Société d’ Histoire de Revel Saint-Ferréol LES CAHIERS DE L’ HISTOIRE N° 17 - 2012 - pages 98-103 |
IL Y A CINQUANTE ANS, LE PROTOTYPE DU "BREGUET ATLANTIC" EXPLOSAIT EN VOL PRÈS DE REVEL
Par Gilbert Puginier
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Pour un historique sur les avions Breguet un très beau site : "Les Amis des Avions Breguet"
http://amisbreguet.free.fr/index.htm
Une page de se site dédiée au souvenir des équipages disparus
http://amisbreguet.free.fr/Disparus.htm
En cette fin de journée du 19 avril 1962 (Jeudi Saint de la semaine de Pâques), les habitants de toute la région du midi toulousain (le revélois), furent stupéfaits, par l'explosion en vol, suivie de sa chute en plusieurs gros morceaux, de ce «gros avion»...
Nous n’étions habitués, à ne voir voler au dessus de nos têtes, que les «coucous» de l'aérodrome de Revel-Montgey.
Pour bien comprendre l'importance de cet avion, je me permets d'en donner les détails relevés dans un des cahiers de «La Dépêche du Midi(1)» (voir plus loin). Merci à La Dépêche, pour ce recueil, distribué en supplément au journal, de ce dimanche là.
L'Atlantic bimoteur Breguet-Dassault
Un avion de patrouille maritime Atlantic de la flottille 22F, (après avoir quitté la BAN Nîmes-Garons) se rend au défilé aérien du 14 juillet 1978 au dessus des Champs-Elysées à Paris.
Mais revenons à ce «gros coucou ».
Cet avion n'est autre que le prototype de l'Unité Industrielle «Avions-Marcel Dassaut – Breguet - Aviation», surnommé tout simplement «Breguet Atlantic», conçu et destiné à équiper les forces de l'OTAN, pour la reconnaissance en haute mer et pour la lutte anti-sous marine.
Cinq nations, avec la France ont participé aux équipements intérieurs, à l'électronique et à sa construction. C'était un magnifique avion, à la ligne élégante et digne de tous ceux qui l'ont conçu et construit.
Le premier vol eut lieu le 21 Octobre 1961. Il décolla de Blagnac. Son pilotage et son équipement électronique nécessitaient la présence de douze hommes à son bord.
Passons au « crash ».
Ce jeudi, 19 avril 1962, lors du retour d'un exercice d'entraînement, alors qu'il survolait la plaine de Revel en direction de Toulouse, entre 17 h et 18 h, une explosion se produisit à bord. L'avion éclata et se disloqua en plusieurs morceaux qui s'écrasèrent en divers points, dans cette partie de la campagne revéloise, à l'ouest de Revel, prés des fermes appelées : «Le Barthas», «La Crémade Neuve» et «La Goffio».
Le plus gros morceau comprenant la carlingue, une aile tordue sans moteur, une partie de l'autre aile, sectionnée des deux tiers, chutait à l'est de la ferme «Le Bartas», à environ 180 mètres de celle-ci (voir plan).
Un des moteurs, le droit, qui s'était détaché de l'avion, avec une partie de l'aile lors de l'explosion tombait dans un champ, en direction du village de Garrevaques (Tarn), à environ trois cent mètres au nord du «Barthas».
Au sud de la ferme «La Crémade Neuve», à deux cent mètres environ de celle-ci, c'était la queue de l'avion qui s'étant sectionnée et détachée de la carlingue, s'abattit sur un saule émondé, le coiffant comme un éteignoir sur une bougie, insolite et curieux à voir (à inscrire dans les annales, depuis que l'aviation existe, car c'est la seule et unique fois que cela s'est produit : une queue d'avion servant de capuchon à un arbre).
Quant au moteur gauche, arraché de son aile, il chutait, en feu, à environ deux cent quarante mètres, au sud-ouest de cette même ferme. Du côté de la ferme «La Goffio», à trois cent mètres à l'est de celle-ci, s'écrasait le train d'atterrissage.
Les vérins chauffés à blanc explosèrent, l'huile s'étant enflammée. Dans la carlingue, plantée dans le ruisseau, trois hommes étaient à bord : le pilote, le copilote et un mécanicien, Tous les trois y laissèrent leur vie.
Une stèle de granit rappelle leur nom : Monsieur Yves Bruneaud, pilote d'essai, Monsieur Alain Richard, ingénieur naviguant d'essai, Monsieur Rémy Raymond, mécanicien navigant d'essai.
Cette stèle est érigée à quelques dizaines de mètres du point de chute de la carlingue, en bordure de la route de «Belloc», allant du village de «Vauré» à la ferme de «La Goffio».
