Société d’ Histoire de Revel Saint-Ferréol                                        LES CAHIERS DE L’ HISTOIRE - N°18 - Année 2012

 

 

L'ECOLE DE SOREZE ET SIMON BOLIVAR

par le frère J. de Metz

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(ancien archiviste de l’Ecole de Soréze) o.p.
(tiré du Bulletin de la Société de Recherches Spéléo-archéologiques du Sorézois et du Revélois, n°15 – 1981).

 

La " Salle des Illustres " de l'Ecole de SOREZE abrite les bustes d'une cinquantaine de glorieux Anciens Elèves.

Parmi eux, se trouve celui de SIMON BOLIVAR (1783-1830), le LIBERTADOR de l'Amérique du Sud. On le présente aux visiteurs; mais on est un peu gêné, lorsque l'un d'entre eux vous pose la question précise : BOLIVAR a-t-il été vraiment élève de l'Ecole ?

 

 Il y a une bonne vingtaine d'années, dans le bulletin  « En Cordée » qui assurait la liaison entre les divers collèges dominicains de France, se développa une discussion, courtoise certes mais exigeante, entre deux Pères, bons historiens tous deux, décédés depuis, le Père Burtin, docteur ès lettres et brillant professeur de Rhétorique, et le Père Girard, archiviste en titre de l'Ecole.
L'un comme l'autre, en fin de compte, ne croyaient guère à la présence du Libertador sur les bancs de l'Ecole.

 

Les choses en étaient là, lorsqu'il y a deux ans, l'Ecole reçut de Caracas au Vénézuela, ville natale de Bolivar, une lettre du très officiel « Comité Gouvernemental du Bicentenaire », demandant des précisions sur le séjour de BOLIVAR à Soréze, ainsi que des photos, cartes et autres souvenirs évoquant les lieux.

 

Je m'exécutai, notamment en envo­yant la fort belle gravure en couleurs, représentant l'Ecole vers 1820, gravure découverte par feu M. Millet, le bibliophile bien connu, et dont on fit un nouveau tirage en 1976, pour le Bicentenaire de l'Ecole Royale Militaire.

 

Depuis lors, les relations avec ce comité n'ont pas cessé et bien des précisions ont été apportées au problème des relations de Bolivar avec Soréze.

 

Mais comment a-t-on eu l'idée d'installer ici un buste du Libertador?

 

L’histoire remonte à 1895.

 

L'Ecole connaît une assez grave crise; il semble qu'on n'y croit plus; il faut alors une intervention personnelle du Général des Dominicains à Rome, pour nommer comme prieur, le Père Joseph Raynal. Qui est-il?

 

C'est le Prieur du couvent de Toulouse, un prestigieux orateur. Il lui faut toute sa vertu pour accepter d'abandonner un ministère apostolique fort important à Toulouse même et dans toute la région, afin de venir prendre en charge l'Ecole de Soréze, qu'il ne connaît d'ailleurs pas; il sait seulement qu'elle bat de l'aile.

 

L'Ecole possède le portrait du P. Raynal les bras croisés, le visage levé, le regard ardent et impérieux. On devine tout de suite qu'il s'agit là d'une personnalité hors du commun.
Il arrive sans tarder et aussitôt se met au travail avec toute sa fougue.

 

Portrait de Simon Bolivar

Il sera certes le Prieur du couvent et le Directeur de l'Ecole; mais bien plus encore, il sera l'Animateur de cette grande communauté éducative. Il sait bien que l'essentiel d'un collège, c'est l'introduction qui y est donnée, avec les professeurs et les élèves, les classes et les études, les devoirs et les leçons, etc... mais il sait aussi que tout cela n'a rien d'emballant. Pour redonner vie et enthousiasme à ce grand corps de Soréze, il faut lui faire entreprendre de grandes choses en ce domaine, le superflu est psychologiquement plus important que le rythme habituel de la vie quotidienne.

Aussi le P. Prieur se met-il à organiser des fêtes, de très grandes Fêtes, qui mettaient en branle tout le monde et se préparaient longtemps à l'avance.

 

Il est tout spécialement à l'origine de deux grandes réalisations la création de la Salle des Bustes et le grand ouvrage « Les Soréziens du Siècle ».
Certes la salle existait déjà, et quelques bustes étaient placés en divers lieux de l'Ecole; mais c'est lui qui eut l'idée de faire de cette salle le « Panthéon de nos Gloires ».

 

Et il n'y allait pas de main morte : chaque année, c'étaient 9, 11, voire 14 bustes nouveaux qu'on inaugurait d'un coup. Le vieux M. Metge, notre artisan, notre artiste plutôt, qui était chargé de les réaliser, ne manquait pas de travail ! Quand on connait l'éloquence du P. Raynal, je vous laisse imaginer quels discours extraordinaires, et passablement longs, ont retenti pour célébrer la gloire de nos grands hommes.

 

Sa seconde initiative fut de publier un « Livre d'or » intitulé « Les Soréziens du Siècle ». Tous les élèves de Sorèze du XIXème siècle y figurent, ainsi qu'un nombre assez considérable du siècle précédent. A côté des noms et des dates, figurent des notices, parfois assez abondantes.
Certes le P. Raynal n'a pas tout rédigé, loin de là; mais il a su animer l'équipe des rédacteurs, qui est arrivée au bout de cette grande œuvre collective, éditée évidemment à Toulouse par notre ancien élève, M. Edouard Privat.

 

Il n'y a toujours pas de Bolivar là-dedans. Patience!...

 

L'ouvrage devait sortir en 1900; en fait, par suite de retards, il ne verra le jour qu'en 1902. Entre temps le Père Raynal avait eu vent d'une nouvelle, qu'il accepta avec enthousiasme, sans trop soucier de la vérifier à Guayaquil, qui est le port de Quito, en République actuelle de l'Equateur - ville qui vit la rencontre, et comme la réconciliation, des deux grands libérateurs, Bolivar venu du Nord et San Martin arrivé de Buenos-Aires, à Guayaquil donc, un certain général Salazar, pas autrement connu d'ailleurs, inaugurant une statue de Bolivar, avait déclaré dans son discours, comme une chose connue de tous : « N'oublions pas que Bolivar a complété ses études classiques dans le célèbre établissement de Soréze, dont il est l'une des gloires,.... ».

