Société d'Histoire de Revel Saint-Ferréol                          -                                      Cahier d'Histoire de Revel  N° 20        pp 27-34

 

Le chapitre collégial de Saint-Félix de Lauragais

par l'abbé Gérard GIORDANO
curé de St Félix Lauragais, ancien directeur des archives diocésaines.

 

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RETOUR CAHIER DE L'HISTOIRE N°20

 

L'église paroissiale de Saint-Félix a grande allure. Les gens du pays l'appellent encore « La Collégiale », titre aujourd'hui périmé, qu'elle doit aux chanoines qui l'ont desservie de 1318 à 1790, Chanoines ?
On les définit trop rapidement comme des « dignitaires ecclésiastiques »  parce que n'ont survécu à la Révolution que les Chanoines des Chapitres Cathédraux, où l'usage s'était introduit pour les évêques de nommer, parfois à titre purement honorifique, ceux de leurs prêtres qu'ils voulaient récompenser de leur zèle ou de leurs longues années de service, et à la longue,  le titre s'était également attaché à des cures ou fonctions importantes. Nous avons tous connu tel vénérable curé ou savant professeur de séminaire qu'on appelait respectueusement « M. le Chanoine».

Dans l'entourage immédiat de l'Evêque, les Vicaires Généraux et Chanceliers étaient toujours des chanoines.  Homme d'âge, de sagesse, de science ou de pouvoir, M. le Chanoine portait dignement au chœur un habit particulier qui le distingue des simples clercs». II passait aussi pour ne point dédaigner les honnêtes plaisirs de la table, et l'image classique qu'on en fait lui accorde une aimable rondeur, signe certain de la réussite professionnelle.

Une série de cahiers, qui s'échelonnent de la fin du XVIIème siècle à 1788, apporte un tout autre éclairage sur la vie des Chanoines d'Ancien Régime qui y ont fait consigner leurs délibérations. Ils y apparaissent comme une organisation particulière au sein de I'Ordre du Clergé, selon un style de vie qui leur est propre. On a pu parler d'un « ordre canonial », distinct du clergé des paroisses, des sociétés de prêtres, et de l'ordre monastique des Religieux. Le service des paroisses, pour eux, n'est qu'accidentel. D'ailleurs, on va trouver, auprès des douze chanoines de St-Félix, une quarantaine de prêtres et clercs, dénommés « prébendiers » : cela fait beaucoup de monde ! Que faisait un si abondant clergé à Saint-Félix?

Un détail est venu exciter ma curiosité d'historien amateur, curé nou­vellement nommé, j'avais exploré le terrain et pour m'y reconnaître, dressé la carte des habitations dispersées - ô combien ! - à travers les diverses paroisses.  Or, ces « métairies », comme on les appelle encore par la force de l'habitude, portent chacune un nom, bien connu des gens du pays. Ces noms sont d'origine géographique, comme « le Pech », « La Lande », La « Métairie du Bois » ; ou révèlent des activités anciennes, telle « la Tuilerie » ;  ou encore gardent des souvenirs archéologiques : « Eglise-Vieille ».
Mais la plupart ont, bel et bien, un nom propre. Et ces noms se sont révélés authentiques noms de famille d'anciens propriétaires… 
On habite ainsi aujourd'hui, « En - Crouzet, En-Ribes, En Mazières ou En-Malard »... Or, ce sont les mêmes noms que nous avons relevés dans les registres capitulaires en faisant connaissance avec Messire Jean de Crouzet, maîtres Jean Ribes, Martial Mazières ou Denis Malard. Il paraissait intéressant de rechercher si ces clercs étaient issus de familles terriennes locales ou s'ils se faisaient en s'installant au Chapitre créateurs d'entreprises agricoles, entraînant l'installation d'une nouvelle famille et paradoxalement pour des gens qui font profession de célibat, renouvelant la population!

D'autres perspectives sont venues immédiatement se greffer sur ce projet primitif : en voyant vivre cette communauté cléricale, je devais rectifier l'idée un peu simpliste qu'on se fait ordinairement du clergé d'Ancien Régime, à partir de nos souvenirs de séminaire. II a, généralement, mauvaise presse auprès des historiens ecclésiastiques classiques, à cause du nombre, de la richesse et des fâcheux serments imposés par la Révolution. Or, il nous est apparu beaucoup plus "valable" qu'on ne le croit trop facilement. Par ailleurs, en fonction des cadres communautaires qui se mettent en place depuis Vatican II - les « équipes sacerdotales » - les expériences passées pouvaient nous apporter des éléments de réflexion.

L'état actuel de la recherche n'autorise pas encore des conclusions défi­nitives sur chacun de ces points, mais il permet d'évoquer ici ce que fut cette communauté cléricale, cette "structure" particulière, avec son rôle dans la vie religieuse, sociale et même économique de ce qui était alors la "ville" de Saint-Félix de Caraman.

La France des Chapitres

A mi-chemin entre le clergé des paroisses et les moines des couvents les Chanoines ont reçu une organisation dès l'époque carolingienne. Organisation générale et règlement plutôt que "règle" au sens monastique du terme qui respectent leur caractère de prêtres séculiers soumis à l'autorité de l'Evêque du lieu. Leur vocation primitive à la Vie Communautaire connaît au cours des siècles bien des dégradations; au XVIIIème siècle, elle paraît réduite au minimum : offices liturgiques, perception des revenus, assemblées régulières pour résoudre les "affaires du Corps". Le reste a disparu : réfectoire et dortoir. Les Chanoines ont leur logis en ville, ils y vivent « en famille », sans qu'on mette pour autant en doute leur respect du célibat ecclésiastique : une sœur, le ménage d'un neveu, des domestiques tiennent leur maison.  Ils disposent à leur gré de leur part des revenus - la prébende - et mènent comme ils l'entendent leurs affaires personnelles ou familiales, sans négliger le soin de leur patrimoine.  En fait, ils appartiennent à un "corps constitué" qui gère un bien commun et règlements, en partie, la vie de l'ensemble communautaire : le Collège.

