Société d’ Histoire de Revel Saint-Ferréol PARU DANS LES CAHIERS DE L’ HISTOIRE NUMERO 12 - 2007 - |
La charte de fondation de Palleville (1252) d'après Maurice de Poitevin |
voir aussi le site Archeologique de Paleville "Rubrique Sites Archéologiques"
et
dans la collection LAURAGAIS-PATRIMOINE ----- PALEVILLE de la préhistoire à l'aube du XXIème Siècle de Maurice de Poitevin
Alors que la liste des bastides semblait close, une bastide vient s’ajouter aux 26 bastides déjà recensées dans le Tarn, et cela constitue une découverte.
Par cette charte de 1252, tout à fait inédite, le seigneur (cathare) Aymeric de Roquefort confère quelques franchises (ou libertés) aux habitants de son « honneur » (territoire). Ces avantages n’ont pas dû attirer une forte population puisque Palleville est resté un village aux proportions modestes, sans comparaison possible avec sa voisine de la Haute Garonne, Revel, dont la charte , conférée par le roi de France Philippe VI le Valois est beaucoup plus récente (1342). Nos collaborateurs, qui ont découvert ce texte l’ont traduit avec soin, aidés par une copie du XVIIIème siècle.
A l’écart des voies romaines et des points
d’habitat antique, de grandes étendues du Pays Castrais et du Lauragais
étaient à l’aube du Moyen Age, recouvertes de landes et de forêts, en
particulier la forêt de Vauré. Celle-ci rendait peu sûre la route de
Castelnaudary à Castres.
Après la terrible croisade des Albigeois, il
fallut reconstruire une région ruinée par la guerre et s’efforcer de
regrouper sous l’autorité rassurante du comte, du roi ou du seigneur,
une population errante ou réfugiée dans ces lieux incultes. Ce fut la
fondation des bastides – ou villes neutres – créées dans la région du
Sud-ouest au cours des XIIIème et XIVème siècles. L’originalité de ce
mouvement est très remarquable puisque seules les marches de l’Est de
l’Europe semblent alors connaître un pareil effort de colonisation
systématique.
Un seigneur pouvait fonder une bastide sur ses terres à condition de posséder la fortune nécessaire à la réalisation de cette entreprise coûteuse ; en outre, il devait obtenir l’autorisation de celui qui détenait le pouvoir civil et judiciaire (la « juridiction »), comme, par exemple, Alphonse de Poitiers, comte de Toulouse (1249-1271).
Dans le Pays Castrais, aucune bastide n’a été
fondée à la seule initiative d’un modeste seigneur, en dehors de
Pallevillle. Effectivement, Aymeric de Roquefort fonda une ville dans
son « honneur » (seigneurie) de Palleville, en l’an
1252, c’est à dire quatre-vingt-dix ans avant la bastide royale de
Revel. La première trace de cette famille apparaît sur un document de
1030. Les seigneurs de Roquefort entrèrent en possession du château de
Roquefort en 1141 ; celui-ci surveillait la sauvage vallée du Sor, un
axe important de pénétration dans la Montagne Noire. Au début du XIIIème
siècle, ils se rallièrent à « l’hérésie » (cathare) et leur château
servit de lieux d’accueil aux Bonshommes, en particulier avec Jourdain
de Roquefort (décédé en 1249). Son fils, Aymeric de Roquefort, fut
probablement à l’origine de la création de la bastide seigneuriale de
Palleville.
La fondation d’une bastide donnait lieu à une cérémonie au cours de
laquelle un long pieu appelé « pal » était planté sur place. Il portait
les armoiries du fondateur (roi ou simple seigneur). Celles-ci, ainsi
mises en évidence, symbolisaient la prise de possession de la nouvelle
ville. Un membre du clergé bénissait, semble-t-il, l’emplacement. La
proclamation des avantages intervenait ensuite. La charte des coutumes
était lue à haute voix sur les lieux. Puis des crieurs publics partaient
dans les environs, sans doute munis d’un document sur lequel étaient
reportées les « franchises » (ou libertés). A grands sons de trompe, ils
provoquaient des rassemblements aux carrefours des
routes, dans les hameaux isolés ou devant les églises à la sortie des
messes. Enfin, ils annonçaient les avantages promis dans la nouvelle
fondation.