 

Il n'en fallut pas plus pour enfiévrer l'imagination du P. Raynal s’il ne pouvait plus lui ériger un buste, car en 1901, à son grand regret, il n'avait pas été réélu Prieur et devait donc rejoindre son couvent de Toulouse; il put du moins insérer une notice de deux grandes pages, avec un portrait, dans le « Livre d'Or », non encore paru, des « Soréziens du Siècle ».

 

La magie de Soréze avait joué sur le P. Raynal comme sur beaucoup d'autres  autant il y était venu sans enthousiasme six ans plus tôt, autant maintenant il ne parvenait pas à s'en détacher.
Son départ fut cependant providentiel, car ainsi il ne figurera pas sur la liste des Religieux de Soréze, chassés lors des Expulsions en 1903. Ce qui lui permettra, étant sorti par la porte, de pouvoir revenir par la fenêtre.

 

Il demeura à Toulouse, en appartement, habillé de noir et non plus de blanc; et il reprit son ministère. Mais il gardait la nostalgie de Soréze. Aussi, en octobre 1905, lorsque M. Serres de Gauzy, avocat à Castelnaudary et président du Conseil d'Administration, le sollicita pour revenir à Sorèze, il ne se le fit pas dire deux fois. Il fallait redonner du « tonus » à cette Ecole, que l'expulsion de tous les Pères avait fortement secouée. Ce fut alors le « chanoine » Raynal aumônier, mais en fait directeur clandestin de la maison. Il manqua sans doute de prudence; surtout les anticléricaux de l'Instruction publique d'alors devaient veiller; il fut sommé de partir sous peine de fermeture de l'Ecole. Il dut s'exécuter.

 

Mais avant de partir, il avait pu inaugurer le buste de Simon de Bolivar; c'était le 4 juin 1906, lors des fêtes de la Pentecôte, parmi sept autres « Illustres », le Libertador figurait au premier rang.

 

M. Serres de Gauzy, M. Sémézies l'auteur de la notice dans le livre d'or, enfin le chanoine Raynal, se surpassèrent dans les éloges du grand homme. L'un d'eux fait arriver le jeune Simon du temps de Dom Despaux; comme celui-ci est parti en 1791, l'enfant serait donc arrivé à l'âge de 6 ou 7 ans, pauvre petit venu de si loin!
Pour un autre : « C'est ainsi que s'explique la parfaite connaissance qu'avait Bolivar des méthodes stratégiques de Napoléon, qu'il avait eu le temps d'étudier dans le célèbre collège, alors dirigé par les deux frères François et Raymond-Dominique Ferlus ».

 

Le P. Raynal reprit tout cela; avec sa fougue oratoire, il en rajouta encore : « Sa première éducation fut guidée par les Bénédictins de Soréze. Leurs soins éclairés étendirent ses connaissances, leur donnèrent de la force, et imprimèrent à sa pensée un cachet particulier d'énergie et de réflexion, qu'on trouve rarement réunis... ». On ne peut tout citer.

 

Examinons de plus près toutes ces affirmations d’ avoir reçu sa première éducation des Bénédictins de Soréze, donc avant juillet 1791, cela ferait arriver le jeune Simoncito, comme on l'appelait déjà, à l'âge de 7 ans; n'y revenons pas.
Mais « Les Soréziens du Siècle » fixent le séjour de Bolivar à Soréze de 1795 à 1798, soit entre 12 et 15 ans : quelle précocité pour connaître parfaitement les méthodes stratégiques de Napoléon!
D'ailleurs que pouvait-on enseigner alors du génie militaire du futur empereur : le siège de TOULON en 1793 ? La fusillade de Vendémiaire an IV (Octobre 1795), au cours de laquelle Bonaparte, alors sans emploi, fut rappelé pour mitrailler avec ses canons, depuis le parvis de l'Eglise St-Roch, les manifestants royalistes…

 

La première campagne d'Italie,...mais elle s'achevait tout juste, quand Bolivar eut été censé quitter Soréze.

 

Telle était l'argumentation du Père Burtin, qui ne voulait s'avancer que documents sors à l'appui. Le Père Girard reconnaissait la valeur des arguments de son contradicteur; il en ajoutait même d'autres, plus péremptoires encore.

 

A ces dates présumées de son séjour à Sorèze, Bolivar était encore au Venezuela, n'étant arrivé, et en Espagne encore, qu'en juin 1799. Il a alors 16 ans et ne peut donc plus être reçu à Soréze, car le règlement prescrivait qu'on n'accepte pas de nouveaux élèves après la 14° année.

 

 De plus, Bolivar conservait dans sa garde-robe tous ses uniformes, même après usage : comment se fait-il alors qu'au milieu de tous ces habits portés par l'enfant, l'adolescent, l'adulte, seul manquerait l'uniforme sorézien, qu'il n'avait aucun motif de rejeter, bien au contraire si l'on songe à toutes les amitiés françaises du Libertador !

 

Qu'ajouter encore, sinon qu'on ne retrouve jamais son nom dans les listes des « Exercices » annuels de l'Ecole ?

 

Alors la cause est-elle entendue? Et faut-il conclure, avec le Père Burtin, à une pure légende?
Je ne le pense pas.


Je me rappelle la réflexion qu'aimait à faire sur ses vieux jours le vénérable Père Lagrange, fondateur de l'Ecole Biblique de Jérusalem, et qui avait passé toute sa vie à scruter les Ecritures dans le pays même où elles étaient nées.
Il était un historien scrupuleux; pourtant il nous disait : « Mes petits frères, ne rejetez pas trop vite les légendes; certes, elles transforment, elles enjolivent; mais au fond, en grattant un peu, on rencontre toujours quelque chose de réel ».
Le difficile est que parfois on ne sait trop comment gratter.
Ici les deux points de la légende sont : rapports avec Soréze et influence de Bonaparte. Nous verrons que tous deux recouvrent une réalité. Le Père Girard le pensait aussi. A la suite du professeur Zerega-Fombona, de Caracas, il émettait l'hypothèse d'un séjour de quelques semaines, peut-être même de quelques mois, de Bolivar à Sorèze, au cours de l'été 1802, afin de se perfectionner dans la langue française. C'était le moment où il se préparait à inscrire ses neveux dans la célèbre Ecole.

