Société d’ Histoire de Revel Saint-Ferréol                         PARU DANS  LES CAHIERS DE L’ HISTOIRE NUMERO 16 - 2010

 

LE RETABLISSEMENT DE L'ABBAYE DE SOREZE
APRES LES GUERRES DE RELIGION

Père J. De METZ

 

RETOUR ACCUEIL VILLE DE SOREZE

 

 

La vénérable abbaye bénédictine Sainte-Marie de SOREZE fut détruite "de fond en comble" lors des Guerres de Religion, au XVIe siècle. Mais nous savons, depuis le Père LACORDAIRE, que "les moines comme les chênes sont éternels". Aussi un demi-siècle plus tard, renaissait-elle plus vivante que jamais. C'est cette histoire, que je voudrais conter, en me basant sur quatre documents anciens, dont certains ont été récemment mis au jour, et en tout cas encore inédits.

 

Le premier texte se compose de 9 grandes pages manuscrites ; il date de la fin du XVIIIe siècle, puisqu'il se termine par la visite à l'Ecole de SOREZE, de Monsieur, Frère du Roi, visite qui eut lieu le 23 Juin 1777. Le récit est donc tardif par rapport à la restauration de l'abbaye qu'il relate ; mais nous savons que les Mauristes avaient le culte de l'Histoire ; en ce domaine, on peut leur faire confiance, d'autant plus que ce récit est confirmé par les trois autres documents.

 

Le premier de ceux-ci est la "Synopsis rerum mirabilium....", Tableau des évènements mémorables de l'Abbaye Sainte-Marie de SOREZE ; il s'agit d'un résumé de l'histoire du monastère, par Dom DIELAURA en 1696 ;nous ne sommes là qu'à un demi-siècle des évènements. Mais il y a mieux encore.

 Le second texte, de 8 pages, est une sorte de chronique de l'abbaye, intitulée "Mémoire de ce qui s'est passé dans l'établissement des Bénédictins au Monastère de SOREZE" ; elle est de l'époque. Quant au dernier, c'est une lettre de 5 pages, expédiée le 2 Octobre 1642, donc au moment même des fêtes du retour des Pères, lettre écrite par le Fr. Etienne COULON à un moine de l'abbaye de SAINT-CHINIAN (Hérault). Ces quatre documents se recoupent fort bien ; ils se complètent les uns les autres.

 

Ces textes sont tous d'auteurs catholiques ; j'en ai cherché d'autres, d'origine protestante alors, pour en être un peu le contrepoint. Je n'en ai pas trouvé. Les chroniqueurs de l'époque, Jacques GACHES, BOUFFARD, MADIANE, FAURIN, .... ne parlent pas plus de la destruction de l'abbaye que de son rétablissement. Ce n'est pas très surprenant ; le fait lui-même les intéressait peu ; et puis, si par hasard semblable document avait existé, il aurait peut-être bien disparu, lorsque les Protestants, après la Révocation de l'Edit de Nantes en 1685, ont du se réfugier au "désert". (1)

 

 

 

LES GUERRES DE RELIGION

 

 

La destruction de l'abbaye de SOREZE est liée à ces guerres entre Catholiques et Protestants, qui ont divisé et dévasté la FRANCE pendant plus de 50 ans.

 Au début, il s'agissait bien d'un sursaut de la conscience chrétienne en face d'abus trop criants, qui défiguraient l’Eglise de JESUS CHRIST. Mais on n'en est pas resté là ; et c'est bien le cas de rappeler le mot célèbre de PEGUY : "Tout commence en mystique et tout finit en politique" ; en ce qui nous concerne, il s'agit de la moins intéressante des politiques. Essayons de survoler rapidement cette douloureuse époque, spécialement en notant ce qui s'est passé dans notre région.

 

L'année 1517 marque le début de la Réforme, avec l'affichage à WITTEMBERG, par le moine Augustin MARTIN LUTHER de ses thèses contre les Indulgences. A ce moment-là, personne, pas même lui, n'imaginait l’ébranlement qui en résulterait dans l'Eglise et dans le monde.

Malgré l'effort sincère de conciliation que représente la Confession d'Augs­bourg en 1530, les positions se radicalisent assez rapidement.

 Les Princes allemands voient là l'occasion de s'emparer des biens considérables possédés par l'Eglise ; le peuple y trouve, lui, le moyen de secouer la tutelle un peu lourde et contraignante des évoques et des religieux. Aussi la Réforme gagne-t-elle rapidement l'ensemble de l'Allemagne, puis les Etats Scandinaves, l'Angleterre avec Henri VIII, les Provinces ­Unies des Pays-Bas, la Suisse, l'Alsace ; peu encore la France.

Cependant dès 1530, on voit de petits groupes se constituer dans le Sud-Ouest, notamment à Nîmes et à Castres, comme à Nérac, qui est le vrai centre du Royaume de Navarre.

 Plus tard, à partir de 1541, lorsque CALVIN sera installé à Genève, le Protestantisme, sous sa forme calviniste, se propagera ardemment, descendant la vallée du Rhône, continuant par le Sud ­Ouest, et remontant vers Angoulême, La Rochelle et Saumur.

 

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  1.  Par respect pour les textes, je les citerai tels qu'ils sont. On ne sera donc pas étonné, si les Protestants sont souvent désignés sous le nom d'hérétiques ; et si on emploie le terme d'abjuration, lorsque l'un d'entre eux est reçu dans l'Eglise Romaine. Inutile de dire que ces termes ne sont pas de moi.