On distingue trois sortes de Chapitres : dans un diocèse, il y a d'abord le Chapitre Cathédral, installé dans la ville épiscopale, desservant la paroisse cathédrale et servant de « conseil » à l'Evêque. Ordinairement bien doté et même riche dans les plus anciens diocèses, il a eu jadis dans ses prérogatives le droit d'élire l'Evêque.  Dépouillé de ce privilège par les papes et les souverains, il lui en est resté cependant un prestige particulier qui le pose parfois en rival de l'autorité épiscopale. Dans le même diocèse on pourra trouver un ou plusieurs chapitres collégiaux, dansla ville épiscopale ou disséminés à travers le diocèse. L'église collégiale est, le plus souvent, également paroissiale.  Mais le chapitre collégial n'a pas le prestige et le rôle de conseil du chapitre cathédral. Structure particulière du diocèse, il exerce cependant une certaine action sur les paroisses des environs. Enfin, un chapitre collégial peut être également dit "abbatial" s'il a conservé à sa tête un Abbé.  Soit parce qu'il s'agit d'une fort ancienne fondation (les premiers chapitres ont copié l'organisation monastique), soit parce que c'est une ancienne abbaye sécularisée au cours des siècles, parfois à l'époque des Guerres de Religion, ou selon les vicissitudes de la vie en commun.

Car l'idéal communautaire, assurément très évangélique, connaît des périodes de ferveur - et des « réformes » mais aussi des époques de relâchement, des regains d'individualisme.  Alors, on trouve plus simple de partager les biens communs et la Vie Commune est réduite au point de n'être plus, à la limite, qu'une simple immatriculation.  Sans aller Jusque-là, le chapitre de Saint-Félix ne connaît qu'une Vie Communautaire réduite, comme beaucoup de chapitres du XVIIIème siècle.

La France d'alors en compte, en 1779, plus de 580, réunissant près de 6400 chanoines, auprès de qui s'organise en outre un « bas-chœur » de clercs inférieurs en dignité, appelés chapelains ou prébendiers, sans doute plus nombreux au total que les chanoines mais dont nos sources ne nous ont pas donné les effectifs pour chaque chapitre.

Ces chapitres sont nombreux en Ile de France, provinces du Nord et vallée de la Loire.  Leur nombre culmine dans les diocèses de Bourges et Clermont. On en retrouve beaucoup moins dans la France Méditerranéenne, à l'exception de la région d'Avignon, possession pontificale.  Cette disparité géographique s'explique par le grand nombre de diocèses méridionaux, bien moins étendus que dans la France du Nord et ensuite, par un réseau plus dense de chapitres cathédraux.  Peut-être aussi par l'existence d'autres formes de vie communautaire –réduite - pour le clergé séculier : les « consorces » ou « fraternités sacerdotales ».  Toutefois, de telles institutions sont attestées également dans le diocèse de Clermont, et j'ignore si on en trouve ou non dans ce que j'appelle la « France du Nord ». 
De toute façon, nous pressentons, à côté du clergé des paroisses tout un clergé parallèle et pléthorique !

Pourtant, il faut remarquer que les effectifs de ces chapitres sont variables.  Si St-Martin de Tours compte 59 chanoines, Saint Quentin 57, Lille ou Brioude 53, leur nombre oscille plutôt entre 10 et 20 : on compte 287 chapitres de cette taille avec une nette préférence pour le Chapitre de douze chanoines comme à St-Félix, sans doute à cause des douze Apôtres du Seigneur.  II en est pourtant qui se limitent  à 3 ou 4 chanoines tel est le cas, dans notre région, pour Saint Paul Cap-de-Joux, on en recense encore 27 de ce type. Enfin pour 18 chapitres, il ne subsiste que 2 chanoines, voire même un seul … Que devient la vie en commun ?  Et les règlements qui exigent la présence d'au moins trois chanoines pour constituer un chapitre ? Il s'agit là de survivance de chapitres tombés en décadence ou ruinés : les revenus ne peuvent plus alimenter les prébendes primitives, mais le dernier survivant a gardé précieusement le titre de chanoine, car c'est toujours un nom prestigieux.

Car, il existe des chapitres nobles (Brioude, par exemple) et dans certains lieux, le chapitre étant seigneur, tous les chanoines sont comtes ou barons. Mais c'est surtout parce que l'opulence et le renom des grands chapitres rejaillissent sur tout le corps canonial. Aucune commune mesure entre le Prévôt du Chapitre de St-Etienne de Toulouse  « première aumusse de France, tant par le prestige que par les revenus » et le petit chanoine campagnard de Saint-Félix… sauf qu'ils sont  tous deux chanoines ! Le chanoine de Saint-Félix a droit d'être appelé «messire»  et bénéficie du prestige du riche et puissant chanoine de la ville même s'il n'a pas, et de loin, de revenus comparables aux siens. Mais voilà : il va également pâtir des reproches qu'on fait ordinairement aux chanoines de la Ville…

Un corps décrié et combattu

Paradoxalement, ce corps prestigieux est l'objet de critiques sévères.  Depuis longtemps on a remarqué combien ce style de vie porte à une espèce de dissimulation : la vie en commun a ses attraits,  mais aussi ses inconvénients. II n'est pas toujours facile d'y respecter la charité fraternelle… Au début du XVIème siècle, le chanoine Bordenave fait ce portrait, au vitriol, de ses confrères :

« Certes, il n'y a personne qui ne sache et ne connaisse le peu d'amour que les chanoines se portent l'un à l'autre et le peu de visites qu'ils se rendent : voire, à mieux dire, il est certain qu'ils se piquent, s'offensent et se déchirent entre eux, nonobstant leur bigoterie et faux baisers… Et ces chanoines paraissent bonnes gens à l'extérieur : ce sont de petits saints, ils sont humbles, mortifiés, pacifiques… ils ne font point de bruit, ils ne voudraient pour rien au monde paillarder.  Mais au-dedans ce ne sont que serpents, que vipères, que dragons pleins d'avarice, d'ambition, de luxure, de mal-talents… »

