Société d’ Histoire de Revel Saint-Ferréol PARU DANS LES CAHIERS DE L’ HISTOIRE N° 6 - 2000 |
Les débuts laborieuxde l'éclairage électrique à Revel
par Jean Hébrard et Émile Mons
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Avec quelques digressions sur des personnages et des faits qui illustrèrent les dernières années du 19e siècle dans notre cité
Paul Sarrat, maire de Revel ( 1878 - 1896 )
En février 1878, Paul Sarrat, propriétaire, est élu maire de Revel, succédant à Jean Get qui a participé à la gestion de la commune depuis 1852, d'abord comme conseiller municipal, puis comme premier adjoint, enfin comme maire à la disparition rapide du maire en fonction, Pierre Gaspard Dirat en 1858 ; autant dire que la personnalité de Jean Get avait couvert largement la période du Second Empire ; attaché au régime, très près des autorités préfectorale et diocésaine, son maintien à la tête de la commune après 1871 montre combien peu évident était alors l'avènement d'une opposition républicaine et radicale, face à des partis fortement conservateurs.
Pourtant, sept ans plus tard à Revel, l'élection de Paul Sarrat marque un revirement total qui va plus loin qu'à Paris où la République des républicains sera pendant vingt ans une république opportuniste, hantée par le souvenir de la Commune, et dont l'historien Pierre Pierrard a dit qu'elle est moins sociale que le Second Empire.
Pas à Revel, où d'emblée, Paul Sarrat annonce les couleurs : il va faire du social.
L' eau d'abord : il réalise au Moulin du Roi un vaste double bassin de décantation couvert d'une terrasse pelousée, entouré de platanes, dont l'eau, reconnue potable et de très bonne qualité par Jean Filhol (analyse du 27-10-1882), est conduite en ville par une moderne canalisation en fonte qui alimente les nombreuses bornes-fontaines placées sur les trottoirs de toutes les rues de la ville. (L'ancienne canalisation, en tuyaux de poterie vernissée à l'intérieur, était fragile et nécessitait de ce fait des travaux d'entretien constants et coûteux). L'équipement est terminé en 1882.
Après l'eau, les écoles : en application de la loi Jules Ferry du 28 mars 1882 sur la laïcité de l'enseignement, il expulse les Soeurs enseignantes de Saint Vincent de Paul de l'école de la Providence située en face de l'église et rue de l'Étoile, et y installe l'école communale laïque des filles avec de nouvelles institutrices issues de l'École normale ; les bâtiments sont loués à la commune par la commission administrative de l'hôpital, propriétaire, dont le président est, d'office, le maire. Pour les religieuses enseignantes, Jean Get crée, en conformité avec la même loi, une association qui achète l'immeuble de M. de Terson, l'actuelle Providence.
En 1884, toujours en application de cette loi, Paul Sarrat prie les Frères des Écoles chrétiennes de quitter l'école de la Barque (qui appartient à la commune) où il ouvre l'école communale laïque de garçons ; Jean Get se charge alors d'installer les Frères, dont la population réclame le maintien à Revel, route de Toulouse et sur la Promenade (allées Charles de Gaulle).
L'éclairage public
La troisième préoccupation de Paul Sarrat est, en 1885, de donner à la ville de Revel un éclairage urbain électrique, remplaçant les vénérables et rétrogrades lampes à pétrole ; c'est un vieux rêve sans doute chez cet homme de mettre sa ville à l'avant-garde du progrès en utilisant les dernières découvertes scientifiques. Il a dû suivre dans la presse l'essor prodigieux des techniques en cette matière, et lire les réclames (la publicité) qui ne se privent pas d'en couvrir les pages des journaux et des revues périodiques.
Un homme a certainement marqué son esprit, un Américain installé dans le New Jersey, Thomas Edison, inventeur du télégraphe duplex(1 - La transmission en duplex permet d'assurer simultanément l'envoi et la réception des messages)
(1864) , du télégraphe quadruplex (2 - La transmission en quadruplex permet d'expédier simultanément quatre messages distincts.)
(1874) , du téléphone à grenaille de charbon(3 - Dans la capsule microphonique du récepteur, les impulsions électriques provoquent la vibration de la grenaille de charbon, qui reproduit fidèlement la chaîne acoustique de l'émetteur.)
et, la même année, du phonographe à cylindre (1877), et surtout, en 1879, de la lampe électrique à incandescence à filament de carbone qu'il fabrique lui-même dans son atelier et qui résout le problème de l'éclairage électrique.
De ces inventions, Sarrat connaît au moins les perfectionnements du télégraphe dont le bureau à Revel est installé depuis déjà plusieurs années dans les locaux de la mairie, rue de Dreuilhe (actuellement maison Ferriès), et peut-être a-t-il aussi chez lui un phonographe à cylindre ? Maintenant, c'est la lampe Edison qui l'intéresse au plus haut point.
Pas besoin d'aller aux Amériques voir Thomas Edison ; Edison, qui a déjà déposé dans son pays un bon millier de brevets, les a déposés aussi dans la plupart des pays européens ; cet homme d'affaires averti, dont l'activité est débordante, a ouvert à Paris une Société Électrique Edison, avec des agences en province ; il y en a une à Mazamet. Certes, la France ne manque pas de savants physiciens dont les travaux font autorité, d'ingénieurs, d'industriels très capables dans le domaine de l'électricité, inventeurs eux aussi et propriétaires de brevets ; mais Edison les neutralise constamment par l'antériorité de ses propres brevets, ce qui lui permet de demander des redevances à tous ceux qui viennent - trop tard - sur son terrain. Il ne cherche pas le monopole du marché, mais rafle régulièrement les droits de fabrication. Adversaire redoutable et onéreux, « Edison est l'archétype du self-made-man de la Nouvelle Amérique » (Jean-Loup Passek, in La Grande Encyclopédie, Larousse).
Or donc, Paul Sarrat écrit le premier mars 1885 à M. Charles Sabatié, négociant à Mazamet et agent de la Société Électrique Edison
«Je viens en me réclamant de ma vieille amitié pour M. Laville, votre beau-père, solliciter un service de votre obligeance, ce serait de permettre à l'agent de la Compagnie
pour l'Eclairage Électrique (4 - Filiale de la Société Électrique Edison.)
qui est sous vos ordres de venir étudier à Revel le parti que nous pourrions tirer d'une force motrice considérable (sic) - l'usine du Moulin du Roi - pour l'éclairage de notre ville. Il va sans dire que les frais de déplacement et de vacation seraient à la charge de la commune. En me félicitant d'une circonstance qui me procure l'occasion d'entrer en rapport avec vous, je vous prie, Monsieur, de recevoir, etc. »
Voilà donc le rêve électrique de Paul Sarrat : le Moulin du Roi ! Pierre Paul Riquet, qui construisit ce moulin, eut en son temps, une vision plus ambitieuse des choses dont il commença la réalisation ; il construisit en aval du moulin le bassin dit Port Saint-Louis (plus tard Port-Louis) et envisagea la navigation sur la Rigole de la Plaine de barques à fond plat pour le transport des céréales vers Naurouze (5 - On pourra lire l'histoire de la navigation sur la Rigole dans le numéro 5 des Cahiers de l'Histoire de Revel, sous la signature de Jacques Batigne.) ; cette entreprise un peu folle échoua, entre autres raisons, à cause d'une alimentation en eau insuffisante à la prise du Pont-Crouzet. Paul Sarrat eut-il jamais connaissance de cet épisode de l'histoire de Revel ?
Le Moulin du Roi
Un échange de correspondance entre le maire de Revel et M. Brillanin, représentant de la S` Électrique Edison, chez Ch. Sabatié & C'° à Mazamet, du mois de mars au mois d'août 1885, témoigne, de la part du maire de la volonté d'aboutir dans ce projet le plus rapidement possible ; en voici quelques pièces
De Paul Sarrat, le 9 mars : M. Sabatié me fait espérer que vous pourrez vous rendre à Revel dans le courant de la semaine pour examiner le parti que nous pourrions tirer d'une force motrice importante en vue de l'éclairage électrique de notre ville. Cela étant, Monsieur, je vous serai très obligé de vouloir bien vous trouver ici samedi prochain 14 du courant ; c'est le seul jour de la semaine dont je pourrai disposer pour m'entretenir avec vous, etc.
Du même, le 19 mars, accusé de réception d'un paquet contenant diverses brochures, mais dans lequel il manque le plan de Revel (indiquant sans doute l'emplacement des lampes).
En date du 16 avril , devis de la Société Électrique Edison au sujet de l'Usine Centrale de Revel : Pour la fourniture du matériel électrique destiné à l'alimentation de 52 lampes A 16 (lire 16 bougies), coût : 10 217,30 F
En date du 21 avril, lettre de M. Ch. Sabatié : J'ai l'honneur de vous confirmer le devis Edison arrondi à 10 000 F, auquel il convient d'ajouter 1000 F pour l'installation, non compris le devis du matériel moteur, non encore reçu.
Du même, le 20 mai : J'ai l'honneur de vous annoncer que nous avons reçu le devis Schabaver ( de Castres) pour un moteur de 10 CV se montant à 4000 F, y compris l'installation.
Ainsi, on pouvait - pour quinze mille francs - éclairer les rues de Revel avec une cinquantaine de lampes, représentant la limite maximum de puissance disponible ; autrement dit, on ne pouvait espérer plus de l'usine du Moulin du Roi. Il semble que le Conseil municipal ait été quelque peu déçu, comme le montre la lettre suivante :
De M. Sarrat, le l juin : La question de l'éclairage électrique subit en ce moment un temps d'arrêt. Le CONSEIL_MUNICIPAL désire, avant de se prononcer, étudier ce projet avec le plus grand soin. Dans ces conditions, il ne m'est pas possible de vous fixer un jour pour vous rendre à Revel. J'aurai le soin de vous prévenir dès que le moment me paraîtra opportun.
Et le 25 août, M. Sabatié sonne le glas du projet de Paul Sarrat : D'après les renseignements fournis par la C° du Canal Latéral, la chute varie de 5,27m à 5,42m ; nous pensons qu'il s'agit du Moulin du Roi et de la chute en aval, car il n'y a que quatre mètres au Moulin du Roi même ; le débit peut descendre à 3000 m3 par jour ; ce minimum laisserait trois chevaux-vapeur disponibles, soit l'alimentation de 20 à 22 lampes.
C'est la dernière lettre de ce dossier. Nos archives ne nous en apprennent pas davantage. Disons-le : au Moulin du Roi, la puissance hydraulique (débit et hauteur de chute) est insuffisante. Le beau rêve de M. Sarrat s'est envolé avec ce projet qui ne pouvait tenir. Mais il aura appris à réfléchir un peu mieux sur le sujet, ou du moins aura-t-il appris à s'entourer de gens compétents avant de mobiliser les entreprises. C'est ce que nous allons voir... six ans plus tard. (Retour histoire de l'eau à Revel par Albin Bousquel)
Le Moulin Haut à Moncausson
Sur les conseils du jeune et dynamique Jean Laurent Viennes, minotier à Moncausson, (qui mourra malheureusement l'année suivante), Paul Sarrat est appelé à consulter un certain M. Moffre, voisin de Viennes qui en parle dans les termes les plus élogieux. Gustave Moffre appartient à une famille chaurienne fort honorablement connue ; il est propriétaire avec son frère Léonce du Moulin Haut et de Las Planques, deux métairies mitoyennes ; il est surtout ingénieur et il est le directeur des Mines et des Verreries de Carmaux ; Léonce, directeur des Verreries du Bousquet d'Orb, lui laisse la responsabilité de la gestion du domaine.