La charte de franchises de
Palleville écrite par Devienne, notaire de Montgey, le 12 octobre 1252 –
comportait un certain nombre d’exemptions fiscales. En effet, Aymeric de
Roquefort renonçait à lever la quête et la taille, l’albergue et les
cens. La quête et la taille étaient à l’origine des taxes payées par les
paysans en contrepartie de la protection fournie par le seigneur.
L’albergue était un impôt versé au seigneur afin d’être dispensé de
battre au sol ses récoltes ; en outre, les habitants étaient dispensés
de diverses prestations de servitude, c’est à dire, de donner au
seigneur des œufs, du fromage, du sel ou autres produits. Ils avaient la
possibilité également d’avoir « un four commun et libre » sans payer de
fournage au seigneur. Exemptés aussi de cens – redevances dues par les
tenanciers – ils étaient astreints cependant aux droits de succession,
en cas d’échanges ou de ventes des maisons ou des lots de terres
cultivables. Enfin, la corvée seigneuriale se réduisait à un seul jour
par an, avec un homme pour chaque logement et une participation
éventuelle des animaux de trait.
La terre de Palleville était encore détenue aux XVème et XVIème siècles par les seigneurs de Roquefort ; elle fut achetée dans la seconde moitié du XVIIème siècle, probablement aux Vézins de Roquefort par la famille de Terson, qui la conserva jusqu’à la Révolution.[1]
RAMIERE de FORTANIER (Jean), Chartes des franchises du Lauragais, Paris, Sirey, 1939.
HIGOUNET (Charles), Les bastides du Sud-ouest, Information historique, mars avril 1946, pp 28-35.
Idem, La frange orientale des bastides, Annales du Midi, 1949, pp 359-367.
SAINT BLANQUAT (Odon de), Comment se sont créées les bastides du Sud-Ouest de la France, Annales E.S.C., 1949, pp 278-289.
ROQUEBERT (Michel), Jourdain de Roquefort, seigneur de Montgey et sa famille au XIIIe siècle, Revue du Tarn, 1977, pp 509 – 529.
BLAQUIERE (Henri), CASTAN (Yves), GERARD (Pierre), Saint-Blanquat (Odon de), Documents sur le développement des libertés municipales des communautés urbaines en pays toulousain du XIIe au XIVe siècle, Archives de la Haute-Garonne, Service éducatif, Centre régional de Documentation pédagogique de l’Académie de Toulouse, 1960.
ALBAREL (Jacques), Roquefort Les Cammazes, Editions Frérerie de Ferrières, 1983.
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Histoire de Castres, Mazamet, la Montagne (sous la direction de Rémy CAZALS), Toulouse, Privat, 1992.
CABROLIER (N.), Inventaires des chartes de coutumes, franchises et exemption des communautés tarnaises (du XIIe au XVIIIe siècle), mémoire de maîtrise, université de Toulouse II, 1999.
La coutume au village dans l’Europe médiévale et moderne, Actes des XXe Journées Internationales d’Histoire de l’Abbaye de Flaran, septembre 1998. Etudes réunies par Mireille MOUSNIER et Jacques POUMAREDE, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 2001 – Voir particulièrement, Les coutumes de la France méridionale. Programme de recherche et premiers résultats, par Maurice BERTHE, pp 121-137.
Dictionnaire du Moyen Age (sous la direction de Claude GAUVARD, Alain de LIBERA, Michel ZINK), Paris, P.U.F., 2002.
Maurice GRESLE-BOUIGNOL
Archiviste honoraire du Tarn.
Maurice de Poitevin
[1] Nous remercions M. Renaud de Bary de nous avoir communiqué l’original et une copie de la fin du XVIIIè siècle de la charte de fondation de Palleville. Tous nos remerciements également pour M. Maurice Greslé-Bouignol, ancien archiviste du Tarn, qui a pu rétablir l’ensemble du texte (en latin) et en assurer une excellente traduction.