Le peuple chrétien volontiers frondeur et légèrement anticlérical, prétend qu'ils mènent vie facile : on parle en proverbe « vie de chanoine » on appelle  « pain de chanoine » le beau pain blanc de froment … L'usage pourtant reçu depuis longtemps de concéder une faible part de la prébende à un clerc famélique qui en assurera seul les charges, commence à étonner.  Le mot évolue dans son sens.  C'est en effet la célèbre « portion congrue » : à l'origine « part convenable », c'est devenu le type même de la rétribution insuffisante et injuste. Le sentiment général commence à transparaître dans la littérature dès le XVIIème siècle. Ainsi Boileau écrit, dans le Lutrin :

« Parmi les doux plaisirs d'une paix fraternelle
 Paris voyait fleurir son antique Chapelle
Ses chanoines vermeils et brillants de santé
S'engraissant d'une longue et sainte oisiveté

Les pieux fainéants faisaient chanter matines
Veillaient à bien dîner et laissaient en leur lieu
A des chantres gagés le soin de louer Dieu ! »

La Bruyère renchérit dans ses Caractères :

« Enfin, c'est entre tous, à qui ne louera point Dieu. A qui fera voir, par un long usage, qu'il n'est point obligé de le faire … Ils se lèvent tard et vont à l'église se faire payer d'avoir dormi … »

Le clergé des paroisses supporte mal ce clergé parallèle qui peut devenir un concurrent.  Déchargé du soin des âmes, le chapitre reste souvent curé « primitif »  ou « patron »  d'un bon nombre de paroisses : il présente à la nomination de 1'évêque un curé de son choix, il y prélève la plupart des dîmes et concède avec mauvaise grâce la congrue ou le secours des pauvres. L'opinion du clergé paroissial s'exprime vertement dans le cahier des Doléances des Curés du Dauphiné :

« Chanoines, abbés et prieurs ne sont pas d'institution divine … ils ne sont que des usurpateurs, des hors d'œuvre à l'édifice de l'Eglise : titulaires sans fonctions, pasteurs sans troupeaux … »
L'épiscopat, dans l'ensemble, serait plutôt bienveillant à l'égard des chanoines, malgré parfois de sérieux affrontements. C'est que les chapitres sont soumis à leur juridiction. Il n'en est pas de même des Ordres Religieux … On sait qu'elle réforme est alors entreprise par la Commission des Ordres Religieux où l'action vigoureuse menée par Loménie de Brienne lui vaut le surnom « d'Antimoine » De plus, les chapitres permettent  aux évêques de doter des prébendes avantageuses leurs collaborateurs, grands vicaires ou secrétaires. Toutefois, ils manifestent tout de même un certain agacement devant la tendance des chanoines à plaider un peu trop facilement.

Au Synode Diocésain de Toulouse, tenu en 1782, le même Loménie de Brienne fait adopter cet article :

« Rien de si humiliant pour le Clergé que de voir les membres  d'un corps consacré à chanter les losanges d'un Dieu de paix se traîner réciproquement devant les tribunaux et devenir par leurs divisions le sujet de l'entretien et de la raillerie des peuples… »

Mais, le grand ennemi des chanoines, c'est la bourgeoisie des villes : elle envie leur fortune foncière, mal gérée, qui échappe à sa convoitise... Sieyès, lui-même chanoine, s'interroge à l'Assemblée Nationale :

« Devons-nous servir cette jalousie bourgeoise qui tourmente l'habitant des petites villes, contre M, le Chanoine ? »

Si bien qu'à la fin de l'Ancien Régime, l'irritation est générale. Personne ne défend les chanoines. Quand le chapitre de Notre-Dame de Paris proteste contre la faible représentation qui lui est consentie au sein de l'Ordre du Clergé pour les Etats Généraux, c'est dans Paris un éclat de rire :

« Si un curé est peu de chose en le mesurant à son territoire, qu'est-ce qu'un chanoine mesuré à sa stalle ? »
Aussi, en 1790, la Constitution Civile du Clergé, en son article 20, « éteint et supprime tous les chapitres tant cathédraux que collégiaux… »

Mais alors, à Saint-Félix, c'est la surprise... On comprend d'autant moins de telles dispositions que la population et la nouvelle « municipalité » restent très attachées à leurs chanoines, très fières de leur Chapitre, depuis si longtemps partageant la vie de Saint-Félix.

Le   vénérable  Chapitre   de  Saint-Félix

C'est qu'à Saint-Félix, il est plus que quatre fois centenaire, le Vénérable Chapitre. Au moment où il réforme le trop vaste diocèse de Toulouse, le Pape Jean XXII, après y avoir découpé toute une série de petits diocèses ruraux, trouve que le nouvel archidiocèse est encore bien assez riche pour y prélever les revenus de deux chapitres collégiaux qu'il fixe à l'Isle-Jourdain et Saint-Félix; on remarquera cette implantation sur les limites du diocèse pour recevoir les clercs des petits diocèses suffrageants, alors que les revenus sont fournis par le seul diocèse de Toulouse. Sans doute, pour ce qui est de Saint-Félix, à cette date de 1318, la bastide nouvellement fondée est en plein essor. Son rôle au temps de l'hérésie cathare a peut-être laissé quelques souvenirs,  le fameux « concile »  de 1167 pour que le Pape se soucie d'un clergé mieux encadré, mieux contrôlé, mieux formé.  Le Pape veut-il, en outre, avantager cette place que le Roi va bien­tôt concéder à Pierre Duèze, frère du Souverain Pontife, en le faisant Baron de Saint-Félix ? La bulle de fondation ne fait état que de l'abondante population du lieu et de « son renom de piété ».

La bulle de fondation attribue un revenu de 2 000 livres à chaque chapi­tre (alors que les évêchés nouvellement créés ont reçu une dotation de 5 000 livres chacun). Pour Saint-Félix, ces revenus sont à prendre « sur ce que l'évêque de Toulouse perçoit » dans une quinzaine de paroisses nommément désignées. Elle fixe également les effectifs du chapitre et la part « la prébende » que chacun va recevoir ; il y a :

- 12 prébendes canoniales dont 3 dignités (Doyen-Sacristain-Pré-centeur)
- 37 prébendes simples dont les titulaires sont appelés prébendiers.

