Traité de Lunéville (9 février 1801)

 

Au lendemain de la bataille de Marengo, un armistice (convention d’Alexandrie, 15 juin 1800) avait été conclu entre les armées française et autrichienne en Italie. Le 15 juillet, un armistice était conclu à Parsdorf entre les armées opérant en Allemagne, et la cour de Vienne envoya à Paris le comte de Saint-Julien, afin de régler les conditions d’un armistice général et de poser les bases d’un traité de paix. Les préliminaires de la paix, basés sur le traité de Campo-Formio, furent signés le 28 juillet 1800 à Paris. Ils prévoyaient la tenue d’un congrès à Lunéville. Mais l’empereur François II, lié par traité à l’Angleterre, exigeait l’admission des plénipotentiaires anglais au congrès, et refusa de ratifier les préliminaires.

Néanmoins, l’armistice fut prolongé le 30 septembre de 45 jours, et le congrès de Lunéville s’ouvrit le 18 brumaire an IX (9 novembre 1800). Le plénipotentiaire autrichien était le comte de Cobentzel, le plénipotentiaire français était Joseph Bonaparte. Mais comme le gouvernement français persistait à refuser l’admission d’un plénipotentiaire anglais tant qu’un armistice naval n’était pas consenti avec cette puissance, les négociations se bornèrent à l’échange des pouvoirs respectifs, et à des protestations insignifiantes.

Le terme fixé par l’armistice étant arrivé, les hostilités reprirent le 26 novembre en Allemagne. La victoire de Hohenlinden (3 décembre) et la marche des Français sur Vienne contraignirent les Autrichiens à demander une suspension d’armes. Le général Moreau ayant obtenu de l’Autriche l’engagement de faire une paix séparée, un armistice fut signé à Steyer le 25 décembre.

Le 31 décembre, le comte de Cobentzel, qui était resté à Lunéville pendant la reprise des hostilités, envoya une note déclarant qu’il était autorisé par l’empereur à traiter sans le concours des Anglais.

Dans un message au corps législatif, le premier consul énonça ce que la république exigeait :

La rive gauche du Rhin sera la limite de la république française : elle ne prétend rien sur la rive droite. L’intérêt de l’Europe ne veut pas que l’empereur passe l’Adige. L’indépendance des républiques cisalpine, helvétique et batave sera assurée et reconnue. Nos victoires n’ajouteront rien aux prétentions du peuple français ; l’Autriche ne doit pas attendre de ses défaites ce qu’elle n’aurait pas obtenu par des victoires.

La constitution germanique ne permettait pas à l’empereur de traiter de la paix sans la participation des autres princes de l’Empire ; mais le premier consul exigea de ne traiter qu’avec l’empereur, sauf à celui-ci à s’arranger ensuite avec les princes de l’Empire, et l’Autriche dut s’incliner.

Le traité de paix fut signé à Lunéville le 9 février 1801, et ratifié quelques jours plus tard par le premier consul et par l’empereur François II. La diète d’Empire de Ratisbonne le ratifia le 10 mars suivant.

Le traité de Lunéville confirmait celui de Campo-Formio. La cession de la Belgique et de la rive gauche du Rhin à la République française y était confirmée “de la manière la plus formelle”.

 

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Traité de Paix entre la France et l’Empereur d’Allemagne,

Conclu à Lunéville le 9 Février 1801, 20 Pluviôse An IX.

 

S. M. l’Empereur, roi de Hongrie et de Bohême, et le premier consul de la République française, au nom du peuple  français, ayant également à cœur de faire cesser les malheurs de la guerre, ont résolu de procéder à la conclusion d’un traité définitif de paix et d’amitié.

Sadite Majesté impériale et royale, ne désirant pas moins vivement de faire participer l’Empire germanique aux bienfaits de la paix, et les conjonctures présentes ne laissant pas le temps nécessaire pour que l’Empire soit consulté, et puisse intervenir par ses députés dans la négociation, Sadite Majesté ayant d’ailleurs égard à ce qui a été consenti par la députation de l’Empire au précédent congrès de Rastadt, a résolu, à l’exemple de ce qui a lieu dans des circonstances semblables, de stipuler au nom du Corps germanique.

