Société d’ Histoire de Revel Saint-Ferréol LES CAHIERS DE L’ HISTOIRE |
Le rapt d'un grand marché (1) D'après René RAMOND (article paru sur Le Ravelin n°15 – mars 2005) |
La ville de Soréze possédait, depuis le moyen âge, un grand marché qui se tenait dans la ville le samedi de chaque semaine et où tous les gens de la région affluaient pour vendre leurs produits et acheter les marchandises dont ils avaient besoin.Il est probable que ce marché était la suite et l'héritage de l'antique marché de la cité fortifiée de Verdinium, ancien Puyvert, érigée sur le rocher de Bernicaut (on peut encore discerner de nos jours le vaste emplacement de ce marché, en contrebas de l'oppidum).
En effet, au printemps 1212, Simon de Montfort, qui avait pris Puyvert (NDLR :, fit démolir cette cité de fond en comble et ordonna aux habitants d'aller rejoindre les Sorèzois établis autour de l'Abbaye de la Sagne. Ainsi, les anciens Puyverdois ayant dû transférer leur marché dans la vallée de l'Orival, celui-ci prit un essor nouveau.Or, d'après ce que nous dit J.A. Clos dans sa « Notice historique sur Soréze»(2), en 1571, dix mois avant la Saint Barthélemy, les Guerres de Religion atteignirent le Sorézois.
La ville, qui possédait une abbaye bénédictine, était catholique. Elle fut prise par les Protestants venus de Castres, puis assiégée, prise et reprise plusieurs fois jusque dans les années 1580. Or, durant les sièges successifs le marché ne pouvait se tenir dans la ville. Aussi la ville de Revel, qui est à une lieue de Soréze et qui avait son marché le jeudi, ouvrit grandes ses portes pour accueillir ce grand marché (3).
La guerre apaisée et la paix revenue, ce marché resta à Revel.Si cela était avéré, il semblait probable que la Ville de Soréze ait adressé réclamation au Parlement de Toulouse ou aux autorités de la région pour obtenir réparation, car on n'a jamais vu une ville perdre un tel marché sans protester.
Or ne trouvions nulle trace de telles démarches dans les archives de la Commune de Soréze. Nous nous en étonnions.Un jour rencontrant Monsieur JeanClaude Balayé, professeur à l'École de Soréze, archéologue et spéléologue distingué, il nous dit avoir lu dans de vieilles archives que la ville de Soréze avait bel et bien porté plainte auprès du Parlement de Toulouse et que le Parlement aurait rendu justice à Soréze dans les années 1600.
Mais l'exécution de cette décision aurait traîné jusque dans les années 1632, date de la rébellion du Duc de Montmorency, Gouverneur du Languedoc. Ce Gouverneur fut, comme on le sait, défait et pris à Castelnaudary. Puis il fut jugé et décapité place du Capitole à Toulouse.
Après cette exécution, comme la ville de Soréze aurait accueilli la cavalerie de l'armée rebelle durant sa formation, le Cardinal Duc de Richelieu, pour châtier la ville, aurait décidé de concéder ce marché en litige à la ville de Revel.
A ce propos, comme nous étions venus rendre visite, un jour de 15 août, fête du pays, à notre mère, résidente à la maison de retraite Saint Vincent, nous l'accompagnâmes à la messe dans la belle chapelle de l'établissement, aujourd'hui disparue. La messe était célébrée par un vieil abbé lettré, nul en occitan (4), lui-même résident à Saint Vincent.
Durant cette messe il fit un sermon sur la Vierge patronne de Soréze. Il fit aussi l'apologie de Louis XIII, le «juste » qui avait consacré son royaume de France à Notre-Dame.
La messe dite, rencontrant ce prêtre au détour d'un couloir, nous lui glissâmes que le Louis en question n'avait pas été si juste que ça pour les Sorézois.Pourquoi donc, nous demanda-t-il ? Mais parce qu'en approuvant la décision de son Ministre, le Cardinal-Duc de Richelieu, de priver Soréze de son marché, il avait ruiné cette ville innocente qui, comble d'ironie, avait, depuis toujours, la Vierge comme patronne !
Si l'épisode du rapt de ce grand marché nous semblait cohérent, nous n'avions aucune preuve tangible pour l'étayer et nous n'avions mis à jour aucune trace de réclamation de la ville de Soréze. Nous avons donc écrit aux Archives Départementales de la Haute-Garonne à Toulouse, conservatrices des archives du Parlement de Toulouse. Nous avons eu la chance d'intéresser le Conservateur délégué, Geneviève Douillard, qui entreprit des recherches sur ces présumés documents. Recherches faites, elle nous a écrit ceci :
« Les archives du parlement de Toulouse ne contiennent aucune trace de plainte émanant de la ville de Soréze concernant le transfert de son marché à Revel, dans les années 1580 à 1630.
Ce n'est qu'en 1762, dans le registre non pas d'arrêts du parlement mais d'enregistrement des actes royaux, qu'il a été possible de trouver le document qui répond à votre question.
Il s'agit d'un arrêt du Conseil d'État suivi des lettres patentes l'entérinant du 28 décembre 1762, dans le registre 1 B 1995, fol. 68 v° à 71v°: le roi accède à la requête des habitants en créant à Soréze un marché devant se tenir le lundi et le jeudi de chaque semaine. Mais le plus intéressant dans votre recherche est le texte de la supplique incluse dans le document ci dessous:
«... Requête présentée au roi contenant qu'ils ont eu anciennement un marché qui se tenait le samedy de chaque semaine, ainsy qu'il résulte d'un arrêt du parlement de Toulouse du 12 décembre 1653 et d'un acte notarié passé devant Bruguier, notaire à Soréze, le 24 janvier 1654, mais que les habitants de Revel en profitant des troubles arrivés sous la minorité du roy prédécesseur de Sa Majesté parvinrent à anéantir ce marché et à l'attirer dans leur ville, ce qui a toujours subsisté depuis, malgré quelques légers efforts qui furent faits alors par les prédécesseurs des suppliants ».