Paul Sarrat adresse le 4 juin 1891 à M. Moffre la lettre suivante
Je suis informé que vous devez vous rendre samedi prochain à Revel ; si, durant votre court séjour vous vouliez bien m'accorder quelques minutes d'entretien, je vous en serais très reconnaissant. M. Viennes devait vous écrire à ce sujet. Je ne sais s'il l'aura fait. Si vous avez reçu sa lettre, vous avez pu voir qu'il s'agit de fort beaux projets d'installation électrique, mais qui ne sont encore que des projets fort lointains et fort vagues et pour lesquels, à supposer qu'ils puissent aboutir, nous avons absolument besoin de votre concours ...
L'entretien a effectivement eu lieu et il semble avoir été fructueux : le Moulin Haut ne fonctionne plus, comme moulin, depuis longtemps, mais il est abondamment alimenté en eau par un canal de dérivation pris sur le Laudot ; M. Moffre accepte de le louer à la commune pour y créer l'installation génératrice du courant électrique nécessaire à l'éclairage de la ville ; il propose ses compétences en la matière pour aider la mairie de Revel dans la réalisation de ce projet.
Le 16 juin, Paul Sarrat remet le plan de la ville avec l'emplacement prévu pour les lampes et le plan de la commune afin d'y étudier le cheminement de la ligne électrique.
M. Moffre, de son côté, multiplie ses contacts auprès des entreprises spécialisées
M. Hippolyte Fontaine, administrateur de la Société des Machines magnéto-électriques Gramme, Paris, propose, pour une force de 40 CV hydraulique, 36 lampes à arc de 600 bougies, arcs solidaires par trois pour augmenter la tension de la machine et diminuer la section du câble. Pour les lampes à incandescence, il propose 200 lampes de 10 bougies et 200 lampes de 16 bougies.
La Société L'Éclairage Électrique d'Edm. Chesnay, à Reims, au vu de l'étude faite par M. Jaspar, à Liège, pour le compte de M. Moffre, estime qu'elle est de beaucoup la meilleure :
1) aux chutes d'eau, une dynamo génératrice à grande différence de potentiel,
2) en ville, une dynamo réceptrice produisant la force motrice et attaquant des dynamos à faible tension : c'est la distribution à courant continu, à basse tension, à potentiel constant ( voir à Paris et de même le système Edison à New-York mis en place depuis 1881). Mais cette solution coûte cher.
La Société Thomson-Houston de Boston, bureau de Paris, sur intervention de M. Josse écrit qu'une chute de 40 CV effectifs suffit ; deux chutes ne peuvent pas être utilisées avantageusement ; prévoir deux machines : une toute la journée pour charger les batteries d'accumulateurs en ville destinées à alimenter les lampes à incandescence des abonnés particuliers ; l'autre, le soir, pour l'éclairage public à lampes à arc. (Lettre du 15 juin 1891).
Et de la même société, du 23 juillet 1891 : devis pour 350 lampes maximum de 10 bougies pour l'éclairage des rues, des bâtiments municipaux et particuliers, en courant alternatif, soit 18 000 W et 2000 V, excitatrice (6 - L'excitatrice est la dynamo qui fournit du courant continu à un alternateur.), trois transformateurs de 4800 W, 300 isolateurs à cloche pour le primaire, 500 kg de fil pour le secondaire, 20 000 à 30 000 F.
La Compagnie Continental Edison Paris, contactée à la fin de juillet 1891, envoie son devis le 15 août, après avoir réclamé les plans des lieux qu'on avait, semble-t-il, oublié de lui adresser.
Objet : Usine Centrale Revel - 100 lampes de 16 bougies pour éclairage public ; 100 lampes de 10 bougies pour éclairage municipal ; 100 lampes de 10 bougies pour installations particulières ; distance de l'agglomération : 5 km ; turbine non comprise au devis ; puissance 50 CV en temps normal ; 20 CV les
mois de sécheresse (rendement 70%).
Usine primaire : dynamo altern. HT (2000 V) ; capacité 20 000 W avec excitatrice courant continu sur 100 V et tableau de réglage, etc.
Ligne primaire aérienne, deux câbles cuivre nu sur isolateurs porcelaine (sur poteaux ou potelets non compris au devis) ; câbles avec isolation caoutchouc dans l'usine ; ligne formant ceinture en ville.
Huit transformateurs alimentant le réseau système Edison à trois conducteurs (brevet S.G.D.G.)
Réseau secondaire : potentiel entre conducteurs extrêmes et câble central dit compensateur, 100 volts environ, aucun accident à craindre.
La Sté Alsacienne de Constructions Mécaniques, Belfort, Bordeaux, a suggéré d'abord l'installation d'une machine à vapeur en ville, puis à la fin de l'année 1891, donne un devis d'alimentation en courant alternatif ; la correspondance se poursuit, abondante, jusqu'en juin 1892.
La Sté Sautter-Lemonnier & Cie de Paris adresse un projet d'installation, puis un devis. Enfin, il arrive encore un courrier de la maison Lombard-Gérin à la fin de 1891.
Retenons simplement de tout cela, sans entrer dans l'analyse des devis ni dans le détail des techniques, l'intervention efficace de M. Moffre auprès des fabricants et la grande variété des solutions proposées par ceux-ci (alimentation en alternatif ou en continu, stockage du courant pendant le jour par accumulateurs, lampes à arc ou lampes à incandescence, etc.)
Naturellement, ce courrier atterrit à la mairie sur la table de Paul Sarrat, tout électrisé à la lecture de cette littérature hautement technique qui doit bien le dépasser parfois un peu. On le serait à moins.
Heureusement, il a à ses côtés un CONSEIL MUNICIPAL décidé à le soutenir fermement.
Le 22 juin 1891, il écrit à M. Moffre
J'ai cru devoir faire part hier au CONSEIL MUNICIPAL de nos pourparlers et échanges de lettres, sans lui donner néanmoins plus d'espérances que vous ne m'en laissez entrevoir ; il se félicite que ce projet ait rencontré pour lui le concours de votre haute compétence et il secondera vos vues avec la confiance la plus absolue ...
Le vendredi 14 août, exceptionnellement jour de marché, le samedi 15 étant férié, M. Moffre vient à la mairie présenter aux conseillers le projet, leur faire connaître quel serait le prix de l'éclairage pour les établissements privés et les maisons particulières, les informer des contacts pris avec la Sté Continental Edison à Paris.
On s'occupe plus tard du financement de l'opération ; ayant reçu l'autorisation préfectorale le 23 septembre, le maire envoie le 8 novembre le dossier à l'appui d'une demande d'emprunt de 40 000 F à la Caisse des dépôts et consignations ; cette demande sera rejetée à la mi-décembre avec l'exposé des motifs qui ont dicté cette regrettable décision. En janvier 1892, il intervient auprès du gouverneur du Crédit de France, en certifiant le remboursement de l'emprunt sur vingt-cinq ans, le percepteur étant assuré d'une recette annuelle de 6000 F provenant de la location de l'éclairage aux particuliers (200 lampes à 30 F la lampe par an pour les abonnés privés). Sans succès ! Le directeur général de la Caisse des dépôts soulève tant de difficultés que le maire le prie de lui retourner les pièces du dossier, ce dont il avise le sous-préfet, précisant que le CONSEIL_MUNICIPAL a décidé de s'adresser à d'autres établissements. Et en effet, consultation est prise en février auprès de M. Jean Fourgassier, banquier à Castres, puis en mars auprès de M. Ozenne, banquier à Toulouse, directeur de la Cie Phénix et du Crédit agricole.
Finalement Paul Sarrat revient vers la Caisse des dépôts et consignations, après avoir fait agir quelque personnalité politique influente, et le 8 avril 1892, il écrit à M. Moffre
Notre affaire marche bien au ministère. On (la Caisse des dépôts) ne nous demande qu'un demi-centime de plus (il s'agit du taux de remboursement de l'emprunt). Ce n'est rien. Dans moins d'un mois, je crois que nous serons en mesure de pouvoir faire nos commandes ferme.
Dans sa délibération du 24 avril, le CONSEIL_MUNICIPAL approuve le bail à ferme consenti avec les messieurs Moffre frères de l'usine du Moulin Haut devant fournir la force motrice pour l'installation de l'éclairage électrique en ville. Suit le procès-verbal d'expertise. Suit aussi la création d'une Commission électrique dont les membres sont pris parmi les conseillers municipaux et qui sera appelée à suivre les travaux.
- « Nous sommes en pleine électricité » - Paul Sarrat , 7 juillet 1892.
Le premier travail de la Commission est l'examen des offres faites par plusieurs sociétés ; on retient l'entreprise Granoux et C', électricien, 17, boulevard du Nord, à Toulouse (dont un associé, M. Devrigny, ingénieur électricien, 75, rue Alsace-Lorraine, est désigné pour suivre le dossier, avec un jeune homme de vingt-quatre ans qui dirigera le chantier, Anselme Boudeau) et l'entreprise de fonderie de madame veuve Bonnet, de Toulouse, pour la construction de la turbine nécessaire à l'installation de l'éclairage électrique ; lesquels sont aussitôt prévenus et priés de se rendre à Revel le plus tôt possible et de s'entendre sur les mesures communes qu'il y aurait à prendre pour cette installation.
Voici trois lettres qui dénotent une certaine nervosité du maire à l'ouverture des travaux.
17 juin 1892, à M. Devrigny - L'affaire des poteaux est conclu (7 - Les poteaux supportant la ligne du Moulin Haut à Revel étaient des fûts de pin vendus à la mairie par le docteur Laville qui venait d'acheter une partie du bois d'En Salvan à Saint-Ferréol ; la façon dont Paul Sarrat en parle laisse supposer qu'il y eut quelque difficulté dans la réalisation de cette acquisition.) ; lundi au plus tard, on commencera à les transporter sur les endroits indiqués . A cette occasion, je vous serais très obligé si vous vouliez bien nous faire adresser le baril de goudron que vous nous avez promis. Ceci dit, laissez moi vous dire que je suis fort étonné que vos monteurs ne soient pas déjà au travail ; vous m'aviez promis qu'ils seraient là lundi dernier et nous voici à la fin de la semaine. Sans doute quelque imprévu vous a empêché de commencer les travaux, mais j'espère voir arriver votre monde le plus tôt possible.
24 juin, à M. Moffre - Le monteur de la maison Granoux m'apprend que la fonderie Bonnet n'a encore fourni aucun devis pour la turbine. Pouvez-vous faire le nécessaire pour activer ?
7 juillet, à M. Moffre - Le traité avec la maison Bonnet est signé ; les travaux sont commencés depuis le premier ou le 2 courant ; il faudrait le plus tôt possible envisager les réparations en maçonnerie à exécuter dans l'usine, sous votre direction et en concertation avec la maison Bonnet et M. Devrigny. Ici, on pose à grand force des poteaux et des fils ; nous sommes en pleine électricité.
Et, en août, le coiffeur Antoine Rodier, chroniqueur vigilant de la vie revéloise, note plus prosaïquement : les fils de fer enlacent la ville.
D'autres difficultés surviennent : la livraison et l'installation de la turbine au Moulin Haut subissent du retard et Mme Vve Bonnet se fait plusieurs fois rappeler à l'ordre ; ce n'est que le 30 septembre que M. Moffre signe le procès-verbal de réception provisoire et de mise en place, et autorisant le paiement de 2500 F , moitié du montant du devis.