 

 

 

 

On signale bien quelques incidents locaux ; ainsi le 25 Avril 1554, fut brûlé à CASTRES, à la Porte de l'Albinque, un Dominicain, - on les appelait alors Jacobins, - le Père MARTINI, qui avait été dénoncé à l'Inquisition par les chanoines de Burlats, pour avoir prêché dans leur église des doctrines calvinistes.

 

Cependant jusqu'en 1559, une relative tolérance de fait se maintiendra.

A la mort de HENRI II, sa veuve Catherine de Médicis, Régente du Royaume au nom de ses enfants mineurs (François II, puis Charles IX, enfin Henri III) cherchera à rétablir l'union.

 Mais si les modérés des deux camps ont la volonté d'aboutir, ils sont bien vite débordés par leurs extrémistes : les Guise et la Ligue, du côté des Catholiques ; les principaux membres des familles princières Condé et Montmorency, chez les Protestants. Ceux-ci deviennent un véritable parti politique, sinon même une république protestante.

 

En 1562, toute entente se révélant impossible, les Guerres de Religion, ou comme on les appelle pudiquement alors "les Troubles", commencent peu à peu. Elles seront cruelles, souvent inexpiables, comme des guerres civiles, surtout quand elles sont animées par le fanatisme religieux. C'est une période douloureuse de notre histoire, dont pas plus un camp que l'autre n'a le droit d'être fier. La mémoire des peuples a surtout retenu le souvenir de l'affreux Massacre de la Saint ­Barthélemy en 1572 ; mais il y eu bien d'autres horreurs ; et hélas, aucun des deux partis n'en est exempt.

 

Quand les populations n'en peuvent plus, des Guerres et de leurs suites, les modérés arrivent à imposer une trêve. Il y en aura plusieurs ; les principales seront : celle d'Amboise en 1562, qui durera tant bien que mal durant cinq ans, mais sera chez nous bien mal respectée ; celle de Saint-Germain en 1570 ; celle de Beaulieu en 1576 ; celle de Fleix en 1581. Signalons spécialement celle de Beaulieu, voulue par Henri III, qui cherche à établir une certaine justice, accordant aux Protestants la liberté de culte et huit places de sûreté, où ils seront chez eux. Mais ces trêves n'apportent qu'un calme éphémère ; elles ne sont pas appliquées partout ; bien vite les fanatiques d'un camp montent une opération pour élargir leurs positions ; et la guerre reprend.

 

Les vrais points d'appui des Protestants seront les places de Nîmes, Montauban, Sancerre et La Rochelle. Dans notre région, vers 1580 on verra à l'œuvre Henri de la Tour, Vicomte de Turenne ; puis bien plus tard, vers 1620, un Prince de Rohan, gendre de Sully. L'un comme l'autre feront beaucoup plus la guerre pour leur parti que pour des motifs théologiques.

 

Enfin arrive Henri IV, le bon roi Henri ; fin politique, il revient au Catholicisme ; et bien vite, il signe l'Edit de Nantes, qui reprend des stipulations de la trêve de Beaulieu : liberté de conscience, liberté de culte là où elle existe déjà, et un plus grand nombre de places de sûreté fortifiées, dotées d'une garnison permanente. Pour régler les différends qui peuvent naitre, il crée des "Chambres de 1'Edit" mi-partie catholique, mi-partie protestante, qu'il installe dans quatre villes : Paris, Grenoble, Castres (d'où la rue de la Chambre de l'Edit, où siégera Pierre de Fermat) et Nérac, qui avec Jeanne d'Albret fait figure de capitale de Protestantisme français. Henri IV y tiendra d'ailleurs plusieurs fois sa Cour.

 

Le Roi est assassiné en 1610. Profitant de la minorité du nouveau Roi et de la faiblesse de la Régente, Marie de Médicis, les Protestants essaient d'élargir les concessions qui leur sont faites. Par La Rochelle, ils communiquent avec l'Angleterre et les Provinces-Unies. Chez nous, Rohan reprend les opérations en 1621. Mais Richelieu arrive au gouvernement en 1624 ; il ne peut souffrir ces "Etat dans l'Etat", qui conspire avec l'étranger. Les derniers combats culmineront avec le Siège de La Rochelle, qui durera quatorze mois (1627-1628). Montauban se rend au Roi, l'année suivante. Tout se terminera pratiquement en 1632, après un dernier sursaut, par l'exécution du Duc de Montmorency dans la Cour du Capitole à Toulouse.

D'un côté comme de l'autre, on n'en peut plus et on aspire à la paix ; celle-ci s'instaurera peu à peu et durera jusqu'à l'imprudente Révocation de l'Edit de Nantes par Louis XIV en 1685. Les Protestants sont à nouveau pourchassés jusqu'en Novembre 1787, quand à la veille de la Révolution, Louis XVI publie enfin l'Edit de Tolérance.

 

 

LES "TROUBLES"A SOREZE.

 

Quel fut le contrecoup de ces terribles évènements dans notre région, et spécialement à SOREZE ? Je me contenterai de SOREZE, car il serait fastidieux d'énumérer tous ces sièges de châteaux et de villages (: Saïx, Caraman, Viviers-les-Montagnes, Lautrec, Saissac, etc...) sont tour à tour pris et repris. Parfois le siège échoue ; mais si le village est pris, cela se traduit habituellement par un massacre et un incendie général.

Notre cité de SOREZE est considérée comme une place fortifiée ; elle figure comme telle dans un Etat (dressé le 13 Mars 1617) des Places fortes disputées entre les Catholiques et les Protestants.

Il y a un fossé rempli d'eau, ainsi que de vraies murailles. On compte plusieurs portes, dont les principales sont celle de Castres au Nord, celle de Revel au Sud, celle d'En Galaudie dite Porte Neuve à l'Ouest.

