Société d’ Histoire de Revel Saint-Ferréol LES CAHIERS DE L’ HISTOIRE |
LES CLARISSES DU MONASTERE NOTRE-DAME DES ANGES LES CASSES |
D’après un entretien avec l’Abbé Jean Biau le 22 mars 2003 organisé par la MJC de « LES CASSES ».
Merci à l'Abbé Jean BIAU
Cette plaquette est diffusée par la M.J.C. « Section Patrimoine » le 22 Mars 2003 à l'issue de la conférence de l'Abbé Jean BIAU sur le monastère des Clarisses «Notre Dame des Anges » de Les Cassés.
Le texte est un extrait de l'étude qu'il a réalisé : Congrégations et ordres religieux dans la région de Castelnaudary (Aude) « Le Pays Chaurien ». Tome 1, de 817 à la Révolution de 1789.
Cet ouvrage peut être consulté dans son intégralité aux archives départementales de l'Aude où l'Abbé Jean BIAU a déposé un exemplaire.
Nous avons voulu agrémenter cette plaquette avec des photos de la collection communale et des photocopies de documents d'archives (Compoix de 1542 et 1592, CARTES_POSTALES, plan).
Durant des siècles (1333 à la révolution) la vie de notre village s'est organisée autour du monastère Notre Dame des Anges. Le village actuel a conservé cette structure. Les sueurs, abritant des réfractaires à la révolution, en furent chassées et leurs biens vendus. Bien que ce site soit propriété privée, il fait partie du patrimoine historique de notre commune.
Pendant 4 siècles et demi, des sueurs Clarisses vécurent au monastère « Notre Dame des Anges » dans la paix et la prière. Cependant, les Archives nous révèlent une vie interne marquée par de grandes difficultés. Avec sa sensibilité de prêtre, ses talents d'historien et la rigueur de son analyse, l'Abbé Jean BIAU nous fait comprendre que ces problèmes ont leur source dans les conditions de fondation de ce monastère par Marguerite de l'Isle Jourdain, nièce du Pape d'Avignon Jean XXII.
Nous devons remercier l'Abbé Jean BIAU pour
- La réalisation de cette étude.
- La présentation qu'il en a faite en conférence ce 22 Mars 2003.
- L'autorisation de réaliser et de diffuser cette plaquette.
Pierre CRESPY
Les Clarisses du monastEre - Notre-Dame des Anges des Cassés
C'est en 1212 que fut fondé par sainte Claire d'Assise, l'Ordre féminin des Clarisses.
Claire (1194-1253), née dans une famille noble d'Assise, fut convertie par la prédication de saint François. Désireuse de consacrer sa vie au Christ, elle alla frapper successivement à la porte de deux monastères bénédictins, où l'on préféra ne pas la garder.
Sous la direction de François, elle fonda alors, tout près de l'église Saint-Damien, un nouvel ordre religieux d'inspiration essentiellement contemplative. On appela, au premier abord, ces moniales les « pauvres recluses de Saint-Damien ». Elles firent le vœu de pauvreté absolue, à la fois personnelle et collective. Cette exigence, poussée à l'extrême, a dû être abandonnée dans la Règle de 1247.
La Règle définitive fut celle élaborée par Claire elle-même, peu avant sa mort, en 1253, règle qui fut confirmée par le pape Innocent IV.
Dans les siècles suivants, l'Ordre des Clarisses a constitué une grande famille dans laquelle se sont dégagés deux courants prédominants :
• L'un suit la Règle promulguée en 1267 par une bulle du pape Urbain II, et rédigée par Isabelle de France, sœur de saint Louis. II regroupa les « Clarisses urbanistes »(du nom du pape Urbain IV). Notre monastère des Cassés sera un monastère de « Clarisses urbanistes ».
• L'autre courant suit la Règle de 1253, élaborée par sainte Claire.
Traditionnellement, les Clarisses ont toujours cherché à être placées sous la juridiction de l'Ordre franciscain. Au XIV° siècle, le nombre de couvents de Clarisses était considérable : 372 en 1316, 425 à la fin du siècle (P. R. Gaussin).
En 1975, on comptait, dans le monde, huit cents monastères de l'Ordre des Clarisses (1).
Le monastEre des Clarisses des CassEs
LES CASSÉS : un modeste castrum.
Avant même et pendant la Croisade des Albigeois, les Roqueville, seigneurs des Cassés, étaient de fervents cathares. Raymonde de Belflou, épouse du chevalier Raymond de Roqueville, devenue Parfaite, finira brûlée dans le bûcher de Monségur.
En 1211, Roqueville avait donné asile à de nombreux Parfaits et Parfaites. Simon de Montfort prendra la place, et soixante hérétiques, refusant de se convertir, y furent brûlés.
Tel était le passé de ce lieu situé à l'extrême nord-ouest du « Pays chaurien », un passé qui avait laissé, on s'en doute, des traces.
La fondation du MONASTERE
Le Père Agathange de Paris (2) mentionne la fondation certaine de quatorze monastères de Clarisses, au XIV° siècle, dans le Sud-ouest de la France, dont deux dans l'Aude : Azille (1361) et Les Cassés (1345). Ces deux derniers doivent leur origine à la famille comtale de L'Isle Jourdain.
Le même auteur fait remarquer que « ce ne sont plus, comme au siècle précédent, des groupes de Pénitentes franciscaines qui sollicitent l'autorisation de fonder un monastère ». En ce XIV° siècle, « les Clarisses n'ont pas, elles-mêmes, l'initiative des créations ; l'initiative vient des grandes familles de la région ou/et de la famille et de l'entourage des papes d'Avignon » (Agathange, p. 37). La fondation du monastère Notre-Dame-des-Anges des Cassés en est l'illustration parfaite.
Le castrum des Cassés, en ce début du XIV° siècle, faisait partie de la vicomté de Caraman (Carmaing), qu'un certain Arnaud Duèze avait acheté à Bertrand de Lautrec. Arnaud Duèze, neveu du pape d'Avignon, Jean XXII, et devenu vicomte, avait épousé Marguerite de I'Isle-Jourdain et la vicomté était, pour ses propriétaires, une source considérable de revenus.
«Elle restera longtemps (jusqu'au XVII° siècle) dans la famille de Carmaing, devenue de FoixCarmaing après son érection en comté sous Jean I de Carmaing, en 1463 (3).
Un premier monastère de Bénédictines
Les grands personnages de l'époque (surtout des femmes) mus par une piété chrétienne dont nous n'avons aucune raison de douter, désireux aussi d'établir une institution appelée à devenir rayonnement de sainteté, et soucieux en même temps « de se ménager de puissantes intercessions auprès du Souverain juge », ont souvent songé à fonder des établissements religieux. Leurs revenus importants leur en donnaient les moyens.
