Société d’ Histoire de Revel Saint-Ferréol LES CAHIERS DE L’ HISTOIRE - N°15 - Année 2010 |
UN VOYAGE AUX CHEMINS DE FER DU SUD - OUEST sur la ligne Toulouse - Revel.
Texte inédit : manuscrit transmis et écrit par Monsieur Christian LACOMBE |
L'action se passe entre 1940 et 1944, peut-être plus près de 1940 qu'à mi-chemin entre ces deux dates...
C'était donc... il y a bien longtemps, à l'époque où les secondaires sillonnaient encore les campagnes du Languedoc,... et d'ailleurs.
Le lac de Saint-Ferréol, "lac artificiel, grand réservoir général de 67 hectares pour l'alimentation du Canal du Midi, entouré d'un très beau parc, chef-d’œuvre de Riquet", comme le précisent tous les guides touristiques à la hauteur, - est le rendez-vous idéal des campeurs, baigneurs et canoteurs - toulousains, de souche ou d'adoption...
Ce lieu paradisiaque est principalement desservi par la ligne Toulouse-Revel de la Cie du S.-O., dont la gare est située à 2 kms environ du lac lui-même.
Avec un camarade campeur, nous décidons d'abandonner quelques jours - nos chères études - pour profiter des avantages indiscutés d'un court séjour sur les rives sylvestres de ce lac, - bijou de la Montagne Noire -.
Au jour dit, nous débarquons, sac au dos, du tram n° 10, l'arrêt du Pont des Demoiselles, et franchissons le pont du canal, pour admirer, sagement rangé sur sa voie métrique, le « beau train noir » qui va nous mener à Revel.
De l'autre côté du boulevard Griffoul Dorval, se cache, enclavé dans les emprises de Longométal, le petit BV(0) de "Toulouse - Pont des Demoiselles" - gare ouverte exclusivement aux voyageurs et à l'enregistrement -des bagages.
Nous nous y rendons pour prendre nos billets et devrons, pour ce faire, attendre patiemment que soit servie la longue file des aspirants au voyage qui nous précède.
Nous en profitons pour examiner nos compagnons de route et constatons avec joie que ceux-ci, pour 95%. sont des jeunes de notre âge, étudiants comme nous, campeurs ou canoéistes, ou encore nombres de mouvements de jeunesse, profitant du week-end pour « monter à Saint-Ferréol"... J'ai en effet omis de dire que nous sommes samedi soir. Nos billets pris, et avant de retraverser le boulevard, j'examine notre train.
En tête, une Corpet-Louvet(A) de 21 tonnes, type 030 T, série 201 à 207 (1906/1911) pesant en charge 25 tonnes 300.
Puis : 1 fourgon de l'ex-C.F.I.L. (1)Toulouse-Boulogne; 8 voitures voyageurs, dont 2 mixtes A B (6 places assises de 1ère déclassées et 18 places assises de 2ème classe) et une de seconde B (24 places assises) ; 2 wagons couverts, série K; 1 fourgon S.0. avec compartiment postal.
Au total : 12 pièces.
Tout ce matériel est à deux essieux. Son gabarit, fixé par convention du 10 avril 1901 est en largeur de 2m pour les caisses et 2m20 pour les saillies ; en hauteur de 3m50.
Il est à noter cependant que, par décision du Conseil Général en date du 21 septembre 1933, le gabarit en largeur de cette ligne a été porté à 2m35 pour les autorails de Dion. L'attelage est du type automatique Willison depuis 1932 seulement et pour autoriser I’ échange de matériel avec le réseau VFDM - T.H.G.(2)
17 heures. Nous approchons du convoi, il est temps de prendre place. Le départ est affiché pour 17 heures 14'...
Il n'est évidemment pas question de trouver une place assise. Il y a en moyenne 60 voyageurs par voiture de 24 places assises, sans compter les bagages à main du type encombrant, comme les sacs à dos et autres ustensiles de camping … et un tram n° 10 qui passe sur le pont vient de décharger une cargaison de 25 jeunes qui arrivent en chantant.
Nous choisissons la plate-forme de la dernière voiture voyageur. Malheureusement le toit du wagon couvert nous cache la vue vers l'arrière ...
Après avoir calé nos sacs, nous attendons le signal du départ et mon camarade, novice en secondaires, m'interroge sur l' histoire de cette ligne.
