Société d'Histoire de Revel Saint-Ferréol - CAHIER D'HISTOIRE DE REVEL N° 21 pages 68-78 |
Le choléra à Revel en 1854Par Jean-Paul Calvet |
|
Avec la peste, le choléra fut dans l’histoire locale un fléau redouté. Deux décennies après l’apparition du choléra en France en 1835 (1), le Lauragais était touché à nouveau par cette terrible maladie en 1854 qui fit beaucoup plus de victimes en très peu de temps (deux semaines environ pour la période d’intense infection).
Le choléra de 1854, d’après les chiffres donnés, devait faire plus de 140 000 morts sur le territoire français.
La maladie après avoir ravagé la région parisienne puis l’est de la France, se propagea par le sillon rhodanien et atteint Toulon et Marseille en peu de temps. Les troupes qui devaient partir en Crimée étaient tout particulièrement touchées et furent certainement le principal vecteur de la maladie dans ce couloir rhodanien.
Le choléra ensuite se répandit vers l’ouest et atteignit Narbonne le 5 juillet. Carcassonne, Castelnaudary (mi-août) puis Revel furent atteintes à leur tour (Revel vers la fin du mois d’août). Si toutes les classes sociales et tranches d’âges furent touchées, ce sont notamment les enfants en bas-âge et les adultes de plus de 40 ans qui payèrent le plus « lourd tribut ».
La maladie est peu connue et les traitements inefficaces.
Il suffit de lire la note intitulée «Instruction populaire sur le choléra et sur les premiers soins à donner aux personnes qui en sont atteintes » (édition de 1854) pour s’apercevoir que le système de santé était complètement démuni et incompétent face à cette épidémie. Dans la conclusion on lit par exemple : « Nous insistons sur l’assurance que nous pouvons donner à chacun, sur le peu de danger qu’il y a de soigner les malades … » plus loin « le choléra n’est point dangereux ».
Le choléra à Revel en 1854
C’est au début du mois d’août 1854, au hameau de La Jalabertie que décède la première victime (un homme) reconnue atteinte de choléra. Il s’agissait d’une personne qui passait dans le village et demandait la charité (venant peut-être de Castelnaudary ou de Carcassonne où le choléra était déjà présent) (2) . Fatiguée, on l’autorise à se reposer dans la grange des frères Crespy. Le lendemain matin le vagabond est retrouvé moribond en position recroquevillée (3). Quelques jours après, le propriétaire de la grange Crespy (il s’appelle Jean Ramond et est le frère aîné) meurt de la même maladie. C’est ainsi que le choléra est repéré dans notre région(4) . Très rapidement dans le hameau il y eut huit décès ; au hameau des Rougès neuf victimes, aux Terrisses deux(5) .
À Revel, la maladie fait son apparition le 25 août (peut-être quelques jours avant …) (6) .
Les premières victimes sont signalées près de la place Sablayrolles (actuel square de la Poste). « Les premières victimes avaient leur habitation vis-à-vis du fossé du Sieur Sablayrolles, situé dans l’enceinte même de la ville.(7) »
L’arrêté du 20 août du maire
et du 4 septembre du Préfet
Le 20 août, le maire Pierre-Gaspard Dirat prend un arrêté et ordonne que le fossé de la place Sablayrolles soit comblé :
« Messieurs dans le mois d’août 1854, un terrible fléau (le choléra morbus) décimait la population de la ville de Revel et principalement le quartier de la porte du Four, avoisinant un jardin appartenant au Sr Louis Sablayrolles de cette ville, dont il était séparé par un fossé que ce dernier s’était permis de creuser d’une profondeur de deux mètres, afin d’y rendre les eaux stagnantes pour en obtenir une plus grande quantité de vases, ce qui procurait aux habitants des exhalations méphitiques et faisait de nombreuses victimes.(8) » .
La mairie avait ainsi trouvé un coupable et déclarait que Sablayrolles avait converti ce fossé en mare croupissante en y ajoutant et en faisant décomposer des immondices divers et détritus végétaux.