Chacune de ces portes est dotée de ravelins, c'est-à-dire de fortifications supplémentaires. L'abbaye elle-même et son domaine doivent être bien fortifiés, car ce ne sera jamais par là que se feront les assauts.

 

En 1560-61, donc avant le début des Guerres de Religion, on signale déjà, à SOREZE même, un groupe de Protestants ; ils ne sont encore qu'une minorité, mais bien vivante. On note aussi qu'à cette époque, une députation de 43 églises réformées de la région, dont SOREZE, s'en vient trouver Charles IX, afin d'obtenir la liberté de culte.

Les "Religionnaires", comme on les appelait alors, tiennent déjà un certain nombre de places, dont Castres et Lavaur. Dès 1562, avant la Trêve dl Amboise, sous le commandement du Capitaine Goffre, dit Lamane, ils s'emparent de Puylaurens, qui demeurera un de leurs bastions.

 

Pendant dix ans, une relative paix règnera encore. Mais dès le 5 Octobre 1571, en pleine trêve, une troupe de Calvinistes pénètre par surprise dans Soréze ; ce n'est qu'une échauffourée et il n'y a pas vraiment de sang versé.

Néanmoins l'église abbatiale est brûlée ; l' abbaye est pillée ; les chartes et les archives notamment sont détruites. Les moines cependant reviendront ; mais n'ayant plus d'église, ils assureront l'Office divin à la paroisse Saint Martin.

 

Le 5 Juin 1573, ce sera plus grave. Une vigoureuse troupe protestante, sous le commandement de Thomas de Durfort, Seigneur de Deyme, accompagné de son fidèle adjoint, le Capitaine Sabaut, s'empare de la ville de Soréze, que la panique de la Saint-Barthélemy avait fait perdre aux Protestants.

Tous deux devaient être de rudes chefs, car nous les retrouverons à plusieurs reprises ; à chaque fois, ils auront raison des troupes Royales, pourtant souvent plus nombreuses.

 Cette fois ­cil ils ont amené des planches pour franchir le fossé : on s'aperçoit qu'elles sont trop courtes ; alors un homme particulièrement solide n' hésite pas. Il descend dans l'eau ; et portant sur ses épaules l'extrémité des planches, il permet aux soldats de passer et de pénétrer dans la ville par escalade.

Cette fois-ci, c'est plus grave : plus de 80 Catholiques sont massacrés, ainsi que la garnison. L'abbaye est alors démolie complètement ; on précise même que les fondations ont été détruites jusqu'à 8 ou 9 pieds de profondeur ; on abat tout, sauf les murailles de l'église qui demeurent jusqu'à deux coudées de haut, car celle-ci doit devenir le Temple.

 On brûle les reliques, les titres, tous les papiers. On s'empare des biens, et des possessions du monastère. Cela va durer longtemps. Les moines ont pu fuir à temps, surtout vers l'abbaye de Montolieu.

Ajoutons qu'alors Deyme détruit aussi l'église paroissiale Saint Martin ; il emploie les matériaux provenant de toutes ces démolitions pour réparer les fortifications.

 

3 Mars 1580 :(1) - c'est l'autre parti qui rompt la trêve. Sous les ordres du Capitaine Saint-Paulet, les troupes Catholiques enlèvent Soréze, y pénétrant par escalade. Henri de Navarre (le futur Henri IV) donne l'ordre à Turenne de reprendre la ville ; malgré plusieurs essais, celui-ci échoue. Mais dans la nuit du 13 au 14 septembre le Capitaine Deyme, toujours lui, se rend maître à nouveau de la cité.

Il est parti de Revel par une nuit particulièrement obscure et alors que souffle un très violent vent d'autan. Arrivé aux abords de la ville un complice lui ouvre une poterne, appelée depuis lors la Porte de la Trahison (sans doute, la Porte Malmagrade).

 

 

 

(1) - Certains textes disent : 5 Mars, 3 Mai, 5 Mai ; il semble qu'il n'y ait là que des erreurs de lecture.

 

 

 

 D'autres documents parlent d'un trou fait dans la muraille, par lequel entrèrent, l'un après l'autre, un sergent et cinq soldats. Voyant qu'ils n'étaient pas suivis, ils coururent à la porte et l'ouvrirent aux assaillants. Résultat : nouveau massacre des Catholiques, ceux qui n'ont pas réussi à fuir.

 

 

 

Saint-Paulet s'en tire de justesse. Sabaut, le compagnon de Deyme, est nommé gouverneur de Soréze. Cette situation va durer vingt ans.

 

1598 : Edit de Nantes. La pacification voulue par Henri IV s'établit peu à peu. En 1601, des Commissaires du Roi arrivent à Soréze pour y rétablir le culte catholique. Il leur faudra plus de six ans pour recouvrer les anciennes possessions du monastère. Quelques moines reviennent, mais pas encore le Curé réfugié à Saint-Félix et qu'on ne reverra que vers 1610.

 Cependant, par crainte des Calvinistes toujours maîtres du lieu, l'office divin est célébré dans une cave voutée, sorte de souterrain, sans doute sous la cuisine actuelle de l'école.

 

Soréze sera encore ballottée durant les neuf dernières années de guerre. En 1621, elle se donne au duc de Rohan et au parti protestant.

Mais Richelieu finit par avoir le dessus ; il fait démanteler la ville, à laquelle il ne laisse que deux portes, celle de Revel et celle de Castres, ainsi que des restes de murailles.

 La ville finit par faire allégeance au Roi en 1627 ; pendant ce temps l'Office des moines se célèbre en ville, dans la chapelle de la maison de l'abbé. Richelieu cherche alors à rendre vie aux Communautés et à les faire rentrer dans leurs droits.