Bien sûr, fait remarquer le P. Agathange, ces préoccupations étaient-elles quelque peu intéressées et un peu trop humaines et, d'autre part, manquaient parfois de prudence pour choisir le lieu d'une fondation.
La fondation des Cassés, sans défense et en pleine campagne, ne mettrait-elle pas monastère et moniales à la merci de toutes les entreprises ? Y avait-on songé ?
Mais, « qui accuser ? Les fondateurs ou les supérieurs ecclésiastiques ? Probablement les deux » (Agathange, p. 38). Toujours est-il que Marguerite de l'Isle, vicomtesse de Caraman, décida de fonder aux Cassés un nouveau monastère de Bénédictines, sous le vocable de « Notre-Dame-des Anges ». Le Frère Vincent Ferras, dans son étude sur ce monastère, situe exactement dans son contexte cette fondation (4).
C'est « sous le pontificat de Jean XXII, en 1334, soit trois ans avant le début de la guerre de Cent Ans, que nous découvrons les premières lignes des statuts d'un nouveau monastère de Bénédictines » :
« Spécialement érigé à la louange, révérence et hommage de Notre-Dame-Marie, Mère-Vierge de Dieu », le monastère doit porter de tout temps le nom de Monastère de Notre-Dame-des-Anges. Pour l'honneur de Dieu, de la Vierge Marie, de tous les saints et saintes du Paradis, mais aussi pour le salut de l'âme des fondateurs, le pape jean XXII et la vicomtesse de Carmaing, l'Observance régulière sera chaque jour plus sainte et plus rayonnante. »
« La charte de fondation, note le Père Agathange (5), ne nous est pas parvenue, mais la bulle « Summa Prudentia », adressée le 3 décembre 1333 aux fondateurs, et la bulle « Huper pro parte », envoyée le même jour à Guillaume de Laudun, archevêque de Toulouse, nous permettent de suppléer à cette perte.
Le monastère s'élevait aux Cassés, un humble castrum isolé dans la campagne du Lauragais. Il était destiné à abriter trente-cinq moniales, de l'Ordre de Saint-Benoît, régies par une abbesse, prise dans la communauté et librement élue, exemptes de la juridiction de l'Ordinaire de Saint-Papoul et immédiatement soumises au Saint-Siège. L'assistance spirituelle leur était assurée par trois chapelains séculiers et la vie matérielle, par un revenu annuel de 400 livres tournois petites, amorties par le roi (6). La dotation était généreuse, mais elle était à percevoir annuellement en rentes, cens et albergues de froment, de vin, de bois de chauffage ou de deniers, sur dix-huit consulats différents de la vicomté (7), ce qui ne pouvait être qu'une source d'ennuis pour le monastère. »
On ne comptera plus le nombre d'actes procéduriers qui résulteront, au cours des siècles, des modalités d'une telle donation, généreuse sans aucun doute, mais bien risquée puisqu'elle concernait les contributions de dix huit consulats différents. Cependant, un inconvénient majeur surpassait tous les autres : il allait altérer pour longtemps la qualité d'une vie monastique devenue quasi impossible, et rendre héroïque la vie des quelques moniales qui voudraient échapper au climat délétère d'un monastère dont le but devait être la sanctification par la prière et la contemplation.
« En échange de leur libéralité, les vicomtes de Caraman avaient reçu le droit de patronat sur le monastère ; patronat que, sous peine d'excommunication, toute abbesse élue devait reconnaître par serment, avant sa confirmation et sa bénédiction, et toute novice, dans les trois jours qui précédaient sa profession (8). Ce patronat comportait, outre le droit à des messes, prières et suffrages déterminés, celui de présenter toutes les postulantes à la vêture, avec obligation faite à l'abbesse de les recevoir, à moins qu'elles ne fussent inaptes à la vie religieuse, celui de présenter les trois chapelains du monastère, enfin de transférer ailleurs le monastère sans l'aval du « patron » (Père Agathange).
Tous ces droits « patronaux » étaient héréditaires.
Les Bénédictines deviennent Clarisses
En ce début du XIV° siècle, la dévotion à saint François et à sainte Claire suscita chez des femmes ardentes, issues de familles puissantes et riches, le désir de créer des monastères.
« Marguerite de l'Isle, vicomtesse de Caraman, après avoir fondé, aux Cassés, le monastère de Bénédictines, voulut, dix ans plus tard, fonder aussi un monastère de Clarisses (9).» L'intention était certes louable, mais les circonstances étaient moins favorables : la guerre de Cent Ans venait de commencer, et les charges et obligations de la vicomté étaient devenues plus lourdes. Dans l'impossibilité d'asseoir convenablement deux monastères, Marguerite, modifiant son projet, décida de transformer ses Bénédictines, en les faisant passer sous la Règle de Sainte-Claire. « Patronne » ou « protectrice », c'est elle qui finançait et assurait la subsistance des moniales ; c'est donc elle qui décidait.
La vicomtesse sollicita et obtint du Saint-Siège «la subtitution de la Règle des Clarisses à celle des Bénédictines ; elle porta la dotation des Cassés de 400 à 586 livres, et l'effectif de la communauté de 35 à 50 moniales» (P Agathange, p. 12). Le changement imposé n'était pas si simple, note le Père Agathange (pp. 12 et 13) :« Que pensait la communauté de ce projet ? Sans doute, la plupart des moniales avaient-elles joint leurs suppliques, « patentes litteras », à celle de la vicomtesse, mais l'abbesse et deux de ses filles s'opposaient au changement.
Que valait, en ce cas, le consentement des autres ? Clément VI, redoutant visiblement le manque de liberté des religieuses, chargea l'évêque de Montauban, Guillaume de Cardaillac, de procéder à une enquête (10) (...). L'enquête fut favorable au projet (...).
Le 9 août 1345, l'évêque de Montauban procéda à l'exécution de la bulle de Clément VI (11). Les moniales ayant été « absoutes de l'observance de la Règle de Saint- Benoît » prirent l'habit de bure et la cordelière des Clarisses d'Aquitaine et firent profession de la Règle d'Urbain IV, sous la réserve cependant des adoucissements prévus par les Constitutions particulières du monastère. (...).
Devenues membres du second Ordre franciscain, les moniales des Cassés reçurent communication de « tous les privilèges, immunités, exemptions, libertés et indulgences », dont jouissaient les Clarisses et passèrent sous la juridiction des ministres des Frères Mineurs. Quant aux trois chapelains séculiers, ils reçurent divers bénéfices et furent remplacés par six Frères Mineurs nommés par le Provincial d'Aquitaine. »
G. Brunel-Lobrichon (12) souligne très particulièrement que les statuts du monastère des Cassés constituent un document exceptionnel : ils ont été rédigés en Occitan et publiés par le Père Agathange(13). Conforme à la Règle d'Urbain IV, ils mentionnent cependant plusieurs aspects, notamment en matière de jeûne.