Le Préfet de la Haute-Garonne approuve cette décision et l’arrêté. D’ailleurs le 4 septembre, le Préfet publie et imprime un nouvel arrêté par lequel tous les maires de la Haute-Garonne doivent « faire combler immédiatement les mares d’eaux croupissantes, les cloaques et tous les lieux infectés qui pourraient exister dans l’intérieur de leur commune ou dans le voisinage des maisons agglomérées ».
La courbe de mortalité de l’année 1854 est tout particulièrement évocatrice.
Le registre d’État Civil
(Archives Départementales de la Haute-Garonne cote 1 E 61)
Le registre d’État civil de 1854 permet, après une étude détaillée, de nous donner des renseignements objectifs sur le déroulement de cette épidémie et sur son ampleur.
Dès le 25 août, le nombre de décès est anormal, on note en une seule journée 5 décès ; les symptômes attirent l’attention.. On sait depuis plusieurs semaines que le choléra s’est déplacé de Narbonne vers Carcassonne puis Castelnaudary. Fin août, il est à Revel, c’était à prévoir !
Les premiers décès sont enregistrés dans les quartiers des Bourdettes et de la rue Notre-Dame. Les rues du Coude et du Four sont aussi infestées. Très rapidement en quelques jours (la maladie tue en 24 ou 48 heures) les quartiers nord et est sont aussi touchés. À l’hôpital c’est l’hécatombe.
Sur le registre d’État civil, en date du 4 septembre, on a bien compris l’étendue que va prendre ce désastre… Une mention manuscrite relate le fait qu’on ajoute 20 feuillets au registre des décès. Le registre d’origine était devenu insuffisant. Les feuillets sont cotés et paraphés en urgence par le Juge d’Instruction au Tribunal de Première Instance de Villefranche.
Une population fortement touchée par la maladie
Entre le 1er et 20 septembre des familles entières sont décimées, par exemple cinq membres de la famille Daydé succombent à la maladie. Dans de nombreuses autres familles c’est un véritable drame, plusieurs enfants sont emportés en quelques jours.
Du 25 août au 23 septembre, le taux de morbidité atteint plus de 17 % de la population.
Cette année-là à Revel il y eut 144 naissances et 37 mariages. Par contre le nombre de décès fut de 471 dans l’année (336 sont dus au choléra dont 306 sur le seul mois de septembre – une moyenne de dix morts par jour ! Les chiffres extrêmes donnaient jusqu’à 25 décès sur un seul jour) (9) .
Les vingt premiers jours de septembre les services de pompes funèbres et les services religieux sont débordés.
Un très important pourcentage de la population est atteint par le fléau (plus de 17%). Certaines personnes décèdent seules dans leur habitation dans des conditions effroyables. « Des familles entières ont été détenues dans leur lit sans trouver personne pour se faire soigner » (10) .
Tout le monde a peur d’être contaminé, on évite les rencontres, les personnes se terrent dans leur maison, d’autres partent de la ville emmenant souvent avec elles le bacille mortel et provoquant ainsi de nouveaux foyers d’infection dans les alentours.
Bélesta, Mourvilles-Hautes et Les Cassès seront les localités les plus décimées.
Malgré ces conditions, trois médecins locaux (et un étranger extérieur à Revel) courent continuellement tout le jour pour tenter de soigner les malades. Les Sœurs de la Charité héroïquement se dévouent sans compter. Six prêtres sont aussi présents (trois sont de la ville et trois de l’extérieur) :
« Nuit et jour, avec un courage digne de leur caractère soit aux enterrements des défunts, soit à visiter et encourager les malades ou à les administrer car on peut dire avec bonheur que tout le monde qui est mort de la ville de Revel, aucun n’est mort sans avoir reçu avec courage les secours de la religion » (11) .
La population décimée : les enfants de moins de 12 ans et les adultes de plus de 40 ans.
Pour être plus objectif on aurait dû faire une analyse statistique en pourcentage de population mais nous n’avions pas toutes les données. La phase de résolution de la maladie
Ce n’est qu’en fin d’année que cette épidémie disparut complètement (12) .
En séance de Conseil municipal du 29 septembre 1854, on peut lire (A.M.R. 2 D 4) :
« Le Maire de Revel (13) est heureux de pouvoir annoncer à ses administrés que l’épidémie est à une période d’entière décroissance et que pour arriver à une complète disparition du fléau il suffit aujourd’hui plus que jamais de suivre un régime sévère, sans lequel toutes les ressources de la médecine sont impuissantes et inutiles.
