Histoire de Revel Saint-Ferréol                                  CAHIERS DE L’ HISTOIRE - N°19 - Année 2014 - pp. 34/43

Les travaux publics dans le diocèse de Saint-Papoul

au XVIIIème siècle

Construction des routes

 

Par Marie-Rose VIALA 

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Mots clés : époque moderne, travaux publics, routes, États de Languedoc, diocèse de Saint-Papoul.

Au début du XVIIIe siècle, le diocèse de Saint-Papoul, comme l’ensemble de la province de Languedoc, souffre de la médiocrité des routes. Or, production et commerce des grains sont, ici, des activités vitales, d’où les demandes réitérées des notables locaux, propriétaires fonciers et des négociants qui utilisent déjà le Canal royal. Ils trouvent un écho favorable auprès des États de Languedoc qui, à partir de la deuxième moitié du siècle, entreprennent la construction des routes convergeant vers Castelnaudary et valorisant le Lauragais.


At the beginning of the 18 th century, the Diocese of Saint Papoul, like the rest of the Languedoc, suffered from poor roads. Grain production in the region was a vital industry, and there were repeated complaints from local dignitaries, landowners and merchants who depended on the Canal du Midi. There was a favourable response from the États de Languedoc (the provincial government prior to the Revolution) which, in the second half of the century, undertook the construction of roads leading to Castelnaudary, and opening up the Lauragais.

POLITIQUE GÉNÉRALE

La participation des États ne s’est faite que progressivement. Pendant tout le XVIIe siècle et le début du XVIIIe, ils ont une politique très timorée dans le domaine des travaux publics (1). Mais l’exemple de la monarchie qui réactive l’administration des Ponts et Chaussées à partir de 1713 et crée l’école en 1747 est incitatif. Les édits de 1763 et 1766 qui libèrent le commerce des grains, pris par le roi à l’instigation des physiocrates, sont de puissants stimulants. Si bien que la pression des diocèses et des communautés du Toulousain et du Lauragais, soucieux d’évacuer leurs grains et d’alimenter l’admirable desserte que constitue le canal royal sera déterminante. La prise de conscience des États est évidente, à posteriori, à travers un mémoire adressé au roi en 1780 et cité par Jean Albisson « on ne peut nier que la prospérité d’un pays ne soit en raison des avantages qu’on peut retirer de son sol, il n’y aura personne qui ne convienne que le grand ouvrage des communications ne sera à sa perfection en Languedoc que lorsqu’il n’y aura aucun lieu de la province qui ne puisse se procurer, dans tous les temps, commodément, sûrement et aux moindres frais possibles, le débouché le plus avantageux de ses productions (2) ». Plusieurs décisions- du 4 février 1709, du 29 janvier 1739, du 30 novembre 1752, du 30 octobre 1754- débouchent sur le règlement général pour la construction et l’entretien du 14 février 1756, visé par le conseil d’Etat du 10 août 1756. Il distingue quatre classes de chemins et autant de sources de financement :

 - Le grand chemin de Toulouse à Pont-Saint-Esprit est à la charge de la province « en corps » ;
-  Les chemins de l’étape, empruntés par les troupes royales et ceux qui relient les villes épiscopales entre elles ou ces villes au grand chemin, relèvent de la sénéchaussée en corps (3) ;
- Les ouvrages de la troisième classe relient entre eux deux diocèses ou deux lieux d’un même diocèse et sont à la charge des communautés et du diocèse ;
- Les chemins de la quatrième classe concernent les liaisons entre communautés et sont à leur charge ; ce sont les chemins de traverse. Le pouvoir royal a conservé quelques prérogatives. L’arrêt du Conseil du 16 octobre 1724 « attribue à M. l’Intendant la connaissance des contestations concernant la construction et l’entretien des grands chemins dans l’étendue de la province de Languedoc (4) ».

Des « contestations élevées par MM. Les Trésoriers de France au sujet des alignements des grands chemins » donnent l’occasion d’affirmer qu’ils doivent se contenter « d’exercer leur juridiction sur la petite voirie c’est à dire sur les alignements dans l’enceinte des villes, sans se mêler en aucune manière de ce qui regarde les chemins (5)».

Le financement des travaux est à la mesure des besoins, allant de l’entretien des chemins de traverse et petits ponts dans les consulats, à la construction des chemins de 1ère et 2e catégorie et des grands ponts. Au XVIIe siècle, les États, persistant à considérer que les diocèses et les sénéchaussées doivent pourvoir aux travaux publics rappellent que ces collectivités disposent des « préciputs », sommes réservées aux ponts, fixées depuis le 11 novembre 1548 « à 120 livres pour les petits lieux, 240 livres pour les villes maîtresses, 1 200 livres pour les diocèses (6)». Ces sommes s’avèrent le plus souvent insuffisantes : en 1741, dans la comptabilité du receveur du diocèse de Saint-Papoul, M. Sanche, il est prévu de réparer le pont de Villarzens dans le consulat de Bram qui payera « de son préciput et le surplus sera fourni par le diocèse (7) ».

En 1771 les préciputs sont doublés mais restent toujours en deçà des besoins (arrêt du Conseil du 26 novembre) ; les représentants de la sénéchaussée de Toulouse rappellent « qu’elle fournit jusqu’à concurrence de 10 000 livres pour la construction des ponts réclamés par les diocèses lorsque la dépense de cette construction dépasse leur préciput et ceux des communautés sur le territoire desquels ils sont situés (8)   ».

EMPRUNTS

L’arrêt du Conseil du 30 octobre 1754 a obligé les diocèses à pourvoir aux dépenses extraordinaires des nouveaux chemins, ponts et chaussées au moyen d’emprunts consentis par l’assiette, approuvés aux États par les Commissaires du roi et autorisés par le Conseil. Dans la deuxième moitié du siècle, les diocèses entreprennent les grands travaux au moyen d’emprunts. Les réalisations se multiplient. En 1777, le diocèse de Mirepoix mène de front la construction de quatre chemins reliant le chef-lieu à Castelnaudary, à Pamiers, à Chalabre, à Limoux.