Tout, cependant, n'était pas terminé :
« En 1345, l'évêque de Saint-Papoul, estimant que l'exemption concédée aux Bénédictines avait été « fort dommageable » à son église et à lui-même, invoqua auprès du pape le changement survenu au monastère, et demanda l'abrogation du privilège. Clément VI acquiesça. Les Clarisses réagirent et, pour se mettre à l'abri des entreprises de l'Ordinaire, sollicitèrent du Saint-Siège, l'innovation de la bulle « In sinu Sedis apostolica? » par laquelle Boniface VIII avait, le 5 avril 1298, rappelé que les Clarisses jouissaient du privilège de l'exemption et se trouvaient soumises à l'autorité, protection, correction du Pape, en la personne du cardinal protecteur de l'Ordre des Frères Mineurs (14).
Quatre autres bulles appartiennent encore à la période de la fondation franciscaine. Les deux premières, datées du 26 juin 1346, confirment à Marguerite de l'Isle le privilège d'entrer dans le monastère accompagnée de six honnêtes femmes et celui d'avoir habituellement avec elles, au château de Saint-Félix de Lauragais, deux Clarisses de la communauté. Les deux autres, « Etsi ex injuncto » du 31 mai 1350, « Exposcit vestrx devotionis » du 24 juillet 1352, nous révèlent l'appauvrissement des revenus du monastère provoqué par les calamités du temps. D'un commun accord, la fondatrice et la communauté sollicitèrent, en compensation et obtinrent l'union au monastère de la cure des Cassés qui dépendait de l'Ordinaire du lieu, et de celle de Bélestat qui était à la présentation du prévôt du chapitre Saint-Étienne de Toulouse. (14) » (Père Agathange, p. 14).
Il est avéré, ajoute le même auteur (pp. 39-40) « que la trop grande aisance du monastère y attira nombre de filles de la noblesse, dont la vocation douteuse ne favorisa pas, et c'est le moins que nous osons dire, la vie régulière de leur communauté…
Le « patronat » garanti aux fondateurs comportait trop souvent une hypothèque sur la désignation des abbesses, et une autre sur la réception de novices... Autre attentat à la régularité : les dérogations prévues aux règles de la clôture... Tout ceci est cependant bien inscrit dans les textes... »
Et G. Brunel-Lobrichon (15) constate le même relâchement dans l'observance des règles de pauvreté :
« Quelques détails enfin laissent entrevoir une vie bien moins austère que dans les débuts de l'Ordre : cellules individuelles, matelas de laine, coussins de plumes, draps de lin, couvertures doublées ou non de fourrures, jeûne et abstinence réduits, parloir... L'audacieuse originalité de Saint-Damien, sa ferveur spirituelle, se sont affadies. »
Les Clarisses urbanistes des Cassés appelées « Minorettes » (minoretas en occitan) par similitude avec les Frères Mineurs, vivent dans des conditions et un environnement tels que leur avenir ne pourra échapper à une triste décadence.
Lamentable relâchement
« Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'à la fin du XIV° siècle, le monastère des Cassés est tombé dans un lamentable relâchement. »
C'est le Père Agathange lui-même qui s'exprime ainsi (16).
Tout d'abord, dans ce monastère isolé en pleine campagne et sans défense, c'est une insécurité permanente que font régner les exactions des Anglais, puis des bandes armées au cours de l'interminable guerre de Cent Ans.
« Les moniales des Cassés sont alors obligées, à plusieurs reprises, semble-t-il, de se réfugier au Château de Saint-Félix-Lauragais (situé à peine à quatre kilomètres), mieux protégé que leur monastère, pour échapper aux violences de la soldatesque. Ce château était la résidence habituelle des « patrons fondateurs ». Il va de soi que ces conditions expliqueraient à elles seules - sans qu'il soit besoin d'incriminer les moniales de « relâchement » - la désorganisation de la vie monastique (17). »
Terminée la guerre de Cent Ans, un danger bien plus lourd de conséquences pèse sur la communauté des Cassés : il vient des privilèges exceptionnels concédés au monastère dès le début de son existence :
« En devenant Clarisses et en acceptant de passer de la Règle de Saint Benoît à celle d'Urbain IV, les moniales des Cassés, en vertu de leurs premiers statuts accordés par jean XXII, s'accrochaient à leur privilège d'exemption. Et elle s'y accrochèrent non seulement « contre »(si l'on peut dire) l'évêque de Saint-Papoul, mais même contre les constitutions franciscaines (18) . »
Ainsi, « bien que tout soit très réglementé, tout était également possible au gré des « patrons ».
C'était sans danger lorsque les « patrons » étaient les fondateurs directs, personnes probablement sincères et pieuses. Mais il allait en être tout autrement lorsque, de père en fils, le monastère allait tomber (à la fin du XV° siècle) sous le patronage de gens aux mœurs dépravées.
« Ce fut le cas de Gaston de Foix-Carmaing, parfaitement débauché et qui ne devait mourir qu'en 1527. Il installa comme abbesse sa propre sœur, Lucie de Foix, toute aussi débauchée que lui : à cette époque, en effet, les moniales étaient placées par leurs parents. Certaines finissaient, tant bien que mal, à faire leur la vocation qu'on leur avait fixée, mais ce n'était pas le cas pour toutes.
Le « privilège de l'exemption - qui était, en fait, une interdiction de « regard » faite aux autorités ecclésiastiques ordinaires - ouvrit la porte, aux Cassés, à bien des abus profondément condamnables. (19).»
La sœur commune de l'Abbesse Lucie et de Gaston de Foix-Carmaing, fit elle aussi scandale, passant à la religion protestante et épousant un Carme devenu pasteur.
Tout ceci « n'est pas simplement (le signe) d'une vie religieuse difficile du fait des circonstances ; c'est un scandale permanent lié à des personnalités dont le comportement n'a rien de compatible avec l'habit monastique qu'elles portent » (20).
Il a fallu déposer la « trop fameuse Lucie de Foix » (en 1519 ou 1520). Une certaine Claire de Foix, arrivée en 1520 pour la remplacer, ne réforma pas davantage le monastère.
Une réforme de fond s'imposait.
Tentative avortée de réforme
« Les abus qui avaient été à l'origine de tous ces méfaits demeuraient les mêmes en 1630 », écrit le Père Agathange (21), même si le « patron » des Cassés, à cette époque, Paul d'Escoubleau, marquis de Sourdis, était sincèrement acquis à la réforme de la communauté :
« Postulantes contraintes et sans vocation, multiplication des religieuses appartenant à la même famille, inexistence de la clôture, abandon des observances, même de celles du chœur, intrigues et marchandages à chaque vacance de la charge abbatiale, divisions intestines, attisées par les séculiers : quelque lourde qu'elle soit, la liste n'est pas taxative. La réforme s'imposait donc, désirée par une infime et timide minorité, redoutée par le plus grand nombre. Or, de ce retour à l'Observance régulière, voire à la simple honnêteté de vie, nul n'avait souci. (22).»