Je récite : concession du 2 avril 1903, décret d'utilité publique du 7 avril 1903, mise en service en deux tronçons.
Ouverture au service voyageurs exclusivement .
- tronçon Toulouse-Auriac ( 35 kms - le 14 août 1906, après réception par les Ponts et Chaussées le 10 août 1906
- tronçon Auriac-Revel - 18 kms - le 20 octobre 1906 après réception par les Ponts et Chaussées le vendredi 5 octobre 1906.
Ouverture de toute la ligne au service marchandises: le premier mars 1907.
Ce que je ne pouvais ajouter, c'est que cette ligne disparaitrait lamentablement quelques années plus tard, en 1947 exactement.
Pour situer la ligne dans le réseau S.-O. J’ajoute qu'en 1932 les recettes sur Toulouse-Revel représentent 11,6% des recettes totales de la Compagnie.
Un frémissement... le Chef de Gare s'approche du convoi.
Je regarde ma montre : 17h20' - il serait temps en effet, nous avons six minutes de retard !
Mais ce n'est qu'une fausse alerte, nous voyons arriver sept ou huit garçons véhiculant sur leurs épaules un fantastique fardeau qui n'est autre qu'une énorme - barcasse - longue de quatre à cinq mètres, et qui doit, comme on dit dans notre midi "peser un âne mort".
Le chef de gare que j'aperçois fort bien de ma position, lève les bras au ciel, enlève sa casquette aux belles feuilles de chêne encadrant le monogramme S.O ; relève les bras au ciel... Et prend tout le train à témoin... Où loger ces nouveaux arrivants ?
Heureusement pour eux, il y a des précédents : notre Chef de gare court donner des ordres au mécanicien et hurle à notre intention.
« Ne bougez pas, nous allons reculer... » Mon camarade est abasourdi, il ne connait pas encore la ligne.
Où va-t-on ? A la gare Saint-Sauveur sans doute, chercher un wagon.
Effectivement notre Ioco pousse dur au démarrage et après 120 m. de parcours à reculons et après avoir traversé le boulevard, nous pénétrons dans les emprises de la gare de Toulouse Saint-Sauveur, gare réservée au service marchandises, complétée d'un atelier et du dépôt principal de la ligne.
Nous nous plaçons sur une voie de garage et accrochons un tombereau à barre faitière. Les navigateurs qui nous ont suivis avec leur rude fardeau, y déposent délicatement la - barcasse - en question.
Mon camarade qui vient de compter les pièces du train, et que je suppose légèrement superstitieux, m'annonce :
- il y a treize wagons ! si nous arrivons en entier ? - rassures-toi, lui dis-je, regardes ...
Je viens en effet d'apercevoir pénétrant dans la gare, un autre groupe de garçons, plus nombreux que le précédent, en portant aussi une belle barque, genre baleinière, mais de construction typiquement amateur. Le Chef de gare, lui, n'a encore rien vu, et, lorsqu'il aperçoit le groupe en question, c'est un beau spectacle.
Enfin, il accepte le transport, malgré l'horaire enfoncé, malgré le poids du train.
« Mettez votre bateau ici dans ce wagon, il y en a déjà un autre. »
En s'approchant du tombereau que nous venons d'accrocher pour le désigner, il y aperçoit, sournoisement tapis contre le plancher les convoyeurs du premier bateau. C'est encore un beau spectacle.
Descendez de là ! Montez avec les voyageurs ! Cela tourne à l'aigre, d'autant plus que les marins (!) du second bateau désirent eux aussi leur wagon pour ne pas abimer le bateau des confrères. Mon camarade est proche de l'affolement.
Mais c'est invraisemblable !
Je lui explique que le secondaire n'a rien à voir avec le Grand Train et qu’heureusement cela se passe en famille et que s'il était à la place des garçons des bateaux, il serait bien satisfait qu'on ne les laisse pas en rade... évidemment !
Mais l'horaire se défend mon compagnon ?
Je ne donne aucune explication car c'est une éducation entière qu'il faut entreprendre. Comme si l'heure n'avait pas suffisamment d'esclaves comme cela, sans encore asservir le chemin de fer d'intérêt local en période d'occupation.