Ce retard n'a pas empêché Revel de faire la fête huit jours auparavant pour célébrer le centenaire de la proclamation de la Première République ; à cette occasion, et en avant-goût de ce que sera l'avenir électrique de notre cité, M. Blum, industriel revélois, fait tirer par le cheval de la mairie et pousser par les hommes d'équipe dans la soirée du mardi 20 sa locomobile (8 - Une locomobile est une machine à vapeur montée sur un chassis à quatre roues libres (non motrices). qu'il met en poste fixe au découvert de la place, vis-à-vis le couvert de la volaille (galerie du Couchant) ; le lendemain, il parachève son installation, et le jeudi 22 septembre, à sept heures du soir, il lâche la vapeur ; la machine tourne, entraînant un générateur électrique et des guirlandes de lampes à incandescence s'allument sur le beffroi et tout au long des couverts.
Laissons parler Antoine Rodier
Cet éclairage électrique a été fort bien réussi et M. Blum a eu un grand succès. A huit heures et demie, sur le foirail de Castres (partie nord du boulevard de la République) on a tiré le feu d'artifice ; une pièce surtout qui représentait le bonnet phrygien a été très remarquée, mais le clou de ce feu d'artifice a été la pièce dernière et la principale où étaient ces mots « VIVE LE CENTENAIRE DE 1792 ». Le canon n'a pas cessé de tonner pendant le feu d'artifice qui a été le plus beau que l'on ait jamais tiré à Revel pendant une fête publique. Puis départ du ballon devant le couvert haut (galerie du Nord) ; il a été lâché, mais ayant rencontré le feuillage d'un platane et heurté le fil de fer tendu pour l'électricité, il a chaviré et est venu s'abattre sur la façade de la maison Perramond, couvert de la volaille (les Nouvelles Galeries) ; il a brûlé, ce qui a désappointé les spectateurs ; après quoi, il y a eu le bal jusqu'après minuit ; il y avait une foule énorme sous la halle, et tous les cafés et restaurants étaient remplis de consommateurs. En somme, la fête du centenaire s'est fort bien passée et l'on en parlera très longtemps.
Et la fête reprend le dimanche suivant, car c'est le Fénétra du quartier du Centre. Antoine Rodier raconte :
On lance le ballon en face le Cercle du Sport (maison Fauré la Pomme, actuellement M, Trouche, notaire) ; les balcons sont pavoisés aux couleurs nationales et russes ; on peut admirer les portraits de l'empereur et de l'impératrice (le tsar et la tsarine) ; le ballon s'est dirigé vers les Cammnazes. Il y a eu bal public jusqu'à sept heures du soir et à huit heures et demie, bal sous la halle ; le découvert était illuminé à la lumière électrique, et il y avait grande affluence pour voir cet éclairage, et le public était émerveillé de ce succès obtenu avec la machine locomobile appartenant au sieur Blum, à laquelle l'administration civile de la ville a fait faire une toilette des plus complètes.
Le 26, en gare de marchandises, sont arrivés les candélabres de fonte destinés à porter l'éclairage des allées ( la Promenade) et des boulevards, ces quartiers méritant mieux que de vulgaires poteaux de bois.
Et l'on approche, non sans mal, du terme de l'entreprise (octobre 1892 - février 1893 ).
Le 6 octobre 1892, Paul Sarrat télégraphie à M. Devrigny
Boudeau parti avec meilleur ouvrier. Travaux suspendus. Dynamo en panne gare SaintFélix. Maire exige mise en marche pour le 22 octobre sous peine application traité. (Le contrat passé entre la mairie et l'entreprise Granoux prévoyait un calendrier pour l'exécution des différentes tranches du chantier, dont le non-respect entraînait des pénalités.)
Mais que faire contre les éléments ? Le vent marin (ternie plus fréquent que vent d'autan à l'époque) s'est levé et souffle avec impétuosité à partir de la mi-octobre brisant les fils de fer galvanisés de l'éclairage électrique (dixit Antoine Rodier) ; le travail, qui a repris en novembre, est interrompu à nouveau faute de matériel : il manque en effet deux cents isolateurs en forme de poulie de diamètre 8 cm (d'ailleurs un diamètre de 6 cm suffirait, ajoute Paul Sarrat, visiblement compétent, à moins qu'il n'agisse par esprit d'économie). La séance du CONSEIL_MUNICIPAL du dimanche 6 novembre est agitée ; le sieur Bessières interpelle le maire pour savoir où en sont actuellement les travaux de l'éclairage électrique ; le maire se veut rassurant et dit que la chose se terminera sous peu.
Et le 15 novembre, le journal La Dépêche, dans un article sur Revel au sujet de l'électricité, parle de l'installation qui ne réunit pas la solidité voulue pour affronter la violence du vent d'autan dans la contrée et pense que l'administration s'occupera sérieusement de cette installation qui paraît n'être que provisoire. Les Revélois regrettent surtout qu'on se soit empressé de démonter l'ancienne installation, privant la ville d'éclairage, alors que les travaux de la nouvelle ne semblent pas être prêts de se terminer.
Le 17, lettre du maire à M. Devrigny
Les travaux du Moulin Haut sont entièrement terminés ; la ville peut mettre la force motrice à votre disposition ; l'installation électrique touche à sa fin ; votre présence est indispensable pour en surveiller les derniers détails. Nous espérons votre prochaine arrivée.
Et rappel par dépêche télégraphique du 21
Votre présence indispensable pour essais mise en marche. Population justement impatiente. Travaux manquent de direction.
Les essais commencent le 27 novembre et se répètent chaque jour, mais, comme dit Antoine Rodier le 27, l'éclairage n'a pas réussi comme on l'espérait ; puis le 28, il n'a pas encore bien réussi. À une autrefois ! ; puis le 1`r décembre, on a essayé de nouveau ; puis le 2, on a un peu mieux réussi ; puis le 3, cet éclairage est de courte durée ; et le dimanche 4 décembre 1892, la ville est éclairée de 3h à 4 1/2h du soir (entendez de l'après-midi), puis de 6h à une heure avancée de la nuit.
Le lendemain soir, la ville est encore parfaitement éclairée et Antoine Rodier note : À six heures du soir, alors que l'électricité brillait de tout son éclat, on a pu voir très distinctement tomber les flocons de neige qui faisaient autour de cette lumière nouvelle pour la ville de Revel un effet très curieux à voir et qui a fait sortir les personnes dehors malgré l'intempérie de la saison.
Cependant l'expérience réussie des 4 et 5 décembre ne signifie pas la fin des essais ; ceux-ci vont se prolonger encore pendant près de trois mois, pendant lesquels le maire ne fait aucune observation particulière, mais prépare la gestion communale du prochain Éclairage Électrique par un arrêté du 12 janvier 1893 qu'il soumet à l'approbation du préfet ; le 24, il demande un projet d'assurance contre l'incendie à la Compagnie Générale pour l'usine du Moulin Haut ; et le 3 février, il verse un acompte de 10 000 F à M. Devrigny.
C'est par Antoine Rodier que nous avons quelques détails sur cette période hivernale ; il y a eu encore sept soirées sans lumière en décembre, dont une par manque d'eau au moulin de M. Moffre (le Canal du Midi avait fermé les vannes de Saint-Ferréol) ; et chaque fois les commentaires vont bon train et le public se demande toujours pourquoi on a enlevé les vieux réverbères si tôt. Cependant notre coiffeur, fin politique, s'est lié d'amitié avec Anselme Boudeau ( il lui a même offert un petit chiot de bon air, fils de sa chienne) ; il sait que M. Boudeau fait son possible pour assurer des fêtes illuminées aux Revélois et celui-ci tient parole ; Revel est éclairé tous les soirs du 19 décembre 1892 au lundi 16 janvier 1893, les interventions et les réglages étant effectués en dehors des heures d'alimentation du réseau. Fin janvier, de fortes gelées paralysent encore l'usine ; mais tout est en ordre et le 27 février 1893, la réception des travaux est faite par M. Moffre qui représente le maire et M. Devrigny pour l'entreprise Granoux.
Les formalités administratives sont très simples puisque Paul Sarrat, en assurant l'Ingénieur Ordinaire de l'Arrondissement Nord de Toulouse que l'installation du réseau électrique n'a donné lieu à aucun accident, lui précise qu'il n'y a pas eu d'arrêté préfectoral ; la mise en service a simplement été approuvée par le préfet ; le dossier avait été soumis à l'administration des Postes & Télégraphes (sic) et avait reçu un avis favorable.
Et toujours des incidents, et qui pis est, des actes de malveillance, soit par bêtise, soit sabotage délibéré ...
Dans la nuit du 2 au 3 mars, des désceuvrés coupent la ligne sur le chemin de Dreuilhe à Revel ; ils sont arrêtés le lundi 6 ; puis ils sont conduits à pied à Villefranche par deux gendarmes à cheval : il s'agit du charron de Dreuilhe et d'un de ses camarades. Dans les nuits suivantes, c'est en ville que l'éclairage est contrarié ; le jeudi 9, on trouve le coupable ; c'est le sieur Bru Benjamin, ferblantier lampiste habitant rue de Vauré. Cet individu, le plus
malhonnête des hommes de Revel et surtout le plus méchant, le plus haineux et le plus vindicatif avait établi sur sa toiture ... un fil conducteur qu'il avait adjoint au fil électrique et l'avait caché sous les tuiles et conduit le courant électrique dans un trou dans le puits de sa maison de telle sorte que la lumière était détournée et perdue et ensuite elle retournait à l'usine à Dreuilhe et était à jamais perdue. Ce polisson n'était pas à son premier essai et agissait de cette manière depuis un mois et demi. (Antoine Rodier). (Ajoutons que, sur action intentée par la commune, il y aura procès en correctionnelle et condamnation de Bru. On remarquera aussi, au sujet de la mise à la terre, l'explication pertinente de notre coiffeur qui semble avoir bien assimilé quelques notions d'électricité reçues de son nouvel ami Anselme Boudeau). A la suite de ce méfait, le CONSEIL MUNICIPAL nomme le ferblantier Henri Laporte, demeurant rue de Vauré lui aussi, garde de ville pour l'électricité ; Laporte prête serment à la séance du juge de paix du samedi premier avril. Encore une sinécure créée par le maire Paul Sarrat qui toujours cherche à se faire des créatures à lui. (Antoine Rodier).
Les incidents techniques sont fréquents : il y a vingt-huit journées sans lumière pour la seule année 1893 ; les causes externes sont le vent et les coupures d'eau à Saint-Ferréol ; pour pallier cette dernière nuisance, M. Moffre offre de faire lui-même l'achat d'une machine à vapeur de secours ; le CONSEIL MUNICIPAL accepte cette proposition (on n'a pas oublié l'efficacité de la locomobile de M. Blum) mais demande de partager l'achat avec M. Moffre en l'assurant de sa profonde gratitude pour son offre ; M. Itard, le constructeur de machines du faubourg Bonnefoy à Toulouse, ne viendra procéder à l'installation de sa machine à vapeur qu'en octobre. En août, le transformateur est grillé et les lampes éclairent fort mal ; le circuit de la Promenade et de l'avenue de Toulouse est à vérifier ; ce quartier est dans l'obscurité. Par ailleurs, on a installé une ligne téléphonique entre l'usine centrale et le logement du concierge au beffroi afin de rester en liaison permanente avec Antoine Ramondou, le nouveau métayer de M. Moffre qui a accepté d'être le surveillant de la centrale, mais aussi d'effectuer les mises en route. Par un caprice électrique incompréhensible, le téléphone ne fonctionne que si on arrête les machines. On relance vainement à ce sujet M. Boudeau à Toulouse.