De 1571 à 1629, cela aura fait près de soixante années de troubles et d'insécurité.

Quelles en furent les conséquences ?

 Elles sont fort graves. Economiquement, le pays est ruiné par ces armées, disons plutôt ces bandes, qui vivent sur le pays et pillent allègrement.

 

Pour Soréze particulièrement, ce sera un désastre : beaucoup d'habitants ont abandonné la ville, surtout des artisans, des manufacturiers ; bon nombre d'entre eux ne reviendront pas. Quant à ses marchés, qui étaient si importants, Soréze les a définitivement perdus au profit de Revel.

Et pour les Catholiques ?

Près de deux générations auront eu bien peu de culte, - la plupart du temps, seul le Temple est ouvert, et aucune instruction religieuse. Certains Catholiques, ceux qu'on appellera les "Catholiques politiques", pour sauver leurs biens, ou peut être simplement leur tète, feront cause commune avec les Protestants.

Les autres, en grande masse, des petites gens surtout, garderont au fond du cœur une fidélité émouvante à leur Eglise, et un grand désir de pouvoir à nouveau pratiquer leur foi. Ils le montreront en 1642, lorsque pleine liberté leur sera rendue.

 

SITUATION DE L'ABBAYE DE SOREZE.

 

Que représentait alors l'abbaye ? Et tout d'abord, les bâtiments.

Il s'agissait uniquement de la partie "monastère" des constructions actuelles, nullement de la partie "collège". Une cour carrée, le cloitre, bordée au nord par l'église abbatiale, sur les autres côtés par le Chapitre, le réfectoire et les autres lieux de communauté.

A l'étage, les cellules des moines, sans doute une vingtaine. Le tout a été construit au douzième siècle, et probablement assez peu remanié depuis ; c'est du beau style roman, avec ses sculptures, dont il ne reste hélas, que des débris.

Cette abbaye, au fil des ans, avait accumulé de nombreuses possessions : des droits sur les églises et les chapelles des environs ; de nombreuses propriétés rurales aussi, dont la principale était la Métairie St-Michel, qui existe encore à l'entrée de Soréze.

 Ces pierres sculptées, on en a recensé une bonne centaine, réemployées en divers endroits ; elles sont si belles, qu'on ne peut que regretter l'iconoclasme aveugle, qui a mis tout cela par terre.

 

Et que représente la Communauté des Moines ?

Ce n'est pas très brillant. Le Père Abbé est, comme par hasard, le puissant Cardinal Charles de Lorraine, qui possède déjà bien d'autres abbayes. C'est un abbé commendataire, donc non moine lui-même, et qui se contente de percevoir les revenus du monastère.

Cette institution blâmable date de fort longtemps : le Roi de France dispose, en faveur de gens qu'il veut récompenser, de la distribution des "bénéfices" ecclésiastiques.

Parfois, on tombe sur un prélat bien intentionné, comme Mgr. Fouquet, évéque d'Agde, qui a tant fait pour l'Ecole ; souvent, il ne s'agit que d'un prélat de Cour, dont le seul but est de profiter au maximum de la situation ; on a même vu un simple laïc, voire un enfant, à qui on confère la tonsure, - car il faut être clerc pour devenir abbé, - mais celui-ci se garde bien d'aller plus loin dans la cléricature.

 

L'abbaye est alors dirigée par un Prieur claustral, un moine lui, mais sans grand pouvoir, et qui ne se livre pas à des excès de zèle.

La vie régulière est un peu relâchée et les moines ne devaient pas trop s'entendre entre eux : on signale, en effet, à la veille du dimanche des Rameaux en 1530, une bagarre en pleine église ; il y a même eu du sang versé !

 

Surtout, les moines, nous dit-on, "vivaient comme des chanoines".

Qu'est-ce à dire ?

Les chanoines, dotés d'une prébende, ont pour fonction d'assurer l'Office divin toute la journée, comme de célébrer les grandes fêtes. Moyennant quoi, ils vivent paisiblement chez eux du fruit de leur "bénéfice". Tandis que des moines, pratiquant la Règle de S. Benoit, ne possèdent rien par eux-mêmes, ayant fait pour la vie le vœu de pauvreté ; et ils vivent en Communauté, sous l'autorité du Supérieur, à qui ils ont promis obéissance.

 

Nos Bénédictins de Soréze "vivront comme des chanoines" ; ils viendront au monastère pour la célébration de l'Office, pour la tenue du Chapitre et pour régler les affaires temporelles. Mais le reste du temps, ils vivront en ville, dans des maisons particulières, avec un valet à leur service.

 En 1565, donc avant le début des vrais troubles, le syndic des Religieux négocie un accord avec l'Abbé, qui est alors le Cardinal de Bourbon, accord dit de "séparation de table". L'allocation quotidienne reçue de l'Abbé par chacun, dépassera alors les deux pains et les dix deniers tournois habituels ; nos bons moines trouvent même que cela est insuffisant pour subvenir à leurs frais et à ceux de leur domestique ; ils auraient voulu 300 livres par an.

 

En 1625, donc encore avant l'arrivée des Moines Mauristes, les Religieux rescapés de Soréze, voulant sans doute mettre le droit en accord avec le fait, supplient le Roi de bien vouloir séculariser leur abbaye, pour être du clergé séculier et donc de vrais chanoines.

 Le Roi refusera leur demande.

 

En dépit des guerres, l'institution continue en vertu de la vitesse acquise : jusqu'en 1603, on nomme encore des Abbés commendataires ; il y aura pourtant ensuite vacance du siège jusqu'en 1610.

