Société d'Histoire de Revel Saint-Ferréol                          -                                      Publication Lauragais-Patrimoine

LA GUERRE D'INDOCHINE

 par Maurice de Poitevin

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CONCLUSION

 

Quand j'étais jeune, la guerre me paraissait cruelle et amusante. Maintenant, elle me paraît toujours aussi cruelle, mais je sais qu'elle est abominable. » Winston Churchill.
« Un des mystères de la guerre est qu'elle paraît naturelle à ceux qui la font. » Geneviève de Galard.

                     
Au XVIIème siècle, les premiers missionnaires français arrivaient en Indochine. Au XIXème siècle, sous Napoléon III et aux débuts de la IIIème République, l'ensemble de l'Indochine était occupé par l'armée et l'administration françaises. A peine la conquête achevée (1896), les premiers troubles apparaissaient avant la Première Guerre Mondiale.  Ceux-ci s'intensifiaient dans la période de l'entre-deux guerres avec la crise économique mondiale : en 1930, mutinerie de Yen Bay (Tonkin) et création du Parti communiste indochinois par Hô Chi Minh. Cependant, en 1939, l'Indochine vivait encore à l'âge d'or.
Durant la Seconde Guerre Mondiale, l'Indochine a été dans l'œil du cyclone : apparemment paisible, malgré la présence japonaise, alors que le Pacifique, la Chine et l'Asie du Sud-est étaient en feu. Un énorme séisme va se produire durant l'année 1945. Le 9 mars 1945, les Japonais renversaient par surprise le pouvoir colonial français : c'était la mort de l'Indochine française. Ils ramenaient au pouvoir les vieilles monarchies : Bao Daï au Vietnam, Norodom Sihanouk au Cambodge, Sisavoang Vong au Laos. Mais, cinq mois plus tard, la Révolution d'août 1945 renversait l'empereur Bao Daï et propulsait à la tête du pays un gouvernement insurrectionnel conduit par Hô Chi Minh, qui proclamait la « République Démocratique du Vietnam », le 2 septembre 1945. Etrange situation que celle de cette paix armée en Indochine en 1945-1946. Son territoire voyait passer les forces armées de quatre puissances (Japon, Chine, Royaume-Uni, France), sans compter la jeune armée du Vietnam. Rapidement, Français et Vietnamiens se retrouvaient face-à-face ; après l'échec de la conférence de Fontainebleau (juillet-septembre 1946), la volonté de retour des Français et le désir d'indépendance des Vietnamiens devaient aboutir à la guerre : le 20 novembre 1946, « incidents » à Haîphong et le 19 décembre 1946, attaque du Vietminh à Hanoï.
A la fin de l'année 1946, la France et la République du Vietnam ont renoncé à s'entendre, à supposer qu'elles n'en aient jamais eu la volonté. Le conflit de décolonisation entrait dans sa phase violente. Au Nord, les Français reprenaient Hanoï, le couloir Hanoï-Haîphong et la grande plaine du Delta. Le Vietminh s'engageait dans la guérilla en s'attaquant par surprise aux points sensibles de l'ennemi. Au Sud, les Français contrôlent les villes et les grandes routes, mais les assauts de la guérilla contre les postes pouvaient être meurtriers. En effet, la mission des postes -immobilisant une grande partie du Corps Expéditionnaire- était à la fois défensive, offensive et sociale. La stratégie des postes fut une arme à double tranchant, parfois très efficace, parfois aussi inadaptée à la guerre révolutionnaire. Face à la détermination Vietminh, les forces françaises manquaient de moyens (effectifs, matériel de toutes sortes) et d'objectifs. Comme le rétablissement du pouvoir colonial n'était plus à l'ordre du jour, les officiers, dans les premières années, n'étaient orientés par aucune autre directive précise. D'opérations en opérations, la reprise, l'occupation et la conservation de territoires, c'est-à-dire leur « pacification », résumaient l'activité du Corps Expéditionnaire.
Puisqu'il n'était pas possible de s'entendre avec Hô Chi Minh, pourquoi ne pas tenter de lui substituer quelqu'un de plus ouvert aux idées de la France ? Personnalité symbolique, monarque (sous protectorat) sortant, Bao Daï pourrait diriger l'Etat du Vietnam à la place du Chef du Vietminh, au profit duquel il avait abdiqué en 1945. Mais, comme Hô Chi Minh, il demandait l'unité du Vietnam, c'est-à-dire l'abandon par la France de sa souveraineté sur la Cochinchine. Il l'obtiendra après deux ans d'âpres négociations avec la métropole, jusqu'à l'échange de lettres du 8 mars 1949 entre le président de la République, Vincent Auriol et lui-même, nouveau chef de l'Etat du Vietnam. Il rentra au Vietnam en juin 1949 pour s'installer à Dalat, sa capitale. En 1950, la conférence de Pau réorganisait les relations de la France avec le Vietnam, qui bénéficiait de certains transferts de pouvoirs. L'indépendance accordée à Bao Daï n'apparaissait que comme une demi-mesure,  surtout au moment où la victoire de Mao offrait au Vietminh de vastes et nouvelles possibilités.