Et toujours des coupures de courant inopinées ! Et les ouvriers de l'Éclairage Électrique, en montant sur les toits pour désentortiller les fils que le vent impétueux a embrouillés, causent des dégâts aux tuiles qu'il faut faire réparer. (Antoine Rodier).
Malgré tout cela, le 7 juillet, le maire de Revel fait au maire d'Auch qui s'informe de notre éclairage électrique les éloges les plus flatteurs de l'installation de la maison Granoux dont la commune est parfaitement satisfaite.
Cette satisfaction pour le moins surprenante du maire Paul Sarrat viendrait-elle d'un optimisme excessif et passager du fait que la fête locale (la fête de Revel) a connu, la semaine précédente, un grand succès ? Avait-il redouté le pire ? Le voilà maintenant soulagé. Profitons de l'occasion que nous offre Antoine Rodier d'assister à cette fête toujours en vigueur, ainsi d'ailleurs qu'à la fête nationale deux semaines plus tard.
Quand Revel fait la fête ... (compte rendu d'Antoine Rodier)
Le samedi 1 er juillet, la chaleur est accablante de très bonne heure... une quantité extraordinaire de baraques foraines entoure la halle... ménageries, acrobates, manèges de chevaux pour les petits enfants fort bien ornementés, marchands de faïence et jeux de tourniquet, gâteaux, bonbons ; la halle publique est superbement décorée de guirlandes de buis et pavoisée de drapeaux. Depuis fort longtemps, on n'a pas vu une si grande quantité de marchands étrangers et de saltimbanques pour la fête locale ; elle promet d'être fort belle, vu la publicité donnée par le correspondant du journal La Dépêche. A neuf heures, la cloche du beffroi donne le signal de l'ouverture de la fête ; belle musique ; retraite aux flambeaux ; sérénade aux autorités ; bataille de confetti sous la halle : ce sont des petits ronds de papier de plusieurs couleurs que les gens se jettent à la figure ou sur les habillements ; ce genre d'amusement tout nouveau pour les Revélois est fort bien pris et très goûté par le public, car il y en a partout une grande quantité jetés par terre ; l'illumination de la halle est faite à la lumière électrique.
Le dimanche matin, le canon se fait entendre à quatre heures du matin ; les cloches du beffroi et de l'église sonnent à toute volée ; grande illumination du chœur de l'église par l'embrasement instantané de la coupole par le fulmi-coton ; lâcher de ballon, retraite aux flambeaux, fête sous la halle avec jetée de confetti.
Le lundi soir, maigre feu d'artifice à la porte de Castres tout près de la fontaine monumentale dont la gerbe d'eau fonctionne, retraite aux flambeaux, concert de jeunes gens de la ville sous la halle avant l'ouverture du bal ; bataille continuelle de confetti sur les promeneurs et belle illumination jusqu'à une heure du matin.
Le mardi (la fête continue), à onze heures du matin, la musique fait le tour des galeries et parcourt les rues principales de la ville ; à trois heures, jeu de la bague devant le café Guibert à quatre heures, devant le café Mallet, le jeu de la poêle ; à cinq heures, bal sur la Grande Allée fort bien arrosée et décorée pour la circonstance. Beaucoup de monde installé devant le café du Casino et du côté dit café Gisclard ; le public est centralisé auprès de l'estrade des musiciens ; le soir, retraite aux flambeaux ; la Grande Allée est illuminée avec les becs électriques et un grand réflecteur qui de temps à autre éblouit la Promenade : c'est un vrai soleil qui lance les jets de lumière sur divers points ; le bal est fort animé et cette fête s'est bien passée.
Et Revel fête ensuite le 14 juillet selon un calendrier curieux ; nous reprenons les chroniques du coiffeur.
Le jeudi 13, malgré un violent orage avec pluie et tonnerre, le commissaire de police avec les tambours parcourt les rues de la ville pour lire la proclamation du maire en l'honneur de la fête du 14 juillet ; à huit heures et demie du soir, la cloche du beffroi sonne à toute volée pendant une demi-heure consécutive ; le carillon de la paroisse sonne aussi pendant demi-heure en vertu de la convention passée entre le préfet et Son Éminence le cardinal Desprez, archevêque de Toulouse ; en même temps, le canon tonne par intervalles et des fusées volantes sont lancées de sur le beffroi, et tout se borne à cette démonstration, la fête étant remise à dimanche 16.
Et pourtant ...
Le vendredi matin à cinq heures, la cloche du beffroi sonne à toute volée et cela par intervalles répétés ; le canon tonne à tous les angles du boulevard ; les maisons se pavoisent de drapeaux, mais peu nombreux, mêlés de quelques drapeaux russes qui sont jaunes avec deux aigles doubles au milieu ; la pluie tombe par intervalles et à torrents ; le canon se fait entendre et le tonnerre aussi ; (la journée n'étant pas fériée), le curé célèbre à neuf heures l'enterrement de Françoise Hébrard (arrière-grand-mère de l'un des auteurs de cet article).
Mauvaise journée pour les amusements de la fête, mais bonne pour l'agriculture qui la réclamait à grands cris. A huit heures du soir, fusées volantes sur le beffroi.
Le samedi, jour de marché, il ne s'est pas fait d'affaires... Le soir à neuf heures , entrée aux flambeaux ; la musique joue La Marseillaise à l'entrée devant la porte de la mairie (rue de Dreuilhe) parfaitement décorée et pavoisée et surtout la façade enguirlandée de buis ; on a placé devant la porte d'entrée de beaux mâts surmontés de belles oriflammes pour supporter des lampes électriques dites à arc qui brillent à vous éblouir ; beaucoup de monde sous la halle où le bal est très animé ; les cloches sonnent à nouveau à l'église et au beffroi où la terrasse est garnie de monde qui lancent (sic) des fusées volantes aux couleurs nationales ; bataille de confetti pendant tout ce temps et le bal se termine à minuit.
Dimanche 16, fête du 14 juillet ; nouvelle sonnerie de cloches à l'église et à la place à cinq heures du matin avec coups de canon sur les boulevards ; à la sortie de la grand 'messe, musique sous les galeries où il s'est rendu beaucoup de monde ; en revenant du dîner (de déjeuner), j'ai été voir le mât de cocagne à la Patte d'Oie : beaucoup de jeunes gavroches pour toucher au but du mât où étaient suspendus canard, poulet et dinde ; à trois heures, jeu de la cruche à la porte du Taur et du Temple près le café Guibert, beaucoup de consommateurs à ce café ; à la sortie des vêpres, ascension d'un ballon aux couleurs verte et jaune avec les portraits de l'empereur et de l'impératrice de Russie et terminé au bas par un noeud aux couleurs tricolores nationales ; ce ballon a été lancé à l'entrée de la porte de Vauré et a ,fort bien réussi malgré le vent du sud-ouest qui soufflait ; il s'est dirigé vers la montagne de Saint-Ferréol ; la musique a joué La Marseillaise qui a été applaudie cette fois ; à cinq heures du soir, concert donné par la Lyre Revéloise sur la Grande Allée ; tous les établissements faisant débit de boisson ont fait livrer des apéritifs aux consommateurs. Le feu d'artifice après le souper a eu lieu à la porte de Castres, avec musique et retraite aux flambeaux ; toutes les pièces ont fort bien réussi et fort belles, surtout le bouquet avec la pièce finale de la république, lettres R.F. couronnées de chêne ; le cortège de la musique a repris sa marche par le boulevard de la République et est entré par la rue de Vauré pour le bal de sous la halle fort bien décoré et illuminé avec l'électricité ; grand jet de confetti par les promeneurs à toutes les filles et daines ; bel éclairage à la mairie et fusées volantes sur le beffroi pendant la durée du bal qui s'est terminé à une heure du matin par une retraite en musique.
Et quand la fête est finie ...
Il faut saluer d'un coup de chapeau M. Boudeau qui a réussi à alimenter sa ligne sans incident, alors que la consommation devait atteindre des pointes exceptionnelles en ces journées de fête ; d'autre part, à cette saison, le débit du Laudot est bien faible, et il a fallu certainement utiliser la machine à vapeur autant que la turbine ; or, la machine à vapeur se révélait capricieuse à souhait ; en août et septembre, elle tombe plusieurs fois en panne, alors que l'eau n'arrive plus qu'irrégulièrement.
Que de récriminations aussi, de la part du maire, contre le sieur Puyfourcat, l'agent de la Cie Granoux chargé spécialement de la machine à vapeur ! La courroie de transmission saute sans arrêt ; on n'a pas éprouvé la chaudière et on craint qu'elle n'explose ; M. Puyfourcat est d'ailleurs plus électricien que mécanicien ; on convoque M. Itard, le constructeur de la machine ; constat banal : le segment du piston est brisé ; puis, fin novembre, Paul Sarrat bat le rappel général ; à MM. Itard, Devrigny et Moffre, il écrit : Par manque de tirage, le moteur à vapeur (sic) ne développe pas la force nécessaire pour l'éclairage que j'ai dû suspendre. Ces messieurs viennent juger du problème et décident de placer sur la machine un tirage artificiel et un chapeau pour la cheminée.
Le maire s'en prend aussi aux directeurs d'école : Les enfants avec leur fronde brisent les lampes électriques occasionnant ainsi des dégâts sérieux à une installation délicate. Ils en chassent également les petits oiseaux dont la conservation est tant recommandée. Je rappelle d'ailleurs que le jeu de la fronde est interdit par arrêté municipal du 17 novembre 1881.
Et Antoine Rodier se fait l'écho de tout ce qui se dit en ville : L'éclairage laisse bien à désirer depuis quelques soirs et nous sommes dans la plus complète obscurité ; le public s'en fâche et maudit l'administration actuelle du peu de souci qu'elle prend à cet effet, vu que les abonnés sont obligés de se munir des lampes à pétrole qui avaient été abandonnées... L'éclairage continue à mal fonctionner et plusieurs quartiers en sont privés... Nous n'avons pas eu d'éclairage électrique hier soir ; à qui la faute encore ? On n'y comprend plus rien... L'éclairage électrique a été très mauvais dans la nuit... Il y a eu une interruption de l'éclairage de 6 h à 6 1/2 h... Les habitants de Revel sont très contrariés de cette lumière si peu régulière... Tout le monde à Revel se fâche, on ne peut plus sortir dehors sans mettre le pied dans le ruisseau ou buter la tête contre un mur ; cet état de choses ne peut durer longtemps ; on dit que la machine a crevé. (Il s'agit certainement du bris du segment du piston de la machine à vapeur), etc. etc.
Et la presse s'en mêle ; le dimanche 19 novembre 1893, un an après l'article très modéré de La Dépêche, un journal beaucoup moins lu à Revel, L'Express du Midi, publie le prière d'insérer suivant , dont le ton est terriblement agressif :
A Messieurs Salvaing et Sarrat, administrateurs principaux de la ville de Revel, (M. Salvaing, cousin et ami de Paul Sarrat, était son deuxième adjoint à la mairie)
Messieurs les Administrateurs,
Les résultats négatifs et désastreux de votre fumisterie électrique (lisez électorale) que vous décorez du substantif mensonger d'« Éclairage » autorisent un groupe de contribuables et abonnés à venir vous demander par la voie de la presse à quel chiffre exact et détaillé s'élèvent à ce jour les dépenses de toute nature occasionnées par votre gigantesque duperie.
Votre titre de magistrat vous impose le devoir de ne pas vous dérober à notre légitime invitation ; de vos explications, Messieurs les Administrateurs, dépendra notre attitude. On est administrateur ou on ne l'est pas. Lorsque par tous les moyens et à tout prix, on arrive comme vous au faîte des grandeurs municipales, on se montre à la hauteur du mandat extorqué - ou légalement acquis - par une gérance (lapsus, lire gestion) intelligente et économique des intérêts communaux.