Devant l'opposition répétée de la communauté à tout essai de réforme, Parlement et Conseil du roi intervinrent, « le premier pour menacer d'expulsion les insurgés (23), le second pour désigner, à l'effet d'imposer raison aux moniales, trois commissaires : l'archevêque de Toulouse, l'évêque de Saint-Papoul et le visiteur apostolique d'Aquitaine nouvelle.
Le 14 septembre 1644, les trois commissaires royaux décidèrent la réforme, en l'assortissant de deux mesures sévères : nomination d'office d'une abbesse, d'une maîtresse des novices et d'une portière, à prendre dans un monastère réformé de la province, et surtout transfert de la communauté en ville close, c'est-à-dire à Toulouse. Du coup, l'abbesse, Catherine de Durand de la Nougarède s'insurgea niais le roi confirma la décision des commissaires.
Le 17 mai 1645, l'unanimité de la communauté accepta la réforme, à la condition toutefois qu'il ne serait plus parlé de transfert à Toulouse, que l'abbesse désignée serait soumise à l'acceptation des moniales et qu'elle aurait trois ans « pour establir la reforme et discipline régulière conformément aux estatus de l'Ordre et fondation du monastère », après quoi elle regagnerait sa propre communauté.
Catherine Duport, vicaire de Moissac, et fort estimée du saint évêque de Cahors, Alain de Solminiac, fut donc présentée aux suffrages de la communauté qui l'agréa le 2 août 1646, « comme une personne de bon exemple et qui devait étouffer les divisions » (24). Hélas, le « patron » du monastère, abusant de son droit, commit une erreur fatale :
« Peut-être la réformatrice, forte d'un pareil accueil de la communauté eût-elle conduit à bien sa mission si Charles Descoubleau, marquis de Sourdis, n'avait, dans sa joie des changements déjà opérés, tout remis en question, le 17 septembre 1647, en confirmant Catherine Duport comme abbesse perpétuelle de l'abbaye ». C'était, plus qu'une faute, un véritable abus. (25)
Comme il était à prévoir, les moniales en profitèrent pour remettre en question la réforme elle-même, et la moins régulière de toutes et la plus intrigante, Hélène de Castelnau, pour se faire élire, le 2 août 1649, sous la protection armée de ses parents et amis qui avaient envahi le monastère (26).
Vers un transfert à Toulouse
Dans la pensée de la réformatrice, le séjour à Saint-Félix de Lauragais n'était qu'une halte forcée sur le chemin de Toulouse où, conformément à la décision des commissaires royaux rendue, on s'en souvient, le 14 septembre 1644, elle espérait regrouper, tôt ou tard, l'ensemble de la communauté des Cassés. Désireuses de gagner Toulouse au plus tôt, les sept Clarisses se réunirent en chapitre le 8 juin 1655.
D'un commun accord, elles adressèrent le texte de leur délibération au Parlement de Toulouse (29). Elles s'appuyaient sur « le chapitre 5 de la XXV° session du concile de Trente, qui laissait à la discrétion des évêques et des supérieurs réguliers, la translation en villes closes des monastères situés en pleine campagne et voués de ce fait à l'insécurité ».
Les Capitouls de Toulouse donnèrent leur accord le 6 octobre 1655 et le renouvelèrent le 21 juin 1656. Le marquis de Sourdis consentit, de son côté, au transfert le 29 janvier 1656. Quant à l'archevêque de Toulouse, il permit, par décret du 30 mai 1656, « de transporter le dit monastère des Cassés, avec les religieuses et les revenus d'iceluy, dans la ville de Tholoze, suivant les constitutions du concile de Trente. Munie de toutes ces autorisations, Catherine Duport fit diligence et, dès le 20 juin 1656, elle acquit, au quartier du Bazacle et sur la paroisse Saint-Pierre des Cuisines, un pied-à-terre où elle s'installa, trois jours plus tard, avec ses compagnes. »
Dernière garantie, le roi, par lettres patentes du 23 juin 1657, confirma l'existence du nouveau monastère et le transfert de l'ancien, qu'il croyait imminent, sinon déjà réalisé.
Les moniales demeurées aux Cassés et l'Abbesse usurpatrice n'étaient pas restées passives. Les Cassés, comme Toulouse, prétendaient être, chacune, l'authentique monastère des Clarisses urbanistes Notre-Dame des Anges. Certes, l'évêque de Saint-Papoul, Bernard Despruets, ainsi que l'archevêque de Toulouse, étaient-ils acquis au projet de transfert, mais les deux prélats moururent l'un après l'autre.
Lorsque les supérieurs franciscains d'Aquitaine Nouvelle se soucièrent enfin d'assurer le transfert (30), les deux évêques qui se succédèrent sur le siège de Saint-Papoul, Jean et Joseph de Montpesat de Carbon, s'y opposèrent.
Même les lettres patentées royales du 23 juin 1657 furent inefficaces : on fit remarquer qu'elles ne comportaient qu'une autorisation, et non un ordre.
Circonstance aggravante : l'évêque de Saint-Papoul, Mgr de Montpesat de Carbon, fut nommé archevêque de Toulouse. Par son ordonnance du 18 septembre 1670, il enterra définitivement le projet, faisant « inhibition et deffense à l'abbesse et religieuses dud. monastère des Cassés, sous peine d'excommunication encourrue par le fait, de sortir de leur monastère et de violer la closture, soubs prétexte dud. arrest dud. Parlement de Tholose, comme aussy pareille inhibition et deffense à tous autres de prester la main au violement de lad. closture, directement ou indirectement » (31).
Le monastère de Toulouse, au Bazacle (1656-1730) (32)
Le nouveau monastère de Toulouse était situé au port de Bidou et à l'entrée de la rue des Pescadours.
Avec l'église, « il occupait 172 cannes carrrées, mais l'enclos s'étendit, au-delà des vieilles murailles de la ville, sur 320 cannes carrées qui relevaient du capitoulat de la Daurade. L'ensemble avait été acquis de neuf tenanciers différents, entre les 20 juin 1656 et 28 février 1668, pour la somme globale de 11532 livres, 10 sols, et retenu à fief, moyennant l'indemnité de 200 livres et la censive annuelle de 18 deniers, des Chartreux de Toulouse, qui en étaient les seigneurs directs ».
La première communauté de Toulouse comptait, outre Catherine Dupont, l'abbesse, une moniale de Moissac et trois venues des Cassés. Mais, entre 1656 et 1667, dix-neuf novices se présentèrent, ce qui indique bien le rayonnement du monastère. Il y avait sept moniales professes en 1660, vingt aux environs de 1672.