À cet effet, il a l’honneur de recommander expressément à toutes les personnes indistinctement :
1. de ne faire ni jeûne ni abstinence
2. De manger toujours modérément
3. De ne boire en dehors des repas, ni eau trop froide, ni bière, ni limonade
4. De ne manger surtout d’aucune espèce de fruit mûr ou non bon ou mauvais
5. De ne jamais garder les pieds froids
6. Enfin de ne faire aucun excès.
Il doit notamment faire remarquer que d’après les rapports des médecins, les derniers se sont attribués des imprudences et surtout à l’usage des fruits.
En conséquence
Régime sévère
Pas de fruit
Et le choléra ainsi prévenu disparaîtra entièrement … (14) »
Des mesures sanitaires insuffisantes
Le Conseil municipal de Revel rappelle en date du 13 septembre 1854 qu’il est interdit de garder dans les espaces d’habitation des animaux tels que cochons, oies, oisons, etc. (A.M.R. 2 D 4) :
« Les propriétaires de ces animaux auront la faculté de les parquer sur les Padouvencs et patus communaux les plus rapprochés de leur habitation. Ils sont tenus de se conformer au présent avis dans les 24 heures qui suivront sa publication, sous les peines portées par les lois et règlements. (15) »
Des témoignages écrits
Trois lettres d'Isidore de Terson, médecin à Revel, se rapportent à l'épidémie de choléra de Revel et de sa région à l'automne 1854 (16) .
Isidore est atteint lui-même par la maladie mais il y a survécu (17) .
« Je suis descendu de ma chambre avant hier et il me paraît, en me tâtant bien, que je me remets tous les jours, quoique bien lentement. Je suis encore extrêmement faible malgré les bons consommés et les côtelettes. L'état sanitaire du pays ne s'améliore pas. Dimanche dernier, il y a eu 27 morts. La ville et les campagnes sont d'une tristesse effrayante. Tout le monde lutte plus ou moins péniblement contre le poison que nous avalons à chaque instant et à notre insu ; notre atmosphère est pourrie » (18) .
« En ville, il meurt de 8 à 10 personnes par jour, et l'on meurt tout aussi bien à la campagne qu'à la ville » (19) .
Le traitement que préconise Terson de Paleville est en adéquation avec les pratiques de l’époque mais inefficace contre la maladie !
Ce sont des tisanes de corne de cerf ou bien du sous-nitrate de bismuth. On y ajoute un peu d'eau de fleur d'oranger. Il conseille de prendre ces décoctions quatre ou cinq fois par jour.
On peut dans l'intervalle prendre une cuillerée de tisane avec deux gouttes de laudanum de Sydenham (ou vin d'opium composé) deux ou trois fois dans la journée.
Terson de Paleville proposait aussi une diète absolue et une ceinture de flanelle autour de l’abdomen.
Un lavement d'un demi-verre d'eau avec six ou huit gouttes de laudanum de Sydenham permettait de diminuer les phases diarrhéiques et la déshydratation.
Le 22 septembre 1854, les nouvelles sont optimistes :
« Je me croirais parfaitement remis, si je ne savais qu'il faut se bien ménager. Mais, vu les circonstances, j'allonge ma convalescence sous le rapport des précautions que je prends. Le choléra continue à diminuer. Avant-hier, il n'y a eu que deux morts. Hier, il y a eu six morts. Il y a tous les jours moins de cas nouveaux. Si ce mieux continue encore, la semaine prochaine, nous toucherons à la fin, mais qui sait ? » (20)
Le 18 septembre 1854
« Ma chère tante,
Je reçois votre lettre à mon arrivée de Lasprades où je suis allé avec Félicie cueillir le reste de nos fruits. Je dis le reste parce qu’une bonne partie a disparu depuis quelques jours à ce que m’a dit Antoine.