Tout s'arrange enfin, et nous accrochons un deuxième tombereau. Profitant de ce court moment, je désigne à mon compagnon sur une voie parallèle, une De Dion de la série 1 à 11, livré en 1935 et qui comme tous ceux de sa série ne circule que certains jours creux de la semaine. Il y a à côté, sur la même voie, une remorque également De Dion, de la série BDPF.(3)
Je lui indique aussi sur une voie plus éloignée une voiture mixte à boggies - 36 places assises- la seule, je crois en service sur cette ligne de Revel et du même type de celles qui, allégées - modifiées et repeintes - servent à Toulouse Roguet de remorque au Train Blanc, ligne de Boulogne.
Notre brave Chef de gare éponge son front moite, et nous comprenons qu'il donne le signal du départ. Des applaudissements éclatent dans tout le train. Il est 17 heures 39'. Nous démarrons en souplesse avec 25 minutes de retard sur l'horaire.
Nous quittons Toulouse Saint-Sauveur, retraversons le boulevard, la voie de la station Toulouse Pont des Demoiselles, et obliquant franchement à gauche nous pénétrons - route de Revel.
Profitant de la courbe, mon compagnon compte les voitures et wagons : 14 au total, il est soulagé.
A la faveur de la courbe, je constate aussi, à mon tour quelque chose de très plaisant. Les hardis navigateurs ont, avec des ruses de Sioux, réintégré leur tombereau et le malheureux Chef de gare ne pouvant plus rien leur dire maintenant, se dressent aussitôt dans leur wagon et font des gestes amicaux au passant... et aux passantes ! Leurs collègues du deuxième tombereau ont profité de l'exemple sans doute car je les aperçois aussi dans leur wagon.
Une brève descente... une brève rampe. Nous venons de passer sous la ligne SNCF Toulouse-Sète. A droite, le terminus de la ligne n° 10 des tramways de Toulouse. Nous, nous roulons à gauche de la route de Revel, rails noyés dans la chaussée.
A droite, continuent les rails de STCRT(4) de la ligne n° 42 (Montaudran) et précisément, une Jeumont se dirige vers son terminus et marche de concert avec nous. Malheureusement pour le tramway, un client à terre fait signe. Nous laissons le tramway derrière nous.
La voie toujours noyée dans la chaussée monte en rampe légère et l'allure ralentit sérieusement. C'est le moment que choisit le tramway pour réapparaitre... et il gagne du terrain, c’est indiscutable !
Les voyageurs relativement calmes jusqu'à ce moment, aperçoivent à leur tour le tramway et comprennent l'enjeu de la course. Aussi d'immenses clameurs s'échappent du train, clameurs d'encouragement pour le chauffeur et le mécanicien du Sud-ouest. Mais le tram bénéficie de sa légèreté et tanguant terriblement sur son empattement de 2 m. nous double en beauté, le wattmann(5) solidement cramponné à la manivelle de son controller.
Dans le train, le désespoir est à son comble...! Et cette route de Revel qui monte toujours !
Mais le désespoir nous quitte, le tram est arrêté pour prendre du monde. Nous le doublons majestueusement, et dans tout le train, c'est une salve d'applaudissements frénétiques.
Maintenant nous ne montons plus. La route de Revel dans sa deuxième partie redescend vers la vallée de l'Hers. Nous allons gagner la course avec beaucoup d'honneurs.
Hélas! On aperçoit à droite de la voie, un malencontreux voyageur posté à l'arrêt facultatif Sud-ouest, dit « de l'ormeau », et il fait signe au train. Nous nous arrêtons dans un mugissement de freins pour embarquer cet indigène malfaisant et pour voir le tramway nous doubler avec vigueur. Tout est donc perdu, car son terminus est proche.
En effet, après quelques tours de roues nous voyons à droite le terminus du 42, avec son tramway sagement arrêté. Le wattmann soulève sa casquette victorieusement au moment de notre passage. Du train s'élève une très belle "gueulante" en guise de réponse.
Nous franchissons l'aiguille de raccordement avec les voies TCRT(6) et toujours en rails noyés, le pont de l'Hers : nous quittons Toulouse en obliquant immédiatement à gauche pour gagner la plate-forme indépendante.