On cite deux Abbés, qui mourront avant d'avoir pu rendre possession de leur titre ; et un autre, M. de Ferrals (1590-1602), qui saura s'arranger avec les Calvinistes, pour partager avec eux les revenus de l'abbaye.

Au prix de quelles concessions ? Tout cela n'est vraiment pas très glorieux.

 

LA RENAISSANCE DE L'ABBAYE. LES MAURISTES.

 

Mais en 1637, voulant restaurer la vie monastique en France, le Roi Louis XIII nomme comme Abbé commendataire, un vrai moine : Dom Bar­thélémy Robin (ou de Robin), natif de Bourges et moine de l'Abbaye mauriste de Compiègne. C'est un homme remarquable : il est docteur en Sorbonne, conseiller et prédicateur du Roi. Enfin, un moine !.... Qui sont-ils donc, ces fameux mauristes ?

 

Par l'exemple de l'abbaye de Soréze, qui était bien loin d'être exceptionnel, nous voyons à quel point l'institution monastique s'était relâchée dans notre pays. Mais le Seigneur suscite toujours dans son Eglise des saints, ainsi que de grands mouvements de réveil. C'est ce qui arriva en 1600, au monastère bénédictin de St Vanne à Verdun.

On veut revenir à l'observance intégrale de la Règle de S. Benoit, dans la prière, l'humilité et le travail. Cette réforme donnera naissance en 1618, à la Congrégation bénédictine dite de S. Maur, en l'honneur du premier disciple du Patriarche des Moines ; elle s'étendra très vite, notamment à Paris où elle gagnera la grande abbaye de S. Germain des Près, qui deviendra la tête de la Congrégation réformée. Plus de 180 monastères se réclameront d'elle.

Dirigée par Abbé général, elle sera divisée en sept Provinces ; celle du Midi, dite de Toulouse, comptera 29 abbayes, dont la tête sera N.-D. de la Daurade à Toulouse, où beaucoup de nos Bénédictins de Soréze recevront leur formation religieuse.

Ce qui caractérisera cette renaissance des Mauristes, ce seront les grands travaux d'érudition, qu'ils sauront mener à bonne fin ; c'est à leur propos qu'on parle de « travail de bénédictin ».

Tous les historiens de l'Eglise connaissent les noms de dom Mabillon, dom Martène, dom Calmet, dom Ruinart, etc.. sans oublier près de nous le Soréziens dom Devic, qui avec dom Vayssète, de Gaillac, réalisera ce monument qu'est l'Histoire Générale du Languedoc ; on n'a pas fait mieux depuis. Et pourquoi ne pas citer aussi dom Pérignon, qui lui inventera.... le Champagne !

 

Donc, le 28 Juillet 1637, le Roi nomme Dom Barthélemy Robin Abbé de Soréze ; il ne recevra certes la Bénédiction abbatiale que le 5 Novembre 1640 à St Germain des Près ; mais il prend sans tarder possession de son abbaye.

Tout est à reprendre à zéro. Le 5 Novembre de cette même année 1637, il négocie avec dom Grégoire Tarisse, premier Supérieur Général et grand organisateur de la Congrégation de S. Maur, le rattachement de Soréze à cette fameuse institution. Celle-ci s'engage à y envoyer dix religieux et deux frères convers ; mais déjà deux moines y seront détachés afin de surveiller les travaux de reconstruction.

 Dom Barthélémy, de son côté, s'engage à réaliser cette reconstruction en trois ans. La première pierre de l'église est posée solennellement le 26 Mai 1638 ; et on se met au travail si activement qu'elle sera terminée en un peu plus de quatre années ; ce qui est déjà bien beau. Dom Robin a été autorisé à couper et à vendre 400 arpents de bois pour financer les travaux.

 

Les anciens moines sont encore dix. Le 30 Mars 1638, ils ratifient le pacte réalisé entre Dom Tarisse et dom Robin, aux conditions suivantes : tant que la nouvelle Communauté ne sera pas installée, ils garderont la préséance à l'Office sur leurs nouveaux confrères ; puis ils renonceront à leurs droits et se retireront, moyennant une pension de 300 Fr. par an pour leur nourriture, leur vêtement et leur entretien. Cependant, aucun d'entre eux ne se laissera toucher par la grâce et n'aura le désir de devenir enfin un vrai moine, en s'agrégeant à la nouvelle Communauté !

 

Dom Robin commence en 1638 par faire démolir le Temple, - assez modeste, d'ailleurs, et que dans le pays on appelait "le Prêche", - qui avait été établi dans les ruines de l'ancienne église ; puis il entame la construction, qui doit être de 25 perches carrées ; si je ne me trompe, cela doit faire un bâtiment, cour du cloitre comprise, de 30 à 40 mètres de côté.

Le 24 septembre 1642, dom Robin baille à nouveau fief, à Noble Charles de Franc, seigneur de Montgey et de Cahuzac, une pièce de terre noble (c'est à dire exempte de toutes dimes et taxes), dite de Malabarthe, sous la seule prestation de foi et hommage, pour achever de payer le retable et le tabernacle du chœur de l'église abbatiale, qu'il avait fait construire.

 

Le nouveau Soréze est commencé, qui va durer brillamment jusqu’à la dispersion des Religieux par la Révolution Française en Juillet 1791.

La Bénédiction solennelle de l'église abbatiale, qui marque la fin des travaux a lieu le 8 Septembre 1642, et l'installation officielle de la Communauté le 25 septembre suivant. Ce jour-là, dom Anselme An­teaume est nommé Prieur claustral.

 

Ce sont ces évènements, en ce qui concerne le monastère, mais aussi le réveil religieux de la population catholique de Soréze, que je vais conter maintenant, en vous lisant les documents récemment réunis.