Le garde a eu tellement peur du choléra qu’il n’a pas osé rester avec sa femme dans son logement et ils sont allés habiter à la métairie. Nous nous portons bien et nous avons reçu aujourd’hui une lettre de Philippe où il nous annonce que son indisposition cholérique n’a pas eu de suites, l’épidémie a entièrement causé des ravages et il allait partir pour la Crimée. Les nouvelles de Paris sont bonnes aussi. En ville il meurt comme je vous disais de 8 à 10 personnes par jour. Bordes a perdu cette nuit sa fille qui habitait au couvert haut et ce matin le mari de cette dernière ce qui porte à six grandes personnes les pertes de cette famille. Nous avons eu aujourd’hui monsieur Sabatié qui est venu pour une tournée. Il se porte bien. Le choléra commence bien à Toulouse... »
« ... Les moyens que vous employez sont à ce qu’il paraît insuffisants pour arrêter votre diarrhée. Sauf meilleur avis je prendrais à votre place de la tisane de corne de cerf avec un peu d’eau de fleur d’oranger quatre à cinq fois par jour et dans l’intervalle je mettrais dans une cuillerée de tisane deux gouttes de Laudanum de Sydenham deux ou trois fois dans la journée. Lavement d’un demi-verre d’eau avec 6 à 8 gouttes de Laudanum de Sydenham, le garder, et si on ne peut répéter le lavement, jusqu’à ce qu’on parvienne à le garder. Diète absolue et ceinture de flanelle. Au lieu de tisane de cerf, si vous préférez vous pouvez prendre du sous-nitrate de bismuth. C’est une poudre blanche qui n’offre aucun danger. Vous lui mettez une cuillerée .... Il ne faut pas encore songer à revenir dans ce pays-ci. Lasprades et ses environs sont pleins de malades où l’on meurt tout aussi bien à la campagne qu’à la ville... »
Un médecin plein de courage lors du choléra
Marie, François, Isidore de Terson (1821 – 1884)
Seules quatre rues de Revel ont une légère augmentation de population. Les autres rues sont en partie désertées. Le constat d’une forte « dépopulation » est flagrant pour certaines rues (rue de Vauré, Notre-Dame, de Dreuilhe, Saint-Antoine boulevards extérieur et intérieur). La dépopulation à Revel Le nombre important de décès a bien entendu influé sur la démographie de la ville. |
Listes nominatives de la population – recensements
Nous avons consulté les Archives communales et tout particulièrement les «Listes nominatives de la population » des années qui précédaient l’épidémie (1851) et celles qui suivaient (1856 – 1861 et 1866) (21) . Nous avons pu relever le nombre d’habitants à Revel avant l’épidémie (chiffres de 1851). Les chiffres sont de 3441 habitants pour la « population agglomérée » (à Revel même) et de 2492 pour la « population éparse » (1 F 2-4 et 1 NUM AC 513).
Les cahiers des années 1856 et 1861 ne donnent malheureusement pas le chiffre global en fin de cahier. Nous avons donc réalisé la comptabilité générale des « Listes … » ; pour l’année 1851 nous avons 5955 habitants comptant la totalité de l’habitat rural qui est consigné dans le registre.
« Le garde a tellement peur du choléra qu’il n’a pas osé rester avec sa femme dans son logement et qu’ils sont allés habiter à la métairie. »
Cf. Lettre du 18 septembre 1854 de Marie, François, Isidore de Terson, médecin à Revel.
« Il ne faut pas encore songer à revenir dans ce pays-ci. Lasprades et ses environs sont pleins de malades et l’on meurt tout aussi bien à la campagne qu’à la ville.»
Cf. Lettre du 18 septembre 1854 de Marie, François, Isidore de Terson, médecin à Revel.
Pour 1856 nous avons fait la même démarche et avons 5085 habitants pour le même espace de recensement, nous constatons un déficit de 870 personnes.
Un tableau comparatif et un plan de Revel concernant la « dépopulation » (voir page précédente) sont proposés pour comparer la densité de population par rue et par quartier dans la ville de Revel. Il n’est qu’en partie seulement indicatif du résultat de la « grande faucheuse (22) ».
Les chiffres de 1866 (une décennie après l’épidémie) donnent 3694 habitants pour la « population agglomérée » et 1882 pour la « population éparse » (1 F 2-8 et 1 NUM AC 517). La différence des totaux des deux recensements (1851 et 1866 pour la « population agglomérée ») donne encore, douze ans après, un déficit de population de 253 habitants.