Nous traversons tout aussitôt un large fossé au moyen d'un pont métallique de 3 m. et entrons en gare de Montaudran (km 5 - BV à l'étage)(7) où nous nous arrêtons. Après l'arrêt, nous repartons. Départ salué par de nombreuses ovations : c’est tout le train qui vit et qui vibre.
Au sortir de la gare de Montaudran la voie traverse à niveau le GC 16(8), et en plate-forme indépendante et en remblai, vire à gauche. Nous trouvons bientôt, à droite de la voie principale, le dépôt du ballast de la ligne, dépôt situé en pleins champs. Composé d'un énorme tas de cailloux et de deux voies ou stationnent deux plates-formes chargées.
Nous retrouvons aussitôt le GC 16 que nous empruntons un court instant, en rails noyés, pour traverser de concert, sur un pont métallique de 5 m., la Saune, affluent de l'Hers. Nous revenons à notre plate-forme indépendante.
Quelques centaines de mètres plus loin, courbe à droite dans une légère dépression. Nous traversons encore une fois à niveau le GC 16,
Un bouquet d'arbres nous accueille, et nous nous dirigeons en droite ligne vers la gare de Fonsegrives (km. 8 - BV à l’étage) où nous stoppons tous freins serrés.
Personne ne monte, personne ne descend. Nous repartons. Dès que nous sommes sortis de la gare, nous franchissons à niveau la Nationale 621, protégés par le Chef de station de Fonsegrives, et nous nous engageons toujours en P. I. dans un petit bosquet.
La voie, qui, depuis Montaudran est absolument plate, monte maintenant à 20°/00, et l'allure ralentit sérieusement.
Dans les voitures, la conversation devient générale et notre plate-forme, malgré la compression de nos individus, du type sardines en boite, devient une tribune où les célébrants du culte de la vie au plein air échangent conseils, anecdotes, et petits tuyaux permettant de pallier l'absolue pénurie de matériel de sport ou de camp.
La machine halète et nous grimpons toujours. Il fait très chaud en ce moment, ce milieu de printemps, malgré la fin d'après midi.
Une courbe à droite, puis un long alignement droit.
Avec étonnement je constate soudain que notre voiture archibondée au départ, semble maintenant moins occupée. Y aurait-il des places assises en tête du train.
Un virage à gauche, un virage à droite. Nous franchissons à niveau la N. 621 que nous laissons à notre gauche. Nous avons brûlé l'arrêt facultatif de Cizerolles.
Ce n'est pas une illusion, le couloir de notre voiture est maintenant vide, et des occupants de la plate-forme en profitent pour dégager.
La voie descend légèrement, nous entrons en gare de Montauriol (km. 13 - BV à l'étage). Un groupe d'agriculteurs quitte le train. Nous ne prenons personne. Nous repartons.
La voie pénètre maintenant sur la droite du GC 1 que nous suivons en accotement.
Brusquement, j'aperçois à hauteur de mes yeux deux souliers
de marche, surmontés de deux jambes poilues. Ai-je un cauchemar Je me penche et aperçois, tranquillement assis sur le rebord du pavillon un campeur barbu, qui tire béatement d'une énorme pipe, de longues sucées d'armoise.
Cette vision ne manque pas de surprendre. Mais... serait-ce là l'explication ?
Je me penche à droite et à gauche de la plate-forme, et constate en effet, que tout au long du train, les toitures des voitures sont occupées par des voyageurs en short ! Voilà donc l'explication de ces voitures à population inexplicablement moins dense !!!
Coup de frein. De l'autre côté de la route, se dresse l’abri de la halte DREMIL LAFAGE (km. 15) six ou sept villageois descendent. Nous repartons, toujours en accotement du GC 1.
Quelques rampes, quelques descentes, quelques tronçons en P.I.(9) nous freinons en gare de Saint-Pierre-de-Lages (km. 17 BV à l'étage).
C'est la gare fleurie du réseau. Il y a des massifs partout. Du train s'élève des cris admiratifs et des vivats enthousiastes, et la Chef de gare, rose de bonheur, éclatante comme ses fleurs, nous remercie avec son drapeau rouge.
Nous retrouvons aussitôt le GC 1 que nous suivons sur sa droite en accotement, sur deux kilomètres environ, puis en courbe à droite, nous retrouvons la P. I. Un virage à gauche. Nous franchissons à niveau le GC 1 et attaquons en plateforme indépendante une rampe de 25% pour atteindre, après une longue courbe à droite, la gare de Lanta (km. 20 - BV à 1' étage). Nous nous immobilisons sur la voie 2.
