Société d’ Histoire de Revel Saint-Ferréol LES CAHIERS DE L’ HISTOIRE |
A PROPOS DU «
DIEU JANUS » Par Jean Paul Calvet
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Un inventaire exhaustif archéologique des sites du département du Tarn est en cours de réalisation depuis 2005.
Etant chargé par le Comité Départemental d’ Archéologie du Tarn de prendre en charge et de documenter les sites du canton de Dourgne, tout en restant très attaché à l’ oppidum de Berniquaut, mon attention se focalisait tout particulièrement sur une fiche de l’inventaire régional du Service Régional de l’ Archéologie :
« statue du dieu Janus située dans la propriété de Belles Herbes à Soréze, découverte à Berniquaut ».Je contactais immédiatement les propriétaires.
M. de Guibert
m’accompagnait avec sa sœur à Belles Herbes pour procéder à des
prises de photographies et relevés dimensionnels.
C’est avec beaucoup d’amabilité qu’ils m’ont piloté, je les en remercie
chaleureusement.
IANUS ou JANUS (1) – son origine
Les « mythologues » ne sont pas d’accord sur l’origine de ce dieu-roi, et nous proposent plusieurs versions :
1/origine scythe
2/ étrusque – Janus a été associé à la divinité étrusque ANI
3/ du pays des Perrhèbes ( peuple de Thessalie)
4/origine grecque – il serait le fils d’ Apollon (dieu du soleil dont la tâche est de conduire à travers le ciel son char de feu) et de la princesse Créuse, fille du roi d’ Athènes (Erechtée) « à l’âge adulte, Janus va aborder en Italie après avoir équipé une flotte, à la suite de plusieurs conquêtes il va bâtir une ville qui portera son nom JANICULE. » (2)
5/ le « chaos » grec – c’est Ovide qui dans le premier chant des « FASTES », consacré au mois de janvier, identifie Janus au chaos des grecs. Il raconte qu’après la séparation des éléments formant la matière première de l’univers ( air, eau, terre et feu), le corps d’un dieu se dégagea de cette matière, et que ce dieu fut Janus.
Dans cette version on explique que son double visage symbolise l’état de confusion cosmique qui précéda sa venue au monde. Janus est donc le premier dieu. Il est la transition entre le « primitif » et la civilisation.
(1) La lettre « J » n’est apparue qu’au moyen âge
(2) JANICULE (ou IANICULE en latin GIANICOLO en italien) est la « huitième » colline de Rome, située sur la rive droite du Tibre - au sud de la cité du Vatican, sa hauteur est de 146 mètres.
La première remarque à faire est que ces versions restent obscures et parfois se confondent.
Sur un fond de mythologie, la légende est tenace pour le faire régner dans le Latium.
On dit même que Saturne, chassé du ciel, se réfugie dans le pays.
Il est accueilli par Janus qui partage avec lui la royauté. L’entente est parfaite, les querelles inexistantes, la terre est très féconde et les gens ne travaillent pas.
Cette période est appelée « l’âge d’or » .
En souvenir d’une pareille période, les romains vont fêter pendant longtemps « les saturnales », où pendant trois jours tous étaient égaux. Il n’y avait ni maître ni esclave.
DIEU DU PASSE ET DE L’ AVENIR
La reconnaissance de Saturne est importante et dote Janus de dons précieux : une grande prudence et le pouvoir de rendre toujours présent à ses yeux le passé et l’avenir.
La plupart des représentations du dieu Janus sont illustrées par une tête à deux visages opposés, le visage qui regarde le passé et celui qui regarde l’avenir.
LE REGNE DE JANUS – DIEU DE LA PAIX – LES TEMPLES
Son règne est pacifique et de ce fait est considéré comme le dieu de la paix.
Janus est le dieu des portes (de janua « ianua » porte en latin), jauna tiré de l’étrusque « porte »
Dans le document, diverses représentations du dieu Janus Epoque antique Sculptures et médaillons romains
Sur le revers de médailles portant en effigie Janus, on rencontre souvent la symbolique du navire ou simplement de la proue évoquant son voyage maritime.
Personnage important de Rome, un temple est érigé en son nom par le roi Numa Pompilius (3) sur la colline du Janicule.
Ce temple restait ouvert en temps de guerre, on le fermait en temps de paix (4)..