La prébende canoniale est de 30 livres ;  le doyen perçoit double prébende et une prime fixe de 200 livres - les deux  autres dignitaires perçoivent une prime de 40 livres, mais le sacristain en tant que curé de la paroisse, a droit au casuel, constitué par les offrandes à l'occasion de l'administration des sacrements.

Le corps des Prébendiers se divise en :
- 3 hebdomadiers dont la prébende est de 20 1ivres et qui sont chargés de l'organisation des offices liturgiques sur une semaine chacun.
- 24 chapelains à 18 livres : prêtres, ils acquitteront les messes de fondation,
- 4 diacres et sous-diacres à 15 livres pour les messes solennelles.
- 6 simples clercs à 12 1ivres, à la fois pour le service des offices et pour être formé « sur le tas » puisqu'il n'existe pas encore de séminaires,
- enfin 6 enfants de chœur pour fournir les voix hautes du chant liturgique (d'où sont exclues les femmes, à cette époque!).

L'usage s'établit de les distinguer simplement par le montant de la prébende : on dit couramment : prébendier de 18, de 15 ou de 12. Mais très vite, cela ne correspond plus au même « salaire ». Car le système s'apparente à l'allivrement des compois, rédiges en «livres livrantes » dont le montant est calculé en fonction du revenu réel de l'année. Ici, il s'agit de « livres capitulaires » le nombre de livres capitulaires est toujours fixe pour chacun ; la valeur de la livre ne l'est point : elle dépend du revenu actuel. Basé sur la perception des dîmes et le rendement des propriétés le revenu évolue avec le temps. Chaque année, il est divisé en 2 000 parts, ce qui donne le montant de la livre capitulaire. Un chanoine perçoit 30 parts, un prébendier, selon son rang 18, 15 ou 12 parts. Et bien sûr, ce qui saute aux yeux c'est l'inégalité de la répartition : 12 chanoines se partagent 640 livres et les 37 prébendiers seulement 630!

Le total ne fait d'ailleurs que 1270 livres : que devient le reste ? Comme le revenu est calculé toutes charges déduites, ce supplément alimente les «distributions quotidiennes » : complément de la prébende, elles ne rétribuent que les présences effectives en chœur.  Les absents n'y ont point droit, et les « pertes »t sont distribuées à ceux qui sont présents. Primitivement, ces distributions étaient faites en nature, blé ou pain : c'est le fameux « pain de chanoine ».

Cette organisation demeure inchangée jusqu'en 1790. A ceci près qu'au XVIIIème siècle on n'observe plus que la distinction financière : de simples clercs de bonne famille sont titulaires d'une prébende de 18, qui est sacerdotale et qu'ils font desservir par des prêtres moins bien nantis tandis que des prêtres se contentent d'une simple prébende cléricale de 12.  Le nombre des prébendes varie aussi légèrement : une ordonnance royale a prescrit à tout chapitre d'attribuer une prébende à l'entretien d'un « régent » maître d'école : ce sera la « préceptoriale », concédée à un ou plusieurs prébendiers ; à Saint-Félix, elle finit, à la fin du siècle, par rétribuer un maître laïc. De plus, notre chapitre a obtenu l'extinction de deux prébendes dont les revenus sont affectés à la construction et l'entretien des célèbres orgues de Saint-Félix. . .
Les prébendiers se disent égaux en dignité et le plus ancien préside leurs assemblées, distinctes des « chapitres ». Le chapitre, c'est à proprement parler l'assemblée des seuls chanoines délibérant des affaires du corps ; et si le chanoine n'est pas constitué dans les ordres sacrés, il n'a pas à donner son avis : il n'a pas « voix au chapitre ».  L'assemblée capitulaire est strictement hiérarchisée :
- Le Doyen préside et est le premier à opiner, parce qu'il a « la surintendance » de l'ensemble collégial. Le doyenné est électif : les chanoines en chapitre procèdent à l'élection d'un d'entre eux, parmi ceux qui sont titulaires de grades universitaires. A l'occasion de l'élection d'un doyen, l'Evêque entre au chapitre, où il dispose d'une voix « comme l'un des chanoines ». Mais il lui appartient de confirmer l'élection, ce qui paraît n'être qu'un geste de déférence à l'égard de la dignité épiscopale.
- Le second en dignité est le « théologal et sacristain » : curé de Saint-Félix, il a la haute main sur la sacristie, d'où son titre de sacristain.  II assure la prédication et l'administration des sacrements, aidé en cela par des vicaires pris parmi les prébendiers, à qui il concède une partie du casuel. Liée au devoir de la prédication est sa fonction de théologal : elle le charge d'une espèce de formation permanente au sein du chapitre : conférences de théologie et d'Ecriture Sainte. Aussi doit-il être obligatoirement docteur en théologie. II est d'ailleurs choisi par l'évêque et le plus souvent en dehors du chapitre.
- Enfin vient le « précenteur » qui dirige, en principe l'Office du chœur : il a la « surintendance du chœur ». En fait, ses fonctions sont passées aux hebdomadiers et la  « précentorerie » est une dignité qui lui permet de présider le chapitre en l'absence du doyen et du sacristain. Le précenteur est à la nomination de l'évêque, qui doit cependant le choisir parmi les chanoines.

Les neuf autres chanoines surnommés alternativement par l'Evêque et le Chapitre. Ils peuvent être simples clercs mais doivent être âgés de quatorze ans au moins. Obligation leur est faite de recevoir la prêtrise, mais certains se contentent du sous-diaconat qui leur donne voix au chapitre. Chaque semaine, à tour de rôle, dit aussi de « cheville » chacun exerce au nom de tous les droits de nomination ou de présentation du chapitre tout en assurant les offices en tant que célébrant principal. On nomme chevillier le chanoine en tour, car au tableau de la sacristie le tour est marqué par un petit taquet de bois enfoncé en face d'un nom. Le tour est établi selon des règlements tellement compliqués qu'il est souvent contesté ainsi que les nominations qui en découlent : c'est la source de nombreux procès que vient compliquer encore l'usage de la « résignation ». Car le jeu des nominations est perturbé par le fait que le titulaire d'une prébende ou d'une cure en devient à ce point propriétaire qu'il peut par un acte particulier, dit de « résignation », s'en décharger en faveur d'une personne de son choix, par­fois en se réservant une « pension » sur le revenu. C'est le moyen de conserver dans une famille les bénéfices ecclésiastiques qui finissent par devenir éléments du patrimoine! Les délibérations mentionnent souvent ces contestations et trans­ferts de prébendes.