 

 1638-1642, nous sommes aux dernières années du règne de Louis XIII et du gouvernement de Richelieu ; tous deux mourront, à quelques mois de distance, en 1642 et 1643. C'est une période de paix pour la France, la vie peut renaître.

 

 

 

LES FETES DE SEPTEMBRE 1642

 

 

Je vais suivre le récit le plus ancien, celui de la lettre du Frère Etienne Coulon, écrit au moment même des fêtes ; comme il est un peu succinct, je l'enrichirai avec des détails recueillis dans les autres documents.

Le Frère écrit ceci :

".... Je commencerai donc au samedi 6 Septembre, où nous trouvâmes de nombreux Religieux de notre Congrégation, à savoir : dom Antoi­ne Espinasse, Prieur de la Daurade à .Toulouse ; cinq autres supérieurs et 17 moines venus de divers monastères.

Il y avait aussi les Prieurs dominicains, Jean Carquet, du couvent de Revel ; et un autre Jean, pri­eur de Prouilhe. Le même jour, arriva Mgr Nicolas de Pavillon, évêque d'Alet, ainsi que Mrs Montelz, Vidal et Dupuy, missionnaires du diocèse de Toulouse,...."

 

Tout de suite, une petite parenthèse : qui était cet évêque d' Alet, ainsi que ces trois missionnaires au diocèse de Toulouse ?

 Il faut en revenir à S. Vincent de Paul, Monsieur Vincent. Il nous est connu surtout comme un géant de la charité : avec ses prêtres, ses religieuses, ses confrères laïcs, il répondit aux misères de toutes sortes, qui accablaient alors le peuple de France. Mais on ignore parfois, qu'avant même ses œuvres de charité, il fut d'abord le restaurateur du clergé et de l'église de notre pays.

 Il avait constaté par lui-même l'état d'abandon spirituel effrayant, dans lequel se trouvaient les populations des campagnes ; elles n'étaient plus évangélisées depuis au moins un demi-siècle.

 Sa toute première œuvre fut l'institution de "Missions" prêchées dans les paroisses rurales : pendant plusieurs semaines, c'était une instruction intensive par des prédications quotidiennes, des catéchismes, de grandes cérémonies.

Il y a 25 ans, cela se pratiquait encore dans nos paroisses françaises ; les nombreuses "Croix de Mission" qu'on trouve plantées à l'entrée des villages, demeurent le souvenir tangible de ces prédications, qui réveillaient la foi et amenaient le retour à la vie chrétienne de nombreux pécheurs et indifférents.

 

Afin de pouvoir étendre largement cette œuvre des "Missions", M. Vincent se faisait aider par des prêtres zélés, soit du clergé séculier comme cet abbé Nicolas de Pavillon, qu'il proposera ensuite comme évêque d'Alet ; soit de la Congrégation de la Mission, qui fut sa toute première œuvre, fondée dès 1625.

 

 Avant même de songer aux Missions en terres lointaines, cette Congrégation était destinée à prêcher aux "pauvres laboureurs", comme on disait alors.

En même temps que d'authentiques moines vont faire renaitre l'antique abbaye de Soréze, trois prêtres de la Mission (ceux qu'on appelle aussi les Lazaristes, car leur Maison ­Mère est à Paris dans l'ancien couvent St Lazare) vont évangéliser intensément le peuple de Soréze et des environs. Celui-ci, sous-alimenté spirituellement depuis si longtemps, y répondra magnifiquement.

 

Un évêque de ce petit village d'Alet, situé à 20 km au sud de Limoux, cela a de quoi étonner. Du temps des Papes Français d'Avignon, ceux-ci, sans doute pour se donner de l'importance, multiplièrent les évêchés : le département actuel de l'Hérault en possédait cinq ; le Tarn en avait trois ; Albi, Castres et Lavaur ; l'Aude quatre : Narbonne l'archevêché, Carcassonne, St-Papoul et Alet ; il en était de même en Haute-Garonne et en Ariège.

M. Vincent est à Paris membre du Conseil de Conscience, dont une des tâches consiste justement à préparer le choix des nouveaux évêques. Il cherche toujours à faire nommer des prêtres dignes de leurs fonctions ; c'est ainsi qu'ayant remarqué le zèle de cet abbé de Pavillon dans les Missions des Campagnes, il conseille au Roi d'en faire un évêque.

C'est un prêtre austère pour lui-même, instruit, pieux et d'un zèle pastoral extraordinaire : nous le verrons d'ailleurs à l'œuvre tout à l'heure pour inaugurer les prédications de la "Mission" de Soréze. Le malheur est que plus tard, voulant aller trop loin, il tombera dans le Jansénisme et aura des difficultés avec Rome.

 

Reprenons le récit de notre Frère Coulon.

 

 "Le lendemain, 7e de septembre, arrivèrent Mgr Charles de Montchal, archevêque de Toulouse, et Mgr Bernard Despruetz, évêque de St-Papoul. Viennent aussi M. le Premier Président de Toulouse, M, le Comte de Bieule, M. de Puget, Prési­dent de la Chambre de l'Edit de Castres, Mrs du Présidial de Castelnau­dary, le Juge-Mage et des Conseillers, beaucoup de noblesse, et environ 100 prêtres, ainsi qu'une très grande multitude de peuple.

 

"Ledit Seigneur Archevêque fut reçu à la porte de la ville par Mrs les Consuls, où ils firent leur harangue. Et pendant qu'il venait en son carrosse au long des rues, conduit par les tambours, les hautbois et les enseignes, les Consuls et la jeunesse de Soréze, nous autres moines, nous l'attendions à la porte de l'église, revêtus de chapes, d' aubes et de frocs.