LE DOCUMENT
Fondation et franchises de Palleville par Aymeric de Roquefort, en l’an
1252.
TEXTE LATIN | TRADUCTION |
Omnia ea que gesta sunt teneri semper condere scriptis ut rerum gestarum auditores tam presentes quam futuri melius et certiuscertificentur. Idcirco in Domini nomine , Nos Aymericus de Rupe forti, volentes et cupientes villam facere in honore nostro //2 de Palacio vila et edificare et ibi homines et mulieres tam de nostrs propiis quam de aliis ad manendum ac ad habitandum agregare, Nunc, omnibus ipsis hominibus et mulieribus ibidem ad hoc undicunque congregatis et etiam in futurum ibidem congregan- //3 –dis deo favente, tam ipsis cunctis quyam et posteritatibus eorudem, pro nobis et pro cunctis Successoribus perpetim nostris, mores constituimus omnino perhabendes (sic) videlicet tales concedimus et enim eis atque posteritatibus eorumdem et libertatem donamus, ut //4 numquam in solum nec a nostris propiis hominibus petamus quistam nec tallam, nec petere nec exigere aut extorquere faciamus Item propiis nostris hominibus et mulieribus et omnibus aliis nunc ibidem habitantibus et ad habitandum venientibus et //5 etiam omnibus eorum posteritatibus donamus similiter libertatem ac imperpetuum concedimus Nos Aymericus, pro nobis et cunctis successoribus nostris, ut nunquam ab ipsis petimus nec a posteritatibus eorumdem, nec etiam ipsi nobis donent albergam nec ovagium //6 nec caseaticum, nec quatraticum, nec palhivium, nec fenum, nec porcellum,nec agnum,nec porros, nec caules, nec nomine donationis vel ullius cujuslibet servitutis. Item donamus eis et concedimus ut universitas ejustem ville habeat //7 furnum communem et liberum in eadem villa, in quo quisque suum decoqueat panem et nemini in fornaticum reddat. Item donamus et concedimus eis imperpetuum ut omnes habitantes in dicta villa vel ad habitandum ibi venientes et omnis //8 eorum posteritas habeant semper infra turnum ejusdem ville localia domorum et domos semper francas et liberas videlicet de censu et servicio ratione ipsarum domorum et localium, excepto tamen quod quociens vendentur seu impignorabuntur seu //9 dabuntur seu excambiantur, semper nos et nostri habeamus exinde nostra foriscapia et alias dominationes nostras. Item in dicta villa et in omnibus habitatoribus ejusdem ville retinemus nobis et omnibus successoribus nostris corrundum semel in anno in uno- //10 – quoque albergo ejusdem ville, scilicet in bestiis carrigii et in bovibus et ubi non fuerint bestie debemus habere unum hominem de unoquoque albergo, si tanem ibi fuit habitans, qui scilicet homines et bestie qui ibi invente fuerint //11 adjuvent nos per totam unam diem semel in anno ad omnia nostra negocia facienda. Item retinemus in dicta villa et suis pertinenciis omnia jura nostra et dominationes et servicia que inde habere debemus. Item mandamus //12 similiter et promittimus, concedentes nostra volontate, quod contra predicta et singula prout superius dicta sunt et expressa nunquam veniamus vel venire faciamus neque aliqua persona pro nobis interposita aliqua exceptione cujuslibet juris //13 scripti aut assuetudinarii, et hoc dicimus renunciantes omni auxilio juris et beneficio canonici et civilis. Hujus rei sunt testes Arnaldus W. Darzina et Petrus de Baure et Petrus de Levi et Petrus Asengri et Willelmus Fres et Iterius //14 Vieni, notarius de Monte Jove, qui hanc cartam scripsit .IIII°. idus octobris, anno Domini .M° .CC° .L° .II° regnante Lodoyco rege et Alfonsso comite tholosano, Ramundo episcopo |