 

Ne pouvant rien affirmer de certain, le Père Girard terminait sa présentation des divers Bustes de la grande salle, par cette magnifique phrase :

« C'est tout de même un honneur pour notre Ecole, que de jouir d'une telle réputation, qu'on n'ait pu supposer pour notre grand homme une autre formation que celle qu'il y aurait reçue! ».

 

On a envie d'a­jouter : « Fermez le ban ».

 

Mais avant d'aller plus loin, il ne sera sans doute pas inutile de rafraichir un peu nos souvenirs concernant la Libération de l'Amérique du Sud et son principal auteur.

 

Voyons d'abord le pays.

 

Laissons de côté l'Amérique du Nord, même les Etats-Unis. Ils se sont libérés quarante ans plus tôt; mais sauf à titre d'exemple, ils n'ont guère eu d'influence sur l'évolution semblable de leurs frères méridionaux.

 

Négligeons aussi le vaste Mexique et l'Amérique centrale : bien que contemporains, leurs évènements ont eu peu de rapports avec ceux qui nous occupent.

 

Venons-en à l'Amérique du Sud elle-même. C'est un immense triangle : 5000 kms d'Est en Ouest, 7500 du Nord au Sud : soit près de 40 fois la France.
Sortons les 3 Guyanes: anglaises, hollandaises et française; sortons surtout l'immense Brésil portugais, qui a suivi une évolution bien différente de celle des Colonies Espagnoles.

 

En effet, lorsque l'Armée de Junot arrive sous les murs de Lisbonne, le Roi et la Cour s'embarquent pour le Brésil, qui demeure ainsi fidèle à son souverain.
Il nous reste alors un immense territoire, plus grand que toute l'Europe, de l'Atlantique à l'Oural.

 

Du Nord au Sud, de la mer Caraïbe au Cap Horn, s'étend l'immense chaîne des Andes, aux neiges éternelles qui culmine à 7000 m, et dont les cols sont tous aux environs de 4000 mètres d'altitude.

 

Depuis trois siècles, l'Espagne est installée dans ce pays. Son administration a divisé le territoire en 3 grandes régions celle du Nord, avec la Vice-royauté de Nouvelle-Grenade (capitale Bogota) d'où dépend la Capitainerie Générale du Venezuela (capitale Caracas), ainsi que la région de Quito (l'actuel Equateur). C'est tout cet ensemble dont Bolivar voudra faire un seul vaste Etat, qu'il appellera Colombie, en souvenir du découvreur de l'Amérique.

 

A l'Ouest, nous trouvons la Vice-royauté du Pérou (Capitale Lima), dont dépend le pays que Bolivar libérera, et qui en son honneur, deviendra la Bolivie. Enfin, au Sud, c'est la vice-royauté de la Plata, qui englobait l'Argentine, le Chili, l'Uruguay et le Paraguay.

 

Les Espagnols proprement dits sont peu nombreux : au Venezuela, ils ne seront jamais 12000; mais ils se réservent tous les postes de l'administration et font preuve d'une morgue quelque peu insolente.
A côté d'eux, ce sont les créoles; au Venezuela, ils seront 200 à 300 000; souvent de sang mêlé, d'ailleurs.

 

Certaines familles sont arrivées d'Espagne, presque depuis l'époque de la découverte. Elles possédaient de grands domaines et y vivent largement. A part les ports évidemment, les côtes proprement dites sont peu occupées, en raison de leur climat chaud et débilitant : Caracas est à 1000 ms d'altitude et à 50 Kms de son port de la Guaira; Bogota est à 2600 ms et plus loin encore; il en est de même pour Quito et Lima. Cependant, seule la bordure du continent est occupée; il n'y aura que les Missionnaires pour s'aventurer loin à l'in­térieur ; on connait l'histoire de la République des Jésuites au Paraguay.

 

A côté des créoles, des « Américains » comme on les appelle, il y a au Venezuela dans les 60000 noirs, moins nombreux qu'ailleurs, les Espagnols ont été beaucoup moins esclavagistes que les Portugais au Brésil ou les Français en Haïti et en Louisiane. Beaucoup de ces noirs ont d'ailleurs été affranchis : le grand dominicain Bartolomé de Las Casas est passé par là.

 

Dans la Pampa, ou comme on dit : Les Llanos, vivent libres les Indiens, au nombre peut-être de 1 ou 2 millions, toujours montés sur leurs chevaux et conduisant leurs troupeaux.

 

Lors de la guerre de Libération, les Noirs ne joueront pratiquement aucun rôle; quant aux indiens, les Llaneros, au gré de leur intérêt immédiat, ils seront tantôt avec les Espagnols, tantôt avec les Rebelles, plus souvent d'ailleurs avec les Espagnols.

 

Et Bolivar? ... Sa famille est d'origine basque, de petite noblesse exactement de Marquena, près de Bilbao. Très tôt installée à Hispaniola (St Domingue), elle est arrivée à Caracas en 1588, soit deux siècles avant la naissance du Libertador.

 

Elle occupe de hautes charges : son père sera, à la fois, haut fonctionnaire du Trésor et représentant de Caracas comme de la Province auprès du Gouvernement.

 

Caracas est une belle ville de 45.000 habitants, avec une université. Ville cultivée, très proche de l'Europe. Le jeune Simon nait en 1783, 4° et dernier enfant de la famille après un frère et deux sœurs. Il perdra très vite ses parents et sera élevé dans la vaste hacienda familiale par des précepteurs. Le principal de ceux-ci, à peine plus âgé que son élève, aura sur lui une grande influence; il le retrouvera tout au long de sa vie. C'est un philosophe des Lumières, ami de la Nature et fervent disciple de Jean-Jacques Rousseau : Simon Rodriguez Carrero; mais il se fait appeler Samuel Robinson, cela fait plus moderne.