A la même époque, le diocèse de Saint-Papoul construit les chemins de Castelnaudary à Mirepoix, à Limoux, à Lavaur, tout en continuant l’entretien annuel des cours d’eau et autres chemins. Les dépenses sont considérables.
Pour la construction du chemin Castelnaudary-Limoux, le devis de M. de Saget s’élève à 123 800 livres, travaux et terrains inclus (29 mars 1774). Onze ans plus tard, l’inspecteur du diocèse, N. Lengelée présente le bilan à l’assemblée de l’assiette :
« les ouvrages faits par l’entrepreneur montent à 122 705 l.7 s. 2d.
 les dépenses extraordinaires relatives audit chemin et frais d’emprunt et indemnités 4 228 l. 19 s 10d.;  corrigé en 1786 : 4 426 l. 19s. 6d. pour couvrir cette dépense, il a été emprunté par divers contrats jusqu’à ce jour 115 442 l. 18s. 1d.
-M. le receveur a reçu 4 préciputs des communautés 
1 440 l.
total 116 882 l. 18s. 1d. »

 Le total des emprunts et préciputs ne couvre pas les travaux, il faut emprunter «8663 livres pour la continuation et perfection du chemin (9)   ».
Le préciput des communautés représente à peine un peu plus de 1 % du coût des travaux, c’est dire que la presque totalité provient des emprunts. Leur importance est telle, et l’endettement des diocèses si considérable que les États s’en inquiètent, d’où la résolution prise le 5 janvier 1781.

«Mgr l’évêque de Comminge  (10) a dit enfin : que la commission ayant reconnu avec peine, dans le cours de son travail, que quelques diocèses avaient laissé accumuler jusqu’à présent leurs anciennes dettes à 4 et 5 % et les nouveaux emprunts qui se multiplient chaque année sans qu’il aient avisé aux moyens de pourvoir à aucun remboursement, d’où il a résulté, par l’imposition des intérêts, une surcharge qui n’a fait que s’accroître et qui aboutirait à rendre encore plus difficile le recouvrement des impositions et à faire perdre tout crédit aux diocèses ». Les États les obligent à avoir chaque année un fonds de remboursement de manière à payer les emprunts dans un délai de six ans. Le diocèse emprunte donc dès que l’estimation des travaux est faite. L’emprunt est proposé à l’assemblée de l’assiette, transmis à la session suivante des États, puis autorisé par un arrêt du Conseil. Celui-ci s’accompagne de la formule habituelle relative aux taux d’intérêt : l’édit de juin 1766 a fixé le denier 15 (4 %) mais, à défaut de créanciers à ce taux, le Conseil autorise le denier 20 (5 %), ce qui est le plus souvent le cas, avec les réserves d’usage « à la charge que ledit emprunt ne sera fait qu’au fur et à mesure du progrès des ouvrages à faire sur ledit chemins » (Castelnaudary- Mirepoix 1769). (11)

Le diocèse de Saint-Papoul sollicite ses créanciers  « institutionnels » : Dames religieuses de Saint-Augustin, hôpital de Castelnaudary, Pauvres de la Miséricorde, chapitre cathédral de Castelnaudary et de Saint-Papoul, hôpital Saint-Eloi de Montpellier… auxquels s’ajoutent quelques prêteurs habituels : le sieur Gros, président de la cour des Aides, le sieur Barrier, maître de poste… Si les créanciers sont défaillants, on sollicite, par l’intermédiaire de l’archevêque de Narbonne, le trésorier de la Bourse. Le montant des rentes et intérêts figure tous les ans au chapitre de « l’Extraordinaire » de la comptabilité du diocèse, puis est réparti entre les communautés puisque les travaux sont supportés par le diocèse « en corps ».

LE PERSONNEL DES TRAVAUX PUBLICS

Hors de l’assemblée de l’assiette qui siège au printemps, la permanence des activités du diocèse est assurée par les commissaires, essentiellement le vicaire général et le syndic, assistés de l’inspecteur des travaux publics. Ils évaluent l’importance des travaux, procèdent aux adjudications, suivent le déroulement des opérations. Les travaux publics du diocèse dépendent, au plan administratif et technique, de la sénéchaussée de Toulouse ; les grands chantiers de la deuxième moitié du siècle ont été préparés et exécutés sous l’autorité de M. de Saget, l’un des quatre directeurs des travaux publics de la province. La nécessaire collaboration entre sénéchaussées et diocèses limitrophes se règle, dans la commission des travaux publics des États, par les accords des syndics. Ingénieurs et directeurs du canal, dont Gilles Pin, travaillent avec le diocèse pour l’entretien des ouvrages communs : ponts, abreuvoirs, contre-canaux. A la fin du XVIIe et au début du XVIIIe, il n’y a pas de personnel spécialisé pour les travaux publics. En 1704 on mentionne François Andréossy, fils de l’ancien collaborateur de Riquet ; il appartient au personnel du canal mais assiste le diocèse et les consuls de Castelnaudary.

En 1731, c’est  M. de la Blotière, ingénieur en chef de la province qui donne son avis sur les ruisseaux, travaux et coût. A partir de 1742 le diocèse rémunère un inspecteur des travaux publics :
-M. Mas en 1742
-Le chevalier de Villeneuve entre 1752 et 1764.
- M. Soulier-Fontcouverte est inspecteur de 1764 à 1782.
- Nicolas Lengelée prend la suite.

 D’après J. Petot, les États choisissent les directeurs parmi les savants et les architectes les plus éminents de la province. Les inspecteurs des diocèses eux, sont géomètres, officiers du génie militaire, élèves de l’école des Ponts et chaussées de Paris. « Soulier-Fontcouverte est ancien officier d’infanterie », Lengelée a appartenu à l’équipe des «plus chevronnés et des meilleurs » ingénieurs réunis par Cassini pour lever, en Languedoc, plusieurs des feuilles de la carte de France.

Il y a travaillé de 1771 à 1777. Il s’est ensuite établi à Castelnaudary où il est resté pendant la Révolution : le 2 août 1791 il a été nommé ingénieur du district (12). Le 30 décembre 1784, les États chargent les commissaires du Haut et du Bas-Languedoc « de prendre connaissance de l’état actuel de l’instruction publique dans les écoles des académies des Arts de Toulouse et de Montpellier… pour que les jeunes gens qui se destinent aux Ponts et chaussées puissent y recevoir une première éducation qui développe leurs talents et les dispose à prendre, dans des établissements plus considérables tout l’essor dont ils pourront être susceptibles (13)». Les États décident d’octroyer 3 000 livres à chacune des écoles. Celle de Toulouse a formé des élèves audois : le tableau du personnel départemental des Ponts et chaussées du 11 pluviôse an IV (31 janvier 1796) cite le dessinateur et l’un des dix conducteurs comme anciens élèves. (14)