Tout ce qui est fait <pour> être tenu toujours <est à> mettre par écrits, afin que les auditeurs de ce qui est accompli, tant présents que futurs, en soient mieux et plus sûrement assurés. C’est pourquoi, au nom du Seigneur, Nous, Aymeric de Roquefort, voulant et désirant faire et édifier une ville dans notre honneur //2 de Palleville et rassembler des hommes et femmes, tant des nôtres propres que d’autres, pour y résider et habiter, Maintenant, à tous ces hommes et femmes qui s’assembleront ici, venant de toute part et qui s’y assembleront //3 à la grâce de Dieu dans l’avenir, et tant à eux tous qu’à leur postérité, pour nous et pour tous nos successeurs à perpétuité, nous concédons des coutumes à observer complètement, et les concédons telles que suit : 1) Franchise de quête et de taille à savoir qu’à eux et à leur postérité nous donnons la liberté //4 <telle> que jamais nous ne réclamerons un seul ni de nos propres hommes, ni ne ferons réclamer ni exiger ou extorquer quête ni taille ; 2) Franchise d’albergue et de diverses prestations de servitude Item à nos propres hommes et femmes y habitant maintenant et venant pour y habiter //5 et encore à toute leur postérité nous donnons semblablement liberté et à perpétuité nous concédons, nous Aymeric, pour nous et pour tous nos successeurs que jamais nous ne réclamerons d’eux ni de leur postérité, ni même eux ne nous donnerons l’albergue ni prestation en œufs (1) //6 ni en fromage, ni en sel (2),ni en choux, ni sous le nom de donation ou de toute autre servitude ; 3) Droit pour la communauté d’avoir un four franc de fournage Item nous leur donnons et concédons que l’université de cette ville ait //7 un four commun et libre dans la dite ville, dans lequel chacun puisse cuire son pain et ne rende à personne un fournage ; 4) Franchise de cens, mais réserve des droits de mutation Item nous leur donnons et concédons perpétuellement que tous les habitants en la dite ville ou venant y habiter et toute //8 leur postérité aient toujours à l’intérieur du tour de la dite ville les lots des maisons et les maisons toujours francs et libres, c’est à dire de cens et service à raison des dits maisons et lots, sauf cependant que chaque fois qu’ils seront vendus ou engagés ou //9 donnés ou échangés, toujours nous ou les nôtres auront là dessus nos forcapis et autres droits seigneuriaux ; 5) Réserve mais fixation de la corvée Item en la dite ville et sur tous les habitants de cette ville nous retenons pour nous et pour tous nos successeurs le corrundum (3) une seule fois par an dans chaque // 10 logement de la dite ville, c’est à dire sur les bêtes de trait et sur les bœufs, et où il n’y aurait pas de bêtes, nous devons avoir un homme de chaque logement, si toutefois il y a un habitant –hommes et bêtes- qui y seraient trouvé //11 et qu’ils nous aident tout un jour, une fois l’an, pour tous travaux que nous aurions à faire ; 6) Réserve de tout autres droits Item nous retenons la dite ville et ses appartenances tous nos droits et seigneuries et services que nous devons avoir ; 7) Engagement de ne pas revenir sur cette concession et renonciations Item nous ordonnons //12 semblablement et promettons, concédant de notre vouloir spontané, que contre les concessions susdites et chacune ainsi exprimées jamais nous ne reviendrons ni ferons revenir, ni aucune personne s’interposant de notre part, renonçant à toute exception de droit //13 écrit ou coutumier, et nous disons cela renonçant à toute aide de droit et bénéfice de droit canonique et civil. De cela sont témoins Arnaud Guillaume Darzina, Pierre Bernard de Baure (4), Pierre de Levi , Pierre Asengri, Guillaume Fres, et Itier //14 Vieni (5), notaire de Montgey, qui a écrit cette charte, le 4e des ides d’octobre, l’an du Seigneur M°.CC°.L°.II°, régnant Louis, roi, et Alphonse, comte de Toulouse, Raymond, évêque. |