Les interventions de la municipalité lors de l’épidémie
Le 20 août 1854, un arrêté du maire Dirat est mis en place : « Dans les 24 h qui suivront la notification de l’arrêté du maire, M. Sablayrolles devra combler « le fossé infect de son jardin longeant le rempart entre les portes du Four et de l’Étoile ».(23) »
On peut suivre avec de nombreux détails les événements de cette terrible épidémie et connaître les actions qui sont menées par la municipalité en place (le maire est M. Dirat et le Premier-adjoint Jean Get) au travers des correspondances du maire (24) et des délibérations du Conseil municipal (25) .
Ce 24 août, il écrit : «la panique est pour beaucoup dans l’état sanitaire de ma commune ; ce qui le prouve c’est que, depuis que nous sommes sous l’influence cholérique, nous n’avons que trois décès dont un seul (celui du sieur Pons) est attribué à une affection cholériforme, d’après le rapport des médecins ».
Que faut-il comprendre par cette phrase ? Il semblerait que la peur de la maladie (« la panique ») ait suscité des mesures drastiques de salubrité publique. Pour le maire la situation est sous contrôle, sur trois décès il n’y en a qu’un qui relève de « syndromes cholériformes », par cette formule « syndrome » on diminue la gravité de la situation, ce n’est pas tout à fait le choléra ! On évite de le nommer.
D’ailleurs la suite de la lettre est optimiste : « Depuis quelques jours plusieurs cas de maladies ayant une certaine analogie avec le choléra se sont produits, mais j’ai la satisfaction de vous annoncer qu’ils ne présentent pour la plupart aucun caractère de gravité ». Inconscience, méthode Coué, déni ou dénégation, on espère que Revel sera préservé ! Les nouvelles alarmantes des autres villes comme Castelnaudary, Carcassonne, Narbonne font peur. À Revel cela ne peut se passer ainsi ! Et pourtant !
Dirat poursuit dans sa lettre : « Néanmoins j’estime, contrairement à ce que je vous disais dans ma précédente (lettre) que votre présence dans ma commune loin d’alarmer la population contribuera à m’aider à la rassurer et à lui prouver combien grande est notre sollicitude pour elle. Par ce moyen vous pourrez vous convaincre par vous-même du véritable état sanitaire. Soyez rassuré, Monsieur le Sous-préfet, l’administration municipale veille constamment, et a déjà pris toutes les mesures pour que des secours prompts et dévoués soient donnés à tous les malades et notamment aux indigents. Dans l’espoir de votre prochaine visite à Revel, je m’abstiens de remplir et de vous adresser le bulletin demandé ».
En sous-entendu, on peut semble-t-il ressentir l’angoisse du proche futur et de la gestion de la population qu’il va falloir assumer. La présence de l’autorité préfectorale est grandement souhaitée.
Le 25 août 1854, le Sous-préfet envoie cinq exemplaires d’une instruction relative au choléra. Le maire précise bien que ceux-ci seront affichés sur Revel – Dreuilhe – Vauré – Couffinal et Les Dauzats.
La veille, le 24 août, le maire n’a pas envoyé « de bulletin » concernant les cas de maladies, il précise sa position : « je croyais être assez rassuré sur l’état sanitaire de ma commune ».
Ce 25 août, les choses changent. Le rapport des médecins signale que « la maladie s’est déclarée avec des symptômes assez alarmants ». Dirat (maire) précise que les victimes et personnes touchées sont essentiellement « des vieillards et des individus misérables ».
Le 26 août, Dirat se dit « un peu plus rassuré » et précise « nous veillons et rien ne sera négligé devant l’intérêt de la salubrité publique ».
Malgré l’optimisme, le maire insiste auprès des autorités préfectorales afin d’obtenir de l’aide pour le bureau de bienfaisance : «nous sommes sans ressources et j’ai été forcé de supprimer aujourd’hui bien à regret la distribution hebdomadaire du pain pour les pauvres».