La recherche s'est donc tournée vers l'arrêt du 12 décembre 1653 (1B 74, fol. 356 r° v°) mais il s'agit seulement de la confirmation d'une ordonnance du sénéchal de Toulouse du 10 novembre 1604.
Cela semblait donc mener vers une nouvelle piste.
Malheureusement cette dernière s'est révélée infructueuse : dans le fonds du sénéchal de Toulouse, l'année 1604 est la première conservée de la collection des ordonnances, mais l'ordonnance du 10 novembre ne se trouve pas dans la liasse où elle devrait prendre place. »
Il ne nous restait plus qu'à nous adresser aux archives du Tarn à Albi afin d'obtenir copie des minutes du 24 janvier 1654 de Maître Bruguier, notaire à Soréze, dans la mesure ou ces pièces existaient encore. C'est ce que nous avons fait. Cet acte ayant été retrouvé, il nous a été envoyé une copie de ce manuscrit. Nous avons demandé à Madame Monique Dosdat, Conservateur honoraire et spécialiste des manuscrits de la ville de Caen, de bien vouloir nous décrypter ce texte. Voici son contenu :
« L'an mil six cens cinquante quatre et le vingt quatriesme jour du mois de janvier avant midi, régnant très chrétien et souverain prince Louis par la grace de Dieu roy de France et de Navarre, dans la ville de Sourège et au dessoubz le couvert de la place d'icelle au diocèse de Lavaur seigneurie de Lauraguais : par devant moy notaire royal soubsigné et par devant les temoings bas nommés constitués an leurs personnes Pierre Grimailh, bourgeois, et Isaac La Croix, marchans, consuls modernes dudit Sourège, faizant... tant pour eulx que pour leurs autres collègues consuls dudit Sourège, lesquels ont dict et décleré que par arrest de la souveraine cour de Parlement de Thoullouse du douziesme décembre dernier, la communauté dudit Sourèze a esté maintenue et continuée en la faculté de tenir marché an la presante ville chaque sabmedi ; et bien que ledit arrest soict esté nottiffié ausdits consuls de Revel et qu'ils n'ayant aulcung droict de permettre la tenue du marché ledit jour de sabmedi dans ladite ville, cy est à néantmoing qu'au préjudice de ce, ils continuent encore à tenir publiquement ledit... marché, et mesme intymident ceulx qui ont desaing de venir an la presante ville. C'est pourquoy ils protestent contre lesdits consuls dudit Revel et tout ce qu'ils peuvent et doibvent être, à pourvoir contre iceulx pour la continuation. Me requerant à moidit notaire leur an retenir acte pour le pouvoir faire signiffier ausdits consuls dudit Revel. Ce qu'ay faict. Présents Olivier Borrel et Jean Ribière, Maurice Leigné marchans dudit Sourège. »
Signé avec lesdits consuls et nous.
Grimaille consul
Isac Lacroix
Leigney Borrel
Ribière Bruguier
Ayant respecté l'orthographe exacte de ce document, l'édit de Villers-Cotterêts de François Ier n'étant pas encore si éloigné, nous constatons que la langue d'oïl n'est pas encore très stabilisée. Et aux occitanismes du texte nous devinons que Maître Bruguier doit encore rédiger pas mal de documents en occitan.
En conclusion :
La captation du grand marché de Soréze par la ville de Revel a bien eu lieu dans les années 1580 ; ce, à l'occasion des guerres de religion.
Par la suite, toutes les démarches et protestations des consuls de la ville de Soréze pour obtenir réparation se sont finalement avérées vaines.
Il reste une énigme quant à la disparition de toutes les pièces concernant les plaintes des consuls de la ville de Soréze sur le rapt de ce marché, cette disparition expliquant le grand oubli dans laquelle était tombé cet épisode de notre passé...
Ne peut-on penser que derrière la disparition des pièces officielles se cachait la main du tout puissant Cardinal de Richelieu, puis au travers des intrigues de la Fronde s'affirmait une volonté royale dans la continuité, comme l'indiquait le regretté Jean-Claude Balayé ?
Finalement l'acte retrouvé de Maître Bruguier, notaire royal à Soréze, nous a permis de recouvrer un pan de l'histoire de notre vieille cité, cela même si nous perdons un peu plus chaque jour les fondements de cette culture qu'est notre vénérable et merveilleuse langue d'oc !
(1) Article traduit de l'occitan « Lo raubatori d'un grand mercat » paru dans la revue « Lo Gai Saber » N°495.
(2) « Notice historique sur Soréze » par J.A. Clos, page 133, Imprimeur Benichet Cadet en 1822.
(3) Voir « En cèrca d'Elisa » page 32, livre édité par l' I.E.O. du Tarn collection « Lo banquet » en 2001.
(4) Car l'église du Languedoc a laissé dans l'abandon « La lenga nostra », même après Vatican II, à l'exception peut-être de l'Evêché de Rodez qui nous a donné deux très grands écrivains : l'Abbé Justin BESSOU (1845-1918) et l'Abbé Louis COMBES, dit Cantalausa, qui vit encore.