Avec ses deux têtes, Janus pouvait symboliser l’échec ou le succès d’une guerre ou bataille.
Il fut fermé une fois sous le règne de NUMA, une seconde fois après la deuxième guerre punique, trois fois à divers intervalles sous le règne d’ Auguste.
Néron pensant avoir établi la paix partout dans l’empire ferma les portes du temple. Ce fait sera commémoré par une importante émission d’auréi, de sesterces et d’as.
A Rome plusieurs temples de Janus ont été érigés. Certains pour un Janus Bifrons (à deux têtes), d’autres pour un Janus Quadrifons (5) (à quatre têtes).
L’un d’eux se situe dans la rue nommée Argiletum, une importante voie qui reliait le Forum romain et les zones résidentielles dans le nord-est.
Le temple était en bois et suggère ainsi que le culte de Janus était très ancien. Deux portes étaient présentes et la statue placée entre les deux.
C’est sous ce temple que passaient les légions romaines qui partaient au combat.
En dehors des murs de Rome il existait 12 autels dédiés à Janus, un pour chaque mois de l’année.
Le contraste des deux visages font de lui la représentation de l’homme qui dit la vérité et l’autre le mensonge, l’humour et la tragédie, le bonheur et le malheur.
JANUS ET LE MONNAYAGE
Le monnayage de l’Empire fait rarement référence à Janus, toutefois il apparaît dans les monnaies d’Hadrien, de Commode notamment sur un médaillon sur lequel, dans sa mégalomanie, l’empereur se fait représenter sous les traits de Janus.
Pertinax qui obtint l’Empire un premier janvier, jour de la fête de Janus, fit frapper des deniers le représentant.
POUVOIR DE JANUS DANS L’ ESPACE ET LE TEMPS
Janus exerce son pouvoir sur l’espace du haut (le ciel) et celui du bas (les mers et les terres).
Ses visages regardent l’occident et l’orient (le lever et le coucher du soleil). Avec lui tout s’ouvre et se ferme à volonté, il gouverne la vaste étendue de l’univers et préside aux portes du ciel.
On le représente parfois barbu (surtout dans ses premières représentations), tenant dans une main une clé (pour marquer qu’il est le gardien des portes) de l’autre une verge (pour montrer la direction des chemins).
Certains auteurs expliquent la symbolique du Janus barbu et rasé, elle serait l’image de la jeunesse et de la vieillesse, d’autres disent qu’elle symbolisait la lune et le soleil.
Parfois ses statues marquent de la main droite le chiffre de trois cents, de l’autre celui de 55 totalisant ainsi le nombre de jours de l’année (355 selon le calendrier romain).
Le mois de janvier (le mot lui même « Ianiarus » est tiré de Janus « Ianus ») lui était consacré.
(3) NUMA POMPILIUS est le deuxième roi légendaire de Rome (-715 , - 673), il promulgua une réforme du calendrier dans le but d’ajuster les anciens mois lunaires et solaires. Il ajouta deux mois au calendrier (janvier et février). Les calendes de janvier étaient consacrées au dieu Janus dont les deux visages regardaient l’année qui venait de finir et celle où l’on entrait. Le premier jour on offrait au dieu le « IANUAL ou JANUAL » (gâteau), des figues, des dattes et du miel. Les artistes et artisans étaient persuadés que ce jour là le travail leur assurait une année favorable, on se visitait, on s’adressait les vœux, on s’interdisait de prononcer des mots ou phrases de mauvaises augures, on s’envoyait des présents, on se donnait des « étrennes » . Le soir était l’occasion de faire un bon repas entre convives. Notre fête du « premier de l’an » garde encore les traces de ce dieu Janus.
(4) Janus est le dieu des portes. La porte donne deux possibilités (dedans et dehors), ce qui explique le Janus à deux têtes.
Ovide dans les « Fastes » parle avec Janus et demande qu’elle est la symbolique des portes ouvertes et fermées. La réponse est :
« pour que le peuple, parti pour la guerre, ne rencontre aucun obstacle à son retour, les serrures tombent, et ma porte s’ouvre toute entière ; la guerre terminée, je ferme mon temple, pour que la paix ne trouve aucune issue, et il en sera longtemps ainsi, grâce au nom redouté des Césars ».
Les portes ouvertes en temps de guerre permettaient l’apport d’offrandes dans le temple .