Sur la voie 3 stationne un train, qui venant de Revel, part immédiatement pour Toulouse.
Quant à nous, la machine se décroche, et nous comprenons que l'arrêt va se prolonger.
C'est le moment que les voyageurs choisissent pour entamer des conversations sur le quai, ou de voiture à voiture. D'un bout à l'autre la glace est rompue, tout le monde se connait.
Je n'ose pas encore regarder l'heure pour pointer avec l'horaire que j'ai en poche.
La machine manœuvre, elle décroche les deux wagons couverts que nous trainons depuis Toulouse et les range sur la voie 1. Puis après avoir accroché le fourgon et les deux tombereaux à notre dernière voiture, elle va « faire l'eau ».
Tout ceci se prolonge.
La conversation est toujours générale. On parle de voiture à voiture, de plate-forme à plate-forme.
Le Chef de gare donne le signal de départ. Je regarde ma montre et je pointe l'horaire : il est 19 h. 22'. Nous avons exactement une heure de retard.
Le train s'ébranle et de la première voiture s'élève une chanson archi-connue pour 95% des voyageurs : « la fleur au chapeau ».
Comme une trainée de poudre la rengaine suit d'un bout à l’autre du convoi et, tout le monde hurle que pour aller au bout de la terre, il suffit « d'une fleur au chapeau et d'une chanson à la bouche ».
J'ajoute à l'intention de mon compagnon, qu'il faut aussi un chemin de fer d'intérêt local. Il m'approuve fortement, car l'ambiance de ces vingt premiers kilomètres l'a définitivement converti au « secondaire » !
Nous sommes maintenant en plate-forme indépendante, côtoyant au départ, d'assez près, le GC 1 qui se trouvé à notre droite. Quelques kilomètres, et nous entrons en gare d'Aurin (km. 23, BV à l'étage). L'arrêt est de courte durée. Nous repartons. Les chants se succèdent maintenant, toujours entonnés dans la première voiture.
Enhardi par l'exemple, je grimpe sur la galerie de notre plateforme et m'installe à côté du campeur barbu qui me fait une place sur le bord du toit.
De là, la vue est magnifique ! A l'avant, le tourbillon de fumée de la loco, puis de véritables grappes humaines couronnent les toitures des voitures. A l'arrière, le toit du fourgon auréolé aussi de voyageurs puis les hardis" navigateurs" des deux tombereaux convoyant en chanson leurs belles embarcations.
Nous sommes toujours en P. I. et amorçons une belle descente. L'allure devient rapidement sensationnelle, voire même terrifiante. Les voitures roulent et tanguent. Les voyageurs de l’étage supérieur s'agrippent sérieusement. Un passage inférieur : sous le pont nous baissons instinctivement la tête - pas de mal -. Il est trop haut. Brusque serrement des freins. La vitesse tombe : Caraman (km. 29 - BV à l'étage).
Il est prévu à l'horaire dix minutes d'arrêt. Tous les voyageurs descendent et se précipitent au « Café de la gare » que nous apercevons à droite du BV. Avec mon compagnon nous suivons le mouvement, et nous nous retrouvons devant deux demis, bien tassés, car malgré la fin de la journée la chaleur est lourde et orageuse.
Caraman est une gare importante de la ligne. Il existe d'ailleurs certains jours des services Toulouse-Caraman et des services Caraman-Revel.
De plus, c'est ici la tête de ligne "Caraman-Loubens-Lauragais" longue de 7 km 644, mise en service le premier janvier 1907.
Cette ligne a été prolongée après 1930 jusqu'à la gare de MAURENS SCOPONT LE FAGET, commune avec les V.F.D.M., réseau THG., ligne Toulouse-Castres. Depuis 1939 cette ligne Caraman-Loubens-Maurens a vécu. Mais on parle très sérieusement de la remettre en service trois jours par semaine pour pallier à la disparition des autobus.