 

En 1799, Simon a 16 ans: on l'envoie à Madrid auprès de son oncle et tuteur, don Esteban Palacios, afin de compléter son instruction; là encore, il ne s'agira pas d'Ecoles régulières, mais de ce qu'on pourrait appeler des leçons particulières en diverses matières : la langue française, que plus tard il parlera et écrira si bien, est loin d'occuper la première place.

 

Bolivar est alors un jeune homme brillant, élégant, intelligent, qui connaît tous les succès mondains, il sera même le compagnon de jeux du prince héritier, le futur Ferdinand VII, de bien triste mémoire.
Mais Simon, tout en se livrant à toutes sortes de distractions et de plaisirs, garde un fonds de sérieux et un grand désir de s'instruire; de lui-même, il quittera la vie frivole de la Cour d'Aranjuez, pour aller compléter son instruction à Madrid. Il y passera la fin de 1799 et toute l'année 1800.
C'est là qu'il rencontre un vénézuélien, d'origine basque lui aussi, le marquis don Jeronimo de Ustaritz. Il le suivra à Bilbao; où il passera, en dépit de quelques absences (dont au moins, sans doute, un voyage à Soréze), une année entière : 1801.
Chez le marquis, il fera la connaissance de dona Maria-Teresa del Toro, noble et riche créole de Caracas elle aussi, un peu plus âgée que lui. Il l'épousera en 1802 et repartira au Venezuela avec elle. Sa femme y meurt très vite, au début de 1803. Veuf à 19 ans, Simon jure de ne pas se remarier.

 

Il passe 18 mois dans son pays, participant à de nombreuses réunions de clubs et de sociétés, qui toutes ont le désir de s'affranchir de l'Espagne; puis il retourne en Europe. Sa base sera alors Paris, où il retrouve son mentor, Samuel Robinson. Il se livre sans réticence à la vie mondaine, si brillante alors, dans la capitale.
Il n'en continue pas moins à s'instruire, soit par de longues discussions avec son jeune mai­tre, soit en fréquentant assidument les bibliothèques. C'est l'époque où l'astre de Napoléon est au zénith : il sera le modèle, mieux l'incarnation de l'idéal que se fixe Bolivar. En cachette de son maitre, qui n'aime pas les  « tyrans », le 2 décembre 1804, il est à Notre-Dame pour assister au Sacre de l'empereur.
Puis maitre et disciple décident de partir pour l'Italie. On abandonne à Lyon la diligence avec les bagages et à pied, à la manière de Rousseau , on va par étapes jusqu'à Turin, puis Milan où Simon assistera, le 26 mai 1806, au couronnement de Napoléon comme roi de Lombardie.
De Milan, on s'achemine vers Rome.

 

Du haut du Monte Sacro, qui domine la ville Eter­nelle, en présence de son maitre qui l'a sans doute inspiré, Bolivar jure solennellement de consacrer toutes ses forces, toute sa vie, à la Libération de sa Patrie et de l'Amérique. Il est prit désormais. Il re­part pour Caracas, où il arrive en juin 1807. Il a près de 24 ans.

 

Mais avant d'aller plus loin, il faut nous arrê­ter sur un personnage tout aussi exceptionnel que Bolivar. Il est de la génération avant lui et a été appelé le « Précurseur de l'Indépendance » de l'Amérique du Sud, Miranda, le général Francisco Miranda.
Lui aussi est un créole du Vénézuela, encore que sa famille y soit installée d'assez fraiche date. Il est supérieurement doué dans tous les domaines. A 25 ans, jeune officier espagnol, il participe à la guerre d'indépendan­ce des Etats-Unis, d'où il reviendra général. Puis, comme tous les amé­ricains bien nés, il va faire son tour d'Europe, mais ce tour durera 25 ans!

 

En prenant son temps, en menant la grande vie des hommes jeunes, riches et séduisants, il parcourra toutes les capitales européennes, non seulement Paris, Londres, Berlin, Vienne, Budapest et Rome, mais aussi Stocklom, Oslo, Copenhague; mais encore Athènes, Constantinople, et l'immense Russie avec Sébastopol, Kiev, Moscou et St-Petersbourg.

 

Il fréquentera les rois et les Grands; on se le disputera dans les réceptions et les fêtes. En Russie, où il passera plusieurs années, il deviendra le favori de la grande Catherine, pourtant son aînée de 20 ans; vivant au Palais, il présidera avec elle Conseils et Banquets.

 

Pourquoi nous intéresse-t-il tant ce Miranda? Parce qu'il est ve­nu visiter l'Ecole de Soréze.

 

Après ses journées bien remplies, le soir, dans ses carnets de voyage, il notait en détail les événements du jour ainsi que ses observations. Nous possédons ainsi un récit plein d'humour de sa venue à Soréze, que nous lirons tout à l'heure.

 

Mais continuons sa carrière extraordinaire : il rentre en France à la veille de la Révolution, s'engage dans l'Armée Française, sera général à Valmy et le second de Dumouriez; lorsque celui-ci deviendra Ministre de la Guerre, il sera Commandant en Chef de l'Armée du Nord, au point que son nom est gravé sur l'Arc de Triomphe à Paris.
Ce qui nous touche, c'est que lors de ses deux tentatives de débarquement dans son pays, qui échoueront d'ailleurs toutes deux, il ne voudra porter d'autre uniforme que celui du Général français, celui de Valmy.

 

Plusieurs fois, il sera emprisonné; mais il aura la chance de toujours être épargné avant de passer sous le sinistre couperet. De Paris, il passe en Angleterre, pensant que celle-ci possède la maîtrise des mers donc pourra l'aider à libérer son pays.
De fait, il fera un premier essai en 1806; mais il a mal jugé la difficulté de l'opération : il a trop peu de monde et de moyens. Venu d'Haïti, il n'aura que le temps de se replier sur la Barbade, sans même pouvoir débarquer lui-même. Les premières troupes seront immédiatement encerclées, puis durement châtiées par les Espagnols.