La porte s’ouvre aussi sur un autre espace que l’on découvre parfois pour la première fois. C’est la symbolique du « début », du commencement. Janus est aussi le dieu des « débuts » (voir explications sur le mois de janvier – début de l’année).
(5)L’empereur Domitien avait changé la statue à deux têtes par une autre à quatre têtes. Janus supervisait ainsi quatre forums : le forum de la Paix, le Transitorium, celui de Jules César et le forum romain.
Le temple de structure carrée (donc quatre faces) comportait 1 porte et 12 fenêtres par face qui correspondaient dans leur totalité aux 4 saisons et aux douze mois de l’année . Les romains faisaient référence à Janus en début de chaque mois, lors du début de la vie (naissance), commencement d’une famille (mariage), début de la saison des plantations et des récoltes. Il montre le monde rural et urbain…
IMPORTANCE DU DIEU JANUS
On ne le retrouve que chez les romains, il n’y a pas d’équivalence avec un dieu chez les grecs sauf peut être avec le héros grec Ion, fils traditionnel d’Apollon et de la princesse athénienne Créuse (voir paragraphe sur les origines de Janus) . C’est le dieu le plus ancien de Rome, et dans l’épigraphie on le retrouve souvent en premier.
JANUS ET SA FAMILLE
Il est le père de Proca, né de l’union avec Cama, et de Tibérinus né de l’union avec Camisé Il est le premier a être invoqué, et est surnommé le « divom deus » (le dieu des dieux). On le retrouve en effigie sur les plus anciennes monnaies romaines, il était vénéré dans plusieurs autres villes de la vallée du Tibre, qui l’accueille dans le latium (Tibérinus se noiera dans le Tibre, fleuve qui portera son nom).
Il eut une fille (Canens) qu’il maria à Picus, fils de Saturne né dans le latium après son exil sur terre. La magicienne Circé, par dépit amoureux, devait plus tard le métamorphoser en pic-vert. Avec Canens, Janus est le grand père de Faunus, l’arrière grand père de Latinus et l’ancêtre d’une longue lignée royale.
Des relations amoureuses seront « consommées » avec la déesse des eaux douces Vénilia, la nymphe Cardea (6) (ou Carna) de laquelle il parvint à obtenir les faveurs lors d’un défi, grâce à son double visage. En retour il en fit une déesse, présidant aux gonds des portes et chargée en parallèle, de protéger la santé des nouveaux nés. De cette relation naquit un fils devenu roi de la ville « Alba Longa »
L’antique déesse Jana (Iana) ou Diana est sa parèdre, certains y voient une similitude avec le couple formé en Grèce par Apollon et Artémis.
Après sa mort Janus est « déifié » et devient le protecteur de Rome
(6) Cardea ou Carna aime bien défier ses prétendants avec des avances sexuelles, mais lorsque les choses se précisent elle part en s’envolant … Janus a su la conquérir
LA STATUE JANUS DE BELLES HERBES
Située dans le parc de la propriété de « Belles Herbes » à Soréze, l’examen de la statue démontre par sa patine une certaine ancienneté de l’œuvre.
D’après la famille de Guibert, cette statue aurait été offerte au début du XIXème siècle à Antoine Etienne de Rome Maire de Soréze par une personne dont l’histoire et la tradition orale n’ont pas retenu le nom.
N’étant pas spécialiste nous resterons très prudents sur les conclusions.
Ce que nous pouvons dire :
- la facture de la statue est assez grossière et pourrait être apparentée à l’art populaire du XVIII ème siècle
- la « tête bicéphale » est posée sur un piédestal assez moderne, la base de la tête n’est pas régulière (plan non horizontal)
- nous doutons fortement que l’origine de cette statue soit le site de Berniquaut (certainement déserté dès -50)
- la matière est un grès (ou calcaire) à grain moyen
- l’emplacement de la statue n’a pas été choisi au hasard , le Janus regarde l’est et l’ouest, l’espace rural et l’espace urbanisé, il est placé face à une porte
- peut-être peut-on y voir une reproduction de l’époque romantique, époque où les artistes étaient fortement inspirés par le monde antique et ses ruines.
Un avis sera demandé à des spécialistes ; par manque de temps nous n’avons pas pu vous en donner les résultats dans ce numéro du Ravelin, cela sera fait ultérieurement.