Jusqu'en 1949, la guerre d'Indochine était restée une guerre coloniale, à régler dans le cadre de l'Union Française. En quelques mois, les événements vont se précipiter : l'arrivée de l'armée de Mao à la frontière du Tonkin, la souveraineté octroyée par la France à « l'Etat du Vietnam », la reconnaissance d'Hô Chi Minh par les pays communistes, et celle du régime de Bao Daï par les Occidentaux, enfin le début de la guerre de Corée. L'année 1950 marquait le début d'une internationalisation du conflit dans le cadre de la guerre froide : aide américaine à la France au nom de la résistance au communisme, aide de la Chine au Vietminh, soutenu politiquement par l'Union Soviétique. En octobre 1950, l'armée du Vietminh, rééquipée, rénovée, infligeait une sévère défaite à l'armée française (désastre de Cao Bang). En 1951, le général de Lattre parvenait à arrêter momentanément la ruée des divisions Viêts sur le delta du Tonkin. (349)
Le général Salan succédait à de Lattre comme commandant en chef en janvier 1952. Avec beaucoup moins de pouvoirs que son prédécesseur et des moyens militaires très insuffisants, il va faire l'impossible pour contenir l'adversaire. La IVème République refusait de négocier avec le Vietminh sans pour autant se donner les moyens de rester. Pour barrer la route du Laos au Vietminh, Salan inaugura la stratégie du camp retranché, qui, de Na San, devait conduire à Dien Bien Phu. Une opération offensive installait un poste avancé français en zone ennemie. Très vite, celui-ci adoptait une attitude défensive pour causer un maximum de pertes à l'adversaire. Une fois le corps de bataille Vietminh épuisé, la garnison du camp retranché devait regagner les bases arrières françaises avec un minimum de pertes. Même si l'on avait l'impression sur le moment d'avoir remporté une victoire (partielle), la tactique du camp retranché se soldait en fin de compte par des évacuations et par l'abandon des territoires concernés (guerre d'usure). (350)
On peut dire que la défaite de Dien Bien Phu (7 mai 1954) a sonné le glas de l'Union Française ; en effet, en accédant à l'indépendance pleine et entière avec les accords de Genève, le Vietnam et le Cambodge s'affranchissaient complètement de la tutelle politique française (juillet 1954). Le Vietnam était divisé de part et d'autre du 17ème parallèle : au nord, la République Démocratique du Vietnam (R.D.V.) dans le camp sino-soviétique, tandis que les Vietnamiens du sud se tournaient vers les Etats-Unis. Les dernières troupes françaises quittèrent le Vietnam le 27 septembre 1956.
Dans une monumentale « Histoire de la guerre d'Indochine », le général Yves Gras, réputé pour son franc-parler, expose les responsabilités de la défaite de Dien Bien Phu. Il déplorait le « manque d'énergie » et les « réactions faibles » du colonel de Castries, cavalier fourvoyé à Dien Bien Phu. Le général Navarre, commandant en chef, « manquait de rayonnement personnel, son autorité était sèche et distante ». Son adjoint, le général Cogny, en fréquent désaccord avec son supérieur, ne se rendit jamais sur le champ de bataille. A l'incompétence de l'état-major, s'ajoutait le manque de détermination des responsables politiques. (351)
La plupart des anciens combattants d'Indochine ont gardé un bon souvenir de leur séjour dans la région : « population accueillante et attachante ; bon accueil des populations des villages (352) » ; ou bien, « excellents contacts avec la population vietnamienne et avec les hommes de troupe vietnamiens (353) ». Le colonel Norbert Delpon parle « du plaisir de servir l'Indochine… j'ai aimé mes soldats comme mes enfants ». (354En revanche, certains combattants notent « la grande tristesse de la foule vietnamienne, lors du départ des militaires français au Tonkin » ; à Saïgon, des employées vietnamiennes pleurent au moment du départ des Français. (355)
Après la fin de la guerre, certains officiers sont restés en contact étroit avec les Vietnamiens, en particulier par l'intermédiaire de l'Association Nationale des Anciens Prisonniers du Vietminh (ANAPI). En 1998, trois cent cinquante anciens combattants revenaient en Indochine, au cours d'un « voyage de l'amitié » (avec 350 bouteilles de Bordeaux), d'abord à Hanoï, puis à Dien Bien Phu : ils furent d'abord reçus « froidement » par la municipalité, mais l'ambiance se détendit à la suite de la distribution de cadeaux aux enfants de la ville. A leur demande, ils visitèrent un village situé à une quinzaine de kilomètres de Dien Bien Phu : depuis cette époque, ils ont financé une école (meubles, tableau, livres), la maison de l'instituteur et la route d'accès à Dien Bien Phu. (356)
Nombre d'anciens d'Indochine ont contracté ce que l'on a appelé « le mal jaune » (Jean Lartéguy), c'est-à-dire une nostalgie de l'Indochine et des Indochinois ; c'est une forme d'attachement -voire d' « envoûtement »- reposant sur des bases culturelles, philosophiques et religieuses très différentes des nôtres. L'abandon de 1954 fut plus qu'une défaite, ce fut un déchirement sentimental et une tragédie humaine dont l'armée française allait porter les marques pendant longtemps. (357) En retour, certains Indochinois avaient un certain attachement envers la France, c'est-à-dire un sentiment d'admiration pour la patrie des Droits de l'homme, de la littérature (Victor Hugo) et des beaux-arts. Il est un dicton qui revient souvent dans la communauté des exilés Vietnamiens : « Quand ça va mal, on accuse la France, mais quand ça va très mal, on part pour la France ! ». (358)