Selon J. Petot, les ingénieurs du Languedoc sont mieux payés qu’ailleurs. En 1789, le personnel technique coûte 39 100 livres à la province. Dans le diocèse de Saint-Papoul, les sommes attribuées aux inspecteurs rémunèrent d’abord une opération ponctuelle ou une activité unique : en 1704, à François Andréossy, « inspecteur des chemins de traverse » - « la somme de 50 livres… sera payée sur le fonds du syndic, pour récompenser ses peines ». (15)

En 1748, les États autorisent le diocèse à servir 600 livres annuelles à l’inspecteur des travaux publics (16); ces gages sont progressivement augmentés : 700 au chevalier de Villeneuve (17) 1 000 à Lengelée.
En outre, les inspecteurs perçoivent des suppléments en diverses occasions :
M. Mas cumule 1 200 livres pour « la direction des ouvrages des rigoles et contre-canaux », « l’inspection des Tréboul et Fresqueil et les chemins de traverse » (18) ; 400 livres s’ajoutent aux gages de M. Mas pour « un état des plans des ponts et chaussées du diocèse avec toutes leurs dimensions et tels qu’ils existent » (19).

En 1784, le syndic remet aux États un mémoire « dans lequel il expose que l’assemblée de l’assiette, reconnaissant les talents du sieur Lengelée et satisfaite des services qu’il rend au diocèse, en qualité d’inspecteur des travaux publics a trouvé juste d’augmenter ses appointements de deux cents livres et qu’elle a délibéré en conséquence de les porter à 1 200 livres au lieu de 1 000 qu’il est permis seulement au diocèse d’imposer à ce sujet par l’arrêt du Conseil du 16 janvier 1774 »… « que l’assiette ne s’est déterminée à cette augmentation qu’après s’être convaincue, par les détails qui ont été mis sous ses yeux, que la somme de 1 000 livres ne suffisait point pour fournir à une honnête subsistance, après en avoir prélevé les frais de course et autres qu’exigent le grand nombre d’ateliers que cet inspecteur est obligé de diriger et de surveiller » (20).
A ces libéralités s’ajoute le travail effectué pour le compte de la ville de Castelnaudary, puisque les ingénieurs du diocèse sont toujours employés par elle. Ils ne figurent pas parmi le personnel gagé par les dépenses ordinaires de la communauté, mais sont rémunérés ponctuellement pour leurs travaux.

ÉTAT DES CHEMINS AU MILIEU DU SIÈCLE

Dans la perspective des travaux sur les chemins, les États de Languedoc demandent aux diocèses « un mémoire contenant leur utilité, leur état actuel et l’objet de la dépense à y faire pour les rendre passants et praticables en tous temps » (21)
Pendant l’année 1753, le syndic, M. de la Tour de Saint-Paulet et l’inspecteur des travaux publics, le chevalier de Villeneuve parcourent le diocèse et inspectent les chemins de deuxième classe, de Mirepoix, de la montagne, de Caraman, de Revel et ceux qui relient les communautés à Castelnaudary. Leurs remarques confirment :
- Le très mauvais état du chemin de Mirepoix « impraticable en toute saison pour aucune espèce de voiture puisque tous les transports ne s’y font et ne peuvent s’y faire qu’à dos de mulet » ;
- La nécessité d’améliorer les chemins de Caraman et de Revel, débouchés des blés des diocèses de Lavaur, d’Albi, de Castres… chemin de l’étape, aussi. Ils ont été en partie refaits mais comportent, pour celui de Revel, des obstacles dangereux, « la chaussée des pontils… qui est très étroite et sans parapet, ce qui fait qu’il y périt toutes les années des hommes et des bestiaux » (22) ; la « montée de la Bracadelle » qui escalade la Montagne noire à quelques lieues de Revel.
- L’obligation, pour la ville d’aménager les chemins pour garantir l’approvisionnement en « fer, planches… comportes » venant de Mirepoix, « bois de chauffage, ardents pour les fours à chaux et ceux à cuire le pain » provenant de la Montagne noire.

Les enquêteurs insistent sur les enjeux économiques des projets, proposent des moyens qu’ils estiment les plus rationnels et les moins dispendieux, utilisant au mieux les caractéristiques du terrain, tant pour l’amélioration du tracé que pour le choix des matériaux. L’ensemble est évalué à 266 000 livres dont 100 000 sont consacrées aux chemins de troisième catégorie.

PROJETS ET DEVIS – ENTREPRENEURS

L’initiative appartient à la sénéchaussée, comme il découle du règlement de 1756 et d’une délibération de la communauté « l’assemblée de la sénéchaussée de Toulouse doit… prendre une résolution définitive au sujet du chemin de communication du diocèse de Saint-Papoul avec celui de Lavaur… ce qui semble amorcé par les nivellements que prennent les directeurs et employés aux ouvrages de la province » (23).

Le projet arrêté, le directeur des Travaux publics de la province établit le devis, M. de Saget pour la sénéchaussée de Toulouse, collaborant parfois avec son collègue de la sénéchaussée de Carcassonne, F. P. Garipuy, notamment pour le chemin de Castelnaudary à Limoux.
Le devis comporte une première partie technique ; la deuxième partie concerne les obligations de l’entrepreneur ; le tout s’achève par une estimation globale du coût. Le devis est présenté à l’assemblée de l’assiette, puis à la session suivante des États qui donnent l’autorisation d’emprunter. Le Conseil du Roi entérine la décision. Le diocèse peut alors procéder à l’annonce des futurs travaux, placardée dans les principales communautés et celles des diocèses limitrophes et fixer la date de l’adjudication. Les candidats doivent justifier « qu’on est personne de l’art et avoir présenté sa caution ». L’adjudication se fait «à la moins dite » ; la caution est souvent un membre de la famille ; c’est le cas pour Jacques et Pierre Denat de Castelnaudary, pour Guilhem d’Arzens, cautionné par son père et par Paul Cassignol de Villasavary.

Aspects techniques de la construction

Le devis comporte la description du tracé : longueur, itinéraire suivi, corrections éventuelles, calcul des pentes, volume des remblais et déblais. Une ou plusieurs cartes accompagnent la description, malheureusement disparues, sauf un « Plan de la partie du chemin de Mirepoix à Villefranche » dessiné en 1788 par Mercadier, inspecteur à Mirepoix, (24) qui montre les obstacles techniques du tracé et les solutions préconisées pour y remédier.
Les nouveaux chemins mesurent quatre toises, c’est à dire 7,80 m (cinq toises pour celui de Castelnaudary à Revel). Ils sont bordés par deux fossés d’une toise de large (1,949 m) ; pour le chemin de Limoux le devis indique des accotements de quatre pieds six pouces (1,32 m) ce qui rétrécit la chaussée à un peu plus de cinq mètres. Les chemins sont légèrement bombés : huit pouces au maximum (environ 20 cm.) Le revêtement est constitué d’une assise de pierres recouverte d’une ou deux couches de gravier (figure 1).