Les décisions sont prises par les chanoines à la pluralité des voix et s'il arrive que l'affaire traitée implique quelque prébendier, deux députés de leur corps sont admis en chapitre, à titre consultatif : ils n'ont pas le droit d'opiner et signent sans mention d'adhésion ni d'opposition. Les députés sont choisis par les prébendiers et renouvelés chaque année. Le chapitre est convoqué chaque fois qu'il est nécessaire et habituellement chaque samedi, à l'issue de  matines ou de la grand'messe,  dans la Salle Capitulaire, qui sert actuellement de sacristie à l'église de Saint-Félix. Le secrétaire du chapitre, un notaire royal de la ville, consigne les avis et délibérations ainsi que les réunions des prébendiers, bien moins régulières. Ces fonctions au service du Chapitre valent au notaire le titre de « notaire apostolique et royal ».  C'est à travers ces textes que nous voyons vivre le «Vénérable Chapitre de l'Eglise Collégiale et Paroissiale de Saint-Félix.

La vie quotidienne au Chapitre de Saint-Félix

La raison d'être des chanoines, c'est l'Office Divin, la louange de Dieu dans la liturgie de la messe et des heures du bréviaire. L'Office requiert, en principe, la présence de tout le collège : « célébrant avec diacre et sous-diacre, chapiers, bourdonniers, thuriféraires et céroféraires évoluent en nombre dans le chœur tandis que les autres bénéficiers assurent le chant ou la psalmodie des psaumes et cantiques» Messe du Chapitre, messes paroissiales, de fondation ou privées, vêpres et autres heures grandes et petites, bénédictions et processions : la Collégiale bourdonne de prières à longueur de jours. Le peuple chrétien y participe par dévotion sincère, ou par distraction ou encore par obligation, et pas seulement morale : sa présence est requise, s'il s'agit de quelque Te Deum pour célébrer la victoire des armes de sa Majesté ou quelque naissance princière, sous peine d'amende!

Parfois, la liturgie déborde l'enceinte de la Collégiale : la procession se répand dans les rues pour rejoindre une « station », en faisant le tour de Ville. C'est le cas pour la fête de Saint-Félix, de Saint Valentin,  de Notre-Dame la belle, liés à l'histoire de la ville, ou des saints populaires, tels que Saint Biaise, Saint Sébastien, Saint Roch. Au siècle des Lumières, le zèle pour les processions  d'ailleurs freiné par les prélats comme Loménie de Brienne, se ralentit : en 1762, le Chapitre décide de ne plus faire le tour de ville mais de se rendre directement à l'Hôpital pour la fête de Saint Jacques, à la chapelle du cimetière pour celle de Saint Roch.

Si astreignantes que soient ces occupations, elles laissent aux béné­ficiers le temps de vaquer à diverses obligations plus ou moins personnelles : travaux à leurs métairies, fonctions de trésoriers, régents du Collège de la Jeunesse, soins de leurs procès.  Ou encore à leurs études.  Cependant, toute absence non autorisée est sanctionnée : au chœur, un « ponctuaire »note, dans le cahier de la pointe, les retards autant que les absences, voire la mauvaise tenue des clercs. Les pointés sont privés de leurs distributions ou taxés d'amendes au profit de la « Dame de la Miséricorde de l'Hospital Saint Jacques ! »
Ainsi en est-il à la requête de Messire de Fortassin, Doyen de ce chapitre à 1'encontre de jeunes prébendiers de 12 «qui ne se sont point trouvés à Vêpres et à la bénédiction pour encenser et qui se sont absentés pour aller à un jeu public à Cadenac».
Ah! La  jeunesse de notre temps!

Quand l'absence est autorisée, on dit qu'on accorde la «présence»: l'absent est alors considéré comme présent et touche ses revenus, à condition toutefois d'indemniser un remplaçant. Ainsi « la présence de droit »  - de deux à trois mois - constitue de véritables vacances, dont le temps est employé à des époques et durées à la convenance du bénéficiaire, selon ses besoins personnels : affaires, procès, santé ou événements familiaux. L'âge ou la maladie permettent d'accorder la dispense des offices fatigants, comme les matines : mais attention,  dans ce cas, il est interdit de se montrer en ville!
Une «  présence de grâce » est accordée pour faire des études. Elle peut alors durer jusqu'à cinq ans pour un doctorat, et même dix ans pour le doctorat en Sorbonne : ce sont de véritables bourses d'études que le Chapitre procure ainsi aux jeunes clercs.

Les délibérations qui accordent la présence pour études nous renseignent sur les séjours dans les séminaires « pour prendre des ordres » ou sur les différents « cursus studiorum »: l'un simple (basses classes à Saint-Félix ou à Castres, rhétorique à Castelnaudary, et philosophie chez les Jésuites de Carcassonne) - l'autre plus distingué (classes à Toulouse, à l'Esquille ou chez les Pères Jésuites, puis l'Université pour prendre les grades en théologie ou « es-droicts », ou celui de « maître ès-arts ». Ces études éclaircissent les rangs aux offices : les règlements prévoient d'ailleurs de limiter la présence pour études à deux chanoines et deux prébendiers par chapitre. Mais on ne les applique guère.  Aussi les plus anciens protestent-ils contre de tels abus.  Quand le futur doyen Moreau de la Grave demande cinq années supplémentaires pour aller faire un doctorat en Sorbonne un vieux chanoine gémit « Mais il est déjà docteur! ». Le Chapitre voudrait aussi se prémunir également en exigeant des cautions pour le remboursement des prébendes au cas où un bénéficier quitterait le corps soit pour prendre rang ailleurs, soit pour se marier. Ce genre de délibérations reste d'ailleurs sans effet.
En dehors de quoi, les membres du Chapitre sont tenus à résider à Saint-Félix et prennent part à la vie de la « Communauté » comme on dit alors.