Mr l'abbé s'avança et lui fit sa harangue. Alors, ledit Seigneur Archevêque, ayant revêtu les habits pontificaux, le Te Deum fut entonné par deux Religieux et chanté de chœur en chœur par eux et une musique bien concertée; pendant le chant du Te Deum, il fut conduit avec le dais jusqu'à la chaise abbatiale ; le Rd. Père de Toulouse ayant dit l'Oraison et Mgr l'Archevêque donné la bénédiction, chacun se retira jusqu'à ce que, peu de temps après, nous allâmes tous en corps, saluer Mgr l'Archevêque au logis de l'Abbé en ville.

 

"Le lendemain 8 septembre, jour de la Naissance de la Mère de Dieu, Mgr l'Archevêque, accompagné des Evêques, de Mr l'Abbé et de la noblesse, revêtu pontificalement, vint à l'église ; les tambours, les enseignes, les instruments le suivaient tout le long du parcours.

 A l' église où se trouvaient les religieux et nous autres, tous revêtus, ainsi que cent prêtres environ accourus des lieux circonvoisins, tous se mirent en procession à 8 h pour commencer la bénédiction de l'église. Celle-ci étant finie, M, l'abbé commença à célébrer une messe basse en laquelle il donna la communion aux dite religieux et à grande quantité d'ecclésiastiques, qui ne pouvaient dire la Ste Messe à cause de la grande foule.

 

"Incontinent après la première messe, la procession sortit de l'église en bel ordre, en laquelle fut porté le T.S. Sacrement par la ville. A la tête, marchaient de jeunes enfants habillés en anges, suivis de plus de cent ecclésiastiques en chape ou officiants ; la musique, les trompettes, les hautbois et tambours faisaient à qui mieux mieux par mille motets d'allégresse et jubilation. Le dais était soutenu par les religieux, lesquels à la sortie de l'église, cédèrent cette fonction aux quatre Consuls ; ceux-ci avaient à leurs côtés quatre gentilshommes qui portaient en main un flambeau.

Mgr l'évêque d'Alet, M. le Comte, etc... suivirent avec le peuple, dont les rues étaient pleines ; lesquels devancèrent, accompagnèrent et suivirent les femmes du monde, la tête nue, avec une dévotion et une modestie telle qu'elle ne se peut dire et ne me souviens pas d'en avoir vue pareille. Chaque quartier de la ville, à son tour, se consacra à la Vierge Marie.

 

"Après la procession, fut célébrée la grande messe par mon dit Seigneur l'Archevêque, en laquelle Mgr de St-Papoul fit une très docte prédication et controverse. Il fut ouï par les hérétiques, qui furent effrayés par la force de son raisonnement. La sainte messe fut achevée sur les 4 heures de l'après-midi. Tout le monde alla prendre un peu de repos jusqu'à 6 heures du soir, que tous ces grands prélats, accompagnés de tous les messieurs déjà nommés, retournèrent à l'église en pareille magnificence que le matin.

 Lors Mgr l'Evêque d'Alet fit une seconde prédication de la pénitence, avec beaucoup de zèle et de ferveur, pour donner le commencement de la Mission des trois prêtres que Mr l'Abbé avait fait venir de Toulouse pour prêcher, confesser et faire le catéchisme aux enfants. Ensuite de cette prédication, nous commençâmes Vêpres vers les 7 ou 8 h du soir.... Les Vêpres furent chantées par les religieux et la musique, de chœur en chœur, avec tant d'harmonie et de dévotion, que chacun s'en retourna après la bénédiction de Mgr l' Archevêque, tout content et ravi à la maison".

 

Il devait bien être vers les 10 h du soir, d'autant qu'on ajouta encore Complies. Nous aurions envie de dire : ouf ! Quelle journée! Nous aurions tort, car nos gens, avec le même entrain, recommenceront le lendemain, dès 5 h du matin.

 

Continuons la lecture.

 

"Le mardi 9, sur les 5 h du matin, fut faite une autre prédication par ledit Mgr d'Alet, et après que lesdits archevêques de Toulouse et évêque de St-Papoul eurent célébré la Ste messe, ils se disposèrent pour se retirer dans leurs diverses maisons ; au préalable, on avait fait un procès-verbal de ce qui s'était passé. Puis les évêques partirent.

 

"Sur les 4 h dudit jour, Mgr d'Alet étant venu voir le monastère, fut prié par M. l'abbé de bien vouloir faire une Conférence aux Religieux  ….. il parla sur les huit degrés d'humilité de notre Règle, sur lesquels il discourut saintement...* tout se passa avec tant de zèle et  de cordialité, que nous en restâmes tous beaucoup édifiés et consolés. Puis Mgr partit donner une quatrième prédication au peuple...

Et le lendemain matin, auparavant que de s'en retourner, après la messe, deux bourgeois de la ville firent leur abjuration entre ses mains dans l'église de l'abbaye. Leur exemple fut suivi par plusieurs autres...."

 

Et la "Mission" commence ; elle durera les trois dernières semaines du mois de septembre et la première du mois d'octobre."Ces trois prêtres de la Mission ont prêché soir et matin et fait le catéchisme à midi, et ont entendu tant de confessions générales de tous les circonvoisins de Soréze, que le nombre est presque incroyable. Car tous les dimanches et jours de fête, nous avons vu ici trois, quatre, six processions venues des villages pour visiter notre église et y prier ; et tous les jours susdits, nous avons vu les villageois et villageoises...* répondre fort bien….Et M. l'abbé a donné à grands et petits, et un grand nombre de femmes et filles, et à tous ceux qui se sont présentés pour chanter en gascon les Commandements de Dieu qu'on leur enseignait en même temps que le catéchisme, une belle image et cinq sols, de sorte que je pense qu'il a donné en cela 20 écus… 

"Le 11e jour du mois, M. l'abbé fit la bénédiction du monastère, et par icelle et autres offices exercés par lesdits religieux, les a mis en possession réelle, actuelle et corporelle du monastère.