 

Profil d’un chemin



La description technique des ponts occupe, dans le devis, une place aussi importante que celle des chemins. Dans la mesure du possible, les matériaux sont pris au plus près des « ateliers » (chantiers). Les graviers proviennent du Fresquel, du Tréboul, de la Rigole…

La brique, utilisée pour la voûte et l’intrados des ponts, est un matériau local ; les « tuileries » sont installées sur le Pech des Cuquels, au nord de la ville ; les ingénieurs préconisent la brique « nommée foraine à Toulouse qui est l’une des meilleures qualités de ce matériau. »
Les bancs de molasse et de grès abondent dans la région et sont amplement utilisés ; cependant, les ingénieurs leur préfèrent, pour les parapets et les ailes des ponts « la pierre des environs de Carcassonne », le plus souvent celle de Pezens qui a d’ailleurs été abondamment utilisée pour les bâtiments civils et la réfection de la collégiale de Castelnaudary au milieu du siècle.

Les entrepreneurs

La deuxième partie, qui fait référence à l’« arrêt du Conseil du 27 août 1766 portant règlement pour les travaux publics de la province », concerne les obligations de l’entrepreneur. Il doit commencer les travaux à ses frais avec une avance d’au moins 3 000 livres, fournir le personnel, les outils, les matériaux, respecter les données techniques et les délais fixés. Les conditions sont draconiennes ; l’entrepreneur s’engage « à ses périls, risques et fortunes sans pouvoir prétendre aucune indemnité ni augmentation de prix sous quelque prétexte que ce puisse être » (25) ; de plus, « tenu d’élire un domicile où il pourra lui être signifié tous actes et exploits »  (26) , donc, obligé de résider dans la localité la plus proche de ses chantiers.

Les entrepreneurs des chemins diocésains sont des artisans ayant pignon sur rue : les Sarrat, Sabatier, Guilhem, Denat.
Ces derniers construisent les chemins de Castelnaudary à Mirepoix et Mazères.
Lors de l’adjudication d’une partie du chemin de Mirepoix à Villefranche on trouve en compétition Jacques Denat, un entrepreneur de Dreuilhe, un de Labastide-de-Bouzignac, un de Chalabre, un de Mirepoix et J.P. Corneil de Cépie. La dispersion des concurrents, l’éloignement entre leur lieu d’origine ou d’emploi antérieur et le futur chantier évoquent une profession itinérante à l’image des grands chantiers de notre époque. Le cas des Denat de Castelnaudary révèle l’ascension, en trois générations, de sablonneurs, maçons, tailleurs de pierre puis entrepreneurs de travaux publics qui, à la faveur de la Révolution se placent dans la vie politique locale. Ainsi

en est-il de Jacques Denat, membre de la société populaire jusqu’à l’épuration du printemps 1794, élu de la municipalité en mars 1795, nommé au conseil municipal de messidor an VIII (1800) par arrêté préfectoral, puis en l’an XII (1803) ; en 1813 il figure parmi les 100 contribuables les plus imposés de la commune avec la qualification de « propriétaire ». (27)  Les travaux sur les chemins de troisième catégorie échoient à des artisans moins fortunés ou moins audacieux, ou aux artisans des villages du chantier. La main-d’œuvre des ouvriers est prise sur place. La construction - ou l’entretien - des chemins est une aubaine : «cette réparation… fournira à mes travailleurs des journées qui rempliront le vide de la culture des vignes et du millet et les aideront à passer une mauvaise année » (1768) dit le curé de Fendeille (28).
 Le syndic de Mirepoix somme l’entrepreneur « de procurer aux pauvres gens… le moyen de vivre en travaillant ». (29)
Le salaire est payé à la journée ou à la semaine ; il s’échelonne, selon la difficulté des travaux entre 16 sous pour les transports de terre et gravier et 22 sous pour les « trasseurs de balme » (30) (tailleurs de pierre). Les travaux sont scrupuleusement suivis par l’inspecteur souvent accompagné du syndic et toujours en présence de l’entrepreneur. Imperfections, retards sont notés, parfois par un huissier. La réception est immédiatement suivie du bail d’adjudication pour l’entretien, bail de 3 à 6 ans, signé dans les mêmes formes que la construction ; les obligations de l’entrepreneur sont celles de l’arrêt du conseil de 1766.

RÉALISATIONS

Chemin de Castelnaudary à Lavaur  (31) 

La première réalisation concerne les liaisons avec les diocèses de Lavaur et de Toulouse.
Dès 1760, les « alignements et nivellements » inquiètent le conseil politique de Castelnaudary. Le projet, désapprouvé, est jugé coûteux « un chemin pratiqué à travers les meilleures possessions ». L’argumentation va jusqu’à faire du diocèse de Saint-Papoul le laissé pour compte de la province. « Si le diocèse de Saint-Papoul n’a d’autres ressources que les biens-fonds et si on n’a pas jugé à propos de le gratifier pour être l’amère nourrice de la province, qu’on lui conserve, au moins ses facultés » (32) .