Le 31 août, le nombre des décès est en augmentation. Le maire pense qu’il faut employer tous les moyens possibles pour ne pas alarmer la population. Il envoie un courrier au curé de Revel (M. Berdoulat) pour faire suspendre à partir de ce jour « la sonnerie du clocher » pour les sépultures.
Le courrier n° 3056 adressé au Président de Première Instance de Villefranche-de-Lauragais le 2 septembre, demande en urgence au tribunal de renvoyer le registre des décès. « La journée précédente on a enregistré 22 actes de décès et ce jour 21 . Il ne reste que 58 cases de libres pour les décès. »
Le 3 septembre une lettre est adressée au Préfet.
Ce dernier avait fait une visite à la ville répondant ainsi à la demande faite le 31 août.
Dans ce courrier le maire est explicite, la situation est grave : « L’épidémie sévit à Revel depuis votre visite de la manière la plus intense ». La population ne reçoit presque aucun secours, les médecins sont débordés et ne peuvent correctement donner les soins nécessaires « ils sont impuissants » dit le maire.
Dirat poursuit : « Hâtez-vous je vous en supplie de nous envoyer un Docteur que vous avez bien voulu nous faire espérer, hâtez en même temps l’envoi de la subvention promise et faites qu’elle soit aussi forte que possible, car ainsi que nous avons eu le regret de vous le dire, toutes nos ressources sont épuisées et les pauvres manquent de tout. ».
« Les bulletins 1 et 2 courants constatent 23 décès. Ce malheureux état deviendra pire si vous ne vous empressez pas de venir en aide à l’Administration municipale dont la position commence à ne plus être tenable, malgré l’énergie qu’elle ne cesse de déployer.»
Signé Dirat (Maire) et Get (1er Maire-adjoint).
En post-scriptum, on précise que 4 sœurs sur 9 « sont retenues dans leur lit par la fatigue et la maladie. Que deviendrons-nous si nous ne recevons pas au plus tôt un personnel suffisant de Docteurs et de Sœurs ? ».
Tout se précipite ! La situation n’est pas entièrement sous contrôle.
Avant d’envoyer la lettre, un deuxième post-scriptum est écrit à la hâte : « Je sors à l’instant de l’hospice, la sœur supérieure et deux autres sont malades et fatiguées, je vous réitère ma demande d’envoi de médecin. » Signe Fauré Adjoint.
… Troisième post-scriptum : « Cette lettre écrite je reçois celle que vous me faites l’honneur de m’écrire à la date du 3 courant pour nous annoncer l’arrivée d’un médecin. Merci Monsieur le Préfet, merci pour la population que l’épidémie frappe cruellement. » Signé Get.
Un courrier est ensuite adressé au Président de Première Instance de Villefranche-de-Lauragais le 4 septembre : « Les décès en cette commune deviennent effrayants par leur nombre, le 25 août dernier les décès se portaient à 80, en ce moment ils s’élèvent à 154. Je n’ai que le cadre sur nos registres Cd de 12 actes. Ci-joint un registre supplémentaire de décès en double que je vous transmets par express et que je vous prie de viser immédiatement, l’express les reprendra. » Signé Dirat.
P.S. : Dans la matinée de ce jour 15 décès ont été enregistrés. »
Toujours le 4 septembre une autre lettre est adressée à M. le Sous-préfet.
On informe que 15 déclarations de décès ont été effectuées (14 concernant le choléra).
Le 9 septembre le Docteur Jalabert L. qui habite Toulouse au 26 rue de la Chaîne propose ses services pour aider les équipes médicales de Revel (courrier n° 3057).
Les médecins et sœurs succombent sous le poids du travail. La demande pour avoir des médecins ou « élèves – aides » est réitérée auprès de M. le Préfet.
On note un apaisement « du fléau » (courrier n° 3058).
Un problème est dénoncé par le Maire Dirat, un médecin fait ses visites comme il l’entend et ne rend aucun compte à l’autorité locale. Il s’agit « du Docteur Polonais » Alphonse. Le maire ne peut faire de bilan et il doit se rendre compte par lui-même sur le terrain et grâce aussi aux rapports réalisés par les docteurs Marty et Million.
Dirat précise « cet état de choses fait plus que m’indisposer ».