Mais la communauté des Cassés ne rejoignit jamais Toulouse.
Une douzaine de dames pensionnaires apportèrent aux religieuses l'un des moyens de subsistance. II s'ajoutait à la part des revenus qui leur avait été allouée lors du partage arbitral du 1er juillet 1662, concernant les droits et revenus du monastère des Cassés.
La fondatrice, Catherine Duport, plaça sa communauté dans une grande régularité, vivant scrupuleusement la Règle d'Urbain IV. Mais les Frères Mineurs franciscains « se dressèrent contre elle ».
Le monastère fut alors confié aux Frères Mineurs Récollets de Toulouse.
« La vertu rayonnante de l'abbesse retarda, quelques années encore, la décision que souhaitaient « in petto » aussi bien les supérieurs d'Aquitaine Nouvelle, que les évêques de Saint-Papoul et de Toulouse. Mais le roi la trancha définitivement ait profit des Cassés, le 19 juillet 1688.
Les exécuteurs de l'arrêt se montrèrent humains. Le noviciat de Toulouse fut évidemment fermé et Catherine Duport s'en alla mourir à Moissac. Mais la communauté de Saint-Pierre-des-Cuisines continua de subsister en fait jusqu'à son extinction (33) jusqu'à extinction ou quasi, puisque les deux dernières survivantes ne se retirèrent au monastère du Salin que le 12 mars 1730, et que l'abbesse des Cassés ne vint prendre possession de la maison du Port de Bidou qu'après leur départ.
Il est dommage, ajoute, en concluant, le Père Agathange, que le « patron » du monastère des Cassés, en voulant confirmer l'abbesse réformatrice comme « perpétuelle », avant qu'elle n'ait réussi à se faire accepter de bon gré, l'ait empêchée de triompher des opposantes à la réforme, et de gagner le monastère tout entier à une régularité qu'elle avait mission de lui rendre, et dont, seule, la petite communauté transférée à Toulouse fut la bénéficiaire. »
Pour nos yeux d'aujourd'hui, quelle aberration que ce « droit patronal » des seigneurs tout puissants sur des institutions religieuses vouées à la sanctification dans le sacrifice et la prière !! Que de souffrances et d'échecs provoqués !
Le monastère des Cassés
Dans la première moitié du XVII° siècle, le monastère des Cassés - nous l'avons vu - se trouvait, sous bien des rapports, en fort mauvais état.
« Les biens de la communauté étaient médiocres, les bâtiments tombaient en ruines, et les religieuses (une quinzaine en 1650) menaient une vie assez libre ( !), facilité notamment par l'isolement du monastère et par la bienveillance excessive de l'évêque, qui était en relations avec les parents et les amis des sœurs (34).»
Nous savons ce qui est advenu lorsqu'il s'est agi, en 1646, de réformer le monastère avec l'arrivée de Catherine Duport, dont les efforts de renouveau furent réduits à néant par la décision arbitraire et néfaste du marquis de Sourdis.
Mais, pour la communauté demeurée aux Cassés, la situation n'était plus la même : les campagnes jouissaient, à présent, d'une sécurité bien plus grande et, d'autre part, les chartes de fondation, qui n'avaient pas été changées, s'opposaient toujours à un quelconque transfert. Surtout, la communauté était retournée à une plus grande régularité.
En août 1685, une Clarisse professe du monastère de Lévignac, Marguerite de Cassaigneau de Galtens, fut élue abbesse des Cassés.
« En quelques mois, elle réussit à faire évoluer la situation. Religieuse de grande régularité, l'abbesse rétablit immédiatement une exacte observance dans la communauté. Femme d'intelligence et d'énergie, admirablement secondée par son frère Charles, chanoine de la collégiale voisine de Saint-Félix, elle s'employa avec persévérance à remettre en ordre le temporel de la maison et elle y réussit. (35).»
La situation était définitivement renversée.
« Aux termes de l'arrêt du roi (16 juillet 1688) les locaux et les biens de la maison de Toulouse faisaient retour au monastère des Cassés. Tandis que Catherine Duport rentrait à Moissac, son monastère d'origine, Marguerite de Glatens retournait dans le sien, à Lévignac. Les deux communautés étaient dissoutes et, de leurs membres, une communauté unique, au nombre clos de moniales, était formée : elle devait élire, dans les six mois, une nouvelle abbesse des Cassés. Quant aux religieuses en surnombre, elles devaient être dispersées. »
En réalité, l'archevêque de Toulouse et l'évêque de Saint-Papoul, exécuteurs des décisions du roi, firent preuve à la fois de paternelle délicatesse et de sagesse.
« Ils se contentèrent de fermer le noviciat du monastère de Toulouse, la communauté étant ainsi amenée progressivement à s'éteindre. Ce sursis se prolongea, en fait, quarante quatre ans. Le 12 mars 1730, les deux moniales survivantes demandèrent à se retirer au monastère des Clarisses du Salin, à Toulouse. C'est alors, seulement, que la communauté des Cassés prit possession du monastère du Bazacle. Elle l'offrit d'abord à l'Hôpital Saint-Joseph de La Grave qui désirait y établir une maison d'accueil pour les filles-mères. Mais l'affaire ayant traîné en longueur, le monastère ne put être vendu.
Finalement, il fut englobé dans les plans d'urbanisme de Loménie de Brienne et fut en majeure partie rasé pour l'aménagement de la place et du port Saint-Pierre. Le reste de l'enclos, situé ait-delà des anciennes murailles de la ville, fut acquis à vil prix par la Province de Languedoc. »
Jusqu'à la Révolution, le monastère des Cassés vécut enfin une période plus calme, « dans sa régularité renouvelée » (Père Agathange).
L'un des Pères Cordeliers de Castelnaudary en était encore en 1790, l'aumônier. C'était le Père Jean-François Beaumont, âgé de quarante sept ans, et qui refusa de prêter serment à la Constitution civile du clergé.
Dans l'Église concordataire, il deviendra, en 1803, curé de La Louvière, en Lauragais.
Dans les premières années de la Révolution, les évaluations des loyers du monastère et de ses dépendances nous sont fournies par la matrice du rôle, en date du 2 décembre 1791 :
« Il y est dit : - Section du village, état de section O - n° 16.
Les dames religieuses jouissent momentanément : un couvent, vastes logements internes, un grand enclos, jardin, basse-cour, pigeonnier. Le dit couvent évalué pour le loyer d'habitation à 116 livres, le quart pour réparation prélevé, le revenu net se réduit à 87 livres. Jardin ou basse-cour : 1 seterée, 2 quartères, 1 coupade, évaluée à 46 livres, 176.
Notes prises aux Archives de la Mairie par J. Pujol. (Communication de la Société d'Études Scientifiques de l'Aude, manuscrit non publié) (36).»