Le lieu de l’accident de nos jours ... |
Gilbert Puginier revient sur le lieu de l’accident, il se souvient et nous raconte le déroulement de cette journée tragique
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A cette époque j'avais trente et un ans, et l'on n'entendait pas souvent dans nos campagnes parler de «crash» d'avions.
Nous n'avions que les journaux et la radio pour toute information.
Pendant 20 ans, j'ai habité la ferme «Le Barthas», et lorsque l'avion tomba, mes parents y habitaient encore, ainsi que nos voisins de toujours dans la ferme d'en face, portant le même nom.
A cette heure de la journée, ils étaient encore occupés à leurs travaux dans les champs attenants à ces fermes. Inutile de dire la frayeur et l'affolement qu'ils ressentirent à la vue des morceaux de ce «mastodonte», qui donnaient l'impression, depuis le sol, que ceux-ci leurs venaient droit dessus ; sans compter des débris moins importants (les sacs de grenaille, ayant servi à charger l'avion en vue de le stabiliser lors de son vol), qui leur «pleuvaient» tout autour d'eux, et un peu partout dans la campagne. Ca tombait devant, derrière, sur le côté de chacun, ils ne savaient ou se mettre à l'abri !
Une fois que leur frayeur fut dissipée, mon père et notre voisin (Monsieur Salvignol Auguste) remis de leur frayeur, s'approchèrent, les premiers, de la carlingue afin de porter secours. Ils virent, au travers du cockpit, les trois hommes de l'équipage qui gisaient sans vie.
Pour ma part, étant en visite chez un ami, nous n'entendîmes qu'une très puissante explosion, faisant trembler les vitres de sa maison. Nous nous demandions ce que cela pouvait être ... une explosion de cette sorte ?
POINTS D’IMPACTS DES DEBRIS |
1 –Carlingue, aile brisée sans moteur, plus une demi-aile 2 – Queue de l’appareil coiffant un saule émondé 3 – Deuxième moteur gauche 4 – Le train d’atterrissage 5 – Boîte noire 6 – Le premier moteur |
Nous sortîmes rapidement. Nous ne vîmes rien, car nous étions entourés d'arbres. Je m'empressais de rejoindre mon épouse, à notre foyer, situé dans Revel même.
M'approchant de la ville, je voyais des gens dans les rues, affolés, discutant et gesticulant, montrant le ciel en direction de l'ouest, vers le village de Montgey, et disant : « un avion à explosé en l'air... il à éclaté en plusieurs morceaux qui sont tombés pas loin d'ici dans la campagne avoisinante, c'est terrible !
Il y avait dans la ville une telle effervescence, une telle émotion ! Effectivement, en vélos, en mobylette ou en voiture, même à pieds, des Revélois partaient en direction des villages de Montégut, Vauré, où Garrevaques (Tarn). La chute se situant bien dans ce triangle.
Avec mon épouse, nous fîmes comme eux, curieux de voir et de savoir ce qu'était cet avion ?
Plus nous approchions de la ferme de mes parents, plus nous étions très nombreux. Une angoisse nous prit et nos gorges se serraient.
Nous nous demandions, s'il n'y avait pas de victimes et nous pensions, surtout, aux membres de ma famille.
Mon Père ? Ma Mère ? Ou mes deux jeunes frères ? Dieu merci, il n'en fut rien. Personne ne fut touché, ni de nos familles, ni de tous nos voisins. Effectivement, cet appareil, ou plutôt ses morceaux étaient dispersés près des fermes citées ci-dessus.
De la carlingue (2)du kérosène se déversait en quantité importante dans l'eau du ruisseau.
Quand nous arrivâmes sur les lieux, la police, les pompiers, puis par la suite, un corps d'armée de la base aérienne de Toulouse-Francazal, empêchaient les curieux que nous étions de nous approcher des carcasses de l'avion.
Moi-même, je ne pouvais passer, pour me rendre auprès de mes parents, pour leur rendre visite. Il me fallût l'aide des gendarmes, qui me connaissaient, pour me faire passer le cordon de soldats de la garde. Il y avait aussi danger d'explosion également, avec tout ce kérosène qui flottait sur l'eau.
Une allumette, une cigarette et cela aurait créé un beau brasier. Durant tout le temps que dura l'enquête, jusqu'à l'enlèvement définitif de ces carcasses, personne ne pût s'approcher : la police et la garde armée surveilla le site. Pensez donc, un avion de l’OTAN ... C'était top secret !
La boite noire fut trouvée, dans la semaine qui suivit, au bord du ruisseau le Laudot, à l'ouest de la ferme «Le Barthas».