Les installations sont donc importantes. On peut compter six aiguilles simples, deux aiguilles triples, une plaque tournante, un pont bascule de quinze tonnes, une grue fixe de six tonnes. Les voies sont largement occupées. Beaucoup de wagons couverts, car il s'expédie ici d'importantes quantités de bétail. Deux rames voyageurs sont garées. Une loco Corpet, type 030 T de dix-sept tonnes, manœuvre.
Impératif coup de sifflet de notre locomotive. Affolement au « Café de la gare ». Mais le débitant rassure tout le monde : - c'est simplement pour m'avertir qu'il faut payer les consommations, Messieurs, le train va repartir.
Effectivement chacun s'exécute, regagne sa place, qui sur une toiture, qui dans un tombereau. Certains, enfin, sur une plateforme « oo » à l'intérieur des voitures.
20 h. 25' nous quittons Caraman aux accents d'une vigoureuse chanson de marche, exécutée avec un ensemble parfait, par la chorale des voyageurs. Nous ayons stationné dix-sept minutes à Caraman au lieu de dix et notre retard est actuellement d’une heure vingt environ.
En sortant de la gare, nous laissons à gauche la voie de la ligne de Loubens-Maurens. En P.I. la voie serpente. Courtes rampes et courtes descentes se succèdent. Le crépuscule vient et la position sur les toitures manque de charme à présent. Aussi, un nouveau jeu inaugure ses péripéties. Il s'agit d' aller du fourgon de tête au fourgon de queue et vice versa en sautant de marchepieds en marchepieds et en utilisant aussi le long marchepied des fourgons pour aller dire bonjour à la locomotive. Je m'essaie à ce jeu sensationnel et après d'infinis croisements "en route" (car le jeu a énormément de succès et tout le train est pratiquement accroché aux parois, ou bien encore, posté sur les attelages Willison en attente de "voie libre" !) je parviens à la machine où le mécanicien me hurle : « moi, ça ne me regarde pas, mais vous allez tous vous casser la gueule ».
Nous brûlons la halte de Villarel-la-Salvetat.
Le convoi s'étire lentement. Depuis quelques instants, l'allure diminue sérieusement sans raison apparente, et nous piétinons. Toujours en P.I. nous pénétrons en voie 2 de la gare d'Auriac (km. 35 - BV à l'étage) et notre loco s'immobilise en face du réservoir à eau.
Plusieurs compagnons de voyage qui n'ont pas été sans remarquer la baisse de régime signalée plus haut, vont aux renseignements. Je les rejoins près de la loco. Nos caisses à eau perdent subitement d'abondance ! Le Chef de gare téléphone actuellement aux stations suivantes pour qu'on prépare de l'eau, car il n'y a plus d'alimentation prévue jusqu'à Revel.
Au départ d’Auriac nous avons un retard d'une heure 34'. Cet incident « met en l'air » mes suppositions de rattrapage de quelques minutes, suppositions basées sur le fait que très bientôt la voie va descendre jusqu'à Revel.
Nous quittons Auriac par un PN en P.I.(10) Brusque courbe à droite puis très large courbe à gauche, le tout en rampe très prononcée. Nous traversons en PN le GC 1 et entrons presqu'aussitôt en gare de Cabanial (km. 40 - BV à l'étage).
Dès notre arrivée s'organise la corvée d'eau. On fait la chaine pour emplir les caisses à eau de notre Corpet. Enfin, tout s’exécute assez rapidement car le train entier à mis la main à la pâte. Signal de départ, nous quittons Cabanial en accotement gauche de GC 1. La voie est en palier et pratiquement en alignement droit.
Une courte portion de P.I. nous arrivons en gare de Saint-Julia (km. - BV à l'étage). Comme à Cabanial, corvée d'eau menée rondement. A 21 h. 36' nous partons de Saint-Julia. Je fais le point : 1 h. 58' de retard.
La voie est revenue en accotement gauche du GC 1 et nous descendons très sérieusement. Nous menons un train d'enfer. Le train entier relativement silencieux depuis quelques minutes est maintenant secoué de bravos, de vivats et de chansons en l'honneur de l'équipe de conduite.
Nous traversons le GC 1 pour gagner un tronçon en P.I. qui nous permet, tous freins serrés, car cela descend toujours furieusement, de pénétrer sous les marronniers de la gare de Montégut (km. 46 - BV à l'étage). Plusieurs groupes de campeurs nous abandonnent ici et c'est un adieu émouvant (!) que le train entier leur adresse, pendant que s'opère l'ultime corvée d'eau.