Le Docteur Charles Boyer signale que « les pierres de la nef (de l'église du monastère) auraient été transportées à Montmaur, où elles ont servi à prolonger de deux travées l'église paroissiale... Cette même église renferme quelques statues anciennes qui proviendraient du couvent... sauvées de l'incendie et du pillage du monastère lors de la Révolution (37).» (Je ne saurais trop remercier le Frère Hugues Dedieu, O.F.M., archiviste à Toulouse, qui m'a si obligeamment et fraternellement fourni une documentation sans laquelle je n'aurais pu trouver les détails précieux sur la vie monastique si tourmentée des Cassés.).
Note complémentaire Des Clarisses à Castelnaudary ?
Dans son étude sur « Les monastères des Clarisses au XVII° siècle », le Père Agathange mentionne (38) :
« Castelnaudary : Le 22 juillet 1656, Marie d'Orbessan, veuve de Jérôme de Castets, seigneur et baron de Saint-Martin, donnait aux Clarisses du Salin, à Toulouse, la somme de 15 000 livres, à charge, pour ces dames, de l'employer à l'établissement d'un monastère de leur Ordre, à Castelnaudary.
L'offre fut un instant retenue par Serène de Vesins, mais la fondation ne put avoir lieu « à cause des difficultés qui s'y seraient rencontrées » et notre Clarisse reporta ses vues sur Lavaur (39).»
On devine aisément à quelles « difficultés » s'est heurté le projet généreux de Marie d'Orbessan.
Cette donation et ce projet (le 22 juillet 1656) survenaient au plus mauvais moment : c'est précisément durant cet été 1656 que la scission venait d'être consommée aux Cassés, dont la communauté vivait une période sombre qui n'incitait pas à la confiance. Et, d'autre part, à peine un mois plus tôt, Catherine Duport venait d'installer, le 23 juin, le nouveau monastère de Toulouse. Était-il opportun et prudent de fonder une troisième communauté, du même Ordre, et aussi proche des deux autres affrontées aux « difficultés » que nous connaissons ?*
Bibliographie des Clarisses
- AGATHANGE DE PARIS (Père O.F.M. Capucin), « Les monastères de Clarisses fondés au XIV° siècle dans le Sud-ouest de la France », in Études Franciscaines, n° 9 (1958-59), Blois, 1958, pp. 1-34, 129-140
- AGATHANGE DE PARIS (Père O.F.M. Capucin), Les monastères de Clarisses fondés au XVII° siècle dans le Sud-ouest de la France, Blois, 1962,(« Toulouse, le monastère du Bazacle : 1656-1730, Les Cassés »)
- Agathange BOCQUET (Père O.F.M. C), « Les statuts conventuels d'un monastère de Clarisses au XIV° siècle (Les Cassés) », in Jus Seraphicum, t. V, pp.241 à 288, Rome 1959
- Vincent FERRAS (Frère O.S.B) L'abbaye de Notre-Dame des Anges des Cassés en Lauragais Audois, C.E.R.C.O.R., 1994
- G. BRUNEL-LOBRICHON, « Diffusion et spiritualité des premières Clarisses méridionales » in Cahiers de Fanjeaux, n° 23 (1988), pp. 269-270
- René GAUSSIN (Père), « Les communautés féminines dans l'espace languedocien de la fin du XI° à la fin du XIV° siècles », in Cahiers de Fanjeaux, n°23 (1988), pp. 321, 326, 332
- Germain MOUYNÈS, « Statuts et règlements pour le Service intérieur de l'abbaye des Clarisses et Minorettes de Notre-Dame des Anges des Cassés, établies en 1346 », in M.S.A., Carcassonne, Fasc. IV (1879), pp. 113 à 157
- René PILLORGET, « Réforme monastique et conflits de rupture dans quelques localités de la France méridionale au XVII° siècle » in Revue Historique, 1975, pp. 77-106
- G. DE CAPELLA, « Les saints honorés dans les paroisses du diocèse de Saint-Papoul au XV° siècle », in Cahiers de Fanjeaux, n° 25 (1990), p. 366, « Clarisses des Cassés »
- DEVIC et VAISSETTE (Doms), Histoire générale du Languedoc, Toulouse, 1876, t. IV, p. 860/2
- R. DEBANT, Guide des Archives de l'Aude, Carcassonne, 1976, Fasc. I, p.282, « Les Clarisses des Cassés », Série H 421-33, 552
- Jean-Paul CAZES, Habitat et occupation des sols en Lauragais Audois, thèse de troisième cycle, Toulouse Le Mirail, 1997, Tome I, pp. 273 et 277
- Jean GIROU, L'itinéraire en terre d'Aude, Montpellier, 1936, pp. 32, 122
- Charles BOYER (Docteur), « Le village et l'abbaye des Cassés », in B.S.E.S.A., tome XXXIX, pp. 91 à 96.
Annexe
Les statuts conventuels du monastère des Cassés
Publiés à Rome en 1959, les Statuts conventuels du monastère des Cassés (1346) nous sont tout à fait accessibles, aujourd'hui, grâce au Père Agathange(40). Germain Mouynès (voir Bibliographie) avait déjà fait connaître, en 1879, la copie qu'un scribe du XVI° siècle avait faite sur l'original du XIV° siècle.
La copie « informe » était rédigée en langue occitane, « la seule, sans doute, qu'entendît, à cette époque, la majorité des moniales », indique le Père Agathange, qui ajoute « Nous reproduisons la charte telle que nous l'ont conservée les archives de l'Aude (41) ». Le Père « s'est contenté, pour plus de clarté, de numéroter les 84 articles du document ».
(le lecteur ne trouvera pas ici le texte intégral, conservé dans les deux langues, occitane et française, aux Archives Franciscaines de Toulouse, P 2, B 5 a., nous ne retiendrons que certains textes qui paraissent utiles et plus significatifs).
Les statuts conventuels d'un monastère de Clarisses au xiv° siècle.
Par AGATHANGE BOCQUET - O.F.M.CAP.
ORDENANSAS, ESTATUZ E MODERANSAS SOBRE LA MANIEYRA DEL VILIRE
E DE LA CONVERSACIO DE LA DONA ABADESSA E DE LAS DAMAS SORS
E DELS FRAYRES DEL MONESTIE DE NOSTRA DAMA DELS ANGELS,
EL LOC DELS CASSES, DES EVESQUAT DE SANT-PAPOL
(langue occitane)
Le document
Les Archives départementales de Carcassonne (42) conservent un rouleau de cinq parchemins, accolés bout à bout et dont l'ensemble mesure 47 x 247 centimètres.
Il s'agit de la copie « informe » des statuts conventuels imposés, d'autorité apostolique, au monastère des Cassés, le 7 mars 1346. Voici la date et l'histoire de ce document.