 

En conséquence de quoi, les parties contractantes ont nommé pour leurs plénipotentiaires, savoir :

S. M. I. et R., le sieur Louis, comte du Saint-Empire Romain, de Cobentzel, chevalier de la Toison d’Or, grand-croix de l'ordre royal de Saint-Étienne et de l’ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem, chambellan, conseiller intime actuel de S. M. I. et R., son ministre des conférences, et vice-chancelier de cour et d’Etat.

 

Et le premier consul de la République française, au nom du Peuple français, le citoyen Joseph Bonaparte, conseiller d’Etat ;

 

 Lesquels, après avoir échangé leurs pleins pouvoirs, ont arrêté les articles suivants :

 

 Art. Ier. Il y aura à l’avenir, et pour toujours, paix, amitié et bonne intelligence entre S. M. l’Empereur, roi de Hongrie et de Bohême, stipulant tant en son nom qu’en celui de l’Empire germanique, et la République française ; s’engageant, Sadite Majesté à faire donner par ledit Empire la ratification en bonne et due forme au présent traité. La plus grande attention sera apportée de part et d’autre au maintien d’une parfaite harmonie, et à prévenir toutes sortes d’hostilités par terre et par mer, pour quelque cause ou sous quelque prétexte que ce puisse être, en s’attachant avec soin à entretenir l’union heureusement rétablie. Il ne sera donné aucun secours ou protection, soit directement ou indirectement, à ceux qui voudraient porter préjudice à l’une ou à l’autre des parties contractantes.

Art. 2. La cession des ci-devant provinces belgiques *(ou belges dans V&C) à la République française, stipulée par l’article 3 du traité de Campo-Formio, est renouvelée ici de la manière la plus formelle ; en sorte que S. M. I. et R., pour elle et ses successeurs, tant en son nom qu’au nom de l’Empire germanique, renonce à tous les droits et titres aux susdites provinces, lesquelles seront possédées, à perpétuité, en toute souveraineté et propriété, par la République française, avec tous les biens territoriaux qui en dépendent.

Sont pareillement cédés à la République française, par S. M. I. et R., et du consentement formel de l’Empire :

1° Le Comté de Falkenstein, avec ses dépendances ;

2° Le Fricktal et tout ce qui appartient à la Maison d’Autriche sur la rive gauche du Rhin, entre Zurzach et Bâle, la République française se réservant de céder ce dernier pays à la république helvétique.

 Art. 3. De même, en renouvellement et confirmation de l’article 6 du traité de Campo-Formio, S. M. l’empereur et roi possédera, en toute souveraineté et propriété, les pays ci-dessous désignés, savoir :

 L’Istrie, la Dalmatie, et les îles ci-devant vénitiennes de l’Adriatique en dépendantes, les bouches du Cattaro, la ville de Venise, les lagunes et les pays compris entre les États héréditaires de S. M. l’empereur et roi, la mer Adriatique et l’Adige, depuis sa sortie du Tyrol jusqu’à son embouchure dans ladite mer, le thalweg de l’Adige servant de ligne de délimitation ; et comme, par cette ligne, les villes de Vérone et de Porto-Legnago se trouveront partagées, il sera établi sur le milieu des ponts desdites villes des ponts-levis qui marqueront la séparation.

Art. 4 L’article 18 du traité de Campo-Formio est pareillement renouvelé, en cela que S. M. l’empereur et roi s’oblige à céder au duc de Modène, en indemnité des pays que ce Prince et ses héritiers avaient en Italie, le Brisgaw, qu’il possédera aux mêmes conditions que celles en vertu desquelles il possédait le Modénois.

Art. 5. Il est en outre convenu que S. A. R. le grand-duc de Toscane renonce, pour elle et pour ses successeurs et ayants cause, au grand-duché de Toscane et à la partie de l’île d’Elbe qui en dépend, ainsi qu’à tous les droits et titres résultant de ses droits  sur lesdits États, lesquels seront possédés désormais, en toute souveraineté et propriété, par S. A. R. l’infant, duc De Parme. Le grand-duc obtiendra en Allemagne une indemnité pleine et entière de ses États d’Italie.

Le grand-duc disposera à sa volonté des biens et propriétés qu’il possède particulièrement en Toscane, soit par acquisition, soit par hérédité des acquisitions personnelles de feu S. M. l’empereur Léopold II son père, ou feu S. M. l’empereur François Ier son aïeul. Il est aussi convenu que les créances, établissements et autres propriétés du grand-duché, aussi bien que les dettes dûment hypothéquées sur ce pays, passeront au nouveau grand-duc.