Si votre duplicité est impuissante ou incapable de gouverner, ayez au moins la pudeur de l'avouer et de vous démettre.
Car prenez-y garde. La situation financière de la commune s'aggrave, par votre incurie, tous les jours d'une manière et façon inquiétantes ; vos responsabilités s'accumulent, et lorsque, tôt ou tard, sonnera l'heure de la révision (lapsus, lire reddition) des comptes, les nombreux satellites intéressés qui gravitent autour de votre auréole néfaste ne vous défendront pas du stigmate qui frappe votre gestion.
En attendant, les flots envahisseurs de la dette communale qui dépassent quatre cent mille francs (dites 420 000 d'après L'Officiel des Communes) montent toujours. L'impôt ne fait que croître et enlaidir Et l'éclairage que, avant les élections, vous nous aviez promis éblouissant, féerique, excessivement bon marché, se traduit par une immense blague affreusement coûteuse qui dépassera quinze mille francs par an, alors que le précédent, qui pouvait bien nous servir encore, ne dépassait pas la somme de cinq mille francs.
Recevez, Messieurs les Administrateurs, les légitimes doléances que font, dans l'obscurité, un groupe de contribuables.
La première lettre de Paul Sarrat en 1894 (le 10 janvier à M. Devrigny) a des accents amers :...Fâcheux état depuis cinq jours de notre éclairage électrique ; les fils sont rompus, les poteaux descellés ; les fils sous tension sont tombés dans la rue ; la cause en est l'installation défectueuse de votre réseau... Faiblesse des fils ; défaut de solidité des scellements ; les fils du téléphone sont brisés en vingt endroits.
Mais il faut toutefois lire encore la dernière ligne de cette lettre : Seule, la turbine fonctionne à merveille.
La turbine fonctionne à merveille... quand il y a de l'eau ; non seulement l'administration du Canal coupe l'eau à Saint-Ferréol sans préavis, mais des ennuis surgissent au canal d'amenée, en amont du moulin ; la chaussée laisse voir de grandes pertes et l'éclairage en souffre ; et M. Viennes, au Moulin du Milieu, en aval, en souffre aussi ; et aussi les terres de M. Moffre ; c'est la mairie qui fera les travaux, restaurera le terrassement de la digue du Moulin Haut et abattra les arbres situés en bordure, à l'origine des dégâts, avec l'accord de leur propriétaire, M. Grillière d'Avignonet.
Ces travaux n'empêchent pas que les défaillances de l'éclairage continuent à se répéter :
le maire signale à M. Devrigny un tremblement dans la lumière, et le plomb des particuliers fond presque tous les soirs. Quant au téléphone, il ne marche plus que de façon très irrégulière. Enfin, il survient à l'usine un incident plus grave encore dont témoigne ce billet du maire à l'ingénieur : Envoyez un ouvrier pour vérifier l'arbre de la dynamo qui chauffe tellement qu'il y a à craindre pour l'installation.
Que faut-il conclure de ce triste état des choses ? Peut-on invoquer l'incompétence des responsables ? Non, cela serait peu raisonnable ; c'est plutôt le matériel qu'on pourrait incriminer : il n'était pas toujours fiable ; dans tous les domaines de l'industrie, les incidents mécaniques (et même les accidents) étaient fréquents ; mais le progrès allait au pas de course et les améliorations techniques suivaient aussitôt. L'industrie était ainsi parfois une aventure.
Pour l'année 1894, le chroniqueur Antoine Rodier aura noté vingt-cinq jours sans lumière, avec une interruption d'une semaine en novembre. Cependant, il note aussi le concert du 10 juin sur la Grande Allée par la Lyre Revéloise : On a ajouté neuf lampes électriques autour de l'estrade où se met l'orchestre ; cette illumination avec celle déjà existante est d'un très bel effet de loin. Les fêtes de Revel (7 et 8 juillet) et nationale (13 et 14 juillet) ne sont pas illuminées pour cause de deuil national, le président de la République Sadi Carnot ayant été assassiné par l'anarchiste Caserio à l'Exposition de Lyon. Mais à la fin de l'année, les fêtes de Noël sont particulièrement bien éclairées en ville et chez les particuliers.
Nous n'avons pas de renseignements sur le résultat financier de l'usine du Moulin Haut et la gestion communale de l'éclairage électrique ; il n'y eut point de concession ; l'exploitation a été faite en régie directe par la commune avec 150 lampes de seize bougies, allumées du coucher au lever du soleil ; les particuliers ont payé quarante francs (par an) pour une lampe de seize bougies, trente francs pour une lampe de dix bougies (9 - La puissance d'une lampe de 10 bougies était estimée à 35 watts ; celle d'une lampe de 16 bougies était d'environ 50 à 60 watts.) en fonctionnement toute la nuit : le rôle des lampes concédées s'élève ainsi à 1957,06 F pour la période du 15 août au 31 décembre 1893 et à 2662,50 F pour le premier semestre 1894. Les frais d'entretien, à la charge de la ville, s'élèvent à 4000 F par an.
L'investissement en matériel à l'usine centrale (le Moulin Haut) est de l'ordre de trente mille francs, toutes installations comprises, à savoir :
16 000 à 17 000 F à la Société Granoux & Cie de Marseille (Toulouse est une agence) représentée par M. Devrigny, en trois versements : dix à onze mille francs le 1°' février 1893 , les deux autres seront réglés en 1895, 4475 F le 1e, mai et 1000 F plus tard par traite sur la banque Rodier (Noël Rodier, le directeur, est le fils de notre chroniqueur).
5000 F pour la turbine de Mme Vve Désiré Bonnet en deux versements, la moitié le 30 septembre 1892 et l'autre moitié le 19 juin 1893.
8000 F pour la machine à vapeur de M. Itard, dont le règlement a été effectué par M. Moffre le 3 novembre 1893, non pas à titre gracieux comme il l'avait proposé, mais bien entièrement remboursable par la commune le 31 décembre 1897 avec 5% d'intérêt annuel.
Les travaux de maçonnerie (dallages) et d'ancrage des éléments ont été exécutés directement par les soins de la mairie en accord avec M. Moffre.
Quoi qu'il en soit, et quelles qu'aient été les dépenses engagées sur le Moulin Haut, il est évident, à la fin de l'année 1894, qu'on ne peut plus continuer à espérer de cette usine une alimentation régulière et suffisante en électricité ; bien que cela ne soit jamais explicité nettement dans les documents officiels, l'idée d'une reconversion s'imposait depuis longtemps dans les esprits ; il faut pour le comprendre revenir une bonne année en arrière.
Anselme Boudeau rêva un jour de dompter toute l'énergie de la chute de Malamort...
L'idée de l'abandon du Moulin Haut vient de M. Boudeau ; depuis l'ouverture du chantier en mai 1892, il fait le va-et-vient de Revel à Toulouse où il réside ; les impératifs du chantier l'obligent à séjourner parfois assez longtemps à Revel et il a eu certainement très tôt, et plusieurs fois par la suite, l'occasion de visiter la gorge du Sor en amont de Durfort ; la puissance hydraulique de la chute de Malamort sur le Sor est infiniment supérieure à celle dont il dispose au Moulin Haut.
... et il offrit à Soréze l'éclairage électrique (traité du 11 octobre 1893)
RETOUR "VILLES_ET_VILLAGES" - DURFORT -
Anselme Boudeau expose ses idées au maire de Soréze qui, dans l'immédiat, est directement concerné, en considération de la position géographique de sa commune et de l'intérêt que porte à ce mode d'éclairage l'important établissement qu'est le collège des Dominicains. La proposition de M. Boudeau retient l'attention du CONSEIL_MUNICIPAL de Soréze, qui, dans sa séance du 16 avril 1893, crée une Commission pour étudier en détail le projet d'éclairage électrique de la société Granoux, présenté par M. Boudeau ; sont nommés MM. de Guibert, le docteur Rossignol, Élie Clos et Mothon, sous la présidence du maire, M. Louis Clos.
Ce projet consiste :
1) à établir une petite retenue d'eau en haut de la chute, laquelle est mitoyenne entre les communes de Soréze, des Cammazes et de Durfort ;
2) à construire un bâtiment destiné à abriter la turbine et le générateur à cent ou deux cents mètres tout au plus en aval de la chute (soit un dénivelé de 50 mètres) au confluent du Sor et du vallon de Nadegrel (en occitan Nadogrelh, Nage-grillon) ;
3) à assurer une liaison barrage-usine par une conduite forcée en fonte de fer ;
4) à percer un passage (ou à sceller une passerelle) au flanc de la gorge du Sor du pont de la Fin du Monde à l'usine (il s'agit du pont qui franchit le Sor en arrivant à l'usine actuelle ; plus tard, l'écrivain Jean Mistler, avec juste raison, abandonnera cette appellation apocalyptique et intitulera son roman Le Bout du Monde).
Le 6 août, le docteur Rossignol, rapporteur de la Commission, rend hommage à l'exemplarité des installations de l'éclairage électrique de Revel et de Dourgne, et, si l'on considère les progrès réalisés tous les jours dans l'industrie électrique, il estime que Soréze comptera bien éviter les ennuis et les déceptions que ces communes ont pu avoir au début, dus aussi au manque d'eau.
Le traité est préparé par M. Boudeau ; en voici l'essentiel : une turbine d'axe vertical de 95 CV, dont 15 réservés à la commune des Cammazes, alimentée par une canalisation forcée de 400 mm de diamètre ; une dynamo dont la puissance assure l'alimentation de 800 lampes(10 - Une lampe de 10 bougies ayant une puissance de 35 watts, soit 1/20 CV, il faut, pour alimenter 800 de ces lampes 800 x 1/20 = 40 CV au point de distribution (davantage au départ de l'usine à cause de la perte en ligne) ; la turbine de 95 CV peut paraître fortement surdimensionnée ; c'est en réalité une sage solution en prévision de l'extension inévitable du réseau à plus ou moins longue échéance ; pour le moment, il n'est pas nécessaire d'avoir une dynamo absorbant toute la puissance de la turbine.) (la commune des Cammazes disposera d'une dynamo particulière et aura la propriété exclusive de sa ligne) ; la construction d'un barrage et d'une maisonnette contenant l'usine et le logement du gardien ; la pose de la ligne sur poteaux en sapin à 6,50 m au-dessus du sol et de l'éclairage public dans les agglomérations de Soréze et de Durfort ; les abonnements des particuliers fixés à 18 F par an pour une lampe de 10 bougies, 27 F pour 16 bougies (mais un tarif spécial pour le collège qui prévoit près d'une centaine de lampes, à condition qu'il signe un abonnement de dix ans).
Le tout sera exécuté pour un prix forfaitaire de 45 000 F (à prévoir cependant 5000 F supplémentaires environ pour la pose des consoles chez les particuliers) dans le délai de trois mois, avant la mauvaise saison ; la société Granoux mettra alors pour la direction de la station et l'instruction du personnel un électricien qui sera à la charge de la commune de Soréze à raison de 10 F par jour et qui devra se retirer quand la municipalité jugera ne plus avoir besoin de ses services. L'installation est garantie trois ans, selon l'usage, par la Société Granoux qui s'estime en réalité moralement engagée indéfiniment (sic).
Le traité est signé le 11 octobre 1893 par le maire de Soréze et M. Boudeau , en l'absence de M. Devrigny.
Le 8 novembre, la commune de Soréze fait une demande d'emprunt de 48 000 F sur 30 ans auprès de la Caisse nationale des retraites pour la vieillesse.