Ainsi, chaque année, le Chapitre nomme deux chanoines députés aux Assemblées de la Communauté. Ils siègent donc aux conseils de la ville, ont droit de délibération et de signature immédiatement après MM les Consuls, et se flattent de défendre «  les intérêts de la veuve et de l'orphelin »

Dans le domaine éducatif, le Chapitre est "patron", avec les Consuls, du Collège de la Jeunesse ouvert pour les garçons, dont il contrôle la gestion, fournit (... peut-être …) les locaux dans sa grande Maison Capitulaire, et (sûrement) le corps professoral qui a compté jusqu'à quatre régents, pris parmi les prébendiers. Ici aussi une certaine désaffection se manifeste à la fin du siècle; l'unique régent est alors un laïc... rétribué par la prébende préceptoriale.

Pour ce qui est du social ou caritatif, le Chapitre gère avec les Consuls qui désignent un « syndic des pauvres », l1Hôpital Saint Jacques, à vrai dire misérable bâtisse qui jouit de minces rentes et que le Chapitre soutient grâce aux pertes et amendes infligées aux bénéficiera négligents.
Enfin, citoyens à part entière, les membres du Chapitre participent à la vie de la cité : Te Deum et feux de joie, gardes aux portes de la ville lors des épidémies, et même milice bourgeoise en 1789.
Sans compter leur poids dans la vie économique du pays.

L'impact économique de la présence
du Chapitre à Saint-Félix

Le Chapitre de Saint-Félix n'est pas un grand seigneur : il ne possède point de « justice »  et nous ne trouvons trace d'aucun officier de sa justice. Ici, il faut préciser que le pouvoir coercitif du doyen est purement disciplinaire; les affaires d1importance sont portées soit au juge d'église, l'Officiel diocésain soit devant une juridiction laïque, Sénéchal de Castelnaudary ou Parlement.

Cependant, il est fait mention de droits féodaux que le chapitre perçoit sur de petites parcelles de terre ou vignes, disséminées dans diverses paroisses, | qui sont des donations souvent fort anciennes, accumulées avec le temps. Le Cha­pitre les « inféode » en échange de « l'aveu et reconnaissance » traditionnels, d'un cens fort modeste, et conserve les droits de « lods et vente » à chaque mutation de tenanciers.

Mais il n'y a pas là de quoi lui conférer une position particulièrement en vue.

Notre Chapitre n'est pas un gros propriétaire foncier : en dehors de la vaste « Maison Capitulaire », qui jouxte la Collégiale et où sont aménagés ses greniers et son « Vinal », il possède quelques moulins, de petites maisons louées à Saint-Julia,  Roumens, Auriac, Bélesta ... et la métairie d'En-Brignol avec ses bois, sur la route de Saint Julia, qui est exploitée en métayage. A quoi s'ajoutent les minuscules propriétés dont nous avons parlé baillées à cens ou en locatairerie perpétuelle. Au total, un capital foncier modeste dont le détenteur ne pourrait prétendre à un rôle déterminant dans la vie économique du pays.

Mais le Chapitre est également et surtout un gros « décimateur ». Et ses dixmaires s'étendent sur une quinzaine de terroirs de Revel à Caraman. L'afferme des dîmes se fait aux enchères à Saint-Félix et les allées et venues des fermiers et de leurs gens animent le commerce local. Payables pour une part seulement en argent, elles sont « portables » : la part acquittée en nature est portée aux greniers du Chapitre, criblée et mesurée à sa mesure; vin et blés sont stockés à Saint-Félix qui, grâce au Chapitre, draine en ses murs une bonne part de la production locale. Ces stocks permettent les « distributions » aux bénéficiers, mais le Chapitre ne manque pas de constituer des réserves : il a en effet l'obli­gation d'ouvrir ses greniers en cas de disette. Ce qui ne l'empêche pas à 1'occasion de se livrer à de fructueuses spéculations. En tout cas, il joue le rôle important d'organisme centralisateur et de stockage, qui contribue au développement de Saint-Félix comme place de marché.

L'ensemble de ces revenus (droits, fonciers et dîmes) constituent les gros fruits ou la « grosse », gérée par ta chanoine, le Trésorier de la Grosse, désigné chaque année soit par élection, soit par tour selon les époques : il a la haute main sur les finances et conduit les affaires, mais seulement en tant qu'exécutant de la volonté de la majorité. L'Assemblée Capitulaire lui donne ses directives et reçoit ses comptes. La charge est lourde (on voit tel trésorier, qui l'exerce depuis de longues années, demander « d'être sorti d'affaires » sous peine de procédures...). Le trésorier veille à la passation des contrats, engage les poursuites contre les fermiers défaillants, organise la levée des dîmes, la surveillance des vendanges; il est amené à se déplacer, compter, diriger, ses activités multiples et les sommes qu'il manie en font  sur le plan matériel, l'un des hommes-clé du Chapitre et l'un des plus importants entrepreneurs de Saint-Félix.
Au sein du Chapitre, il n'est pas le seul : il existe une autre source de revenus, une seconde administration - la trésorerie de la Table des Obits, confiée aux prébendiers. Chaque année leur assemblée désigne deux d'entre eux qui sont présentés aux chanoines pour y faire choix d'un trésorier des Obits qui leur rendra des comptes en fin d'exercice. Les Obits, ce sont les messes pour les défunts. Elles sont particulièrement nombreuses, et le plus souvent fondées par testament : le pieux donateur dispose d'une somme réservée pour acquitter annuellement le nombre de messes qu'il entend fonder. Ses héritiers paient la rente annuelle entre les mains du trésorier ou, s'ils préfèrent, se libèrent du capital  que le trésorier place auprès de débiteurs sûrs qui verseront la rente : la Table des Obits devient une sorte d'organisme de prêts auquel s'adressent les bourgeois, marchands, exploitants, qui ont besoin d' argent frais, parfois les bénéficiers eux-mêmes pour leurs affaires personnelles, quelquefois des officiers royaux au moment d'acquitter la finance de leurs charges, ou encore le Chapitre lui-même pour renflouer la trésorerie de la Grosse. Les Obits se multiplient avec les siècles et sont consignés dans un registre – la « Table » pour constituer un capital de valeur, d' autant que certaines rentes grèvent un bien : terre, vigne ou maison dont les tenanciers successifs devront payer le montant sous peine de saisie; le trésorier veille au recouvrement de ces multiples petites sommes, place les capitaux importants, poursuit les défaillants : son activité s'apparente à celle du  trésorier de la Grosse, mais il supporte moins de charges et paraît plus stable, bien que les variations du taux d'intérêt, les diverses manipulations et dévaluations ne manquent pas de l'affecter, et surtout le « Système » de M. Law manque de ruiner les Obits. Ils s'en remettent; jusqu'en 1765 : une ordonnance royale y prescrit d'investir les capitaux de cette espèce en rentes sur le Clergé, pour lui  permettre de financer le « don gratuit » qu'il consent au monarque. Le travail du  trésorier s'en trouve simplifié, il reste un homme important, mais cesse d'assurer à Saint-Félix cette activité quasi-bancaire et originale.