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Concernant l'explosion en vol de cet avion (3)
Le pilote et ses deux coéquipiers, ayant peut-être constaté qu'un des moteurs ne tournait pas rond (4), n'étaient-ils pas en train de faire faire demi-tour à leur appareil, dans l'intention d'aller se poser sur l'aérodrome de RevelMontgey, qu'ils venaient de dépasser (5) ?
Vu l’endroit en vol, (et la direction que prenait ce bel avion Breguet, suivi de son explosion tel que le raconte Monsieur Salvignol Auguste, notre voisin), j'en déduis que le pilote et ses coéquipiers, au bruit curieux des moteurs, décidaient en faisant demi-tour d'aller se poser sur l'aérodrome qu'ils venaient de dépasser.
S'ils avaient réussi cette manœuvre, ils pouvaient, tournant le dos à Toulouse, se poser, en prenant le bout ouest de l'aérodrome, en direction de Revel.
Malheureusement pour nos trois pilotes, manœuvre qu'ils ne purent, ou plutôt qui n'eurent pas le temps d'accomplir. Tel est le scénario qui apparaît dans mon esprit et qui n'engage que moi dans ce que je raconte ci-dessus.
Je pense donc que c'est pendant cette manœuvre (au cours du demi-tour), en quittant la trajectoire Revel-Toulouse que l'explosion du moteur droit se produisit, disloquant l'avion en plusieurs morceaux.
Certains tombèrent à proximité de trois fermes :
- Les deux fermes du «Barthas» avec le fuselage.
- La «Crémade Neuve» avec l'empennage, fiché sur un arbre comme un éteignoir de bougie.
- A «La Goffio», avec le train d'atterrissage.
Le moteur droit et son aile s'abattaient en plein champ, à la limite de la commune de Garrevaques-Gandels, et enfin, seul le moteur gauche, entre les fermes de «La Goffio» et de la «Crémade Neuve».
La boite noire ne fut trouvée que quelques jours après, dans un champ, lors de travaux de labours.
A signaler que le «Barthas» comportait deux fermes, qui se faisaient vis-à-vis, étant toutes les deux bâties
en parallèle. L'une d'elle abritait notre famille, les Puginier et leurs trois enfants (tous des garçons), enfants dont j'étais l’ainé. L'autre ferme abritait la famille Salvignol et leurs quatre enfants (deux garçons, deux filles). Je vous laisse imaginer ce qu'étaient les jeudis !
La fermière qui commente la catastrophe aux journalistes de «la Dépêche», intitulé «Comme une bombe atomique» n'est autre que ma mère, Isabelle Puginier, (décédée en 1975), mon père décèdera plus tard (voir l'article ci dessous découpé dans «la Dépêche»).
C'est un vrai miracle que les gros morceaux de cet avion ne soient pas tombés sur les fermes (6)... Un miracle aussi qu’ils ne soient pas tombés sur les habitants qui par peur courraient dans tous les sens. Aucun ne fut touché, ni même égratigné. Dieu merci, qu'il en soit ainsi ! Il y en a bien assez avec les trois aviateurs, qui étaient encore jeunes et pères de famille.
«Comme une «bombe atomique»
A mesure que te temps passait les curieux ne cessait de se presser sur les lieux de la catastrophe la commentant... telle cette fermière témoin oculaire de l'explosion : « Je regardais l'avion et tout a coup, j’ai vu un éclair et l'avion a explosé faisant un gros nuage de fumée comme une bombe atomique, j'ai vu tomber les morceaux et j'ai eu très peur, car ils paraissaient tomber sur la maison. En réalité, ils se sont écrasés ici (dans le champ), avec un bruit de tonnerre. »
Un autre, plus technicien déclare « Ce doit être le moteur droit qui a flanché. D'ailleurs c'est le seul qui ait pris feu. J'ai vu nettement l'aile se séparer du fuselage et l'appareil amorcer une vrille. Voyez l'appareil s'est écrasé a l'équerre par apport à sa ligne de vol. De toute façon, J'avais, comme beaucoup de monde remarqué que le bruit des moteurs était curieux ».
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Emplacement de la stèle en mémoire de l’accident
Ma pauvre mère, qui courrait comme une folle dans un champ labouré, avec des sabots en bois aux pieds, trébuchait souvent sur une motte de terre, se relevait et courrait de nouveau.
Parfois des pièces de ferraille lui sifflaient aux oreilles et se fichaient dans la terre...à côté d'elle. Il lui semblait qu'elle allait recevoir sur sa tête, un des morceaux qu'elle avait vu se détacher, lors de l'explosion. Telle est l'histoire de ce crash.
ll y a eu l'histoire du petit train qui s’est fait renverser par le vent d'Autan en haut de la colline de la «vacherie» (un mort), et bien maintenant il y a aussi l'histoire du crash de cet avion.
