cimetière jusqu'au XIXe siècle, avant d'être déplacée dans le barri d'amont (mentionnée comme " église vieille " par le compoix de 1559), puis rebâtie au cœur du village actuel, fin XVe ou début XVIe siècle.

5. La première mention d'un moulin bladier et drapier à Durfort date de 1280 : molindini draperii et bladerii quod est in ripariam de Sor quod vocatur molendinum de Levant (A.D.T., Cart. Abb. Soréze, f° 190). La première mention d'un moulin bladier date de 1255 (A.D.T.,

Cart. Abb. Sor., fol. 189).

6. A.D. Tarn, CC1 Durfort, in-folio, 101 feuillets  papier.

7. Il est à cuivre au moins à partir du XVIIe siècle.

 

ACCUEIL