Mais que représentent ces capitaux ? Peut-on évaluer la fortune du Chapitre, alors qu'aucun de ses documents comptables ne nous est parvenu?
Des indications données incidemment permettent d'évaluer le capital des obits tant dans le diocèse de Toulouse que de Saint-Papoul: au taux le plus bas de 4%, il peut se monter à 6 000 livres, somme respectable.. L'ensemble des revenus dont dispose | le Chapitre pourrait s'élever à quelques 15 000 livres : une fortune moyenne. En effet, le Chapitre doit payer les « décimes » qui sont un impôt prélevé par le Clergé sur tous les bénéfices ecclésiastiques. Or, pour 1757 les comptes de décimes nous donnent les chiffres suivants : le Chapitre de Saint-Félix est taxé de 726 livres pour 980livres dues par le Chapitre de L'Isle-Jourdain, 3675 livres pour le Chapitre de Saint Sernin (plus 3 000 1. pour son Abbé !)et 6745 livres pour le Chapitre de Saint Etienne (plus 1684 1. pour le Prévôt et le Chancelier!). On le voit, le Chapitre de Saint-Félix est le plus modeste et le plus pauvre du diocèse: mais il surclasse tous les curés de paroisse, dont le plus avantagé semble être l'Archiprêtre de Grenade), le plus fort imposé avec 517 livres de décimes !

Il reste que les prébendes qu'offre le Chapitre restent suffisamment attractives pour être briguées par des clercs nombreux, venus parfois de loin, et pour être énergiquement défendues par leurs titulaires pour en faire profiter de jeunes parents. L'archevêque ne dédaigne pas d'en pourvoir son secrétaire. Certes, la fortune du Chapitre lui permet de prendre une place particulière dans la vie sociale à Saint-Félix.

Le   Chapitre   dans   la   société   locale

Les registres paroissiaux mentionnent assez souvent un chanoine comme parrain à un baptême : le Chapitre noue avec la population des liens presque familiaux. De sorte que, même s'il est amené à poursuivre un débiteur ou un | fermier, il sera invité à la mansuétude par tel de ses membres qui, plus ou moins lié au défaillant, rappellera à ses confrères les exigences de la charité chrétienne. On abandonne les poursuites, on transige, on modère même les fermiers qui I'oppressent les tenanciers ou les décimables. C'est avec sérieux que le Chapitre prend la défense des petites gens.

A l'égard du Seigneur, les relations ont été courtoises jusqu'à la vente de la seigneurie à M. de Morier. Le nouveau seigneur, qui n'est pas encore anobli, tient d'autant plus à ses droits et prétend faire revivre ceux qui étaient tombés en désuétude. Très vite, il entre en conflit avec les Consuls et de même avec les chanoines, à propos de droits honorifiques, comme la « litre », la bande noire qui se voit encore par endroits, peinte sur les murailles de l'église ou la famille seigneuriale appose ses armoiries lors de ses deuils et que M. de Morier veut étendre aux murs du chœur le droit de sépulture qu'il réclame également dans le chœur. Or le Chapitre prétend à la propriété du chœur et entre en procès… où les chanoines ont du avoir gain de cause : à sa mort, M. de Morier est enseveli « devant la grande porte du chœur ».

L'entente règne entre Consuls et Chanoines : ils sont de la même classe sociale et quelques fois cousins. Mais justement, peuvent à l'occasion éclater d'incompréhensibles conflits de personnes, de sourdes luttes de clans. Au sujet d'intérêts matériels comme les réparations du clocher ou sur la façon maladroite dont sont menées les affaires de la ville, les procès mal conduits, les archives négligées, les droits usurpés.  En 1702, à propos de la capitation dont ils sont eux-mêmes exemptés, les chanoines font reproche aux consuls d'avoir fait charger les artisans et laboureurs pour se décharger eux-mêmes et d'autres personnes de qualité ou bourgeois. C'est surtout en 1770 que la situation se tend en une série de tracasseries et procès, alors qu'à l'origine, il n'y a qu'une décision du doyen, parfaitement valable et qui ne concerne que le Chapitre. Moreau de la Grave, plus souvent à Paris ou Versailles qu'à Saint-Félix, prélat « éclairé » et Vicaire Général du diocèse…  d'Arras ( !), interdit aux marguilliers de faire leur quête habituelle quand le Saint-Sacrement est exposé. II trouve cette pratique indécente. Mais à Saint-Félix « cela s'est toujours vu » et les usages sont sacrés : tant pis pour le Siècle des Lumières, et les Consuls vont soutenir les marguilliers. Lassé, le doyen se démet, au profit de son oncle Jean de Crouzet depuis plus de trente ans chanoine de ce Chapitre. Né dans le consulat, qu'il n'a guère quitté, rompu aux habitudes locales, il est assez diplomate pour réconcilier chanoines et consuls… d'autant que le premier consul nouvellement désigné se trouve être un autre de ses neveux.