Une stèle a été érigée, en bordure de la route de Vaure au «Barthas», à quelques mètres de l’emplacement où s'est abattu l'appareil.
Le Mémorial se trouve à 1 Km de NOGARET 31540 en bordure de route en direction de REVEL 31250.
En cette année 2012 le 19 Avril sera la date du cinquantième anniversaire de ce triste événement.
Notes : les plans cadastraux.
Ils datent de l’époque du remembrement des terres.
A l’endroit où l'avion s'est fiché, il a été tracé une petite route. Elle rejoint, la route qui va du «Barthas» à Vaure et Revel, et au village de Montégut en traversant le Laudot (un petit ruisseau parallèle existant lors du crash est toujours présent).
Telle est l'histoire du crash de ce prototype «Breguet Atlantic» qui représente un de mes plus grands souvenirs de ma vie. Il est toujours ancré dans ma mémoire, mais aussi, j'en suis certain dans celle de beaucoup de revélois.
Ce fait, peut être écrit et classé dans les annales revéloise, car cela ne s'était jamais produit jusqu'à cette date, cela fait cinquante ans cette année (2012) ; tout comme d'ailleurs, la queue de cet avion coiffant un saule (comme un éteignoir de bougie) - insolite, incroyable, mais vrai !
De très nombreux modèles de l’Atlantic 2, équipés d'un système de détection plus évolué, continuent, je pense, à accomplir la tâche qui leur est destinée. Qu’un bon vent les accompagne !
Souvenons –nous Yves BRUNAUD Pilote d'Essais Alain RICHARD Ingénieur d'Essais Rémy RAYMOND Mécanicien |
Breguet (Dassault-Breguet) Atlantic Br.1150 Atlantic
Constructeur
Plan, Louis Breguet France: Fabrication, consortium multinational SECBAT.(Sociéré Européenne de Construction Type: avion de patrouille maritime et anti-sous-marin, équipage normal de 12 hommes Moteurs: deux turbopropulseurs Rolls-Royce Type 21 de 6 106 cv. Performances - Vitesse maxi (au-dessus de 5 000m) 658km/h - Vitesse de patrouille 320km/h - Montée initiale 746 m/min - Plafond pratique 10 000m - Autonomie en patrouille 18 heures - Rayon d'action maxi 9 000km - Armement: soute à armement non pressurisée pouvant porter toutes bombes conventionnelles OTAN - Charges de profondeur de 175kg - Quatre torpilles chercheuses ou neuf torpilles acoustiques et des roquettes HVAR. Porte-missiles sous les ailes pour un maximum de quatre missiles AS.12, Martel ou autres à tète nucléaire ou conventionnelles. Mise en service Premier vol, 21 octobre 1961, (modèle de série), 19 juillet 1965; mise en service, 10 décembre 1965. L'OTAN n'a jamais réussi à standardiser ses armements, spécialement en ce qui concerne les avions. En 1958, la décision de remplacer le Lockheed P-2 par un appareil commun à tous les pays membres de l'Alliance, constitua une des rares tentatives unificatrices. Le Br.1150 français fut sélectionné parmi 25 projets. En décembre 1959, deux prototypes en furent commandés par l'OTAN. Bien que la plupart des membres de l'OTAN refusèrent de collaborer au projet (parce que leur propre projet n'avait pas été retenu), le programme fut lancé par la France et l'Allemagne, ces deux pays en commandant respectivement 40 et 20. La marine des Pays-Bas en acheta neuf et la marine italienne 18; la cellule fut finalement construite dans les quatre pays. L’électronique étant fournie partiellement par les USA et la Grande-Bretagne. Les moteurs étaient construits par un consortium français, britannique, belge, allemand et italien ; l'assemblage était réalisé par la firme française SNECMA. Très confortable et efficace, l'Atlantic est pressurisé dans la partie supérieure de son fuselage double. La cellule possède une structure métallique sandwich en nid d'abeille. Cinq des appareils de la force aérienne allemande sont équipés d'instruments électroniques d'interception. Le gouvernement français a pris la décision de principe de relancer la production en série de l'Atlantic, dans une version NG (Nouvelle Génération), ceci pour répondre aux besoins de l'Aéronavale et dans l'espoir d'obtenir de nouvelles commandes à l'exportation. |
(1) Article de presse du dimanche 27 septembre 1999, intitulé : « 100 ans d'avions ».
(3) Je me permets de développer ici une idée personnelle, qui n'engage que moi-même
(6) Mais aussi les morceaux de ferraille, les sacs de grenaille, etc.