 

Miranda repart pour l'Angleterre. A Londres, il est pensionné par le Gouvernement. C'est là qu'en 1810, Bolivar, à la tête d'une ambassade de la Junte du Venezuela (l'Espagne est occupée par les Français et ne peut donc plus envoyer de troupes outre-mer), vient le chercher. Seul Miranda a la science militaire et le prestige voulus pour diriger les opérations. Il se laisse convaincre; et l'Angleterre, moyennant la promesse de bons avantages commerciaux dans ces jeunes pays bientôt in­dépendants, met à leur disposition un vaisseau de guerre.

 

On est mieux préparé et l'Espagne est affaiblie. Nous sommes en 1812 (Bolivar a 29 ans). On débarque.

 

La route de Caracas est ouverte et on y fait une entrée triomphale. Mais les Espagnols se sont ressaisis. Le sort tourne; et Miranda, plutôt que de s'entêter dans une entreprise qu'il juge im­possible, négocie en cachette avec le général espagnol; il en reçoit même de l'argent.

 

Alors se passe un évènement douloureux, qui demeure encore obscur.

 

Le 31 juillet 1812, la nuit avant de lever l'ancre sur une corvette anglaise, alors que les bagages de Miranda et sa cassette sont déjà embarqués, un groupe de jeunes officiers, avec Bolivar à leur tête, vient arrêter le général pour le livrer aux Espagnols.
Ceux-ci trop heureux, l'enchaîneront dans les cachots de la forteresse de Cadix. Il y mourra 4 ans plus tard.

 

Que s'est-il passé? Miranda est trop âgé, il a 62 ans; il est absent de son pays depuis près de 40 ans et ne comprend plus le tempérament des Créoles; il mesure peut-être mieux les difficultés de l'entreprise et manque alors de l'audace nécessaire...

 

Que sais-je?

 

L'évènement du 31 juillet 1812 demeure le point noir de cette magnifique épopée…

 

Mais revenons à sa visite à Sorèze. Ses carnets sont rédigés en espagnol. Voici la traduction de la page concernant Soréze. Nous sommes au 13 mars 1789, donc avant le début de la Révolution.

 

Miranda, après son long périple en Europe, arrive d'Italie et se rend vers Bordeaux. Arrivé à Castelnaudary, exprès il s'écarte de sa route pour voir deux choses : le barrage de St-Ferréol, qu'il admirera beaucoup et l'Ecole de Soréze.

 

« … Nous poursuivîmes par un chemin moins bon en direction de Soréze et je suis descendu au couvent, envoyant ma chaise à l'auberge du villa­ge qui est proche. Un jeune religieux quelques 26 ans s'offre pour m'ac­compagner; nous allons aux réfectoires, dont l'entretien laisse à dési­rer; ensuite aux cours de récréation, où les classes sont séparées (classes : c'est ce qu'on appelle maintenant les divisions : rouges, bleus, etc...); il n'y en a d'ailleurs que deux encore; le terrain est en construction, aussi une classe (une division) est mélangée. Nous visitâmes quelques salles de cours, qui me semblèrent petites; ensuite les écuries, où nous vîmes dix chevaux de piqueurs; nous entrâmes dans le manège couvert, qui est assez bon et dans un autre, découvert tout à côté. Ensuite, nous avons parcouru les dortoirs qui sont propres, les plus petits se trouvent dans de grandes salles, tous ensembles. Il y a des dortoirs avec séparation de 4 en 4; et ensuite une série suivie. Les plus grands ont chacun une petite cellule, chacun avec son lit, où ils sont enfermés du dehors à certaines heures ....Parce que les mœurs, me dit un bon Père, c'est la première de nos préoccupations. Pour ma part, je crois que cette manière de faire est plus efficace à éveiller dans cette jeunesse, ces mêmes désirs que l'on prétend réfréner. Nous allons à la cuisine qui est vraiment sale (dans le texte "cochinissimo", on ne peut être plus expressif!). Nous visitâmes encore la promenade intérieure du jardin, et j'ai vu un jeune aigle que l'on soigne; aussi un grand rapace (buitre) prie sur la montagne de St-Fériol; les deux dévorent la viande qu'on leur donne, avec facilité. Invité à entrer dans la chambre du frère, celui-ci fit un bon feu dans une bonne cheminée et il me fit constater qu'il était logé comme un gentilhomme ("caba­llero", dit Marauda, ce qui en dit long sur le sens qu'on avait, au XVIII° siècle, de la vie monastique, mais passons).
Il me précisa que le Séminaire ou Ecole Royale Militaire n'a qu'une trentaine d'années, et que seul le désir d’être utiles les avait induits, car ils n'avaient aucun intérêt dans l'Ecole.
Ils étaient Bénédictins, ce qui veut dire " riches " (saluons cet aveu), - et n'avaient aucun besoin. Une tour ou Campanile isolé est le seul vestige que laissèrent les Religieux de l'ancien monastère (erreur c'était le clocher de l'Eglise paroissiale).

 

Le nombre des étudiants est de 500 et le développement est prévu. Dans le couvent, 30 religieux tous dévoués à l'enseignement du Séminaire qui serait, déclare-t-il, le premier de France.
Le Supérieur actuel est Dom Despaulx; dom Zalltla Gardette, qui me donna son nom par écrit, me supplia de lui envoyer quelqu'enfant avec deux lignes miennes de présentation et qu'il serait soigné avec une attention particulière. Il me demanda mon nom et je lui donnai celui de " Mr Meroph, from Maryland" (Miranda donnait rarement son vrai nom). Au lieu des cours que je lui demandai, il me remit les Exercices publics de l'année passée et je prenais congé avec mille grâces. »

 

Quel dommage que Bolivar, n'ait pas tenu, comme Miranda, son journal quotidien!

 

Après l'échec de 1806, puis celui de 1812, Bolivar et ses compagnons ne se découragent pas. Ils jurent solennellement de faire, comme ils disent, " La Guerre à mort " à l'Espagne, et de ne s'arrêter que morts ou totalement indépendants.