Soréze accepte l'exploitation de l'éclairage en concession ( traité du 8 mars 1894).
La saison avancée ne permet d'entreprendre que des travaux préparatoires ou faciles comme la pose de la ligne primaire et le réseau urbain ; la Commission municipale et M. Boudeau, qui vient habiter Durfort afin d'être à pied d'œuvre, ont tout le temps de revoir l'ensemble du projet, et, à la suite de négociations menées en bonne collaboration à la satisfaction de Soréze et de l'entreprise, il est décidé, le 4 février 1894, de déplacer l'usine de la rive gauche (au confluent du vallon de Nadegrel, dans un site quasi inaccessible) sur la rive droite, beaucoup plus bas, juste au-dessus du pont de la Fin du Monde, où la viabilité est déjà assurée depuis Durfort pour la desserte des martinets. La conduite forcée est, de ce fait, rallongée de 450 mètres. D'autre part, la commune de Durfort cède pour le nouvel emplacement de l'usine, quatre ares (400 m2) de terrain à celle de Soréze qui doit, en droit, être propriétaire du sol sur lequel elle construit ; en échange, Soréze assure à Durfort l'alimentation de 15 lampes de 16 bougies et la possibilité d'abonnements particuliers aux mêmes tarifs qu'à Soréze. Par ailleurs, la commune de Soréze, jusqu'à ce jour maître de l'ouvrage, baille en location les installations électriques et concède la distribution de l'éclairage à la Société Granoux et Cie, ou à M. Devrigny, ou à tout autre particulier (sic), et s'engage à subroger le fermier à ses propres droits et obligations. Par le traité du 8 mars 1894, signé à Soréze, il est ainsi précisé que la Société Granoux devient fermière de l'usine et concessionnaire de l'éclairage ; le loyer est fixé à 3500 F par an pour un bail trentenaire du 1e, juillet 1894 au 30 juin 1924 ; de son côté, la commune paie à la Société Granoux 750 F par an pour l'éclairage de la ville, les abonnements privés étant l'affaire propre de la Société.
Enfin, à l'article 8, très important pour Revel, il est précisé que la commune de Soréze autorise la Société à placer sur son territoire toutes nouvelles lignes électriques utiles à l'extension de l'utilisation des eaux de la montagne.
Les travaux sont rapidement menés à Malamort, non pas depuis Durfort, mais en descendant des Cammazes par un affreux sentier qui surplombe le Sor, face à la tour Roquefort ; le ravin ayant été déboisé suivant un layon quasi vertical, on fait glisser les matériaux jusqu'au chantier. Plus difficile fut sans doute l'accrochage de la conduite forcée en fonte de fer aux flancs du ravin, en essayant de tenir une pente à peu près régulière. Depuis Durfort, la construction du local devant contenir la turbine et la génératrice ne pose aucun problème ; les photographies de l'époque (CARTES_POSTALES) montrent un curieux bâtiment à façade polygonale avec de vagues prétentions de petit château ou d'édifice religieux ; c'est, dit-on, M. Devrigny qui le dessina et voulut qu'il rappelât la tour Roquefort.
Antoine Rodier va visiter Malamort le 20 septembre : Le travail que l'on a fait pour
l'éclairage électrique de Soréze et Durfort est digne d'attention pour le visiteur ; c'est un travail gigantesque équivalant aux grands travaux dus aux Romains. (! ! !)
La réception des travaux, prévue au mois d'août, fut l'objet d'un certain retard dû, semble-t-il, à M. Herdt, de Bordeaux, l'expert pour ce désigné, qui n'effectua son expertise que le 27 novembre, avec un sentiment de profonde satisfaction.
Troisième traité (10 décembre 1894) par lequel M. Devrigny, représentant la Société Granoux, laisse la place à M. Boudeau.
Une délibération du CONSEIL_MUNICIPAL de Soréze du mois de décembre, à défaut d'autre document, se révèle suffisamment explicite
Attendu que M. Devrigny semble depuis longtemps s'être désintéressé de l'entreprise, que son absence de Soréze depuis près d'un an en est une preuve, qu'il a du reste laissé à M. Boudeau toute l'initiative possible et que celui-ci dirige en fait l'entreprise,approuve la cession du bail de l'usine et de la concession de l'éclairage à M. Boudeau.
Toutefois, il demeure convenu que cette cession ne devra être acceptée par le maire au nom de la commune qu'après que M. Boudeau aura traité avec la ville de Revel pour la concession de l'éclairage électrique.
Mais avant d'aborder ce nouveau traité, il faut revenir encore une fois en arrière afin de faire la connaissance d'un certain Augustin Avrial.
L'intervention insolite d'un ex-communard, le Revélois Augustin Avrial
Alors que le maire de Soréze et M. Boudeau préparaient un traité fécond sur les forces motrices de la Montagne Noire, un certain Augustin Avrial, parisien authentique et vrai revélois, est venu au printemps de 1893, faire un tour à Revel où il a de la famille et surtout des amis.
Augustin Avrial est né le 20 novembre 1840, dans la maison Fauré, à l'amorce de la route de Soréze, sur la droite en sortant de Revel. Les Avrial sont originaires de Laprade, autrefois consulat de Fontiers Cabardès, du côté du col des Martys ; un Avrial est venu se marier à Revel en 1765, sous le règne du roi Louis XV ; quatre générations de forgerons et maréchaux-ferrants pour les aînés, rouliers pour les cadets, dans le quartier de la Barque entre porte du Taur et porte de Soréze, précèdent Augustin.
Augustin est sans doute le premier de la famille à mettre les pieds à l'école ; à cette époque, il n'y en a qu'une, l'école des Frères (des Écoles chrétiennes), à l'angle des rues du Taur et du Temple ; étant bon élève, on le pousse au collège (l'actuelle mairie) où il reste deux ou trois ans ; mais dans une famille modeste, il faut songer à travailler ; à quinze ans, il rejoint son père à la forge d'Escaffre, à côté de la maison Fauré où il est né (cette forge sera au vingtième siècle celle des Gros, père et fils) ; il y fait son apprentissage ; il est permis de supposer aussi qu'après la forge et au long des rares jours fériés, il devint un autodidacte averti et friand d'ouvrages de mécanique et de physique. Il dira plus tard : J'ai été élevé à l'école du malheur et de la misère, mais j'ai reçu une bonne instruction.
A vingt ans, il s'engage à Toulouse pour cinq ans au 54e de ligne où il reçoit une certaine formation technique ; il en sort sergent.
En 1865, il s'installe et se marie à Paris dans le 11° arrondissement ; il mène, parallèlement à sa vie d'ouvrier, des activités militantes de plus en plus nombreuses : grèves, mouvement coopératif, Association Internationale des Travailleurs (AIT) ; il est le fondateur de la chambre syndicale des ouvriers mécaniciens, puis de la fédération des chambres ouvrières.
En 1870, après la débâcle de l'Empire, il est auprès de Gambetta jusqu'au départ de ce dernier en ballon le 7 octobre ; il vient alors d'être nommé capitaine et chef du 66` bataillon de la Garde Nationale ; membre du Comité Central de la Garde Nationale, dont la Commune est l'émanation, il est présent, le 18 mars 1871, à l'Hôtel de Ville où la Commune s'installe ; il est désigné le 26 mars aux élections communales dans le 11 arrondissement. Nommé directeur général du matériel d'artillerie, il déploie une activité inlassable dans l'organisation des dernières positions occupées par les Fédérés ; il est sur les barricades jusqu'à la fin, au Château d'Eau, le 25 mai.
Puis il disparaît ; sa femme joue les veuves ; ses amis l'aident à gagner Bruxelles avec la complicité des cheminots : il part, anonyme sous un masque de charbon et de suie, aux commandes d'une locomotive. Il sera condamné à mort par contumace le 8 février 1873.
En 1872, il rejoint l'Internationale à Londres ; en 1873, il est à Schiltigheim (banlieue de Strasbourg) en terre devenue allemande, de ce fait à l'abri de la police française ; il y crée un atelier de mécanique avec l'appui financier des milieux alsaciens sympathisants. (L'affaire sera reprise à son départ et elle existe toujours). Les activités politiques des communards, Avrial et ses amis, finissent par indisposer les autorités prussiennes : en mars 1876, ils sont tous expulsés et Avrial se retrouve en Suisse où il fait breveter la première des inventions que l'on connaisse de lui, une machine à coudre pneumatique.
Amnistié le 11 juillet 1880, il rentre à Paris, et Gambetta, qui n'a pas oublié le compagnon des premiers jours de la république, lui obtient un emploi aux chemins de fer à Montluçon (Allier) ; c'est là qu'il vend son brevet de machine à coudre qui lui rapporte un substantiel revenu (400 F par mois pendant dix ans). A l'abri du besoin, il revient à Paris où il multiplie ses activités industrielles et politiques. Les années 1890 lui sont favorables ; il a une situation bien assise ; il voyage et prend quelques vacances. Ainsi, vers le printemps 1893, il vient à Revel ; il retrouve des amis ; on parle beaucoup de l'éclairage électrique qui marche fort mal ; on parle de Soréze qui envisage de s'éclairer avec l'eau du Sor. Il monte à Malamort et fait une étude chiffrée de la puissance hydraulique de cette chute.
Le livret edité par Augustin Avrial pour la production de force motrice grace à la chute d'eau de Malamort
Rentré à Paris dans son bel appartement de la rue Montessuy, au numéro 8, il rédige une brochure qu'il fera imprimer dans laquelle il expose les possibilités que l'on peut retirer de la chute de Malamort, dont la création d'un tramway électrique desservant Revel et Soréze n'est pas le moindre des projets.
Au début de juillet, il envoie au maire de Revel quatre machines à coudre Avrial pour les meilleures élèves des écoles de Revel à l'occasion de la distribution des prix (les vacances commencent à cette époque le premier août, la rentrée étant fixée en octobre).
Paul Sarrat le remercie chaleureusement et, toujours pointilleux, ajoute :
... Ces objets seront distribués en votre nom et au nom de la République conformément à vos désirs. Si je crois les avoir compris, c'est aux seules élèves de nos écoles laïques que votre envoi serait adressé ; car nous avons également ici des écoles congréganistes avec lesquelles je ne suis guère en rapport. S'il entrait pourtant dans votre pensée de les faire participer à votre don, je ne voudrais pas les en priver et méconnaître vos intentions... Veuillez bien excuser ce scrupule peut-être exagéré... etc. J'ai pris également connaissance de votre brochure ; elle est fort intéressante et je souhaiterais bien, dans l'intérêt de notre région, qu'on pût réaliser les promesses qu'elle contient, mais, fâcheusement comme vous dites, Revel est déjà pourvu d'une installation électrique et Soréze est sur le point de traiter pour une installation analogue, en utilisant précisément cette chute de Malamort qui fait l'objet de votre travail, etc.
Les machines à coudre seront distribuées, au déplaisir de Paul Sarrat, une à l'école de jeunes filles des Dames de la Croix, rue du Four, une à l'école de la Providence (les Soeurs de Saint Vincent de Paul), les deux autres à Mlle Rouquié, directrice de l'école communale de filles.
Cette libéralité d'un ancien compatriote qui se souvient de sa ville natale est signalée dans le journal La Dépêche sans commentaires. Pour les commentaires, il faut écouter Antoine Rodier : Le sieur Avrial mécanicien est l'ancien membre de la Commune en 1871 comme ingénieur et véritablement un bon communard. Vaut mieux tard que jamais pour s'amender. Je crois même que ce don sera une réclame pour lui pour la vente d'autres machines à coudre... (!!!)