 Art. 6. S. M. l’Empereur et Roi, tant en son nom qu’en celui de l’Empire germanique, consent à ce que la République française possède désormais, en toute souveraineté et propriété, les pays et domaines situés à la rives gauche du Rhin, et qui faisaient partie de l’Empire germanique ; de manière qu’en conformité de ce qui avait été expressément consenti au congrès de Rastadt par la députation de l’Empire, et approuvé par l’Empereur, le thalweg du Rhin soit désormais limite entre la République française et l’Empire germanique ; savoir : depuis l’endroit où le Rhin quitte  le territoire helvétique, jusqu’à celui où il entre dans le territoire batave.

 En conséquence de quoi, la République française renonce formellement à toute possession quelconque sur la rive droite du Rhin, et consent à restituer à qui il appartient les places de Dusseldorf, Ehrenbrestein, Philipsburg, le fort de Cassel et autres fortifications vis-à-vis de Mayence et la rive droite, le fort de Kehl et le Vieux-Brisach, sous la condition expresse que ces places et forts continueront à rester dans l’état où ils se trouveront lors de l’évacuation.

 Art. 7. Et comme par la suite de la cession que fait l’Empire à la République française, plusieurs Princes et États de l’Empire se trouvent particulièrement dépossédés en tout ou en partie, tandis que c’est à l’Empire germanique collectivement à supporter les pertes résultant des stipulations du présent traité, il est convenu entre S. M. l’empereur et roi, tant en son nom qu’au nom de l’Empire germanique, et la République française, qu’en conformité des principes formellement établis au congrès de Rastadt, l’Empire sera tenu de donner aux princes héréditaires qui se trouvent dépossédés à la rive gauche du Rhin, un dédommagement qui sera pris dans le sein dudit Empire, suivant les arrangements qui, d’après ces bases, seront ultérieurement déterminés.

 Art. 8. Dans tous les pays cédés, acquis ou échangés par le présent traité, il est convenu, ainsi qu’il avait été fait par les articles 4 et 10 du traité de Campo-Formio, que ceux auxquels ils appartiendront se chargeront des dettes hypothéquées sur le sol desdits pays ; mais, attendu les difficultés qui sont survenues à cet égard sur l’interprétation desdits articles du traité de Campo-Formio, il est expressément entendu que la République française ne prend à sa charge que les dettes résultant d’emprunts formellement consentis par les États des pays cédés, ou des dépenses faites pour l’administration effective desdits pays.

 Art. 9. Aussitôt après l’échange des ratifications du présent traité, il sera accordé, dans tous les pays cédés, acquis ou échangés par ledit traité, à tous les habitants ou propriétaires quelconques, mainlevée du séquestre mis sur leurs biens et revenus, à cause de la guerre qui a eu lieu. Les Parties contractantes s’obligent à acquitter tout ce qu’elles peuvent devoir pour fonds à elles prêtés par lesdits particuliers, ainsi que par les établissements publics desdits pays, et à payer ou rembourser toute rente constituée à leur profit sur chacune d’elles. En conséquence de quoi, il est expressément reconnu que les propriétaires d’actions de la Banque de Vienne, devenus français, continueront à jouir du  bénéfice de leurs actions, et en toucheront les intérêts échus ou à échoir, nonobstant tout séquestre et toute dérogation, qui seront regardés comme non avenus, notamment la dérogation résultant de ce que les propriétaires devenus français n’ont pu fournir les trente et les cent pour cent demandés aux actionnaires de la Banque de Vienne par S. M. l’empereur et roi.

 Art. 10. Les Parties contractantes feront également lever tous les séquestres qui auraient été mis, à cause de la guerre, sur les biens, droits et revenus des sujets de S. M. l’empereur ou de l’Empire, dans le territoire de la République française, et des citoyens français dans les États de Sadite Majesté ou de l’Empire.

 Art. 11. Le présent traité de paix, notamment les articles 8, 9, 10 et 15 ci-après, est déclaré commun aux républiques Batave, Helvétique, Cisalpine et Ligurienne.

Les Parties contractantes se garantissent mutuellement l’indépendance desdites républiques, et la faculté aux peuples qui les habitent d’adopter telle forme de  gouvernement qu’ils jugeront convenable.