Cette guerre, dirigée par le Libertador, se déroulera en trois Campagnes : celle de 1813-1814 (Bolivar a 30 ans), dite "Campagne Admirable", qui se déploiera de Cara­cas à Carthagène, sur plus de 1.000 Kms. Celle de 1818-1819, qui verra le passage des Andes et la libération de Bogota, la Capitale, ainsi que la défaite complète des Armées espagnoles, se déroulera, elle, sur près de 3.000 Kms. Enfin quand les Patriotes du Pérou auront appelé au secours, celle de 1822-1824.

 

Ce sera la plus difficile de toutes, car Bolivar sera à des milliers de kms de ses bases; surtout parce que la classe dirigeante créole du Pérou, voulant à tout prix sauvegarder ses privilèges exorbitants, passera allègrement d'un camp à l'autre, et ne sera jamais sûre.

 

Cette dernière campagne verra en action les talents du chevaleresque disciple de Bolivar, natif lui aussi de Caracas et de 10 ans son cadet, le Maréchal José-Antonio de Sucre (prononcer « Soucré ») ainsi que la création de cet Etat qui, par acclamations, voudra s'appe­ler Bolivie, en hommage au Libertador.
Les campagnes de Napoléon se sont étendues au maximum de Lisbonne à Moscou, soit sur environ 3.800 Kms.
Celles de Bolivar iront de Potosi en Bolivie à Angostura au Venezuela, distants tous deux de 5.000 Kms bien comptés; et avec quels chemins!

 

Je ne vous raconterai pas ces campagnes éblouissantes, encore que ce serait passionnant. C'est à cette occasion que Bolivar a été hanté par l'exemple de Napoléon, ses mouve­ments rapides qui surprennent l'adversaire, à l'image du Bonaparte de la campagne d'Italie.
Son armée de va-nu-pieds, au début si mal armée (un bon tiers de ses hommes n'avaient encore que des arcs ou des lances), comme les soldats de l'An II.

 

Sa constante infériorité numérique, il la compensera par des manœuvres rapides et audacieuses il ne dépassera guère 5000 hommes, et rencontrera des troupes de 8, 10 ou même 12 000 hommes; mais aussi l'enthousiasme extraordinaire qu'il saura communiquer, par ses discours et ses ordres du jour, à des troupes qui n'ont rien à perdre et tout à gagner.

 

On est confondu devant l'activité incessante de Bolivar, dont les journées n'avaient pourtant que 24 heures.

 

Il était pratiquement seul pour tout diriger; or non seulement il était toujours en marche et continuait l'instruction de ses soldats et de ses cadres improvisés; mais il tra­vaillait à la Constitution des futurs Etats indépendants. Il réorganisait l'Administration des territoires libérés (finances, économie, routes, écoles, etc...); ce qui ne l'empêchait pas, lors de l'arrivée dans une ville libérée de se donner complétement aux Fêtes organisées à cette occasion et de danser la nuit entière. Mais au matin, il se remettait au travail.

 

Pour illustrer cette activité, et camper un peu mieux le personnage du Libertador, je me contenterai de deux faits.

 

Le premier sera le passage des Andes, avec plus de 2.000 hommes : 1300 fantassins et 800 cavaliers, dont 300 périront en cours de route. Le col de Paramo de Pisbo, entre le Venezuela et la Colombie, qui s'ouvre à plus de 4 000m, est particulièrement difficile; on le franchira en pleine mauvaise saison, par un temps épouvantable de pluie et de neige, avec des hommes venus de la Plaine équatoriale, chaude et humide, chaussés de sandales et vêtus légèrement. Cela durera une quinzaine de jours (A titre de comparaison, le Grand Saint-Bernard n'est qu'à 2.500 m; et le passage échelonné des 30.000 hommes de Napoléon, en mai 1800, a duré en tout une dizaine de jours).

 

En queue de colonne se trouveront les fameuses  « Juanas », épouses, compagnes ou sœurs des soldats, qui ne seront pas comme on pourrait le croire des « repos du guerrier »; elles assureront avec une énergie et un dévouement qui ne se démentiront pas, le ravitaillement, la cuisine à l'étape, ainsi que les soins aux malades et aux blessés.
En 1907, un jeune professeur de l'Université de Yale voulut refaire la route de Bolivar. Le compte-rendu de son expédition, entreprise au cours de la saison sèche, témoigne des difficultés proprement surhumaines surmontées par les Patriotes en 1819.

 

Enfin on redescend de ces hauteurs. On va arriver dans la petite ville de Socha, où heureusement ne se trouvent pas d'Espagnols. Mais la plupart des hommes n'ont plus que des haillons. La décence et le prestige interdisaient que l'armée libératrice se présentât aux populations ainsi. Bolivar envoie en avant un messager qui va contacter le Curé. Celui-ci a une inspiration. Il fait sonner les cloches à toutes volées, et l'église une fois remplie, il fait verrouiller les portes. Il monte en chaire, expose la situation et l'urgence qu'il y a à secourir ceux qui viennent de braver tant de souffrances et de périls au nom de la Patrie. Bref, en un appel vibrant et impérieux, il invite ses ouailles... à se déshabiller sur-le-champ, ne gardant que l'indispensable à la sauvegarde de la pudeur.

 

Avec les vêtements, on charge une colonne de mulets et à la nuit tombante, chacun retourne chez soi discrètement pour aller se rhabiller. Quelques jours plus tard, l'Armée quelque peu reposée, fait son entrée au milieu de l'enthousiasme général. Mais Bolivar ne s'attarde pas, car il veut surprendre les troupes espagnoles.

 

Il les rencontre à Boyaca. Elles sont installées sur une petite hauteur, défendue par la rivière qui, sortie de son lit en raison des pluies, a transformé la plaine en marécages. Bolivar est en mauvaise situation et, comme toujours, en infériorité numérique. Cependant il engage la bataille, après une harangue bien sentie à ses troupes et des consignes fort précises données à ses lieutenants.

 

A midi, cela va mal. A 17 heures, la défaite ne fait plus de doute. Alors Bolivar monte une manœuvre d'une folle témérité. Le soir c'est la victoire et seule la nuit sauve les Espagnols d'un écrasement total, que le Libertador réalisera quelques jours plus tard, après la prise de Tunja, opérée par surprise.