Augustin Avrial a apprécié le plaisir des retrouvailles revéloise puisqu'il revient à la midécembre ; il prend le temps de visiter ses anciens amis ; Marie Rancé, la sage-femme chez qui il logea quelque temps à Paris au moment de la Commune, d'une trempe politique au moins égale à celle d'Augustin (on la surnomme la Pétroleuse), lui raconte les obsèques de son mari, mort voilà un peu plus d'un an ; elle a exigé du curé un enterrement de dernière classe et elle a fait porter par un enfant derrière le cercueil une grande croix peinte en noir portant l'inscription
ICI REPOSE LE CORPS DE ANTOINE MAHOUS TONNELIER
AGÉ DE 69 ANS MORT MARTYR DU TRAVAIL QUOTIDIEN
En cette funèbre circonstance, Rodier avait dit : Pour ceux qui connaissent cet homme, grand travailleur et laborieux, c'était vraiment bien appliqué, car tous les jours, il était à l'atelier de son père, aussi tonnelier, à cinq heures du matin, quelque temps qu'il fit, sans jamais y avoir manqué.
Augustin va bavarder politique du côté de la Barque et de la porte de Soréze, mais il faut encore écouter Antoine Rodier : Le sieur Auguste Avrial dit Padène (11 - de l'occitan padena , poêle (à frire) ; péjoratif : sot, niais (in Alibert). Madame Herbage nous a signalé avoir trouvé dans les archives parisiennes de la Commune ce curieux personnage ainsi désigné : le lourdaud le plus gonflé. On goûtera une certaine convergence dans les termes dont les Revélois et les hommes politiques parisiens le qualifiaient.) qui est à Revel a lancé en ville une brochure sur la chute de Malamort près Durfort pour utiliser cette eau comme force motrice pour un éclairage électrique pour Durfort, Soréze et Revel, idée qui a surgi trop tard ; presque tous les travaux à cet effet sont terminés. Avrial est allé dîner chez Jacques Borrel, négociant. Les soi-disant radicaux se font un plaisir et, je crois, comme un devoir chacun à tour de rôle d'inviter cet homme qui a joué un rôle si important sous la Commune et qui était réellement méprisable, mais toujours de l'enjouement. Actuellement, on soupçonne, et je crois, avec juste raison, qu'il est enrôlé dans la police secrète.
Il y a en effet du trouble dans cette période de la vie d'Avrial : il fut chargé par le gouvernement de missions (peut-être d'information industrielle) en France et à l'étranger. De toute façon, il restera jusqu'à sa mort sous la surveillance discrète de la police.
Il faut clore cet épisode original de l'intervention aussi inattendue qu'involontaire d'un ex-communard revélois sur les brisées, dans les gorges de Malamort, de M. Boudeau ; les deux hommes, d'ailleurs, ne se rencontrèrent certainement jamais ; mais il est temps pour nous de retrouver le second dans ses activités à Revel et à Soréze.
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À l'initiative d'Anselme Boudeau, Revel prend place à Malamort aux côtés de Soréze
Dans la seule année 1894, M. Boudeau a rempli son contrat avec Soréze pour qui il fait à Malamort un travail remarquable ; à vingt-sept ans, il révèle aussi de belles qualités d'entrepreneur en amenant Soréze à renoncer à l'exploitation de l'éclairage en régie directe et à choisir un mode de gestion auquel, lui, tient beaucoup ; fin décembre, après l'abandon de l'entreprise par M. Devrigny, c'est lui qui est ainsi le concessionnaire de l'éclairage de Soréze, au moment même où il est sur le point de doubler ou tripler sa clientèle privée et l'importance de l'usine en déplaçant à Malamort l'usine du Moulin Haut.
L'affaire a commencé le 1`' août 1894, alors que se terminaient les travaux à Malamort ; il propose alors au maire, M. Sarrat, les bases d'un traité qui sera étudié en détail par le CONSEIL_MUNICIPAL, dont nous n'avons malheureusement pas les délibérations. Revel opte, comme Soréze, pour le régime de la concession, abandonnant la régie directe qui avait été retenue au Moulin Haut. Et il n'y a même pas lieu de provoquer une entrevue avec le maire de Soréze en vertu de l'article 8 du traité du 8 mars précédent, dont M. Boudeau lui donne copie, et qui le laisse libre d'étendre son entreprise.
Paul Sarrat, aussi prudent que scrupuleux, ne peut finir l'année 1894 sans une ultime précaution ; le 27 décembre, il écrit à l'ingénieur en chef du Service Hydraulique du Tarn à Albi :
La commune de Revel ayant reçu des propositions avantageuses de la Société exploitant la force hydraulique de Malamort pour son éclairage électrique, je vous serais infiniment obligé de me fournir un renseignement qui me paraît indispensable avant de donner une suite quelconque à ces propositions. Ce serait de me faire connaître quel est le débit de ce ruisseau aux plus basses eaux. Ce renseignement, s'il est possible, devrait porter sur une période de dix à quinze ans...
Il adresse une lettre identique au chef de section du Canal du Midi.
Les réponses furent sans doute favorables puisque le traité entre la commune de Revel et M. Anselme Boudeau, ingénieur électricien, concessionnaire de l'éclairage électrique pour la ville de Revel, est adopté dans la délibération du 13 janvier 1895 et signé le lendemain.
Le 23, le maire adresse au sous-préfet la copie de la délibération du 13 et celle du traité du 14 pour être soumis à l'approbation du préfet.
Le traité du 14 janvier 1895 entre M. Boudeau et la commune de Revel En voici les principaux termes
1. Le matériel du Moulin Haut (sauf la turbine qui restera en place et la machine à vapeur dont on n'a plus l'utilisation et qu'on pourra revendre), qui est la propriété de la commune, sera transporté à Malamort et loué au concessionnaire (M. Boudeau).
2. Le concessionnaire versera 12 000 F dans les caisses de la commune pour une durée de trente ans, à titre de caution, en garantie de l'exécution des travaux et de la maintenance de l'usine, dont il percevra l'intérêt de 2 1/2 % chaque année.
3. Il paiera chaque année 2500 F à la commune de Revel au titre du loyer du matériel dont il assurera le bon fonctionnement.
4. Il assurera le service et l'entretien de l'éclairage public de la ville, soit 144 lampes de seize bougies.
5. En contrepartie, la commune lui consent le monopole de l'éclairage et s'interdit tout autre système d'éclairage ou de transport de force motrice ; le concessionnaire gérera pour son propre compte les abonnements des particuliers, dont les tarifs sont les suivants
lampes de 5 bougies , 15 F par an , soit 1,25 F par mois
lampes de 10 bougies , 22 F par an , soit 1,85 F par mois lampes de 16 bougies , 33 F par an , soit 2,75 F par mois
lampes de 20 bougies , 42 F par an , soit 3,50 F par mois
payable d'avance chaque mois ; l'alimentation est assurée toute la nuit.
M. Boudeau, dès lors, s'occupe assidûment du transfert du matériel à Malamort, de son installation à côté de celui de Soréze dans le petit local qu'il conviendra d'agrandir, de la pose de la nouvelle ligne vers Revel le long du Sor et de la Rigole.
Par ailleurs, le lundi 4 mars, il abandonne sa chambre à Durfort pour une maison fort convenable qu'il loue 250 F par an à Revel, rue de Castres (qui ne s'appelle pas encore rue Victor Hugo) ; elle jouxte la banque de Noël Rodier, à qui elle appartient. Notre coiffeurchroniqueur, Antoine, qui habite chez son fils, au premier étage de la banque, se réjouit d'avoir pour voisin et locataire Anselme Boudeau et sa petite famille arrivée de Toulouse, son
épouse et Marthe, leur fillette, une enfant que tout le monde s'accorde à trouver charmante. Noël Rodier et sa femme, Marguerite Crespy, n'ont pas d'enfant, et on devine combien Marthe sera choyée au foyer des Rodier.
À l'automne, M. Boudeau songe à l'extension du réseau des abonnés à Revel et pour ce, il faudrait remplacer la dynamo
(12 - Le terme dynamo peut désigner tout aussi bien, dans ces documents, un alternateur.)venant du Moulin Haut par une plus puissante ; la réponse de Paul Sarrat est cinglante : Je ne vous autorise pas à faire échange de la dynamo appartenant à la commune, laquelle dynamo est de votre propre aveu en parfait état.
Quelques jours après, il faut interrompre, au moins partiellement, le courant pour agrandir l'usine. Et Paul Sarrat de lancer :
Si votre usine ne peut en ce moment assurer le service d'au moins une partie de la ville, vous avez à prendre vos mesures et à vous entendre avec l'allumeur public pour faire replacer les anciens réverbères sur les principaux points et nous faire éclairer au moins au pétrole, jusqu'au jour où la nouvelle dynamo sera installée (13 - Il y a tout lieu de penser que la nouvelle dynamo était déjà arrivée à Revel (ou du moins commandée) quand le maire écrivit la lettre précédente.)
J'ai lieu d'espérer que satisfaction sera donnée sans délai et que vous ne me mettrez pas dans l'obligation de demander la dénonciation de notre traité.
Le 10 novembre, le CONSEIL_MUNICIPAL de Revel décide, à l'appui du maire, de passer avec M. Boudeau un nouveau traité, à la suite des achats de la dynamo, de plusieurs transformateurs et autres appareils faits par le concessionnaire au nom de la commune, et dont les factures arrivent sur le bureau du maire.
Ce traité, dont nous n'avons pas retrouvé trace, est signé le lendemain, mais ne sera pas soumis à la sanction préfectorale ni enregistré ; autant dire qu'en droit, il est frappé de nullité.
Il précise que la ville (lire la commune) prend à sa charge le paiement de l'outillage à remplacer ; que le concessionnaire est placé sous sa tutelle ; qu'il aura à verser dans la Caisse municipale le produit de toutes les recettes, celles de Revel, mais aussi celles de Durfort et Soréze et qu'il lui sera servi un traitement de deux cents francs par mois. Dans ces conditions, la commune se fera alors le garant des obligations et des achats du concessionnaire.
Ce traité ne sera jamais rigoureusement appliqué, pas plus que ne l'a été le premier.
M. Boudeau a payé la caution de 12 000 F et pas mal de factures pour le remplacement et la modernisation du matériel de Malamort ; la mairie, de son côté, comme garant, a payé les locations semestrielles que M. Boudeau n'a pu honorer auprès du trésorier de Soréze ; car il est vrai que l'un et l'autre ont ainsi souvent des difficultés de trésorerie ; il semble d'ailleurs que le laxisme et l'incompréhension mutuelle président aux rapports des contractants ; les comptes ne sont jamais arrêtés et toujours remis à plus tard ; l'essentiel est que les dynamos tournent et que l'éclairage marche, et, de ce côté-là, ça n'a jamais été aussi satisfaisant.
L'année 1896 ; Arthur Taussac, maire de Revel
C'est dans cette situation bizarre que se font les élections municipales de mai 1896. Paul Sarrat ne se représente pas ; Arthur Taussac, son premier adjoint, prend la relève et l'écharpe de maire, ce qui ne change pas grand'chose dans l'équipe municipale, M. Taussac ayant géré ces derniers temps au moins autant d'affaires que M. Sarrat ; plus libre de ses mouvements, il liquide tout de même plusieurs opérations qui traînaient sans raison valable, mais laisse pourrir la situation comptable avec le concessionnaire de l'éclairage.