C’est la conclusion du mémoire présenté par les députés du diocèse aux États de 1761-62 ; « il n’a pas été entendu ».
La construction a commencé en 1771.Ce chemin est l’actuelle D 624 allant vers Revel et Castres. Le devis général ne figure plus dans les archives, mais on peut suivre la construction, planifiée en cinq sections, la dernière, hors du diocèse.
La première section, de Castelnaudary au Fresquel court sur 1 250 toises (33) .     
L’ancienne route a été abandonnée ; le départ est à la petite chapelle, à l’ouest de la ville, sur la route de poste. Le premier tronçon est un remblai à forte pente qui nécessite l’aménagement de rampes adjacentes pour relier à la route les propriétés voisines. (34) Le plus gros ouvrage de cette portion est l’aménagement du pont sur le Fresquel, presque inchangé, en très bon état ; à l’exception d’une partie de la voûte en briques de chant, il est tout en pierre.
La deuxième section, 1200 toises, s’achève aux premières pentes de la Montagne noire, qui se sont révélées un obstacle majeur ; l’entrepreneur, Jacques Sarrat, n’a pas réussi, en six ans, à le surmonter, malgré de gros moyens, dont 300 ouvriers répartis en trois « ateliers ». Il avoue, dans un « mémoire », un dépassement de 30 000 livres, demande la résiliation de son bail ; le conflit avec la sénéchaussée s’aplanit, il accepte de continuer les travaux ; cependant, en 1778, rien n’est encore achevé. La troisième partie comprend la descente assez abrupte de la Montagne noire, difficulté pour laquelle le devis préconise de « former une S dans le vieux chemin qu’il est en demi hauteur en montant le vallon de la Pomarède ».
Au-delà, dans la quatrième partie, qui est déjà du diocèse de Lavaur, le chemin s’étend en droite ligne jusqu’à la bifurcation entre Saint-Félix et Revel. ; les seuls grands ouvrages sont les ponts sur le Laudot et sur la Rigole. Troisième et quatrième sections sont réalisées par Paul Sabatier en 1776 et 1778. Les fonds qui lui ont été attribués se révèlent insuffisants au bout de deux ans ; il s’en plaint auprès du directeur de travaux publics qui lui conseille d’arrêter les travaux. Sabatier s’insurge « vu que ne m’attendant pas à recevoir un pareil ordre, j’ai fait une certaine quantité d’équipages. Que j’ai tous les fourrages pour l’année, que j’ai des baux à loyer pour le logement de ces équipages et de mes commis et que j’ai enfin des approvisionnements en chaux, brique, pierre, etc., sur tous les lieux où il doit être construit des ponts ». Le texte est essentiel qui montre, avec le mémoire de Sarrat, les vicissitudes – dont nous verrons d’autres exemples - et la logistique de ces grands travaux.

Le chemin de Mirepoix (35)  

Les liaisons entre les diocèses de Saint-Papoul et de Mirepoix ont été sujets de désaccords tant pour la route de Castelnaudary à Mirepoix que pour celle de Limoux. Le projet de chemin Castelnaudary-Mirepoix est arrêté dès 1764.
Le diocèse de Saint-Papoul, peu étendu au sud de Castelnaudary, envisage de remettre en état le chemin de Fendeille. Le diocèse de Mirepoix, qui a la part la plus longue et la plus accidentée, souhaiterait éviter la traversée des collines et privilégie le chemin Bram-Fanjeaux-Mirepoix déjà construit.

Le chemin de Castelnaudary à Lavaur passe par  Vaudreuille et Revel (carte Cassini)

Le tracé de l’ancien chemin de Castelnaudary à Lavaur

 

Le réseau routier en 1790

 

Les lettres du curé de Fendeille, Antoine Lefort, racontent quelques aspects de la polémique : le marquis de Mirepoix aurait, à Bram, un entrepôt de fer et « s’opposerait à la faction d’un nouveau chemin de Castelnaudary en droiture à Mirepoix ».
Le curé de Villesiscle se réjouit car « il aurait ainsi le plaisir de voir passer le monde, ce qu’il aime beaucoup, à ce qu’il dit lui-même » (36)  .

Indépendamment des anecdotes, Mirepoix défend la solution la moins onéreuse pour son diocèse ; mais c’est celle de Saint-Papoul qui l’emporte.
Plan et devis - évalué à 50 000 livres - sont acceptés par les États en 1768. (37)

Dans le diocèse de Saint-Papoul, les travaux sont organisés en deux sections : de Castelnaudary à Fendeille (2 625 toises), de Fendeille à la limite du diocèse (1472 toises).
La première partie comporte deux difficultés : le pont sur le Tréboul et la forte pente qui mène aux premières maisons de Fendeille.
La deuxième partie est plus ardue : le choix du tracé dans le village pose problème ; il nécessite « le reculement des maisons qui se trouvent sur la ligne du chemin à l’aspect du levant, moyennant la somme de 1 200 livres ».

A la sortie du village commence la rude montée qui mène aux limites du diocèse. Antoine Lefort, qui suit l’affaire de très près, se targue de conseiller les ingénieurs qui étudient le terrain.
« Je voulus les accompagner pour leur communiquer mes idées qui sont simples et dégagées de tout intérêt particulier et toutes pour le bien public ».

On se passe poliment de ses conseils.
En juin 1769, les travaux de la première partie ont été adjugés à Pierre Denat ; la construction doit être achevée en 1770 ; or, en avril 1771 rien n’est terminé : aucun pont n’est fini, le gravier ne couvre que la moitié du chemin dans la plaine ; la côte qui mène au village n’est même pas commencée. Les menaces à l’entrepreneur, un supplément de financement permettent de terminer les travaux avant l’hiver 1771-1772. Ils ne tiennent pas dix ans.

En 1786 le syndic sollicite un emprunt pour la réfection du chemin, mal construit et impraticable depuis les pluies de l’hiver 1783. Cette première partie, d’abord évaluée à 50 000 livres, en coûtera finalement 85 357. Pour la seconde section, adjugée à Jacques Denat, on n’a pas de documents relatant la construction.
Il est probable que l’importance de la pente, 11 %, a suscité des difficultés techniques, ce que prévoit le curé Lefort, mais on ignore comment elles ont été résolues. En septembre 1786 l’adjudication pour l’entretien signe l’achèvement des travaux.

La liaison directe N-S, Castelnaudary-Mirepoix, oblige à franchir les collines. Le diocèse de Mirepoix a commencé ses travaux en 1769. La première section, de 5 157 toises, relie le chemin Carcassonne-Mirepoix à la vallée de la Vixiège en suivant deux petites vallées séparées par un col à 392 mètres qui marque actuellement la limite entre les départements de l’Ariège et de l’Aude.

La deuxième section a un parcours plus accidenté jusqu’au diocèse de Saint-Papoul, sur 4 100 toises. Le chemin ne traverse aucun village : Fonters, Gaja-la Selve, Ribouisse, Plavilla sont sur le plateau, assez proches de la nouvelle voie ; cependant, elle contribue à désenclaver cette partie jusque-là isolée du Lauragais. La liaison entre Castelnaudary, Mazères, Belpech doit jouer le même rôle à l’Ouest.

Chemin Castelnaudary-Limoux (38)

La liaison Castelnaudary-Limoux présente plus d’intérêt pour cette dernière ville que pour Castelnaudary (39)   qui reconnaît, cependant, que c’est « la route directe ordinaire pour aller dans le Roussillon et l’Espagne ».