Le Chef de gare siffle, nous quittons Montégut et traversons à niveau le GC 1 pour nous ranger en accotement sur sa gauche. L'alignement est presque droit. La voie descend toujours. Nous roulons à toute vapeur. La Corpet tangue généreusement, la joie est générale, les chants sont toujours de la partie !
Nous grillons l'arrêt facultatif des Terrisses tristement posté de l'autre côté du GC 1, et nous filons toujours.
Je suis persuadé que nous rattrapons quelques minutes !
Brusque courbe à gauche et nous quittons le GC 1. Nous sommes plate-forme indépendante. Revel est là tout près, bientôt nous allons passer sur le célèbre ensemble de ponts qui enjambent un chemin rural avec un tablier de quatre mètres, les voies de la Compagnie du Midi avec un tablier de huit mètres 30 et le CV 25(11) avec un tablier de six mètres.
Ces trois ponts sont en enfilade, séparés par autant de remblais pour obtenir une longueur totale de trente-deux mètres environ.
Ce passage est célèbre par la légende. Il se murmure qu'un jour de grand vent le pauvre petit train est allé choir en dessous sur les voies de la Compagnie du Midi.
Accident du 5 MAI 1916 (voir article de la Dépèche joint)
Nous ralentissons très sérieusement. Nous marchons au pas: On sent une brusque rampe, c'est bien ça; nous nous hissons sur les ponts et une fois là-haut, nous voyons en bas, un peu plus loin, la gare de Revel signalée par son éclairage de guerre.
Dans les voitures, c'est de la frénésie. Les chants redoublent et dans la nuit absolument tombée, c'est un souvenir inoubliable. (Ces lignes en sont la preuve).
Brusque courbe à droite, nous redescendons pour parcourir les quatre cents ou cinq cents mètres qui nous séparent de la gare de Revel.
A notre gauche apparait sous sa caténaire la voie de la ligne venant de Castres (ligne Castres-Revel des VFDM, réseau THG). Pauvre ligne vouée à l'inaction alors qu'elle rendrait tant de services. Enfin, on parle de la remettre aussi en service avec sa sœur Castres-Toulouse.
Un serrement de freins, le dernier. Nous nous immobilisons en voie 2 S.-O. de la gare de Revel (km 53 - BV à l'étage) commune avec les VDFM, depuis 1930.
On aperçoit d'ailleurs dans la pénombre derrière le dépôt Sud-ouest la haute silhouette de la remise à automotrice des VFDM. Depuis l'arrêt des VFDM cette gare est bien grande avec ses quatre voies voyageurs à quai, et ses sept ou huit voies de service ou de marchandises.
Je regarde ma montre 22 h. 15' nous avons un retard de 2 h.3'. Si nous étions partis de Toulouse à l'heure prévue nous aurions mis cinq heures pour parcourir cinquante-trois kilomètres. Soit dix kilomètres de moyenne horaire. Mais il est certain que personne ne le remarque et ne le regrette car c'est une extraordinaire bonne humeur qui règne entre ces voyageurs qui, pour la plupart, ce matin s'ignoraient.
Ce que pouvait faire quand même un secondaire !!!
Un dernier regard à notre brave Corpet qui fuit généreusement des « caisses d'eau ».
Le voyage est terminé,
PS : tout ceci est vrai, d’après d’authentiques notes personnelles bien vieillies et bien jaunies.
VOIR ARTICLE SUR LE CHEMIN DE FER REVELOIS DANS LA RUBRIQUE PATRIMOINE
LA PLAQUETTE PARUE POUR LES 120 ANS DU CHEMIN DE FER EN 1985 A REVEL ( format PDF)
Réponses à vos interrogations pour les abréviations :
N.D.L.R : nous tenons à remercier M. Michel Fourment de l’ Association Française des Amis des Chemins de fer ( AFAC ) , section Midi-Pyrénées, pour sa collaboration et notamment pour son aide à « transcrire » les terminologies et abréviations spécifiques au « monde du rail » (voir ci après).
(0)BV = Bâtiment Voyageurs = c'est le bâtiment de la gare à l'usage exclusif des voyageurs et des petits colis.