 

L'armée espagnole, général en tête, est toute entière prisonnière.

 

Conclusions : nouvel échange de vêtements. Les vainqueurs revêtus des uniformes des vaincus et munis de leurs armes, encadrant les prisonniers à peu près en chemise et pieds nus, font une entrée triomphale à Santa Fé de Bogota.

 

Et le deuxième trait, le voici. On est revenu au Venezuela, encore 800 Kms dans les jambes. On affronte les dernières troupes espagnoles de la région. C'est la bataille décisive de Carabobo. L'armée espagnole, bien reposée et plus nombreuse, occupe une solide position. Bolivar a encore une fois monté un plan audacieux, et harangué ses troupes avec flamme.

 

 

 

 

Il conclut : « C'est la dernière bataille, si nous la gagnons, c'est le triomphe total. Il faut vaincre ou mourir. Mais je ne veux pas être à la tête d'une armée de bandits. Les officiers seront en grande tenue, casaque rouge à parements bleus, épaulettes et galons d'or, écharpe de soie; les hommes en tenue de parade et gants blancs ».

 

C'est ce qui se passe. Au soir la victoire est complète.
On peut se demander où Bolivar a-t-il pu apprendre ainsi l'art de la guerre?
Disons-le franchement : ce n'est pas à Soréze.

 

Mais il avait toujours avec lui une petite bibliothèque et il s'en instruisait quotidiennement. Tout d'abord, il cherchait à se procurer les fameux « Bulletins de la Grande Armée » de son idole Napoléon. Mais il avait aussi l'Expédition d'Alexandre, en français, avec un Atlas; surtout les commentaires sur la Guerre des Gaules de Jules César, avec planches, cartes et croquis des combats et des sites. Les œuvres de Vauban, celles du Maréchal de Saxe et de Frédéric II. Surtout, il possédait ce qui était alors le  « nec plus ultra » de la science militaire: l'Essai général de Tactique, et l'Etat actuel de la politique et de la science militaire de l'Europe, du Comte Jacques-Antoine de Guibert, dont on sait qu'il fut l'inspirateur de Clausewitz.

 

Après ces campagnes et ces victoires, comment finit Bolivar ?

 

 Epuisé, malade, écœuré par les ambitions et les disputes politiciennes qui se développaient partout, il expira hors de son Venezuela natal.

 

C'était le 17 décembre 1830, il avait 47 ans. Il fut assisté par le docteur Révérend, un français, un de ceux qu'on appelait « Les français de Bolivar », qui était venu se mettre à son service.
Une semaine avant sa mort, il avait encore eu le courage de dicter une dernière « Procla­mation » à ses concitoyens, vrai testament politique, où il tentait de les mettre en garde contre leurs défauts naturels.

 

Ainsi les trois héros de la Libération de l'Amérique finiront tragiquement : San Martin, découragé, s'exilera en Europe et mourra dans la misère à Boulogne-sur-Mer; Sucre sera assassiné en 1830 par ceux qui veulent prendre sa place; et Bolivar meurt en exil, seul, ruiné, dans une maison qui n'est pas la sienne, loin de ceux à qui il avait consacré toutes ses forces.

 

Et Soréze ? Venons-y tout de même.

Mon plus fidèle correspondant de Caracas, M. Paul Verna, « Coor­dinator », c'est à dire Secrétaire Général du Comité Exécutif du Bicentenaire, travaille la question.

 

Après un article de journal encore un peu sommaire intitulé «  El Enigma de Bolivar en Sorès », il se prépare à publier une brochure sur la question. Elle n'est pas encore sortie, mais il m'en a fourni les éléments principaux, sous la forme d'une chronologie, aussi précise que possible, des séjours du Libertador en Europe. Il y note les dates des passages possibles et des séjours certains de Bolivar à Soréze.

 

Ne parlons pas de sa rapide ambassade à Londres en 1810, pour ramener Miranda. En dehors d'elle, il a fait deux séjours en Europe, de 3 ans environ chacun. Le premier de 1799 à 1802, fut centré sur l'Espagne; le second, après la mort de sa femme, de 1803 à 1806, fut basé sur la France.

 

Commençons par le premier séjour.
Il passe d'abord 18 mois à Madrid, en particulier pour compléter ses études. En 1801, il séjourne une année entière à Bilbao chez le Marquis d'Ustaritz.
Dans une décla­ration officielle, il écrit qu'il s'en absenta plusieurs fois, notamment pour aller en France.
S'est-il alors rendu à Soréze? C'est probable.

 

Nous n'imaginons plus actuellement ce qu'était la notoriété de l'Ecole. Bien que n'étant plus Ecole Militaire, elle avait survécu, grâce aux Ferlus, à la tourmente révolutionnaire. Elle comptait encore environ 400 élèves. Elle était une des plus brillantes de ces douze Ecoles Royales Militaires, et la seule qui soit vraiment dans le Sud de la France. Son rayonnement était grand sur l'Espagne voisine, rien qu'à la fin du XVIII° siècle, j'ai relevé les noms de plus de 100 élèves venus de la Péninsule; parmi eux, le fameux Castanos, duc de Baylen.

 

Aussi venait-on souvent la visiter. Je ne vous rappellerai pas la visite du Comte de Provence, futur Louis XVIII, le 23 juin 1777 (1), si bien racontée par le Père Burtin dans le « Miroir de l'Histoire »; toujours en 1777, celle du futur Joseph II d'Autriche, qui tourna bride lorsqu'il constata que son incognito avait été éventé; ni celle de son frère, l'Archiduc Ferdinand en 1783.

 

 Par ailleurs, la Princesse de Carigan vint l'année suivante pour inscrire son fils à l'Ecole. Quant à Miranda, revenant pourtant d'un voyage au coure duquel il avait visité toute l'Europe nous avons vu qu'il n'a pas hésité à faire un crochet sur sa route, afin de la voir. Sans doute y en eut-il d'autres, qui n'ont pas laissé de traces écrites.