Au début du XVI° siècle, le « Patron » du monastère ici en cause était le trop célèbre Gaston de Foix-Carmaing dont les débordements et les crimes sont notoires. Banni du Béarn, après confiscation, au profit du roi, de la baronnie de Coaraze, dont il était titulaire depuis 1492, il s'était retiré dans ses domaines du Lauragais : le comté de Carmaing et la baronnie de Saint-Félix. II y avait retrouvé Lucie de Foix, sa sœur, et malheureusement aussi son émule dans l'inconduite, bien qu'elle fut Clarisse-Urbaniste et même abbesse du monastère des Cassés.
Les désordres qui suivirent cette rencontre compromirent à ce point la réputation de la communauté que le Parlement de Toulouse s'en émut et, en 1519 ou 1520, déposa l'abbesse indigne. Mais l'éloignement de Gaston de Foix s'imposait tout autant. Aussi bien, la nouvelle supérieure, Claire de Foix, très probablement, refusa-t-elle de reconnaître les droits et privilèges du Patron et lui interdit-elle rigoureusement l'accès du monastère. Gaston de Foix prit la chose de très haut, accusa l'abbesse et ses filles d'ingratitude et même d'injustice, et résolut de solliciter du Saint-Siège la suppression de la communauté fondée par ses ancêtres, l'installation dans le monastère d'un couvent de Frères Mineurs de l'Observance, et l'attribution d'un patrimoine conventuel à l'église collégiale de Saint-Félix de Lauragais. Mais en avait-il le droit ? Dans le doute, il s'adressa à un jurisconsulte toulousain, François Bertrandi, pour prendre son avis. C'est à cette occasion que fut prise la copie, « informe », répétons-le, des statuts portés par notre charte, et qui contenaient la liste des droits et privilèges du Patron.
Notre charte est donc à dater des environs de 1523 (43).
Quelques textes retenus
Le Monastère
1 - « Spécialement érigé à la louange, révérence et honneur de Notre Dame Marie, Mère-Vierge de Dieu », le monastère doit porter de tout temps, le nom de « Monastère de Notre-Dame des Anges ».
2 - Le Salve Regina, récité par les sœurs à l'issue de la messe conventuelle, par les Frères Mineurs desservant la commmunauté après chacune de leurs messes, basses ou chantées, rappellera ce vocable marial.
3 - Pour l'honneur de Dieu, de la Vierge Marie, de tous les saints et saintes du Paradis, mais aussi pour le salut de l'âme des fondateurs : le pape Jean XXII et les vicomtes de Carmaing, l'Observance régulière sera chaque jour plus sainte et plus rayonnante.
Admission
Aucune femme, aucune jeune fille ne peut être reçue et prendre l'habit :
a) qu'une place ne soit vacante des cinquante fixées comme nombre clos par les bulles apostoliques.
b) qu'elle ne soit présentée par les fondateurs ou les Patrons qui leur succéderont.
Gouvernement et administration internes
Le gouvernement et l'administration du monastère sont assurés par l'abbesse, assistée des officières suivantes : la vicaire, les discrètes, la sacristine, les trésorières, les portières et les auditrices du parloir, la maîtresse des novices.
Les vêtements des sœurs
Les statuts sont assez sobres de prescriptions sur le costume religieux des moniales et s'en remettent expressément à ce sujet à l'usage commun de la province.
«L'abbesse et les sœurs, est-il dit, porteront habits et manteaux de couleur de bure et la corde, se conformant, quant à la forme des vêtements et à la manière de les porter, à ce qui se fait chez les autres Minorettes d'Aquitaine. »
La clôture
Le monastère doit être entouré et clos, de tous côtés, de murs élevés. Ces murs ne peuvent comporter ni fenêtre ni ouverture qui puissent permettre aux sœurs de regarder les gens du dehors « d'une distance telle qu'elles puissent converser avec eux et réciproquement ceux-ci avec elles ».
Entrées et séjour accordés par privilège
Sont autorisés à entrer librement dans la clôture et sans aucune autorisation de qui que ce soit :
a) Les cardinaux de la Sainte Église, avec une compagnie honnête, à leur propre jugement.
b) La Vicomte et la Vicomtesse, Patrons fondateurs du monastère et toute personne qu'il plaira, selon Dieu, à chacun d'eux, qu'il soit d'ailleurs présent ou absent.
c) La Vicomtesse peut séjourner à son gré dans le monastère. Elle est même autorisée à faire ouvrir une seconde porte dans la clôture pour accéder plus facilement dans le monastère. Mais, dans ce cas, il lui appartient de faire si bien garder et surveiller cette entrée secondaire qu'aucun scandale ne soit à redouter. La surveillance de la porte principale lui incombe également, chaque fois qu'étant présente au monastère, elle juge nécessaire de la faire ouvrir pour traiter ses propres affaires. Ce privilège lui est strictement personnel et la porte secondaire devra être murée immédiatement après sa mort, à la diligence de l'abbesse et de la communauté.
d) L'abbesse et la communauté sont tenues de recevoir éventuellement dans le monastère, pour assurer leur éducation, les filles que les Patronsfondateurs pourraient laisser orphelines, à leur mort. Ces enfants toutefois et leurs deux compagnes, ne seront pas à la charge de la communauté et il devra être pourvu à leurs besoins par qui de droit.
Le début des statuts en langue occitane
I- Premieyramen, as honor e gloria de Diu Nostre Senhor e de nostra santha Mayre Verges, Mayre sua, e de totz los santz et santhas de paradis et per le salut de las armas de mossen Johan, de santha memoria, papa MI, e de mossen Arnaut, vesconte et de madona Margarida de la Ylla, vescontessa de Caramanh, patros sobredigs e de lors succesors, ordenam e establem que eldich monestie cresca et }lorisca observancia de gloria e de santha religio, e queldig monestie sia fundat spesialamen a lausor e reverensia es a honor de Nostra Dona Maria, Mayre de Diu, e que sia apelat et intitulat lo monestie de Nostra Dona dels Angels.
2 - Item, establem e ordenam quel torn deldig monestie, dins loqual l'abadessa e las sors sobredichas staran e tostemps enclusas star deuran, sia serrat e claus de totas paretz d'autz murz e que lesdigs murs non aian fenestras ny vistas, per lasquals elas puesco regardar dedins las gens de foras, ny aquelas de foras puesco regardar dedins, so es assaber tant pres que elas dedins poguesso parlar am las gens de foras, ny la gens de foras am las personas dedins.