 

                                                                    Maurice de Poitevin
A Paleville, le 15 août 2011

Un exemple de l'utilité des buffles                                                                                     Un pont de singes au Laos

 
                                                

              

349 - DALLOZ (Jacques), « La guerre d'Indochine, 1945-1954… », op ; cit., p. 273.
350 - RIGNAC (Paul), « La guerre d'Indochine en questions… », op. cit., pp. 89-92.
351 - GUÉRIVIÈRE (Jean de La), « Indochine, l'envoûtement », Paris, Seuil, 2006, pp. 128 - Un témoignage anonyme d'un sergent-chef devenu commandant. « Le colonel de Castries a été à la hauteur de la situation ; en fait, le colonel Bigeard commandait le camp retranché. Le général Navarre, loin du théâtre des opérations (à Saïgon), n'est pas à critiquer. En revanche, le général Cogny (à Hanoï) aurait commis de lourdes fautes ; une personnalité douteuse, comme l'ont révélé par la suite les événements d'Algérie. »
352 - Témoignage du colonel Ausserès : en 1951, à Vinh Yen, une villageoise donnait à l'intéressé une magnifique statuette de Bouddha.
353 - Témoignage de Claude Chaussac.
354 - Les anciens d'Indochine, qui ont servi en Algérie, ont des sentiments très différents sur ce conflit et les populations algériennes.
355 - Témoignages de Jean-Aimé Diaz et de Monique Liccioni.
356 - Témoignage du colonel Yves Michaud – Claude Clavière, comme beaucoup d'anciens combattants eut envie de revoir le Vietnam. En 1991, au cours de son voyage, il prit contact, dans un petit village de la région de Nha Trang, avec un petit Vietnamien d'une famille très pauvre. Dans le cadre de l'association des « Enfants du Mékong », il devint son parrain moyennant un versement annuel de  130 francs (de 1991) à l'association. En 2005, il terminait ses études à l'Ecole Supérieure d'Architecture de Hanoï avec le diplôme d'ingénieur en construction. En outre, ayant fait un héritage, celui-ci « prit le chemin » du delta du Mékong, province de Camau (sans intérêt touristique), où les déplacements s'effectuent en barques à moteur dans un vrai labyrinthe de canaux. Il fit construire une petite école de deux classes, inaugurée en 2004 (soixante-douze enfants de 3 à 9 ans) (A.N.A.P.I., XXIème  Congrès National, Albi, 13-16 mai 2008, « Tarn et Indochine. Hier, Aujourd'hui, Demain,  pp. 10-11).  Claude Clavière est retraité dans la banlieue d'Albi, prisonnier du Vietminh (28 janvier 1953-3 décembre 1953).
357 - La majorité des anciens combattants d'Indochine ont acheté de nombreux ouvrages sur le drame indochinois : Hélie de Saint Marc, « Les champs de braises ». Lucien Bodard, « La guerre d'Indochine » (5 volumes) Erwan Bergot a écrit des romans, articles et livres d'histoire sur l'Indochine. Les romans de Jean Lartéguy, « Les Mercenaires, Les Centurions, le Mal jaune… ».
358 - RIGNAC (Paul), « La guerre d'Indochine en questions … », op. cit. pp. 108-110.

 

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