 

Bolivar veut conseiller à sa sœur aînée, Maria-Antonia, épouse Clémente, de mettre ses deux fils à Soréze. Le projet d'ailleurs se réalisera et le futur Libertador viendra visiter ses neveux.

 

Il prendra sur lui de leur payer la pension, quitte à devoir emprunter à ses amis français (à 36% !).

 

Quand on sait le soin qu'il mettait à préparer tout ce qu'il entreprenait, il serait invraisemblable qu'il ne soit pas venu voir l'Ecole, pour s'enquérir â fond de ses programmes et de sa valeur; de Bilbao, si proche, il a fait, déclare-t-il, plusieurs voyages en France.

 

Revoyons la chronologie de ses deux grands séjours en Europe.

 

Durant le premier, M. Verne note deux visites probables à Soréze : l'une au cours de l'année 1801, l'autre en février 1802. C'est l'année suivante que ses neveux de Caracas y entreront. Ils y demeureront au moins trois ans. Au cours de son second séjour, Bolivar retourne à Soréze en mars 1804 : le fait est certain, prouvé qu'il est par une lettre du Libertador en personne.

 

Puis au début de 1806, passant dans la région, il est vraisemblable qu'il est venu voir ses neveux et contrôler leur travail. Enfin, en juillet 1806, quelques mois avant de quitter définitivement l'Europe, nouvelle visite, certaine celle-là, car appuyée elle aussi sur une lettre de Bolivar, retrouvée en 1978 et acquise alors par le Gouvernement du Venezuela. Cette lettre, écrite en un français fort correct, est du 11 juillet 1806. Il sollicite de son ami, M. Dehollain, un emprunt pour son voyage de retour ... 

 

« Vous avez fort raison de me dire que c'est trop (de 10.000 Fr. pour le voyage), mais il faut que vous sachiez que je suis obligé de payer d'avance la pension de mes neveux avant de quitter la France... Tachez, mon cher, de me faire passer au plus tôt l'argent que vous vous proposez de me prêter, car je dois aller à Sorèze pour voir mes neveux et pour régler mon compte avec le Directeur du Collège. Faites au plus tôt, car je brûle d'impatience de retourner dans mon pays. Arrangez vos affaires au plus vite.... ».

 

Dans un billet postérieur, il remercie de l'argent envoyé.

 

Depuis un an, les deux frères Clemente ont été rejoints à Sorèze par leurs cousins espagnols de Madrid, Joseph et Michel Rivas, qui passeront au moins 4 ans dans nos murs. Notons enfin qu'à la génération suivante, et du vivant encore du Libertador, deux autres neveux, de Caracas ceux-là, viendront à Sorèze : ce sont les Rivas de Tovar, Salvador et André, qui y étudieront de 1823 à 1827.

 

Bolivar est-il venu d'autres fois à Sorèze? Ce n'est pas impossible.

 


Une de ses visites, celle de 1802, s'est-elle transformée, selon l'hypothèse du Père Girard, en un vrai séjour, au cours duquel il aurait complété son instruction, notamment en français? C'est possible aussi. Mais faute de preuves, nous ne pouvons en dire davantage.

 

Peut-être un jour, en saurons-nous plus, car en cette période de préparation des fêtes du Bicentenaire à Caracas, on continue avec ardeur les recherches, et on découvre de nouvelles lettres inconnues de Bolivar.

 

Alors Bolivar a-t-il été vraiment élève de Sorèze?

 

Au sens strict : NON ; car au fond, sauf à de rares moments, il n'a jamais été élève d'aucune école régulière, pas plus au Venezuela qu'en Espagne, instruit qu'il était par des maitres privés.

 

Qu'il nous suffise de savoir que Le Libertador est venu plusieurs fois ici; qu'il eut une telle estime pour la valeur de l'Ecole ; qu'il a réussi à décider sa sœur à y placer ses deux fils; et que, bien qu'il n'ait encore que 20 ans, il a vraiment pris en charge ses neveux, leur rendant visite, suivant leur travail et payant leur pension.

 

Il me semble que tout cela suffit, pour que nous conservions à l'Ecole de Soréze le buste de Simon Bolivar, sinon au titre d'ancien élève, du moins à celui de grand ami de la maison(2)

 

 

Buste de Simon Bolivar dans la Salle des Illustres à l’Abbaye-école de Soréze
crédit photo : Marie Le Coz, Abbaye-école de Sorèze

 

 

 

 

Né le 24 juillet 1783 à Caracas. Général à 30 ans.
Généralissime et dictateur du Venezuela, de la Nouvelle-Grenade, de la Colombie et du Pérou.
Fondateur de la république de Bolivie.
C'est par erreur que fut érigé en 1906 un buste au "Libertador", qui n'a jamais été élève à Sorèze, et qui n'a pu, tout au plus, qu'y venir en visiteur en 1802.

C'est tout de même un honneur pour notre Ecole que de jouir d'une telle réputation qu'on n'ait pu supposer pour ce grand homme une autre formation que celle qu'il y aurait reçue ! Cependant, si Bolivar figure sur les palmarès de l'Ecole de 1795 à 1798, on peut raisonnablement penser qu'il fut sorézien !
Décédé le 17 décembre 1830 dans l'abandon, à Popayan, en Colombie, sa vie n'avait été qu'une ardente chevauchée dans l'Idéal, sa mort fut celle d'un philosophe et d'un saint.
Son buste a été inauguré lors des fêtes de Pentecôte le 4 juin 1906

(d’après l’Association des Anciens Elèves de l’Ecole de Soréze)

 

 

 

 

NOTES

 

1 - Voir les Cahiers de l’Histoire de Revel n°14 - 2009

2 - Je ne saurais trop recommander à ceux que le sujet intéresse, le dernier ouvrage, fort remarquable, paru en français sur Bolivar. J'y ai puisé bien des détails sur la personnalité et sur la carrière de notre héros.

1979 - Gilette Saurat - BOLIVAR, le Libertador - Paris - Editions Jean-Claude LATTES.

On y parle de Sorèze, notamment aux pages 47-48 et 329.