Avant d’entreprendre les travaux, il a fallu aplanir le différend avec le diocèse de Mirepoix. Les diocèses de Limoux et de Saint-Papoul sont séparés par le consulat de Fanjeaux où convergent les chemins de Bram à Fanjeaux et de Carcassonne à Montréal et Mirepoix ; là se trouve le monastère de Prouille.

Or, d’après le syndic de Saint-Papoul, « les difficultés et objections du syndic de Mirepoix ne sont fondées que sur les vues particulières qui tendent à épargner les possessions des dames de Prouille qui sont les seules qui fomentent les oppositions mal établies que l’on fait contre le projet de Monseigneur de Langle ».
Le diocèse de Mirepoix aurait préféré un tracé plus méridional, longeant le pied des collines depuis Fendeille et n’isolant pas Fanjeaux., l’ancien chemin protohistorique et médiéval. (40) 

Saint-Papoul a privilégié la ligne droite, évité « les terrains montueux… et les lieux aquatiques… remplis de sources », « parce que, dans un ouvrage public, on doit éviter avec encore plus de soin une lésinerie mal entendue qu’un luxe inutile ».

Munificence onéreuse en effet : le chemin traverse, dans la plaine du Tréboul, les meilleures terres de Mireval et de Laurabuc et, plus à l’est, celles de Besplas et de Villasavary. Les expropriations ont été coûteuses : vignes, jardins, « terres » (à céréales), ont été payées de 400 à 1 000 livres la sétérée. (41) 

M. de Saget a évalué l’ensemble à 20 800 livres, soit 14,6 % du prix total du chemin. Plan et devis, chiffré à 123 800 ivres sont présentés à l’assiette en 1774 ; deux ans plus tard les États autorisent la construction.

Les travaux, adjugés à Jean Guillem, d’Arzens, commencent en 1777 ; ils doivent être achevés en août 1779. Il n’y a pas d’obstacle majeur, peu de pente ; le seul grand pont, sur le Tréboul, est déjà construit ; la butte de Villasavary doit être évitée, au grand dam des habitants : « une montée de 60 pieds pour arriver à ce village… une contre pente encore plus considérable pour en descendre » !
En fait, il faudra huit ans pour l’achever. L’entrepreneur a pris du retard ; les inspecteurs successifs ont noté la médiocrité des matériaux, du gravier, « de la forme des ouvrages » ; le chemin se dégrade à mesure qu’il avance ; tout est à refaire. Deux constats d’huissiers notent les malfaçons. L’intervention de l’intendant, assortie de menaces réveille quand même le zèle de l’entrepreneur ; mais, en mai 1785, l’inspecteur Lengelée signale encore : « la négligence de l’entrepreneur pour mettre le tout en état a empêché la réception des travaux ».

En fait le retard - et le surcoût des travaux  (42) sont, aussi, imputables à la modification du tracé. Les gens de Villasavary ont obtenu que le chemin traverse le village, mais il faut un pont ; il coûtera au moins, 18 000 livres « à raison de la hauteur… du chemin au-dessus du ruisseau », 58 pieds (environ 19 m.).

En décembre 1785 le chemin est enfin achevé, cinq ans après la partie limouxine. Il a coûté 143 505 livres, terrains inclus ; il s’étend sur 7 279 toises (14,12 km).

Chemin Castelnaudary-Mazères (43)

Le projet de liaison avec Mazères, dans le comté de Foix, qui date de 1780, a été controversé dans son tracé au sud de la ville. Pour relier Castelnaudary à Villeneuve (début du chemin vers Mazères), il faut emprunter le pont sur le canal, étroit et en dos d’âne. Certains envisagent un autre accès ; à partir de la porte neuve, une voie large et droite aboutissant au canal, ce qui exigerait la construction d’un nouveau pont. Cette solution est proposée par le syndic du diocèse, Jean Fulcran Galabert, dont les entrepôts sont près de la porte neuve et le plus gros de ses intérêts marchands sur le canal. Il est le rapporteur du projet aux États en 1782-1783 ; y présente le mémoire qu’il a soumis à l’approbation de l’assiette, agrémenté du plan et du devis de l’inspecteur des travaux publics du diocèse. Il précise que, « d’après l’examen qu’il en a fait, il ne doit en résulter aucune augmentation pour le diocèse, mais qu’il y aura un pont à construire sur le canal, dont l’excédent sera à la charge de la sénéchaussée avec recours, peut-être pour le surplus sur la province ».

La commission des États, informée de la polémique qui divise la ville remarque que ce pont « sera un objet de 40 000 ou 50 000 livres », que les propriétaires du canal ne sont peut-être pas disposés à en aménager le cours et que, s’il y a 43 négociants pour soutenir le projet, il y a « 74 citoyens notables au nombre desquels on compte d’autres négociants » qui tiennent pour le pont vieux. Ils concluent qu’entre deux projets « il est de la sagesse de l’administration de se décider en faveur de celui qui est le moins cher »  (44).

Mais, en 1786, l’évêque ayant changé, la commission des États aussi, le projet du nouveau pont est accepté ; déjà, comme l’écrit un farouche opposant « le syndic, qui franchit toutes les règles, fit travailler aux ouvrages avant la tenue des États de 1785 » (45).

La nouvelle route qui s’amorce sur le grand chemin au-delà de la porte neuve « doit être plus agréable, plus belle et plus utile ».
Contrairement aux dimensions habituelles des chemins diocésains, elle mesure douze toises soit, cinq pour le passage des voitures et sept pour les contre-allées, séparées de la chaussée par un rang d’arbres. Mais, comme l’aboutissement au canal n’est pas perpendiculaire et que « Nos Seigneurs des États ont déterminé de ne plus permettre de construire des ponts de biais sur le canal, il y aura, de plus un petit redressement à faire à ce même point ». Mais ce n’est pas tout : M. de Saget a constaté que « le port actuel… est incommode, mal abrité et insuffisant, qu’il conviendrait de diriger le redressement du canal de manière à pouvoir ménager un nouveau port plus commode, mieux abrité et plus spacieux ». Ainsi, la liaison avec Mazères a donné à Castelnaudary une belle avenue (l’actuel cours de la République) « un pont neuf » et un nouveau port.
Au-delà du canal les travaux ne rencontrent aucun obstacle et se poursuivent, après Villeneuve-la-Comptal, « jusqu’à la division des diocèses de Saint-Papoul et de Mirepoix » sur la côte de Fontcontart au niveau de la métairie d’Agassens (aujourd’hui Notre-Dame). Jacques Denat a été chargé de l’ensemble du chantier, pont compris.