 

"Le 14, jour de la Sainte Croix, deux processions avec une grande multitude de peuple, étant venus nous rendre visite dans ladite église, M, l'abbé fit une prédication qui consola, encouragea et édifia grandement tout le monde.

 Le soir, furent faits trois feux de joie et chanté le Te Deum, pour la prise de Perpignan. Le mercredi suivant, 17 du mois, la ville de Revel et les lieux voisins vinrent en procession, à laquelle prêcha mondit Sieur l'Abbé.

Le jour de la St Mathieu (21 septembre), onze processions arrivèrent avec plus de 4.000 personnes ; il y en avait de 3 ou 4 lieues de loin, valant plus de 6 lieues de France. Mondit Sieur l'Abbé fit une prédication qui ravissait tout le monde et consola grandement les pauvres…          

 

"Le samedi 27 septembre, Mgr l'Archevêque revint pour la seconde fois, pour donner le lendemain dimanche la Confirmation.

Mgr l' Archev8que commence par dire la messe basse ; puis il rassemble les 80 ou 100 petits garçons, autant et plus de filles, qui avaient été instruite par les Missionnaires à faire leur Première Communion.... Lors Mgr l'Archevêque, pleurant à chaudes larmes de joie et de dévotion, commença de les exhorter de saintes et pénétrantes paroles jusqu’à la division de l'âme, puis il interrogeait les enfants, qui répondaient tous, fortement et à grande voix, d'un même accord en gascon : "oui, Monseigneur". Puis il exhorta les enfants à demander pardon à leurs parents et ceux-ci à donner la bénédiction à leurs enfants ; puis il les fait s'embrasser à genoux, les uns et les autres, si dévotement, que toute l’assistance qui remplissait tous les coins de l'église, sans en excepter je pense un seul, fondait en larmes ; et après tout cela, il les communia tous sans oublier bien d'autres personnes, qui n'avaient pas encore communié… 

 

"Sur les 3 heures du soir, Mgr l'Archevêque monta en chaire pour faire une pareille exhortation et de semblables demandes et réponses qu'à celle du matin pour disposer à la réception du sacrement de Confirmation. Il conféra ce sacrement aux enfante, et à dix-huit cent ou deux mille personnes. Comme il ne put faire tout le soir, il continua le lendemain matin.

 Ce même jour, il réconcilia aussi cinq personnes hérétiques à Notre Mère la Sainte Eglise, savoir trois le matin et deux le soir. Mgr s'en retourna lundi après diner, après avoir laissé le lieu rempli de bénédiction…        

 

"Enfin, pour clore cette Mission, le dimanche 5 octobre, Mr l'Abbé porta le St Sacrement par toute la ville, en procession, où nous et les anciens étions revêtus de chapes. Après le St Sacrement, il y avait une centaine de femmes et de filles, toutes portant dans leurs mains une petite croix ; puis beaucoup de noblesse et une grande foule de peuple des villages d'alentour,…etc... etc...

 

 Il faudrait tout citer.

A lire ces descriptions longues et enthousiastes, faites à chaud, sur le moment mime, on a vraiment l'impression que tout ce bon peuple est heureux de pouvoir enfin manifester sans crainte sa foi, et qu'il en redemande encore.

 

Concluons avec un des chroniqueurs : "Tout le monde fut grandement édifié et consolé par les cérémonies desdits religieux".

 

Ajoutons : enfin Soréze possédait des moines,... de VRAIS MOINES !

 

 

 

 

CHRONOLOGIE SOMMAIRE DES EVENEMENTS

 

 

1517 - Première protestation du moine Martin Luther.

1530 - Premier groupe de Protestants à Castres.

1562 - Début des Guerres de Religion.

1571 - PRISE DE SOREZE PAR LES PROTESTANTS. Sac et pillage de        l'Abbaye (Soréze sera évacué par eux en 1572),

1573 - NOUVELLE PRISE DE SOREZE PAR LES PROTESTANTS. L'Abbaye et l' Eglise S. Martin (sauf le clocher) sont rasées.

1580 - (Mars) LES CATHOLIQUES REPRENNENT SOREZE. (Septembre) LES PROTESTANTS S'EN EMPARENT A NOUVEAU.

1598 - Edit de Nantes établissant la liberté de Culte et créant les Chambres de l'Edit.

1601 - ARRIVEE A SOREZE DES COMMISSAIRES DU ROI POUR RETABLIR LA PAIX.

           Les moines reviennent peu à peu. Le Curé ne reviendra qu'en 1610.

1621 - SOREZE SE DONNE AU PARTI PROTESTANT DU DUC DE ROHAN.

1627 - SOREZE FAIT SA SOUMISSION AU ROI.

1628-29 - Chute de la Rochelle et soumission de Montauban.

1637 - NOMINATION DE DOM BARTHELEMY ROBIN COMME ABBE DE SOREZE.

           L'ABBAYE S'UNIT A LA CONGREGATION DE ST MAUR.

1638 - POSE DE LA PREMIERE PIERRE DE L'EGLISE ABBATIALE.

1642 - CONSECRATION DE L'EGLISE ABBATIALE. INSTALLATION DES MOINES MAURISTES. PREDICATION DE LA MISSION DE SOREZE,

           (Les Moines ouvriront un collège en 1682 et y demeureront jusqu'en 1791).

 

 

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