Vers un procès inévitable
Sur la fin de l'année 1897, M. Taussac demande à M. Boudeau l'exécution rigoureuse et intégrale du traité du 14 janvier 1895 et arrête son décompte au 31 décembre 1897 M. Boudeau doit à la commune 6416,63 F au titre du bail ; celui-ci répond qu'il est prêt à verser les dites annuités (le bail) si la commune de son côté veut bien lui rembourser la somme de 31 311,60 F, coût du nouveau matériel qu'elle aurait dû payer ; à quoi le maire rétorque que le concessionnaire n'a jamais fourni les pièces justificatives. Dialogue de sourds !
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à gauche :Mr Anselme Boudeau en 1901 (il avait 33 ans)à droite :vingt ans plus tard
En 1900, la municipalité décide de poursuivre M. Boudeau devant le Conseil de préfecture : la position de M. Boudeau étant devenue aujourd'hui des plus prospères en raison du développement considérable qu'a pris le nombre de ses abonnés, non seulement à Revel, niais encore à Soréze, Durfort, Les Cammazes et même Saint-Amancet, il est plus que temps que la commune régularise cette affaire et que la situation de cette dernière soit nettement établie. (14 - La thèse de la commune, plusieurs fois soutenue, est qu'elle avait laissé courir provisoirement les règlements qu'aurait dû faire M. Boudeau, afin de lui rendre service, dans la situation financière difficile (?) où il se trouvait au début de son installation à Malamort, et le courrier officiel du maire rappelle souvent que, malgré les difficultés rencontrées avec M. Boudeau, la commune tient cependant à continuer d'utiliser ses services, vu ses excellentes qualités professionnelles et les résultats remarquables auxquels il est parvenu (argumentation qui voudrait laisser entendre un paternalisme bienveillant de la part de la commune, contredit en réalité par des accrochages sévères et un ton parfois menaçant à l'égard de M. Boudeau).
L'affaire sera inscrite au rôle pour le 21 mai 1901, après diverses
tentatives de règlement à l'amiable ; l'arrêté
du Conseil de Préfecture est daté du 18 juin, mais nous en ignorons la teneur ; M. Boudeau se pourvoit alors en
Conseil d'État, mais nous ignorons aussi l'issue de ce pourvoi.
Les archives que nous avons pu retrouver nous amènent en 1905, où il apparaît qu'on est enfin parvenu à s'entendre ; entre temps, M. Boudeau a monté une société nommée Société d'Étude et d'Exploitation des Forces Motrices de la Montagne Noire, dont il est l'administrateur délégué, et qui établit un nouveau traité de l'éclairage électrique avec la commune de Revel ; par ailleurs, un accord est signé, réglant la situation de la commune avec M. Boudeau, ancien concessionnaire.
Pour nous, l'aventure pleine de péripéties de la mise en place de l'électricité se termine ainsi à peu près au début du vingtième siècle.
En quatre ans, de 1901 à 1905, la distribution du courant a considérablement évoluée ; Anselme Boudeau a maintenant réalisé son rêve le plus cher : donner, au delà du simple éclairage, la force motrice (15 - ... qu'on appellera plus tard le courant force ou la force). aux ateliers , qui leur permet d'utiliser le moteur électrique pour actionner les machines, d'un fonctionnement infiniment plus souple que la machine à vapeur ou le gazogène à gaz pauvre.
Cela n'est pas sans risque, comme le montre cette lettre de M. Pallu, adjoint au maire, membre de la Commission électrique, à M. le maire Taussac, absent de Revel.
Mardi 3 octobre 1905,
Depuis lundi soir, 2 courant, l'éclairage électrique ne fonctionne plus en ville. Il en est de même du courant qui actionne les moteurs électriques des divers ateliers. En ce qui concerne l'éclairage de la ville, M. Raissac et moi, avons pris immédiatement les mesures nécessaires pour parer au plus pressé et éviter les accidents.
En ce qui a trait à la force motrice, nous avons eu ce matin une visite générale des ouvriers lésés. Ils sont venus à la mairie exposer le désir de voir le courant fonctionner le plus tôt possible.
Je les ai engagés au calme et, après leur avoir expliqué la situation, j'ai délégué auprès du maire de Soréze, M. Susini, commissaire de police et plusieurs représentants des divers ateliers. Par une lettre explicative, je demande au maire de Soréze de vouloir bien faire son possible auprès de l'usine de Malamort pour assurer le courant nécessaire aux ateliers, jusqu'à ce que le CONSEIL MUNICIPAL ait pris une décision ; les parties intéressées discuteront seules entre elles les clauses à débattre, la ville ne s'engageant en rien dans cette affaire.
La municipalité dont je suis le seul représentant en ce moment présent à Revel, ayant intérêt à ce que les ouvriers ne soient pas lésés dans leur travail, doit être au moins au complet.
La situation étant sérieuse, je vous prie, M. le maire, de venir à Revel où votre présence est nécessaire. Je n'ai pas à vous indiquer ce que vous avez à faire, niais je crois qu'il importerait de réunir le Conseil municipal au plus tôt pour prendre des mesures qui me paraissent urgentes.
Je vais d'ailleurs le convoquer officieusement ce soir même pour le tenir au courant de ce qui se passe. Veuillez agréer, etc. (Sans commentaires).
En 1905, la nouvelle société, qui s'appellera bientôt plus simplement Société des Forces Motrices de la Montagne Noire, améliore le système des abonnements ; si le forfait par lampe peut toujours être utilisé pour l'éclairage des particuliers qui le désirent, il est maintenant possible de faire installer (aux frais de l'abonné) un compteur en watt-heure ; la facturation est de neuf centimes l'hectowatt-heure jusqu'à 400 heures de consommation annuelle et trois centimes pour le surplus ; il est prévu un rabais de 20% pour les bâtiments communaux ; pour la force motrice (dans les ateliers), le tarif maximum est fixé à 0,20 F le kilowatt-heure.
À l'expiration du contrat avec la commune, vers 1926, M. Boudeau se retirera des affaires ; il cédera sa société à la Société Pyrénéenne d'Énergie Électrique, à qui il louera d'ailleurs ses locaux à Revel ; le général de Gaulle, en nationalisant les compagnies
d'électricité le 8 avril 1946, fera entrer la petite société régionale dans le giron de la toute nouvelle Électricité de France (EdF).
Retour sur le bail du Moulin Haut
Le bail de neuf ans signé avec les MM. Moffre ne devait venir à expiration que le 31 octobre 1901, les baux ruraux partant de la Toussaint. Quand l'usine fut transférée à Malamort, M. Sarrat pensa sous-louer le Moulin Haut à un nommé Boutié, fermier du Moulin de la Forêt et meunier de son état, avec l'accord des MM. Moffre. Gustave Moffre, l'aîné, le directeur des Verreries de Carmaux, ne s'y opposa pas, mais il fallait remettre les locaux en état, le déménagement du matériel ayant nécessité la démolition d'un hangar et le démontage de la toiture portant le tirage artificiel et sa cheminée. Tout cela - plus quelques mesquineries de M. Moffre sur un lot de poutres de récupération - fut l'occasion d'une correspondance aigre-douce entre Gustave Moffre et Paul Sarrat, lequel occupa ainsi les dernières semaines de sa magistrature (printemps 1896).
M. Taussac, dès son élection, chercha à sortir de ce moulin encombrant ; M. Moffre refusa la résiliation du bail, mais accepta Boutié qui entra en fonction à la Toussaint de la même année, pour un loyer de 600 F par an (16 - La commune payait aux Moffre un loyer de 1400 F par an ; ce bail pesait lourd sur la conscience financière du CONSEIL MUNICIPAL, dont on comprend que, pour 600 F, il n'allait pas, en plus du moulin, faire cadeau de la turbine à Boutié ou aux MM. Moffre.) La turbine était restée en place, parce que son démontage était quasiment irréalisable (il eût fallu démolir la semelle de béton et le branchement) et qu'elle serait de toute façon un jour utilisable au moulin.
En 1901, Gustave Moffre étant décédé, son frère Léonce (l'ancien directeur des Verreries du Bousquet d'Orb), en son nom et au nom de sa belle-sœur et de ses neveux, demande l'état des lieux et l'inventaire avant l'expiration du bail ; M. Taussac demande alors, au nom de la commune, la turbine, le régulateur, l'accouplement de l'arbre et le volant ; Léonce Moffre prétend en être le propriétaire ; on ne trouve aucun document à ce sujet de part et d'autre ; par contre, il y a des dommages matériels au Moulin Haut, causés d'ailleurs par Boutié qui, faisant le marchand de sable au lieu de moudre son grain, avait creusé des fouilles, barré le canal. dégradé les berges.
Léonce Moffre assigne la commune en justice . On se mettra d'accord sur une indemnité de 1450 F que paiera la commune en cinq annuités de 290 F sans intérêts (20 janvier 1902). La turbine et ses accessoires resteront au Moulin Haut.
Pour en finir avec cet héritage, il faut dire que M. Taussac a déboursé encore 8400 F le 31 décembre 1898, prix de la machine à vapeur (M. Moffre aîné en avait fait l'avance) que le vendeur, M. Itard, avait rachetée, le 11 juillet 1896, 3800 F. Enfin, la dynamo (en réalité l'alternateur), achetée pour le Moulin Haut, transportée à Malamort, de puissance insuffisante, avait été confiée à Mme Vve Bonnet à Toulouse (celle qui avait fondu la turbine) qui. n'ayant pu la vendre, la racheta au prix du cuivre du bobinage (prix au poids, s'entend), 850,40 F, le 26 juillet 1906 (elle avait coûté dans les 5000 F).
Que ces histoires d'argent ne laissent pas le lecteur sur une mauvaise impression (gestion déplorable, gaspillage, incompétence) ; le matériel, d'une façon ou d'une autre, se démode, devient obsolète, vieillit ; il faut savoir le passer en profits et pertes ou le considérer comme amorti quand il disparaît ; mais, tel le phénix, il renaît aussitôt de ses cendres, plus moderne, plus performant, plus fiable, assurant un service toujours croissant aux abonnés (songeons aux ménagères pour lesquelles le fer à repasser électrique commence à se répandre à la veille de la Grande Guerre).
Il faut jeter aussi un regard plus positif sur ce qui nous reste : le Moulin du Roi qui ne fit jamais d'électricité est toujours là, inchangé, dans un cadre de vacances, d'eau et de verdure et le Moulin Haut, dans son environnement de discrètes collines boisées et de canaux sinueux, met encore à l'occasion sa turbine en route et les boules du régulateur stabilisent son régime et l'alternateur ronronne et les lampes s'allument et leur lumière centenaire vaut bien celle de l'EDF ; au pied du pont de la Fin du Monde (pardon, du Bout du Monde), l'usine d'Anselme Boudeau n'a pas vieilli ; à l'entrée de la gorge de Malamort, la route élargie, le parking ombragé sous le rocher mettent une légère note de civilisation , la porte est fermée , ne vous y trompez pas, l'usine fonctionne, elle est automatique ; c'est une micro-centrale qui fournit en fonction de la quantité d'eau qui l'alimente, et les kilowatts-heures qu'elle produit vont rejoindre dans les fils les quelque quatre cents milliards de kilowatts-heures annuels de l'EDF.
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Sources : A.C. Revel , Correspondance du maire. Fonds Rodier, Chroniques d'Antoine Rodier.
Nous remercions vivement
Madame Bénédicte Herbage, conservateur des Musées des Sciences à Strasbourg, à qui nous devons une abondante documentation sur Augustin Avrial,
le docteur Pierre Catala dont les entretiens chaleureux et riches de souvenirs nous ont éclairés sur l'aventure industrielle d'Anselme Boudeau, son aïeul,
Jean-Pierre Sié, qui nous a ouvert les portes du Moulin Haut, Jacques Batigne, qui a réuni les documents illustrant cet article.
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