Une récapitulation des travaux en 1790 donne le chiffre global de 102 695 livres dont 74 625 pour le pont et les aménagements annexes (recreusement du canal, remblai…).
En novembre 1791 le pont est définitivement achevé ; il a coûté 53 326 livres 6 sols 3 deniers (46)  . A cette date, il n’y a pas encore de liaison directe entre Castelnaudary et Mazères. Le diocèse de Mirepoix s’est consacré à la route Mirepoix-Villefranche -de- Lauragais par Salles-sur-l’Hers et Saint-Michel-de-Lanès. Le devis de 1782 prévoyait le point de départ de la route à Plaigne et un tracé assez occidental ; en 1786 une retouche du projet rejette le chemin plus à l’est, ce qui autorise les communautés de Mayreville, Peyrefitte, Pech-Luna… à rédiger un mémoire.
Elles souhaitent que les futurs aménagements leur permettent de sortir de l’isolement qui les prive du développement dont jouit le reste de la province car elles sont « une grande étendue de pays qui, de tous temps, a payé les impôts sans avoir obtenu la moindre communication ».

Ces vœux rejoignent ceux de Belpech qui a souvent revendiqué le besoin impérieux de communiquer avec Mirepoix et avec Castelnaudary et le canal royal. Satisfaction lui est donnée en 1783 : les États autorisent un emprunt de 18 000 livres pour la construction d’un chemin la reliant à la future voie Mirepoix Villefranche (47) .

Ces projets sont violemment critiqués par les consuls de Salles alléguant la recherche d’intérêts particuliers, un surcroît de dépenses car « le diocèse n’est pas chargé de faire le bonheur de Belpech qui n’est pas de notre municipalité… ».
Quant aux communautés de Mayreville, Peyrefitte, etc, les gens de Salles estiment qu’elles sont « les plus infertiles du Lauragais, hors d’état d’avoir jamais aucun commerce ».
Cependant, le directeur des travaux publics de la province et l’ingénieur du diocèse, sensibles à la requête des communautés, viennent constater, examinant les difficultés du terrain, évaluant le coût, tout en reconnaissant avec sympathie le bien-fondé des demandes. Le projet, à priori, n’est pas écarté puis qu’il a été cartographié  (48) .

Chemins de troisième classe et chemins de traverse.

Le diocèse entreprend plusieurs grands chantiers, en particulier la réfection de la « Lauragaise » et celle du  « chemin des Romains ».
« Le chemin de la Lauragaise qui traverse tout le diocèse et qui sert de débouché à presque toutes les communautés du diocèse » (49) , « très utile… par la communication qu’il donne d’un côté avec le chemin de Carcassonne et de l’autre avec celui de Revel »  (50).

C’est l’actuelle D 28, ancienne voie protohistorique circulant dans la vallée du Fresquel, beaucoup plus utilisée alors qu’aujourd’hui pour les échanges intérieurs du diocèse ; elle se prolonge au-delà du chemin de Revel vers Saint-Félix et Caraman.

Le Sud-Est du diocèse est desservi par le chemin des Romains, « d’une utilité reconnue par tous les temps… qui laisse à désirer que la province eût fixé dans cette route la ligne de la poste » (51)  .

Les travaux entrepris en 1786 par Denat ne sont pas encore achevés en 1790. Le diocèse propose aux communautés « toutes les facilités pour les mettre à même de faire ou réparer les chemins qui leur sont nécessaires pour aboutir aux grandes routes et au canal ».
Le Mas-Saintes-Puelles en souligne l’importance : « le grand charroi qui se fait du lieu du Mas au canal, soit pour le transport de la pierre calcaire que l’on y embarque vers Toulouse, que pour les denrées de toute espèce, non seulement du lieu, mais de plusieurs autres villages circonvoisins ».

Les sollicitations sont nombreuses qui viennent de Saint-Laurent, Montferrand, Le Mas, Pexiora ; les travaux souvent coûteux, en particulier la réfection du « chemin de Mezuran », régulièrement inondé, dans la plaine du Tréboul.
Le diocèse a la charge aussi, d’une multitude de ponts sur le réseau du Fresquel et du Tréboul. Ils sont mal construits ou fragilisés par la fréquence des crues ; les « chemins de traverse du diocèse sont si impraticables en hiver et nuisent si fort au commerce par la difficulté de voiturer les denrées et les marchandises et surtout les chemins qui vont aboutir au canal royal qu’il serait très utile de faire construire et de réparer quelques ponts sur divers chemins, la dépense desquels ne sera pas d’un grand objet, puisqu’il résulte de l’appréciation qu’en a fait l’inspecteur du diocèse que la construction du pont le plus considérable ne se portera, tout au plus, qu’à 25 ou 30 pistoles ».
Ainsi, tous les ans sont construits ou réparés 15 à 20 ponts.

BILAN

En 1790 l’administration du département hérite d’un réseau routier que les appréciations flatteuses des voyageurs ont qualifié d’admirable. Mais il a fallu trente ans pour le réaliser, encore n’est-il pas achevé. La lenteur et le retard des travaux ont plusieurs raisons :
- syndic et inspecteur des travaux publics notent, dans leurs tournées, que les ouvriers, mal payés, quittent le chantier
- la réduction du personnel ralentit considérablement les travaux.

 En fait, l’entrepreneur manque d’argent ; le financement, calculé « au plus près », s’avère insuffisant ; l’entrepreneur rogne sur la main-d’œuvre et lorsqu’il n’y a plus de quoi payer, la construction est interrompue jusqu’à ce que les démarches administratives permettent, au bout d’un an dans le meilleur des cas, de la reprendre.
Les moyens techniques sont rudimentaires :
l’entrepreneur fournit « voyans, cordeaux, niveaux, règles… et généralement tous outils ou instruments qui seront nécessaires », en particulier les pics, pioches et demoiselles ; les charrois sont effectués par des paysans amenant leur tombereau et leur cheval, loués à la demande.

La traversée d’un terrain rocheux et accidenté, comme relaté dans la construction du chemin de Lavaur, s’avère techniquement difficile et, de surcroît, coûteux.

Le chemin achevé, le bail d’entretien suit immédiatement la réception des travaux et ne saurait souffrir de retard.

Les constructions sont fragiles ; les inspecteurs remarquent fréquemment la dégradation d’un tronçon qui vient d’être achevé, avant même que l’ensemble du chemin le soit. En fait, ces routes sont inadaptées aux services qu’on en attend à cause de la mauvaise structure de leur revêtement.