Avec les curés voisins, on entre parfois en procès, à propos de congrue ou avec cet astucieux curé de VAUX qui transfère les « sols » (où on partage la moisson)  près de son poulailler où sa volaille fait des dégâts... Envers l'administration diocésaine et l'Archevêque, le chapitre se montre très respectueux, mais intraitable sur ses « droits et privilèges ». L'Archevêque ayant nommé en 1709 un Théologal qui ne lui plaît pas, le Chapitre délègue deux chanoines pour faire de très humbles remontrances (…) et pour témoigner à Sa grandeur que le Chapitre a de n'avoir pu, sans se faire un préjudice considérable, recevoir le Père Videt. Malgré quoi, le Père Videt restera bel et bien Théologal et Sacristain de Saint-Félix.

Bien entendu, en dehors de ces bonnes dispositions, il ne manque pas au Chapitre, d'incidents ou d'événements qui ont dû alimenter la chronique locale. Les bénéficiers « animent » la vie du village, d'une certaine manière : tel coupe du laurier chez son voisin, gâte sa haie et insulte sa femme, tel autre ne paie pas ses dettes (nombreuses) au cabaretier, ce jeune prébendier est allé danser « en soutane » à la fête de Saint-Julia, certains ont donné du scandale en déambulant dans les rues à la nuit tombée « jouant du fifre, chantant et dansant, bouteille à la main ».  Parfois l'attitude de l'église laisse à désirer : celui-ci est pointé pour avoir passé son temps « à râper du tabac » pendant Vêpres, celui-là, pris de vin s'est couché à la sacristie et il a été impossible de le réveiller : il y passe la nuit! De tels détails ne doivent pas trop nous scandaliser ; il faut ici tenir compte de la nature de notre documentation. Ce sont, en grande part, des affaires de discipline que notent nos registres. Ils ne peuvent suffire pour porter un jugement, pas plus qu'on ne pourrait juger une Ecole sur les seuls cahiers des punitions. Une lecture attentive permet du reste de relever des allusions au « dévouement, à la longue fidélité, à la dignité de vie des bénéficiers ». Elles sont moins détaillées et moins amusantes. A vrai dire, sur cette période de plus d'un siècle, il n'est fait mention que d'un seul cas d'inconduite notoire : encore le séducteur est-il immédiatement enfermé, par lettre de cachet, au couvent des Capucins de Samatan,

Bien plus graves nous paraissent les nombreuses procédures qu'engagent nos chanoines : on dirait qu'ils s'y plaisent, que c'est une véritable passion. L'argent et l'honneur en sont la cause : le mal est alors général, dans tout le Royaume, mais il commence à scandaliser fortement. D'autant qu'on assiste à une âpre course aux prébendes, surtout le doyenné, particulièrement avantageux. Deux exemples nous en sont donnés : en 1701, le Doyen Bernard de Fortassin résigne son bénéfice en faveur de son neveu Gabriel, peu avant de mourir, alors que le Chapitre procède à l'élection de son successeur et choisit le Sacristain Antoine Ferrier. S'ensuit un long procès, source de désordres et d'affrontements.
La mort de Ferrier laissera seule le champ libre à Gabriel de Fortassin. Par contre en 1767, la succession de Bertrand Malras est assurée par une élection compliquée qui porte à la tête du Chapitre un chanoine depuis longtemps absent, Moreau de Lagrave... Rarement présent à Saint-Félix, il constitue un procureur en la personne de son oncle Jean de Crouzet à qui il finit par résigner son bénéfice de doyen. Il est impossible d'entrer dans le détail de ces affaires et de leurs conséquences dans la vie du Chapitre et du village. Disons qu'elles sont significatives de l'époque, autant que la tendance à plaider : un clergé abondant cherche fiévreusement des revenus assurés; en fait, un aspect particulièrement curieux pour nous de la vie cléricale : des clercs menacés de chômage tandis que d'autres cumulent les bénéfices ou que les revenus ecclésiastiques sont attribués à des laïcs.

Pour conclure

Ne soyons pas trop étonnés de voir ainsi une communauté cléricale très marquée par son temps. Insérée dans le temps et l'espace, l'Eglise à l'échelon local va se poser les problèmes de l'époque, s'activer sur les plans à la mode. Les clercs vont alors se soucier d'agriculture, de philosophie, de « politique ». Nous les jugerons d'autant moins qu'aucun document n'a pu nous renseigner sur leur niveau spirituel, leur vie intérieure, leur action strictement pastorale, le contenu de leurs prédications ou de leurs catéchismes. Nous constatons seulement comment ils sont « engagés » dans leur siècle et se font proches du monde où ils vivent.

II faut d'ailleurs leur rendre cette justice que c'est pour le plus grand profit de Saint-Félix. C'est en grande partie grâce à son chapitre que la petite ville tranche sur les villes et villages d'alentour. La population en a conscience et se montre très attachée à son Chapitre, Aussi comprend-elle mal les décisions et les événements parisiens de la Révolution : une délibération municipale mentionne « les jours funestes des 13 et 14 juillet (1789) » qui ont endeuillé le royaume.

Crainte que la suite va confirmer : en supprimant les Chapitres, et en réorganisant la Justice (Saint-Félix possède une petite cour d'Appel), la Révolution porte un coup fatal à notre petite ville : elle cesse d'être un centre de services pour n'être plus qu'une simple commune rurale qui se dépeuple et où les anciennes paroisses qui traduisaient la supériorité du bourg sont devenues d'onéreuses sections. Quant au point de vue ecclésiastique, elle n'est plus qu'une paroisse comme les autres paroisses de campagne : fait significatif et qui dit tout, le curé de Saint-Félix n'est pas chanoine.

 

NB : Les armoiries du chapitre de l'église collégiale de Saint-Félix-De-Caraman se décrivent ainsi 1  :

« d'azur à une vierge d'or tenant l'enfant Jésus sur le bras droit de même (même couleur), ayant un St Félix à ses pieds se tenant à genoux, aussi d'or. »

Réf. : armorial de l'Eglise de France de J. Meurgey. Je n'ai pas pu retrouver la matrice de ce sceau agiographique, ni au presbytère de St Félix ou de Revel, ni aux archives diocésaines de Toulouse.  


1.  D'après Bernard Velay.

 

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