Le 11 (courrier n°3059), Dirat s’adresse aux deux autres médecins Marty et Million et demande que tous les soirs à dater de ce jour une note succincte soit faite sur la marche de l’épidémie en signalant les nouveaux cas de la journée.
Un courrier est à nouveau adressé au Sous-préfet. Dirat y dénonce la non-organisation du service médical et l’aggravation de la situation. Il a pris la décision que les pauvres soient visités deux fois par jour. Cette démarche est complètement paralysée par le refus formel qui lui a été fait par deux médecins « qui font leurs visites à leur gré sans me rendre aucune espèce de compte sur l’état sanitaire de la commune ». Seuls les docteurs Marty et Million respectent l’organisation.
Le constat est fait :
« C’est un véritable désordre ! ».
Dirat précise sa position :
« La vingt-huitième partie de la population a succombé, ma maison comme beaucoup d’autres a fourni son contingent ; s’il n’est porté un prompt remède à l’état de chose actuel que deviendrons-nous ? »
« Mon dévouement sincère et actif est acquis à la population mais je ne vous le cache pas Monsieur le Sous-préfet, si je dois être paralysé deux jours de plus dans mes bonnes intentions je vous adresserai immédiatement ma démission ».
Le 12 septembre 1854, l’épidémie est bien déclarée. Il y a de nombreux décès. On organise les soins médicaux en mettant en place quatre grandes zones gérées par quatre médecins (cf. A.M.R. 2 D 4).
Le service médical gratuit fait l’objet d’une réglementation dans la commune (« … considérant que dans ce moment de calamité générale … »). Les pauvres devront réclamer pendant le jour les soins médicaux au médecin de la circonscription à laquelle ils appartiennent. Pour cela on détermine les circonscriptions et on nomme les personnes qui desservent ces zones (voir le plan) :
1e circonscription
Le Docteur Alphonse qui loge chez Monsieur Fauré chirurgien gèrera la galerie du Couchant, le côté gauche de la rue de Castres, le côté gauche de la route départementale de Revel à Puylaurens, la rue St-Antoine, le hameau des Souals et de Vauré.
2 e circonscription
Le Docteur Millon s’occupera du couvert haut – de la rue de Sorèze – du tour de ville jusqu’à la rue de Castres et retour au départ. Il s’occupera aussi des Pugets – des Ouillès et du village de Couffinal.
3 e circonscription
Le Docteur Ripoll est logé à l’Hôtel de la Lune. Il prend en charge la galerie du Levant (des Moines), le côté gauche de la rue Notre-Dame, le chemin de Revel vers Vaudreuilhe jusqu’au Pont de Pepelier, les limites de la route départementale de Sorèze, St-Ferréol - Les Dauzats et les Bourdettes.
4 e circonscription
Le Docteur Marty-Delga aura la galerie du Midi côté gauche de la rue St-Antoine allant aux limites de la commune chemin vicinal des hieïss St-Antoine, la rue de Dreuilhe, le côté gauche de la rue Notre-Dame, les hameaux des Bourrels et des Caillols et le village de Dreuilhe.
À la mairie deux veilleurs assurent le service de nuit. Ils sont chargés sur la demande des malades indigents de prévenir le médecin de garde. Les « médecins des pauvres » assurent à tour de rôle le service de nuit.
En fait ils seront de garde une nuit sur quatre.
Le tableau de garde est affiché dans la « chambre des veilleurs » à la mairie.
Les noms des indigents sont établis sur une liste spéciale remise au bureau des veilleurs. Éventuellement, ceux qui ne sont pas sur la liste pourront être considérés comme indigents dans la mesure où ils sont porteurs d’un billet du maire.
Le14 septembre, les communiqués sont meilleurs :
« Le mal paraît être parvenu à la période décroissante ».
Le 18 septembre des dépenses imprévues sont mandatées sur le budget.
En effet treize veilleurs de nuit sont présents à « l’Hôtel de la Mairie » pour conduire les réclamants aux médecins de garde et pour veiller les malades à l’hospice.
Le 19 septembre le Docteur Ripoll part de Revel avec de grands regrets de toute la population :
« Ses talents, sa bonne conduite… sont au-dessus de nos éloges … ».
Le 20 septembre on informe le Préfet, il n’a « que » deux décès. La maladie est en phase de décroissance.