Même si la qualité des matériaux (pierre, gravier, mortier…) est contrôlée, et le damage soigneusement effectué, le roulage ouvre très vite, ornières et flaches sur la chaussée.

L’expérience de l’ingénieur Trésaguet,  (52)  en Limousin qui a revêtu les chaussées à la façon conçue plus tard par Mac Adam, n’a pas fait école. Les routes du royaume et celles de la province continueront à occuper, longtemps encore, la main d’œuvre des campagnes.

En 1790 le réseau routier a presque l’aspect que nous lui connaissons.

La carte de Nicolas Lengelée, d’abord conçue pour le diocèse puis dédiée au district, en donne un état fidèle. Il ne faut pas s’étonner de n’y voir figurer que les grands axes : eux seuls peuvent accepter le passage des charrettes et répondent aux vœux des grands propriétaires et des négociants du Lauragais ; nos actuels chemins vicinaux ne sont que sentiers boueux ou poussiéreux, suivant les saisons.

Le diocèse de Saint-Papoul est nettement favorisé par rapport à son voisin du sud, la route de la poste, le canal perpétuent la présence des voies existant depuis la préhistoire.

Le nord du diocèse de Mirepoix reste isolé, aggravant ainsi la pauvreté relative des futurs cantons de Belpech, Salles et Gaja-la-Selve et expliquant, en partie, leur attitude politique pendant la Révolution.

SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE
Archives départementales de l’Aude :


- 32 C 1 à 11 Procès-verbaux des réunions de l’assiette du diocèse de Saint-Papoul.

-11 C 25 à 11 C 41 chemins et ponts des diocèses de Saint-Papoul et de Mirepoix.

- Procès-verbaux des sessions des États de Languedoc, depuis 1776, conservés à la bibliothèque municipale de Castelnaudary ; cotés F a A 295 à 314.

-Albisson (J.), Lois économiques et municipales du Languedoc. Tomes II et V. Montpellier 1780-1787.

- Arbellot (G.) La grande mutation des routes de France au milieu du XVIIIe siècle Annales E. S C, mai-juin 1973. p 765- 791.

- Arbellot (G.), Lepetit Bernard, Bertrand Jacques. Routes et communications in Atlas de la Révolution française. Tome I. Editions de l’E.H.E.S.S. 1987.

- Castel (H.) Le réseau routier dans le diocèse civil de Limoux aux XVIIe et XVIIIe siècles. Bulletin de la SESA 1984. LXXXIV. P 59-70.

- de Dainville (F.), Cartes anciennes du Languedoc in Bulletin de la Société languedocienne de Géographie. Juillet-décembre 1960 p. 191-237.

- Daumas (M.), Histoire générale des techniques tome III. L’expansion du machinisme. 1725-1860. P. 255-257. Quadrige. PUF 1979.

- Petot (J.), Histoire de l’administration des Ponts et Chaussées 1599-1815. Paris 1958. Librairie M. Rivière et Cie. Paris.

 

 

NOTES

1-. Petot (J.) op. cit.

2-. Albisson (J.) op. cit.

3-. Il s’agit de la sénéchaussée de Toulouse dont font partie le diocèse de Saint-Papoul et les diocèses limitrophes de Lavaur et de Mirepoix. Avec les sénéchaussées de Carcassonne et de Nîmes-Beaucaire, les trois divisions anciennes de la province, pérennisées dans le fonctionnement des États de Languedoc.

4-. Albisson (J.) op. cit.

5-. A.M. Cy FaA 308Session des États de Languedoc. Janvier-Février 1786. p. 291

6-. Petot (J.) op. cit./

7-. ADA 32 C 5.  Procès-verbal de l’assemblée de l’assiette.

8-. A M Cy Fa A 309 décembre 1786.

9-. ADA 11 C 33

10-. AM Cy FaA 302 Monseigneur de Comminges préside la commission «Vérification des impositions des assiettes des diocèses et de tout ce qui a rapport à leurs travaux publics »

11-. ADA 32 C 7

12-. ADA 1L1109 et Dainville. op. cit.

13-. AMCy. FaA  307 -  janvier 1787

14-. ADA 1L1109.

15-. ADA 32 C1

16-. ADA 32 C6.

17-. ADA 32 C 8.

18-. ADA 32 C8.

19-. ADA 32 C 7.

20-. AMCy. Fa A 307.

21-. ADA 11 C 33.

22-. C’est un gué sur le Fresquel, entre les fermes de Lafitte et Notre-Dame.

23-. ADA 4 E 76/BB22.

24-. ADA 11 C 34.

25-. ADA 11 C 33/2 26 - ADA 11 C. 34

26-. ADA 11 C. 34.

27-. Cité par Paul Tirand Castelnaudary et le Lauragais audois . Eché 1988

28-. ADA G 270 Lettres du curé Lefort à Monseigeur de Langle.

29-. ADA 11 C.34

30-. Tailleurs de marnes plus ou moins calcaires, peu résistantes.

31-. ADA 11 C 31.

32-. ADA 4 E 76/BB22.

33-. La toise, qui sera souvent citée, correspond à 1,949m.

34-. ADA 11 C 31. Correspondance de Nicolas Lengelée avec M. de Saget.

35-. ADA 11 C 33/2.

36-. ADA G 270.

37-. ADA 32 C 7.

38-. ADA 11 C 33.

39-. Castel (H.) op. cit.

40-. Cazes (J.-P.) A propos de la maison de Laurac,  p.31-47, in Hérésis n°29 1999.
Passelac M. L’occupation des sols en Lauragais in Le Lauragais . Actes du Congrès de la Fédération historique  du Languedoc méditerranéen et du Roussillon. 1983 p.29-71.

41-. La sétérée de Mireval et celle de Laurabuc sont de 58 ares 47 ; celle de Villasavary de 39 ares 72 (Ramière de Fortanier : Les droits seigneuriaux dans la sénéchaussée du Lauragais.)

42-. AMCy F a A 298.

43-. ADA 11 C 32/1.

44-. AMCy F a A 30 6 décembre 1783.

45-. AMCy F a A 308 janvier- février 1786.

46-. ADA 1l 181.

47-. AMCy F a A 306.

48-. Carte du district de Castelnaudary. Mairie de Castelnaudary ; cabinet du maire.

49-. ADA 32 C 6.

50-. 52 - ADA 11 C 8

51-. ADA 32 C 33.

52-. Daumas M. op.cit.