Si vous trouvez HM , celà veut dire Halle aux Marchandises qui reçoit les wagons et abrite les gros colis , on trouvait aussi PV qui était la halle "Petite Vitesse" pour les marchandises pas pressées et GV "Grande Vitesse" pour les marchandises urgentes . Mais à l'heure actuelle tout celà fait partie du passé . BV est par contre toujours utilisé.
(1)C.F.I.L. = Chemin de Fer d'Intrêt Local , par comparaison aux grandes lignes et grands réseaux d'intérêt général.
(2)VFDM - T.H.G.= c'est le sigle de la "Société des Voies Ferrées Départementales du Midi" [qui exploitait le Réseau Basque , des lignes en Haute-Garonne (dont Toulouse Castres par Maurens -Scopont ..Puylaurens.. et Castres-Revel par Dourgne)], Tarn , Lot et Garonne.,etc..
Quant au sigle T.H.G. , je ne trouve pas d'appellation officielle , je pense que l'auteur a voulu dire Tramway de la Haute Garonne pour bien faire voir qu'il s'agissait d'interconnexion avec la ligne VFDM Toulouse - Castres - Revel uniquement et qui possédait un attelage automatique que n'avait pas le réseau Sud-Ouest sur tout son matériel.
(3)BDPF = je prefèrerais parler de type plutôt que de série , mais l'auteur l'a écrit ainsi (peut-être ais-je tort)
Dans la classification chemin de fer , (même à la SNCF avant le marquage international et informatisé actuel) B = voulait dire 2e classe (A = 1ere , C =3e)
D = ------------que le véhicule comportait un local à bagages
P = ----------------------------------------------------------- postal
F = ce devrait être un f minuscule = celà veut dire que le véhicule était doté d'un dispositif d'immobilisation , frein à vis( volant ou manivelle actionnant le freinage ; autrement dit , un frein à main)
Nous avons donc ici une remorque pour autorail De Dion BDPf qui possède un compartiment de 2e classe , un emplacement résevé aux bagages, un autre au tranport du courrier et un frein à vis.
(4)STCRT = Société des Transports en Commun de la Région Toulousaine , l'exploitant des tramways et bus de Toulouse et sa banlieue ( 1921- 1973 ); aujourd'hui "Tisséo" ;ce qui n'est plus un sigle mais une marque (après être passé par bien d'autres exploitants , si celà vous intérêsse , je pourrai vous les détailler ; c'est assez complexe) .
(5)Wattman = C' est le conducteur du tramway.
(6)TCRT = C'est comme STCRT , parfois on "oubliait" le S aussi bien à l'écrit (même dans des documents officiels) qu' en parlant.
Dans le texte , il s'agit donc du franchissement des voies du tramway urbain.
(7)BV = Bâtiment Voyageurs ( voir 1er §) , mais le terme "à l'étage" est incorrect , il faut " à étage" .
Il existait plusieurs types de bâtiments : à étage (en principe l'étage servait de logement au chef de gare) , à un seul niveau , avec halle à marchandises accolée ou séparée , etc...
(8)GC = Là, il s'agit d'abréviation routière : Grande Circulation , ce qui correspond aujourd'hui +/- à nos routes départementales ( RD ou comme ici la D 16).
(9)P. I .= Plateforme Indépendante = celà veut dire que la voie du chemin de fer est établie ni sur la route , ni en accotement , mais indépendamment comme le "grand chemin de fer" aujourd'hui.
(10)PN en P.I. = Celà veut dire qu'il ya un PN (Passage à Niveau) où se croisent la voie ferrée établie en PI (Plateforme Indépendante) et la route.
(11)CV 25 = C'est un Chemin Vicinal – le n° 25 – Comme GC , c'est la dénomination de la même époque , un chemin de campagne pas goudronné , rarement empierré. Aujourd'hui , les chemins communaux ?
(A)« Corpet-Louvet » type classique (Source Wikipedia)
Une grande partie des locomotives produites consiste en séries de plusieurs unités pour des réseaux départementaux. Ce marché était maîtrisé par les Ateliers du Nord de la France (ANF) à Blanc-Misseron, mais en 1912, cette firme abandonne la construction des locomotives à voie métrique. La maison Corpet reprend alors le marché. Ainsi le cas des réseaux des Tramways d'Ille et Vilaine, du Loiret, du Loir et Cher.