On réécrit : « le Docteur Ripoll a eu une conduite au-dessus de tout éloge ». Par contre Dirat demande que le Docteur polonais Alphonse Olrenski soit relevé de ses fonctions ; « il ne donne ses soins qu’à 8 ou 10 malades indigents … il a peu à faire bien que s’occupant d’une circonscription ! ».
Le 26 septembre, un troisième registre des décès est demandé au Tribunal de Villefranche : « J’ai le malheur de vous dire que jusqu’à cette heure j’ai enregistré aujourd’hui six actes de décès et que je n’ai de disponibles que 48 cases d’actes de décès… Au 25 août dernier dans la matinée j’avais rempli le n°80. J’en suis en ce moment au n° 400 ».
Le 6 octobre, un bulletin signé de Jean Get qui est l’adjoint de Dirat précise que la maladie a cessé (voir les documents pages suivantes).
Le dernier bulletin sanitaire du 6 octobre 1854 informant de la cessation du choléra dans la ville de Revel
A.M.R. cote 4 D 16
Sources et références bibliographiques
A.D.H.G. . « Listes nominatives de la population » et « État civil » - années 1851 – 1856 – 1861 et 1866. A.M.R. A.S.H.R.S.F. - Documents divers de provenance inconnue. ARCHIVES PRIVEES . Fonds de M. de Bary, château de Paleville. |
- Lettre du 18 septembre 1854 de Marie, François, Isidore de Terson (1821 – 1884). OUVRAGES – PUBLICATIONS . Monographie sur « Dourgne » par Michel Gô. |
Détail du bulletin du 6 octobre 1854 A.M.R. cote 4 D 16
« L’épidémie ayant cessé dans la commune de Revel je crois devoir cesser l’envoi du bulletin sanitaire. L’intérêt de ma localité exige que la plus grande publicité soit donnée à la bonne nouvelle annonçant l’entière disparition du fléau. Aussi dois-je vous prier Mr le Sous-préfet de la propager soit par la voie des journaux soit par toute autre.
Nos marchés et nos relations commerciales trop longtemps interrompus reprendront, j’en suis sûr, aussitôt que l’autorité supérieure aura rassuré les populations voisines ou éloignées sur l’état sanitaire de notre ville.
Cette mesure est donc de la plus haute importance.
À Revel le 6 octobre 1854
Le Maire de Revel
signé Get adjt. ».
L’ouvrage « La santé sans remèdes ou traitement à bon marché » dont l’auteur n’a laissé que ses initiales « L.V. » a été publié en 1889 à l’imprimerie Fournier-Valery (Toulouse) on lit dans les pages 10 et 11 consacrées au chapitre « En cas d’attaque de choléra » :
« En cas de choléra, on doit enrayer sur-le-champ tout indice de la maladie ; ce qui réussit le mieux à cet effet, c’est le Pippermint de Get Frères… ».
8 -. Cf. Archives A.M.R., réunion du Conseil municipal du 3 janvier 1864.
11 -. Cf. Archives de la Société d’Histoire de Revel Saint-Ferréol.
15 -. Le Préfet de la Haute-Garonne avait déjà en date du 18 avril 1832 porté règlement pour ces mesures conservatoires de la salubrité publique trois années avant la deuxième pandémie de choléra en France (la première pandémie de choléra entre 1817 et 1824 s'arrête loin de l'Europe occidentale en Sibérie Orientale et aux bords de la mer Caspienne). En date du 2 juillet 1862, dans un autre contexte, pareille mesure avait été rappelée.
16 -. Archives privées, fonds de Bary, château de Paleville.
18 -. Archives privées, fonds de Bary, château de Paleville. Lettre du 12 septembre 1854.
19 -. Archives privées, fonds de Bary, château de Paleville. Lettre du 18 septembre 1854.
22 -. On a donné ce nom en son temps à la peste et utilisé aussi pour le choléra.
23 -. Cf. A.M.R. – cote 2 D 4 - 19e folio et 2 D 16.
24 -. Cf. A.M.R. – cote 4 D 16. Administration de la commune – les courriers du maire.
25 -. Cf. A.M.R. – cote 2 D 4.