3- Item, stablem e ordenam que, en la clausura deldig monestie, aia tan solament una porta, laquala se clausa e se tanque de fortz et et sufficientz clavaduras, exceptat enpero que se madona la vescontessa sobredicha, el torn de ladicha clausura de sobredicha, el torn de ladicha clausura, vol aver una autra porta petita, otra l'avandieha porta, per la quala de son hostal puesco plus convenablemen anar al loc de lasdichas sors e layns demorar e statar am sa conpanha, ayssi cum lieys sera vist e aytantas de begadas quant a lieys playra, volem que aysso li sia legut e o pusea far, e aysso li autregam e l'en donam licensia, amb aquesta condecio que ladicha porta petita fassa regir et gardar, en manieyra que escandol no sen pesca ensegre ; volem enpero que aquesta petita porta sobredicha sia aqui tansolamen autan quant vioura ladicha madona la vescontessa e que, apres sa mort, se tanque et se sarre de mur fort e aquo brevamen, e ayssi, cum dich es, tantost apres la mort de ladicha dona, e a la abadessa e al couvent del monestier avandig, per l'avandig poder apostolical a nos dat et eomes, en vertut de santha obensia, o comandam
1. Rappel résumé et abrégé d'après, Les ordres religieux, guide historique, DUCHETSUCHAUX, Flammarion, 1993.
2. P. AGATHANGE, « Les monastères de Clarisses fondés au XIV° siècle, dans le Sud-ouest de la France », Études Franciscaines, ms, 9 (I958-1959).
3. V. FERRAS (Frère O.S.B. « Ordre de Saint-Benoît »), « L'Abbaye Notre-Dame-des-Anges en Lauragais audois », C.E.P.C.O.R.,1994, p. 4.
4. V. FERRAS (Frère O.S.B. « Ordre de Saint-Benoît »), op. cité, p. 3.
5. Les deux Bulles : aux Archives du Vatican, Rég. Nat., t. 106, ff. 141 et suivantes.
6. Soixante en avril 1333, cent en décembre de la même année, quarante en 1340. Cf. Archives Nationales, JJ 66, f. 513, n. 1205, f. 533, n. 1248 ; JJ 73, f. 121, n. 144.
7. C'était, outre Revel dont les consuls assuraient à eux seuls 150 livres de rente : Auriac, Avignonet, Beauville, Cambiac, Dreuilh, Falgairac, Le Faget, Montégut, Montmaur, Mourvilles, Saint-Félix, Saint-Julia, Saint-Paulet, Soupex, Toutens et Le Vaux.
8. Constitutions du monastère, art. 11 et 15.
9. V. FERRAS (Frère), op. cité, p. 5.
10. Annales Minorum, t. 7 (1932), p. 660, n. 82.
11. « Préambule » aux Constitutions du monastère.
12. Cf. BRIJNEL-LOBIZICHON, Cahiers de Fanjeauz, n'23, p. 269.
13. AGATHANGE (Père), Les Statuts conventuels : voir en Annexe.
14. Bulles 18 mars 1348: t. 6, n'451, 372, 542, 624 (Bullarium franciscanum).
15. G. BRUNEL-LOBRICHON, op. cité, p. 269.
16. AGATHANGE (Père), op. cité, p. 16.
17. V. FERRAS (Frère), op. cité, p. 11.
18. V. FERRAS (Frère O.S.B.), op. cité, p. 7.
19. D'après V. FERRAS (Frère O.S.B.), op. cité, pp. 9 et 10.
20. V. FERRAS (Frère O.S.B.), op. cité, p. 11.
21. AGATHANGE (Père), Les monastères de Clarisses ...xv11e siècle... , p. 136.
22. Cf., outre les sources que nous indiquerons, AGATHANGE DE PARIS, 0.F.M.cAP., « Les Clarisses des Cassés : Vers la réforme, 1640-45 » ; « La scission, 1645-56 »; « Trente ans de procédure, 1656-88 » ; « Le monastère de Toulouse, 1656-1750 ». Mss Archives Provinciales des Capucins de Toulouse. Objet d'une étude du Frère Hugues Dedieu.
23. Arrêt du 8 juillet 1644, Archives Départementales de la Haute-Garonne, B 654, f° 11.
24. Archives Départementales de l'Aude, 552, ms. 14 et 19 : Catherine Duport avait emmené deux moniales de Moissac.
25. Les statuts particuliers du monastère (1346) n'accordaient aucun droit de confirmation de l'abbesse au « patron ».
26. Archives Départementales de la Haute Garonne, B 709, f° 713 ; Archives Départementales de l'Aude, 552,19.
27. Archives Départementales de l'Aude, 552, 19.
28. Le marquis de Sourdis fit confier, par le Parlement de Toulouse, l'administration des biens du monastère à un syndic qui devait assurer la distribution des revenus aux deux communautés.
29. Nous empruntons largement, ici, au texte du Père AGATHANGE, antérieur à son étude sur les Clarisses du Sud-Ouest au XVII° siècle, et qui nous a été aimablement communiqué par le Frère Hugues Dedieu, archiviste à Toulouse
30. La décision fut signifiée à la communauté par le Définiteur provincial, Joseph Gaussens, le 18 juillet 1656 ; mais les moniales lui répondirent « qu'elles ny led. monastère ne vouloient ny ne pouvoint estre transportés ailheurs ». Mahous, notaire, 556, f° 97.
31. Archives Départementales de l'Aude, H 552, 17
32. Cf. texte du Père AGATHANGE, Archives Provinciales des Franciscains, 1 R, « La famille franciscaine à Toulouse », carton 2 « Les Clarisses ».
33. C'est-à-dire sans personnalité juridique ni même existence légale. Ceci n'empêcha pas que le 4 mai 1693, et à la requête du procureur général de Toulouse, le roi la déclara encore « sous sa protection et sauvegarde ». Archives Départementales de l'Aude, 433.
34. R. PILLORGET, op. cité, pp. 86-88 (résumé par Frère H. Dedieu dans Revue Historique, 1975).
35. Nous reproduisons ici le texte du Père AGATHANGE, d'après les Archives Franciscaines, 1 R, « La famille franciscaine à Toulouse », carton 2, « Les Clarisses ».
36. Charles BOYER (Docteur), « Le village et l'Abbaye des Cassés », B.S.E.S.A.,tome XXXIX, p. 95, note 1.
37. Ch. BOYER (Docteur), ibid, p. 95, note 2.
38. AGATHANGE DE PARIS (Père), Les monastères de Clarisses fondés au XVII° siècle dans le Sud-ouest de la France, Blois, 1962, p. 163.
39. Archives de la Haute-Garonne, 209 H 16.
40. Ils sont extraits de jus Seraphicum, 5 (1959), pp. 241 à 288.
41. Archives Départementales de l'Aude, H 426.
42. Archives Départementales de l'Aude, H 423.
43. Au jugement de M. BLAQUIÈRE, archiviste départemental de Toulouse, l'examen de l'écriture confirme cette date approximative ; de même, l'étude de la graphie occitane utilisée par le copiste, au sentiment de M. le chanoine SALVAT, professeur à l'Institut catholique de Toulouse, et doyen du collège d'Occitanie.