 Art. 12. S. M. I. et R. renonce pour elle et ses successeurs, en faveur de la république Cisalpine, à tous les droits et titres provenant de ces droits, que Sadite Majesté pourrait prétendre sur les pays qu’elle  possédait avant la guerre, et qui, aux termes de l’article 8 du traité de Campo-Formio, font maintenant partie de la république Cisalpine, laquelle les possédera en toutes souveraineté et propriété, avec les biens territoriaux qui en dépendent.

 Art. 13. S. M. I. et R., tant en son nom qu’au nom de l’Empire germanique, confirme l’adhésion, déjà donnée dans le traité de Campo-Formio, à la réunion des ci-devant fiefs impériaux à la République ligurienne, et renonce à tous ces droits et titres provenant de ces droits sur lesdits fiefs.

 Art. 14. Conformément à l’article 11 du traité de Campo-Formio, la navigation de l’Adige servant de limite entre les États de Sadite Majesté Impériale et Royale et ceux de la République cisalpine, sera libre, sans que, de part ne d’autre, on puisse y établir aucun péage, ni tenir aucun bâtiment armé en guerre.

 Art. 15. Tous les prisonniers de guerre faits de part et d’autre, ainsi que les otages enlevés ou donnés pendant la guerre, qui n’auront pas encore été restitués, le seront dans quarante jours, à dater de celui de la signature du présent traité.

 Art. 16. Les biens fonciers et personnels non aliénés de S. A. R. l’archiduc Charles, et des héritiers et de feu S. A. R. madame l’archiduchesse Christine, qui sont situés dans les pays cédés à la République française, leur seront  restitués, à la charge de les vendre dans l’espace de trois ans. Il en sera de même des biens fonciers et personnels de LL. AA. RR. l’archiduc Ferdinand et Madame l’archiduchesse Béatrix, son épouse, dans le territoire de la République cisalpine.

 Art. 17. Les articles 11, 13, 15, 16, 17 et 18 du traité de Campo-Formio sont particulièrement rappelés, pour être exécutés suivant leur forme et teneur, comme s’ils étaient insérés mot à mot dans le présent traité.

 Art. 18. Les contributions, livraisons, fournitures et prestations quelconques de guerre cesseront d’avoir lieu, à dater du jour de l’échange des ratifications données au présent traité, d’une part par S. M. l’empereur et par l’Empire germanique, d’autre part par le gouvernement de la République française.

 Art. 19. Le présent traité sera ratifié par S. M. l’empereur et roi, par l’Empire, et par le gouvernement de la République française, dans l’espace de trente jours, ou plus tôt si faire se peut : et il est convenu que les armées des deux puissances resteront dans les positions où elles se trouvent, tant en Allemagne qu’en Italie, jusqu’à ce que lesdites  ratifications de l’empereur et roi, de l’Empire et du gouvernement de la République française aient été simultanément  échangées à Lunéville entre  les plénipotentiaires respectifs.

Il est aussi convenu que, dix jours après l’échange desdites ratifications, les armées de S. M. I. et R. seront rentrées sur les possessions héréditaires, lesquelles seront évacuées dans le même espace de temps par les armées françaises, et que, trente jours après lesdits échanges, les armées françaises auront évacué la totalité du territoire dudit Empire.

 

 Fait et signé à Lunéville, le 20 pluviôse an IX de la République française (9 Février 1801)

 

Signé  Louis, comte de Cobentzel ;

Joseph Bonaparte.

 

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Article séparé et secret.

Ainsi qu’il est convenu par l’article 5 du traité patent, le grand-duc de Toscane obtiendra en Allemagne une indemnité pleine, entière et équivalente de ses États d’Italie, à laquelle sont préférablement employés l’Archevêché de Salzbourg et la Prévôté de Berchtesgaden.

 Le présent article aura la même force que s’il était inséré mot à mot dans le traité de paix patent signé aujourd’hui.

 Il sera ratifié à la même époque par la République française et par S. M. l’empereur et roi, et les actes de ratification en due forme seront échangés à Lunéville.

 

 Fait et signé à Lunéville, le 20 Pluviôse An IX de la République française (9 Février 1801).

Signé  Louis, comte de Cobentzel ;

Joseph Bonaparte.

 

 

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